Corps de l’article

Le 30 avril 2020, dix-neuf Membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le Canada et l’Union européenne, ont convenu d’une procédure arbitrale d’appel provisoire multipartite; une « mesure […] d’urgence [destinée à] préserver les principes et caractéristiques essentiels du système de règlement des différends de l’OMC »[1]. Depuis la communication de l’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire conformément à l’article 25 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends (ci-après, l'AMPA), cinq autres Membres y ont adhéré[2], portant le nombre total de participants à vingt-quatre. L’arrangement se veut ouvert, tous les Membres de l’OMC ayant la possibilité de s’y joindre en vertu du paragraphe 12 de la déclaration prévoyant que tout Membre est « libre d’accéder à l’AMPA à n’importe quel moment », sous réserve de notification à l’Organe de règlement des différends (ci-après, l'ORD) ».

L’AMPA a été institué en raison de « circonstances extraordinaires »[3]. En effet, l’Organe d’appel (ci-après, l'OA) est paralysé depuis le 11 décembre 2019 en raison de la perte du quorum nécessaire pour entendre de nouveaux appels, l’OA devant être composé d’au moins trois membres afin de connaître des appels[4]. La perte du quorum est due au refus des États-Unis de procéder à la nomination de nouveaux membres de l’OA. Les membres de l’OA devant être nommés par l’ORD[5], et la règle du consensus étant applicable aux décisions prises par l’ORD[6], un pays peut ainsi à lui seul pratiquement paralyser le système de règlement des différends commerciaux internationaux. Les États-Unis font part depuis le début des années 2000 de leur mécontentement envers l’OMC[7]. Outre la nécessité de s’assurer du concours des États-Unis lors de la nomination des membres de l’OA, par exemple, il est également important de souligner l’importance de ce Membre au sein du système commercial multilatéral, ayant été mis en cause dans pas moins de 18 % des différends à l’OMC entre 1995 et 2019[8]. L’apposition par les États-Unis de leur veto a débuté sous l’administration de Barack Obama : la reconduction de deux membres de l’OA avait alors été empêchée, les États-Unis estimant que ceux-ci avaient outrepassé la portée de leur mandat. L’administration Obama avait néanmoins approuvé la nomination de nouveaux membres de l’OA afin que ce dernier demeure fonctionnel. L’administration de Donald J. Trump a quant à elle refusé de considérer les candidats à l’OA tant que les préoccupations des États-Unis ne seront pas pleinement prises en compte[9]. Les États-Unis reprochent notamment à l’OA de faire preuve d’activisme judiciaire[10], minant ainsi l’équilibre entre les droits et obligations des Membres; équilibre consacré à l’article 3:2 du Mémorandum d’accord[11]. Cet activisme judiciaire serait, selon les États-Unis, le fait de l’OA qui aurait tendance à outrepasser le mandat enchâssé dans l’article 3:2 du Mémorandum[12]. Le blocage de l’OA survient dans une période particulièrement trouble pour l’OMC, le Directeur général Roberto Azevêdo ayant quitté l’organisation le 31 août 2020, soit un an avant l’expiration prévue de son mandat. Il importe de souligner que les récriminations à l’encontre de l’OA ne sont pas qu’américaines : outre certains Membres de l’OMC, certains candidats au processus de sélection du nouveau Directeur général leur ont fait écho. Parmi les candidats en lice, Amina C. Mohamed a notamment indiqué quant à ces récriminations qu’elle estimait que « the US concerns are real […] The feeling in Geneva among very many members is that they [l’Organe d’appel] went outside the mandate that was granted to them » et Ngozi Okonjo-Iweala estimant que « most people agree that they have a point [les États-Unis] — that there may have been instances where the appellate body may have acted beyond the covered agreements that members reached »[13].

Face au blocage américain, l’ORD ne comprend ainsi depuis le 11 décembre 2019 qu’un seul niveau de règlement des différends, ce qui n’est pas sans rappeler les procédures ayant prévalu sous le GATT de 1947[14] — à l’époque chaque Membre était en droit de bloquer l’adoption d’un rapport de groupe spécial le contrariant[15]. Certains Membres de l’OMC, souhaitant éviter un blocage complet du système de règlement des différends potentiellement causé par des appels de rapports de groupes spéciaux dans le « vide »[16] et préserver le système à deux niveaux du règlement des différends à l’OMC, ont convenu de l’arrangement multipartite faisant l’objet de la présente étude. Dans un premier temps, un rappel historique sera effectué en lien avec les différentes étapes ayant conduit à la conclusion de l’AMPA par les Membres participants (I). Les principaux aspects procéduraux et de fond seront ensuite passés en revue afin d’en cerner l’essentiel (II). Enfin, les tenants et aboutissants de l’arrangement feront l’objet d’une brève analyse afin de faire ressortir les implications pratiques de ce mécanisme vis-à-vis le règlement des différends ayant normalement cours sous l’égide de l’OA (III).

I. Rappel historique

Avant la conclusion de l’AMPA, le Canada et l’Union européenne, anticipant la paralysie de l’OA, avaient convenu en juillet 2019 d’une procédure arbitrale d’appel provisoire bilatérale au titre de l’article 25 du Mémorandum d’accord[17]. Celle-ci prévoyait que les arbitres nommés seraient choisis par le Directeur général de l’OMC parmi les anciens membres disponibles de l’OA, et ce, « sur la base des mêmes principes et méthodes que ceux qui s’appliquent à la constitution d’une section de l’Organe d’appel »[18]. L’Union européenne et la Norvège convinrent d’une procédure semblable en octobre 2019[19].

À l’issue du 50e Forum économique mondial, tenu du 21 au 24 janvier 2020 à Davos, l’Union européenne et les ministres de seize pays membres de l’OMC convinrent de mettre en place une procédure d’appel provisoire multipartite, fondée sur l’article 25 du Mémorandum d’accord, « qui permettra aux membres de l’OMC participants de préserver un système de règlement des différends en deux étapes au sein de l’OMC pour les différends qui les opposeraient éventuellement »[20]. Le 27 mars 2020, certains de ces Membres, joints par Hong Kong et la Chine, mais délaissés par la République de Corée et Panama, ont publié une déclaration commune annonçant la mise en place de cette procédure d’arbitrage[21]. Dans le mois suivant la publication de la déclaration du 27 mars 2020 à Davos, l’Islande, le Pakistan et l’Ukraine ont adhéré à la procédure[22]. Le 30 avril 2020, les Membres susmentionnés ont notifié l’OMC de la procédure d’arbitrage d’appel provisoire multipartite, dont dispose la Déclaration sur un mécanisme pour l’élaboration, la documentation et la communication de pratiques et procédures pour le déroulement des différends à l’OMC[23]. À cette déclaration est jointe la procédure proposée, accompagnée de deux annexes, pour notification à l’ORD.

Outre l’AMPA, d’autres procédures de règlement provisoires ont été explorées par les Membres. Les Membres peuvent notamment renoncer bilatéralement à la possibilité d’un appel à l’avance : à titre d’exemple, en mars 2019, l’Indonésie et le Viet Nam ont convenu dans Indonésie – Mesure de sauvegarde concernant certains produits en fer ou en acier que « si, à la date de distribution du rapport du groupe spécial […] l’Organe d’appel est constitué de moins de trois membres […] elles ne feront pas appel de ce rapport »[24]. Les Membres peuvent également envisager post hoc de ne pas appeler du rapport en arrivant à une solution mutuellement convenue. Une autre possibilité serait de renoncer complètement à l’examen d’un différend par un groupe spécial de l’OMC, en optant plutôt pour un arbitrage unique et sans possibilité d’appel au titre de l’article 25 du Mémorandum d’accord[25].

II. Description du mécanisme

Afin de bien saisir le fonctionnement et les implications de l’arrangement, il importe, dans un premier temps, de passer en revue ses principaux éléments caractéristiques. L’AMPA est composé de trois parties : son corps ainsi que deux annexes. Le corps fera donc l’objet de la première partie (A). Celui-ci contient des dispositions « substantives » et bien qu’il s’apparente à un traité, il s’agit d’un arrangement de nature politique, étant ainsi non-contraignant[26]. La première annexe fera ensuite l’objet de la deuxième partie, celle-ci contenant l’accord type auquel les parties s’engagent à recourir, en vertu de leur participation à l’AMPA (B). Enfin, la deuxième annexe fera l’objet de la dernière partie, celle-ci contenant les procédures de nomination des arbitres appelés à siéger lors de différends (C).

A. Le corps de l’arrangement

Il apparaît opportun de relever certaines clefs illustrant l’étendue et la portée juridique de l’arrangement. Il importe de relever d’abord que l’AMPA est une déclaration de nature politique n’étant pas formellement opposable aux Membres participants. Par le biais de l’AMPA, les Membres indiquent leur intention d’adhérer à un ensemble de principes et de suivre une procédure relativement standardisée — détaillée ci-dessous —, bien qu’il soit possible de l’adapter aux circonstances particulières de chaque espèce. La version anglaise est par ailleurs moins équivoque, celle-ci indiquant que l’AMPA restera « in effect »[27] plutôt qu’« en vigueur », la version française pouvant potentiellement porter à confusion.

D’abord, bien que l’AMPA ne constitue pas un traité, sa formulation lui en confère néanmoins l’apparence : l’arrangement revêt un caractère assez traditionnel, étant précédé d’un court préambule explicitant les valeurs et l’intention des Membres participants. Les Membres participants à l’AMPA réaffirment en son préambule leur attachement au « système commercial multilatéral fondé sur des règles », et relèvent leur détermination

 à travailler avec l’ensemble des Membres de l’OMC pour parvenir à améliorer durablement la situation relative à l’Organe d’appel en priorité, et lancer les processus de sélection dès que possible, afin qu’il puisse recommencer à s’acquitter de ses fonctions[28] 

soulignant en l’occurrence « la nature provisoire [de cet] arrangement ». L’essence de l’AMPA demeure en définitive la sauvegarde du système de règlement des différends en évitant le scénario de l’appel dans le « vide » et la préservation d’un système de règlement à deux niveaux, reconnaissant « qu’une phase indépendante et impartiale doit continuer d’en être une des caractéristiques essentielles »[29]. La procédure de règlement des différends au titre de l’AMPA est d’ailleurs présentée en tant que « mesure d’urgence », mettant ainsi en exergue son caractère provisoire.

La deuxième clef est le verbe « prévoir », les Membres participant à l’AMPA ne pouvant mettre directement en place un tel mécanisme au sein de l’OMC sans l’appui de l’organisation. La formulation employée par les Membres est donc précautionneuse, ceux-ci devant « prévoir » faute de décider, ne constituant qu’un groupe restreint — bien qu’important — de Membres. Les Membres participants prévoient donc de recourir à un système d’arbitrage devant être établi en vertu de l’article 25 du Mémorandum d’accord qui constitue le fondement de la démarche. Les modalités d’exécution et le support offert par l’organisation sont toutefois tributaires de l’investissement du Secrétariat et du Directeur général de l’organisation.

1. L’arbitrage à l’aune de l’article 25 du Mémorandum d’accord

Le propre de l’article 25 du Mémorandum d’accord est de proposer un mode de règlement des différends alternatif aux procédures standards visant l’établissement de groupes spéciaux et éventuellement l’examen en appel par l’OA. L’arbitrage envisagé par l’article 25 est ainsi « conçu comme un autre moyen de règlement des différends »[30]. Celui-ci constitue par ailleurs un mode de règlement des différends mis à disposition de tous les Membres de l’OMC. Un groupement de Membre, pour important qu’il soit, n’est toutefois pas libre d’ériger cavalièrement une nouvelle structure institutionnelle au sein de l’OMC. La mise en place d’un tel système doit donc être effectuée en collaboration avec le Secrétariat qui, en vertu de l’article 27 du Mémorandum d’accord, « apportera son concours dans le règlement d’un différend », et ce, « [à] la demande d’un Membre »[31] et a fortiori à la demande d’un regroupement de Membres.

La troisième clef concerne le champ d’action de l’article 25 qui ne prévoit pas de procédure particulière, le recours à celui-ci étant « subordonné à l’accord mutuel des parties qui conviendront des procédures à suivre », procédures devant par ailleurs être notifiées à l’ensemble des Membres de l’organisation[32]. L’AMPA vise à institutionnaliser dans une certaine mesure une procédure d’arbitrage en vertu de l’article 25 afin de pallier le blocage de l’OA en reflétant son fonctionnement le plus fidèlement possible, outre certaines modifications visant à améliorer l’efficience des procédures d’arbitrage.

2. Les deux visées de l’AMPA : éviter l’appel dans le « vide » et maintenir un système de règlement à deux niveaux

L’AMPA sert ainsi deux visées principales détaillées dans les quinze points formant l’arrangement. La première est la préservation de la possibilité tout court de recourir au système de règlement des différends. À l’heure actuelle, en vertu des dispositions du Mémorandum d’accord, tout Membre partie à un différend est libre d’interjeter appel contre une décision de groupe spécial. La possibilité de porter un rapport de groupe spécial constituant un droit[33], un Membre peut interjeter appel en toutes circonstances, y compris en cas de défaillance de l’OA, projetant ainsi le rapport du groupe spécial dans un « vide » juridique. Un Membre pourrait ainsi subrepticement contourner son obligation de mise en conformité avec les conclusions d’un rapport. L’un des éléments essentiels de l’AMPA est l’engagement de ses Membres participants à ne pas interjeter appel par le biais des articles 16:4 et 17 du Mémorandum d’accord, ce qui aurait pour effet dans les circonstances actuelles de nier toute portée à un rapport de groupe spécial[34]. L’AMPA vise donc à maintenir en place l’intégrité du système, en veillant à ce que les Membres ne puissent bloquer indûment l’adoption d’un rapport de groupe spécial advenant leur intention de le porter en appel.

La solution à l’absence d’un OA opérationnel découle de la deuxième visée de l’AMPA, soit celle de fournir un cadre arbitral temporaire permettant de porter en appel les décisions de groupe spécial dont les Membres seraient insatisfaits. Le troisième paragraphe de l’AMPA prévoit que l’examen en appel se fera « conformément à l’article 17 du Mémorandum d’accord » afin d’en « conserver les caractéristiques essentielles » tout en y apportant certaines améliorations qui seront passées en revue dans la partie 1 de l’analyse.

Parmi les « prévisions » ou souhaits des Membres participants, se trouve notamment la formation d’un bassin d’arbitres, détaillée dans l’Annexe 2. Le souhait de voir les arbitres recevoir un « soutien administratif et juridique approprié » et « entièrement distinct » du Secrétariat de l’OMC est également manifesté dans le paragraphe 7 de l’AMPA. Les Membres participants indiquent aussi leur souhait de voir le Directeur général de l’OMC s’impliquer dans le processus en notifiant aux parties et aux tierces parties l’identité des arbitres appelés à siéger dans un différend donné ainsi qu’en garantissant la « disponibilité de la structure de soutien » en question. Les souhaits des Membres participants devraient être largement exaucés par le Secrétariat, devant apporter son « concours » à la demande de Membres en vertu de l’article 27 précité du Mémorandum d’accord. Les Membres participants doivent également « prévoir » des ajustements aux procédures des groupes spéciaux advenant qu’une partie décide d’interjeter appel conformément à un accord d’arbitrage[35].

Les neuvième et dixième paragraphes de l’AMPA se veulent plus affirmatifs, indiquant que l’arrangement s’applique « à tout différend futur entre deux ou plusieurs Membres participants », cet engagement s’étendant à la phase de mise en conformité ainsi qu’aux différends en cours en date de la communication pour lesquels aucun rapport intérimaire n’aura été rendu[36]. Ce sont ces points qui viennent soutenir le fonctionnement régulier de la phase de différends examinés par les groupes spéciaux, car en vertu de ceux-ci, les Membres participants s’engagent à conclure des accords formels d’arbitrage dès le stade de l’examen par les groupes spéciaux; garantissant ainsi qu’ils ne soient pas portés en appel dans le « vide » et offrant la possibilité à un Membre le désirant d’appeler d’un rapport de groupe spécial.

Il demeure aussi possible pour un Membre participant de notifier à l’ORD qu’il « retire son entérinement » de la communication en s’engageant à appliquer l’AMPA aux différends pendants en date du retrait, ce qui ne fait par ailleurs guère de doute considérant que lesdits différends feront également l’objet d’un accord d’arbitrage spécifique pour chaque dispute. En l’absence d’un accord d’arbitrage bilatéral, il semble toutefois douteux qu’un Membre soit forcé de conclure un tel accord subséquemment à son dé-entérinement de la communication.

Enfin, les Membres participants s’engagent également à réexaminer l’arrangement un an après la date de la communication, soit en mai 2021. Les Membres participants réaffirment par ailleurs dans le paragraphe final de la communication le caractère provisoire de l’arrangement, ainsi que leur détermination à trouver une solution au blocage de l’OA, l’AMPA restant « en vigueur » jusqu’à ce que l’OA redevienne pleinement opérationnel.

En somme, ce seront les accords d’arbitrage conclus sur la base de l’accord type contenu dans l’Annexe 1 — détaillé ci-dessous — qui viendront « rendre la procédure arbitrale d’appel opérationnelle » dans les différentes espèces. Le support matériel de l’AMPA est donc véritablement constitué de ces accords d’arbitrage ad hoc appelés à conférer force obligatoire aux principes contenus dans l’arrangement. En adhérant à l’AMPA, les Membres participants s’engagent à conclure un tel accord d’arbitrage dans les soixante jours suivant la date d’établissement d’un groupe spécial dans un différend donné[37]. La section suivante exposera ainsi les caractéristiques de la procédure d’arbitrage envisagée par les Membres participants, afin de mieux saisir la teneur et les implications relatives à l’examen en appel sous l’article 25 du Mémorandum d’accord.

B. L’accord type d’arbitrage AMPA (Annexe 1)

Bien que l’AMPA en tant que tel revête l’allure d’une « déclaration sur l’honneur » des Membres participants à recourir à une forme particulière d’arbitrage, il n’en va pas autant de l’Annexe 1 qui contient les prémisses d’une procédure véritablement obligatoire. Alors que l’AMPA énonce les principes généraux devant guider la procédure arbitrale, l’Annexe 1 constitue le véritable bras armé de l’arrangement, conférant une portée obligatoire à ce système d’arbitrage, sitôt enchâssé dans un accord ad hoc entre participants.

L’Annexe 1 prévoit ainsi un modèle de procédures pour les différends éventuels entre les Membres participants[38]. Les Membres participants à l’AMPA s’engagent en principe à utiliser le modèle d’accord d’arbitrage proposé dans l’Annexe 1 tout en pouvant « convenir de s’écarter des procédures énoncées dans l’accord », sans préjudice toutefois pour les principes énoncés dans l’AMPA. L’accord type proposé rappelle donc que les Membres participant à l’AMPA conviennent de recourir à l’arbitrage au titre de l’article 25[39] afin de « donner effet » à la communication enchâssant l’AMPA[40]. Le modèle d’accord réitère dès lors que le recours à l’arbitrage est évidemment conditionnel à l’incapacité de l’OA de connaître d’un appel au titre des articles 16:4 et 17 du Mémorandum d’accord; cette incapacité étant réputée si l’OA compte moins de trois membres à la date de remise du rapport final du groupe spécial aux parties[41]. Si toutefois l’OA est en mesure de connaître des appels à la date à laquelle le rapport final du groupe spécial est soumis aux parties, ces dernières ne pourront recourir à l’arbitrage[42].

Outre certains ajustements posés par l’AMPA ou par accord entre les parties, l’arbitrage sera régi mutatis mutandis par les dispositions du Mémorandum d’accord et les règles et procédures de l’examen en appel. Cela inclut explicitement les articles du Mémorandum d’accord portant sur la surveillance de la mise en oeuvre des recommandations et décisions et sur la compensation et la suspension de concessions[43]. Les Procédures de travail pour l’examen en appel[44] et le calendrier applicable aux appels, de même que les Règles de conduite, seront nommément également adaptées mutatis mutandis[45]. Les Procédures de travail et le calendrier pourront être adaptés par les arbitres, après que ces derniers aient consulté les parties[46].

Les Membres participants à l’AMPA, lorsqu’ils seront parties à un différend devant un groupe spécial, demanderont conjointement à ce dernier de leur notifier la date de distribution de son rapport quarante-cinq jours avant celle-ci[47]. Ce délai vise à favoriser la bonne administration de l’arbitrage au titre de l’AMPA[48].

Lorsqu’un accord d’arbitrage conforme à l’accord type est conclu, les parties à un différend peuvent se prévaloir de la procédure d’arbitrage d’appel prévue par l’AMPA dès que le rapport final du groupe spécial leur est remis, mais au plus tard dix jours avant la date prévue pour la distribution dudit rapport aux autres Membres de l’OMC[49]. Il convient de noter qu’une telle demande de l’une ou l’autre des parties au différend est réputée constituer une demande conjointe des parties visant à ce que la procédure de groupe spécial soit suspendue pendant douze mois, tel que le permet l’article 12:12 du Mémorandum d’accord[50]. Avant que la suspension ne prenne effet, les parties demandent au groupe spécial (1) de lever la confidentialité du rapport final du groupe spécial, (2) de transmettre le dossier du groupe spécial aux arbitres désignés au titre de l’AMPA[51] et, enfin (3) de transmettre le rapport final du groupe spécial dans les langues de travail[52] de l’OMC aux parties et aux tierces parties ayant participé à la procédure du groupe spécial[53]. Il convient également de rappeler qu’en concluant un accord d’arbitrage, les parties renoncent à la procédure prévue par l’article 16 du Mémorandum d’accord, laquelle permet aux Membres de l’OMC d’exposer des objections au rapport d’un groupe spécial avant que celui-ci soit examiné par l’ORD[54].

1. L’amorce de la procédure d’arbitrage

La procédure d’arbitrage au titre de l’AMPA s’amorcera par le dépôt d’une déclaration d’appel auprès du Secrétariat de l’OMC; dépôt qui doit être effectué au plus tard vingt jours après la prise d’effet de la suspension de la procédure de groupe spécial[55]. Dans le cas où l’arbitrage n’est pas engagé au titre de l’AMPA ou qu’aucune déclaration d’appel n’est déposée, les parties seront réputées avoir convenu de ne pas faire appel du rapport du groupe spécial[56], évitant ainsi le scénario de l’appel dans le « vide ». À l’instar des procédures devant l’OA, seules les parties au différend pourront engager l’arbitrage au titre de l’AMPA[57]. Les parties ayant informé l’ORD à l’étape de l’examen par le groupe spécial qu’elles ont un intérêt substantiel dans l’affaire pourront présenter des communications écrites aux arbitres et se faire entendre par ces derniers[58]. Ainsi, les Membres de l’OMC ne participant pas à l’AMPA pourront tout de même faire valoir leur point de vue en tant que tierces parties, de la même manière qu’ils le pouvaient devant les différends entendus par l’OA.

Chaque rapport d’un groupe spécial porté en appel sera entendu par trois arbitres, choisis parmi un bassin de dix arbitres d’appel permanents dont la composition est énoncée à l’Annexe 2[59]. À l’instar des règles applicables à l’OA, pour entendre d’un appel et statuer à son sujet, les arbitres seront choisis par roulement, suivant les principes de la sélection aléatoire et de l’imprévisibilité, ainsi que celui selon lequel tous les membres doivent avoir la possibilité de siéger, quelle que soit leur origine nationale[60]. En vertu du paragraphe 4 de l’AMPA intégré par référence dans l’accord, l’une des deux parties à un appel pourra néanmoins demander d’exclure de la sélection tout arbitre n’étant ressortissant d’aucun des Membres participants et deux ressortissants d’un même Membre ne peuvent connaître conjointement d’un même appel[61]. Reflétant les règles applicables à l’OA, les arbitres désignés au titre de l’AMPA s’efforceront de prendre leurs décisions par consensus. S’il est impossible d’arriver à une décision par consensus, cette dernière sera prise à la majorité des voix[62]. Afin de promouvoir la cohérence dans la prise de décisions, les arbitres sont invités à discuter de leurs décisions, concernant des questions pouvant avoir un impact plus systémique, avec les autres membres du bassin d’arbitres, et tous les membres du groupe d’arbitres constitué recevront tous les documents relatifs aux appels[63].

En statuant au sujet d’un appel, les arbitres pourront, à l’avenant de l’OA, confirmer, modifier ou infirmer les constatations et les conclusions juridiques du rapport du groupe spécial, et pourront également formuler des recommandations[64]. S’agissant d’une procédure d’appel, les Membres participants ont circonscrit la compétence des arbitres aux questions de droit couvertes par le groupe spécial et aux interprétations du droit données par celui-ci[65]. Les arbitres ne pourront examiner que les questions qui auront été soulevées par les parties et qui seront nécessaires à la résolution du différend; cela est toutefois sans préjudice du principe de Kompetenz-Kompetenz[66]. Ainsi, advenant qu’un groupe spécial ait « erré » sur des points n’étant pas concernés par l’appel, il ne sera pas possible pour l’arbitre AMPA de venir rectifier cette situation, celui-ci ne pouvant examiner que les points en litige. L’entièreté des constatations du groupe spécial dont il n’aura pas été fait appel, sera par ailleurs réputée faire partie intégrante de la décision arbitrale, et ce, aux mêmes titres que les constatations des arbitres[67].

2. Rationalisation de la procédure et remise de la décision

L’accord type d’arbitrage requiert que les arbitres remettent leur décision dans un délai de quatre-vingt-dix jours commençant à courir dès le dépôt de la déclaration d’appel[68]. Afin d’assurer le respect de ce délai, les arbitres jouiront d’une importante latitude, pouvant rationaliser la procédure[69] qui sera examinée dans la partie 1 de l’analyse. Cette rationalisation ne pourra toutefois affecter les droits et obligations procéduraux des parties et la régularité de la procédure[70]. Les arbitres pourront également proposer des mesures de fond aux parties[71]. Ces propositions ne seront toutefois pas juridiquement contraignantes pour ces dernières, et il appartiendra à la partie concernée d’y consentir[72]. L’une de ces mesures de fond prise en exemple par les Membres participants est « l’exclusion des allégations fondées sur l’absence alléguée d’évaluation objective des faits »[73] devant être effectuée par les groupes spéciaux en vertu de l’article 11 du Mémorandum d’accord. La mesure est intéressante considérant les délais parfois engendrés par la présence d’allégations au titre de l’article 11. L’OA faisant écho à ses constations dans l’affaire Chine — Terres rares a d’ailleurs rappelé dans son dernier rapport en date dans l’affaire Australie — Emballage neutre du tabac qu’une allégation de manquement à l’article 11 du Mémorandum d’accord constitue une « allégation très grave »[74] et, a prié les Membres de l’OMC à faire preuve de circonspection au moment d’alléguer la violation de l’article 11 du Mémorandum d’accord par un groupe spécial. Les arbitres pourront de même proposer aux parties de prolonger le délai de quatre-vingt-dix jours : il serait par exemple possible d’imaginer un appel concernant des questions liées aux subventions dans le domaine de l’aéronautique, où la preuve et les questions soulevées sont particulièrement volumineuses et nombreuses[75]. L’appelant pourra également, à tout moment au cours de l’arbitrage, se désister en le notifiant aux arbitres ainsi qu’au groupe spécial et aux tierces parties[76]. La procédure du groupe spécial reprendra donc son cours si le désistement a lieu en deçà du délai maximal de suspension des travaux du groupe spécial de douze mois[77]. Il est important de souligner qu’en cas de désistement passé le cap des douze mois, les arbitres rendront tout de même une sentence incorporant par référence le rapport initial du groupe spécial afin d’éviter qu’un Membre participant puisse contourner ses obligations de cette manière.

Les parties à l’accord d’arbitrage conviennent qu’ils se conformeront aux décisions arbitrales, lesquelles seront définitives[78]. Conformément aux dispositions du Mémorandum d’accord, la décision arbitrale sera notifiée à l’ORD et au conseil ou comité de tout accord pertinent, mais ne sera pas adoptée par l’ORD[79].

C. Les modalités de composition du bassin d’arbitres (Annexe 2)

L’Annexe 2 dispose quant à elle du processus de composition du groupe d’arbitres qui connaîtront des appels formés au sujet de rapports de groupes spéciaux[80]. Pour former le groupe d’arbitres, chacun des Membres participants devait proposer un candidat[81], y compris d’anciens membres de l’OA[82], en vue de la formation du bassin. Le délai des présentations des candidatures expira trente jours après la date de la communication de l’AMPA, le 30 mai 2020[83]. Les Membres participants à l’AMPA envisagent qu’un comité de présélection composé du Directeur général de l’OMC, du président de l’ORD, ainsi que des présidents du Conseil du commerce des marchandises, du Conseil du commerce des services et du Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, a ainsi recommandé par la suite une liste de dix arbitres aux Membres participants[84] — une forme de désignation indirecte par les Membres, conforme à la pratique et destinée à conjuguer stabilité et légitimité. Les arbitres doivent faire autorité dans le domaine du droit international des affaires ou de l’investissement, ainsi que dans les sujets couverts par les différents accords de l’OMC plus généralement[85]. En sus, les arbitres « d[oivent] également être indépendants de tout gouvernement, et ne participeront à l’examen d’aucun différend susceptible de créer un conflit d’intérêts direct ou indirect »[86]. La composition de la liste d’arbitres doit en principe garantir un équilibre général entre les Membres adhérant au mécanisme d’appel provisoire[87]. Le 31 juillet 2020, les Membres participants ont notifié à l’ORD l’identité des nouveaux arbitres AMPA. Le bassin est composé de : M. Mateo Diego-Fernández Andrade (Mexique), de M. Thomas Cottier (Suisse), de Mme Locknie Hsu (Singapour), de Mme Valerie Hugues (Canada), de M. Alejandro Jara (Chili), de M. José Alfredo Graça Lima (Brésil), de Mme Claudia Orozco (Colombie), de M. Joost Pauwelyn (Union européenne), de Mme Penelope Ridgings (Nouvelle-Zélande) et de M. Guohua Yang (Chine).[88] Les membres du bassin ont pour la plupart déjà officié en tant que Membre de groupe spécial de l’OMC ou de l’ancien GATT et certains ont oeuvré en tant que fonctionnaires pour l’OMC. Toutefois, le bassin ne comporte en fin de compte pas d’ancien membre de l’OA. Enfin, advenant la persistance du blocage de l’OA, les Membres participants ont également convenu de revoir la composition du bassin d’arbitre deux ans après son établissement[89].

III. Analyse

Afin de bien saisir les tenants et aboutissants de l’AMPA, il importe de relever ce qui distingue l’arrangement des procédures standards employées en temps normal par l’OA. Premièrement, au vu de l’importance que revêtira la mise en oeuvre de l’AMPA pour l’avenir du règlement des différends à l’OMC, le maintien des acquis ainsi que les différences et améliorations quant au règlement des différends de l’OA seront examinés (A). Les procédures instiguées en vertu de l’AMPA étant arbitrales par nature, les caractéristiques propres à cet arbitrage seront ensuite passées en revue (B). Enfin, des questions de politique judiciaire seront abordées, en raison de l’incertitude entourant la mise en oeuvre de l’AMPA et la postérité des sentences arbitrales rendues dans le cadre de ce mécanisme (C).

A. Sauvegarde des traits essentiels du système et améliorations vis-à-vis le règlement des différends « classique »

L’arbitrage en appel étant établi en vertu de l’article 25 du Mémorandum d’accord, il s’agit d’une composante pleine et entière du système de règlement des différends de l’OMC qui « est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral » et qui a pour « objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public »[90]. Ainsi,

[t]outes les solutions apportées aux questions soulevées formellement au titre des dispositions des accords visés relatives aux consultations et au règlement des différends, y compris les décisions arbitrales, seront compatibles avec ces accords et n’annuleront ni ne compromettront des avantages résultant pour tout Membre desdits accords, ni n’entraveront la réalisation de l’un de leurs objectifs[91].

L’AMPA et les accords d’arbitrage conclus en vertu de celui-ci sauvegardent ainsi l’ensemble des garanties procédurales et de fond inhérentes à l’examen en appel à l’OMC. Les assurances quant à la qualité et à la rigueur de système d’appel sous l’empire de l’article 25 du Mémorandum sont données via l’application mutatis mutandis « des dispositions du Mémorandum d’accord et [d]es autres règles et procédures applicables à l’examen en appel »[92] devant régir la procédure arbitrale. À titre de rappel, l’article 11 de l’accord type précise que les Procédures de travail pour l’examen en appel, le calendrier applicable aux appels qui y est prévu, de même que les Règles de conduite, sont nommément incluses. L’Annexe 1 met également en exergue l’application mutatis mutandis des règles 20 à 23 des Procédures de travail pour l’examen en appel[93] concernant l’engagement de ladite procédure d’appel ainsi que de la règle 3 2) à la prise de décisions par les arbitres[94] sur l’élection d’un président par les arbitres siégeant dans une affaire donnée. La méticulosité des Règles de conduite relatives au Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends[95] devant être appliqués à l’examen en appel par les tribunaux arbitraux est ainsi garante de la qualité et de la rigueur des décisions appelées à être rendues; ces règles de conduite étant parmi les plus sophistiquées au monde[96]. L’impartialité et l’indépendance des arbitres seront donc assurées, ceux-ci devant partager l’information et dévoiler l’existence et l’apparence de potentiels conflits d’intérêts[97].

1. Présence de garde-fous solides visant à préserver le droit des tierces parties

L’AMPA et l’accord d’arbitrage type mettent également l’accent sur la protection des droits des tierces parties ayant participé aux procédures de règlement des différends au stade du groupe spécial. L’article 16 de la procédure arbitrale type prévoit expressément que la règle 24 des Procédures de travail pour l’examen en appel sur les « participants tiers » s’applique mutatis mutandis dans le cadre des différends soumis à appel[98]. Le traitement des participants tiers est alors analogue à celui prévu par l’article 17:4 du Mémorandum d’accord. Ainsi, les tierces parties ont droit de participer à la procédure arbitrale initiée au titre de l’article 25 du Mémorandum d’accord et sont « encouragé[e]s à déposer des communications écrites pour faciliter la prise en compte intégrale de leurs positions par la section qui connaît de l’appel »[99].

2. Une collégialité garante de stabilité et de prévisibilité

En ce sens, la formation d’un bassin d’arbitres et la collégialité militent également en faveur de la stabilité et de la prévisibilité du système commercial multilatéral. L’incohérence entre des sentences arbitrales constitue une problématique fréquemment relevée et critiquée en droit international[100]. Le droit de l’OMC n’y est pas étranger; aussi l’AMPA mitigera l’ampleur de cette problématique : comme au sein de l’OA, les membres appelés à connaître des appels statueront chacun sur plusieurs affaires et pourront entre eux échanger sur tous les appels dont ils connaîtront[101]. La présence d’anciens membres de l’OA aurait également pu constituer une garantie additionnelle pouvant contribuer à la stabilité des décisions rendues dans le cadre de cette procédure d’appel.

3. Améliorations au règlement des différends incorporées dans l’AMPA

L’AMPA comporte également quelques améliorations non négligeables. Les améliorations et ajustements enchâssés dans l’AMPA pourraient servir à tester la possibilité de réformer certains aspects procéduraux du système de règlement des différends à l’OMC. Bien que les Membres participants n’aient pas cherché à réformer le système de règlement des différends, dans le sillage du Walker process, initié par l’Ambassadeur de Nouvelle-Zélande à l’OMC, les innovations intégrées à l’AMPA pourraient porter fruit en démontrant que les récriminations portées à l’encontre de l’OA peuvent être palliées. Les récriminations adressées à l’OA par certains Membres, dont les États-Unis, concernent principalement le non-respect des délais et des décisions excédant les pouvoirs attribués à l’OA[102]. L’OA aurait notamment rendu des obiter dicta et se serait prononcé sur des questions dont il n’y avait pas appel[103].

Le Walker process se faisait le porte-étendard de propositions visant à réduire les délais parfois rébarbatifs lors de la procédure d’appel, ainsi que certaines mesures visant à clarifier le rôle de l’OA et les limites de sa compétence[104]. Ainsi, le Walker process proposait des règles de transition pour les membres de l’OA sortants[105]. Il relevait également que le droit interne doit être considéré comme une question de fait et qu’il ne peut donc faire l’objet d’un appel, rappelant que le Mémorandum d’accord ne permet pas à l’OA de procéder à un examen « de novo » ou de « compléter l’analyse » des faits de la cause, comme cela avait été reproché à l’OA par les États-Unis[106]. Répondant là aussi aux récriminations américaines, le Walker process soulignait qu’une procédure de règlement des différends à l’OMC ne crée pas de « précédent » obligatoire, sans pour autant compromettre la cohérence et la prévisibilité dans l’interprétation des droits et obligations au titre des accords visés[107]. Il relevait que l’OA ne peut se prononcer, ni rendre de décision sur des questions qui n’avaient été soulevées par aucune des parties, et réitérait que les constatations et recommandations des groupes spéciaux, de l’OA et de l’ORD, ne peuvent accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés[108]. Quant aux délais, le Walker process prévoyait que ceux-ci puissent être prorogés pour autant que les parties y consentent[109]. Cette proposition, ainsi que celle de se limiter au traitement des questions en litige, ont été reprises, avec les adaptations nécessaires, dans l’AMPA[110]. Le Walker process rappelait qu’« une solution pour améliorer le fonctionnement de l’OA ne peut avoir d’effet que s’il existe un Organe d’appel opérationnel auquel elle puisse s’appliquer », et que « l’adoption d’une [solution] devrait logiquement être accompagnée d’une instruction donnée par le Conseil général à l’ORD de lancer le processus de sélection en vue de pourvoir les postes vacants »[111].

L’une des principales préoccupations étant les délais croissants nécessaires à l’examen en appel à l’OMC, les arbitres pourront, au titre de l’AMPA, prendre des mesures d’ordre « organisationnel » afin de s’assurer de remettre leur décision dans le délai imparti de quatre-vingt-dix jours. L’accord type est ici assertif : les arbitres « pourront » imposer des limites sur le plan du nombre de pages de communications, des limites en termes de temps, de longueur des audiences et du nombre de celles-ci ainsi que des dates limites pour les dépôts de communications[112].

Comme mentionné en deuxième partie, les arbitres AMPA pourront aussi proposer des mesures de fond aux parties si cela est nécessaire au respect du délai de quatre-vingt-dix jours pour la remise de la décision[113]. Ces mesures pourront consister en l’exclusion des allégations fondées sur l’absence alléguée d’évaluation objective des faits de la cause, de l’applicabilité des dispositions des accords visés pertinents et de la conformité des faits avec ces dispositions conformément à l’article 11 du Mémorandum d’accord[114].

À la faveur de ces dispositions procédurales visant à s’assurer du respect des délais types à l’étape de la procédure d’appel, les arbitres devraient être en mesure de respecter le délai de quatre-vingt-dix jours. Ceux-ci peuvent toutefois proposer aux parties de prolonger le délai au-delà de quatre-vingt-dix jours lorsque cela semble nécessaire à la bonne conduite de l’appel[115].

Les tentatives d’améliorations au stade de l’appel à l’OMC ne font toutefois pas l’unanimité au sein des Membres. Ainsi, à contre-courant, les États-Unis ne partagent pas l’engouement des Membres participants à l’AMPA : de l’avis de l’Ambassadeur des États-Unis auprès de l’OMC, l’AMPA « perpétue » les « échecs » de l’OA, voire « exacerbe » la pratique « erronée » de l’OA plutôt que de la réformer[116]. L’Ambassadeur réitère par le fait même les doléances américaines envers l’OA[117]. Il est toutefois difficile de passer sous silence les innovations apportées par l’AMPA, lesquelles se révéleront bénéfiques et répondent à certaines récriminations états-uniennes, notamment par la limitation de l’étendue de la décision en appel aux questions couvertes par le rapport du groupe spécial et aux interprétations données par celui-ci, ainsi qu’aux questions qui seront nécessaires à la résolution du différend[118].

B. Un arbitrage sui generis : éloignement de l'acception classique ?

L’arbitrage prend aujourd’hui diverses formes; il demeure ainsi possible pour les États de recourir à un règlement des différends ad hoc par opposition au règlement des différends dans un cadre institutionnel. À l’OMC, l’arbitrage est envisageable notamment au titre de l’article 25 du Mémorandum, mais également dans le cas de la mise en conformité, afin de fixer l’ampleur de la suspension de concessions par un Membre visant à pousser le Membre fautif à se conformer à une décision de groupe spécial ou de l’OA. Or, avant l’AMPA, l’arbitrage demeurait encore plus « institutionnalisé », ne correspondant pas réellement aux caractéristiques avérées de l’arbitrage. En effet, en vertu de l’article 21 du Mémorandum d’accord, si les parties à un différend ne peuvent s’entendre sur les délais entourant la mise en oeuvre d’un rapport, celui-ci sera « déterminé par arbitrage contraignant »[119] ayant la particularité d’être présidé par un arbitre unique choisi par le Directeur général en l’absence d’accord des parties[120]. Au titre de l’article 22 du Mémorandum d’accord sur la compensation et la suspension de concessions, si le Membre concerné par la suspension de concessions s’oppose à la suspension proposée, la question de la suspension de concessions sera réglée par voie d’arbitrage. Cet arbitrage sera toutefois assuré prima facie par le groupe spécial d’origine — sous réserve de la disponibilité de ses membres — ou par un « arbitre » nommé par le Directeur général, le Mémorandum d’accord précisant que « le terme “arbitre” s’entend soit d’une personne, soit d’un groupe »[121]. Dans ce dernier cas, les Membres ne sont donc pas libres de choisir l’arbitre devant entendre la cause.

L’AMPA demeure un système d’arbitrage relativement institutionnalisé, notamment en raison du bassin restreint d’arbitres et des appels à la collégialité du corpus d’arbitres présent dans l’AMPA. Il ne s’agit pas de procédures réellement ad hoc comme celles prévues notamment dans le cadre de l’arbitrage investisseurs-État, en cela plus proche de l’arbitrage privé que ne l’est l’AMPA. L’arbitrage AMPA résout le problème que faisaient craindre les arbitrages ad hoc, à savoir que les Membres n’auraient que peu d’incitatifs à se lier à une procédure arbitrale contraignante[122]. L’AMPA résout ce problème en prévoyant clairement une procédure arbitrale, une liste d’arbitres, les règles sur lesquelles l’arbitrage se fonde, ainsi qu’en accordant à ce dernier un caractère contraignant pour les Membres acceptant de participer à un arbitrage au titre de l’AMPA[123]. L’arbitrage AMPA est donc à mi-chemin entre un arbitrage classique disposant d’une structure institutionnelle limitée et le règlement institutionnel du règlement des différends. Les Membres participants ne choisissent pas directement les arbitres devant siéger en chacune des espèces. Ils prévoient plutôt la mise en place d’un bassin d’arbitre duquel seront désignés trois arbitres en fonction de la même procédure aléatoire que sous l’OA. Les trois arbitres formeront une section devant entendre l’appel comme au sein de l’OA et devront choisir un « président de section »[124].

L’arbitrage au titre de l’AMPA s’éloigne quelque peu de l’acception classique de l’arbitrage, dont la légitimité relève traditionnellement de la volonté des parties d’y avoir recours et de la désignation directe par elles des arbitres ou des modalités de la nomination de ces derniers[125]. Au sein de l’AMPA, la désignation des Membres est indirecte; les Membres participants ne peuvent de surcroît que proposer un arbitre[126]. Les Membres de l’OMC qui se sont joints à l’AMPA après la création du groupe d’arbitres ne pourront pour leur part nullement influencer la composition de ce dernier avant la revue potentielle devant avoir lieu vingt-quatre mois plus tard[127]. Notons toutefois que ce mode de désignation sans doute inédit ne remet pas juridiquement en cause la légitimité de l’AMPA, les autres Membres ayant décidé de s’y joindre ultérieurement.

L’idée de bassin d’arbitres n’est toutefois pas si éloignée de celle de liste d’arbitres disponible dans le cadre de l’arbitrage au sein du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (ci-après CIRDI) ou de la Cour permanente d’arbitrage (ci-après CPA). La principale différence est toutefois que dans l’arbitrage CIRDI et CPA, les parties demeurent libres de choisir les arbitres parmi ceux faisant partie de la liste – comprenant beaucoup plus de dix arbitres potentiels –, ceux-ci n’étant pas désignés en fonction d’une procédure aléatoire[128]. Ce qui distingue nettement l’arbitrage AMPA de l’arbitrage commercial ou de l’arbitrage investisseurs États est probablement la collégialité. Grâce aux échanges envisagés entre la section siégeant en une espèce donnée et les autres arbitres, le corpus de décisions rendues en vertu de l’AMPA devrait être très uniforme, témoignant ainsi de la qualité et de la stabilité dans l’interprétation du droit de l’OMC que feront les arbitres[129].

Il convient également de rappeler qu’il s’agit sur le plan formel d’un arbitrage, les parties devant conclure des accords d’arbitrage en vertu de l’article 25 du Mémorandum d’accord. Bien que l’AMPA ne soit pas en soi un traité, il serait toutefois fort surprenant que les Membres participants refusent de conclure de tels accords; rien ne force ceux-ci à adhérer à l’AMPA et rien ne les empêche de s’en retirer en cas de dissension. Le respect de la parole donnée — bien que sous forme d’une « déclaration sur l’honneur » — demeure un élément crucial, les États devant maintenir une certaine image sur la scène internationale et assurer de paraître crédibles et fiables aux yeux de leurs partenaires.

Enfin, les articles 21 et 22 du Mémorandum d’accord portant sur la surveillance de la mise en oeuvre des recommandations et décisions et sur la compensation et la suspension de concessions sont applicables aux sentences arbitrales rendues en vertu de l’AMPA, lesquelles sont finales[130]. Les réparations exigibles sont toutefois les mêmes que celles prévues à la suite de l’examen par un groupe spécial ou l’OA : il ne s’agit que de la mise en conformité avec les obligations découlant des accords visés. L’exécution des sentences arbitrales rendues en vertu de l’AMPA demeure interne à l’OMC : la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, adoptée à New York en 1958, ne trouve donc pas application[131], le Mémorandum d’accord régissant exclusivement toutes les questions relatives aux accords visés[132].

C. Quelques questions de politique judiciaire

L’arbitrage AMPA au titre de l’article 25 du Mémorandum d’accord constituera ainsi le premier exemple d’arbitrage « véritable » sous l’égide de l’OMC, hors arbitrage de mise en conformité ou de suspension des concessions. Plusieurs questions se posent ainsi, les décisions arbitrales ayant vocation à constituer ce que l’on pourrait qualifier de jurisprudence « parallèle » à celle des groupes spéciaux et de l’OA, la première question relève du degré de ce parallélisme. Ce questionnement est bidirectionnel; il en retourne de la prise en compte des rapports adoptés par l’ORD par les arbitres ainsi que celle de la prise en compte des décisions arbitrales par les groupes spéciaux et, éventuellement, par l’OA. Outre les questions liées au poids de cette inédite « jurisprudence » arbitrale, se posent quelques questions plus techniques en lien avec l’utilisation de ce cadre arbitral par des Membres non participants à l’AMPA, ainsi que celle du support du Secrétariat et des réticences que l’arbitrage AMPA pourrait générer au sein du corpus général des Membres OMC.

1. La charge persuasive des sentences arbitrales sous l’AMPA

En lien avec la force future des décisions arbitrales, il convient d’abord de réitérer qu’elles emporteront force obligatoire conformément au principe de res judicata et seront opposables aux parties en vertu de l’accord d’arbitrage type[133]. Le droit international ne connaissant pas le principe du stare decisis[134], les décisions passées n’obligent jamais formellement les juridictions en des affaires ultérieures; des affaires semblables doivent néanmoins recevoir un traitement semblable afin d’éviter l’arbitraire. Ainsi que l’a dit la Cour internationale de justice au stade des exceptions préliminaires en l’Affaire de l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :

Pour autant que les décisions en question contiennent des conclusions de droit, la Cour en tiendra compte, comme elle le fait habituellement de sa jurisprudence; autrement dit, quoique ces décisions ne s’imposent pas à la Cour, celle-ci ne s’écartera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des raisons très particulières.[135]

Les sentences rendues dans le cadre AMPA devraient être suffisamment motivées et « convaincantes », d’abord en ce qu’elles seront rendues par des spécialistes en droit du commerce international. Ensuite, en vertu du principe de collégialité, les arbitres seront appelés à discuter du règlement de chaque espèce avec l’ensemble des arbitres AMPA, assurant ainsi l’acceptabilité de l’interprétation à laquelle chaque section sera appelée à arriver. La jurisprudence AMPA devrait donc être cohérente avec elle-même.

2. Le statut de l’acquis jurisprudentiel de l’OMC

Les arbitres AMPA ne sont pas tenus de suivre la jurisprudence de l’OA, contrairement aux groupes spéciaux qui ne doivent pas déroger à la jurisprudence de l’OA en l’absence de « raisons impérieuses »[136] de le faire. Ils devraient néanmoins respecter dans une très large mesure le corpus de rapports rendus par les groupes spéciaux et l’OA au fil des ans, ces rapports étant généralement de haute qualité et savamment motivés. Il ne serait toutefois pas surprenant de voir les arbitres AMPA écarter certains pans controversés de la jurisprudence de l’OA, notamment la fameuse interprétation d’« organisme public » dégagé par l’OA dans l’affaire États-Unis — Mesures compensatoires visant certains produits en provenance de Chine[137] qui irrite certains Membres comme l’Union européenne et les États-Unis[138]. Cela ne devrait toutefois pas se faire au prix de la cohérence de la jurisprudence : les sentences s’écartant de l’interprétation de l’OA seront probablement motivées avec soin, justifiant un changement de cap en raison de l’incorrection des interprétations passées. Comme l’a indiqué la Cour internationale de justice quant au statut des décisions passées au stade des exceptions préliminaires en l’Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria : « [l]a question est en réalité de savoir si, dans la présente espèce, il existe pour la Cour des raisons de s’écarter des motifs et des conclusions adoptés dans ces précédents »[139]. Le but étant dans tous les cas de susciter l’adhésion des Membres aux interprétations du droit qui se trouveront dans les sentences. Les arbitres ne devraient donc pas trop s’écarter du corpus de jurisprudence OMC afin d’en assurer la stabilité et la prévisibilité. En s’écartant sans motifs valables de l’« acquis »[140] de la jurisprudence OMC, les arbitres AMPA manqueraient au devoir de maintenir la stabilité et la prévisibilité du système commercial multilatéral auxquels ils sont tenus au titre du Mémorandum d’accord[141].

3. L’arbitre AMPA, une nouvelle boussole pour les groupes spéciaux ?

Les arbitres AMPA n’auront pas non plus en soi la mission de guider les groupes spéciaux dans leurs interprétations, mais les groupes spéciaux ne devraient pas être indifférents à la « jurisprudence » tissée au fil des sentences arbitrales. En l’absence d’un OA fonctionnel, le seul mécanisme d’appel disponible est celui envisagé sous l’article 25 du Mémorandum; les membres de groupes spéciaux traitant d’affaires impliquant des Membres participants devraient donc être attentifs aux raisonnements des arbitres AMPA afin d’éviter que leur rapport ne soit renversé en appel. L’AMPA prend ainsi de facto la place de l’OA en tant qu’organe juridictionnel supérieur à l’OMC, les décisions rendues en vertu de l’accord pouvant maintenir ou renverser les conclusions auxquelles seront parvenus les groupes spéciaux. À savoir ainsi comment les sentences rendues au titre du mécanisme d’arbitrage d’appel provisoire seront perçues par l’OA lorsque ce dernier redeviendra opérationnel, notamment en ce qui a trait à l’interprétation des accords de l’OMC par les arbitres. Il apparaît difficile de se prononcer; à l’instar du droit international lato sensu, il n’existe pas de règle du précédent en droit de l’OMC, mais les rapports ou décisions antérieures doivent être suivis s’ils se révèlent convaincants[142]. Cela étant dit, les dispositions du mécanisme d’arbitrage, notamment celles portant sur la composition de la liste d’arbitres, illustrent le degré important d’implication des Membres participants et, conséquemment, la légitimité renforcée du mécanisme[143]. La création d’une liste d’arbitres, ainsi que la collégialité encouragée par le mécanisme dans la mesure du possible, distinguent toutefois ce dernier de l’arbitrage classique, par nature ad hoc[144].

Peu importe le scénario envisagé, les liens entre les sentences arbitrales AMPA et le corpus de jurisprudence de l’OMC devraient être assez forts. Il convient de souligner que des juridictions — tant nationales qu’internationales — citent régulièrement des décisions rendues par d’autres tribunaux internationaux[145] bien qu’ils n’y soient pas tenus, faisant oeuvre utile en référençant des raisonnements estimés convaincants. En somme, les décisions arbitrales auront un statut particulier — puisque n’étant pas formellement adoptées par l’ORD, lui étant simplement notifiées[146] — mais elles devraient tout de même jouir d’une grande force persuasive étant donné la qualité présumée des arbitrages. Il sera alors possible d’en tenir compte ne serait-ce qu’au même titre que les rapports non adoptés de groupe spéciaux, l’OA estimant qu’« un groupe spécial [peut] néanmoins s’inspirer utilement du raisonnement présenté dans un rapport de groupe spécial non adopté qu’il [juge] en rapport avec l’affaire dont il [est] saisi »[147].

4. Opportunité pour les Membres non participants de recourir au cadre de l’AMPA

En lien avec les Membres non participants, il importe également de mentionner qu’il est possible que de tierces parties à des différends appelées en vertu de l’AMPA aient des réticences en lien avec la confidentialité de leurs communications au stade de la procédure du groupe spécial. Cela ne devrait toutefois pas empêcher les parties d’interjeter appel; le groupe spécial pourra remettre la documentation nécessaire aux arbitres AMPA tout en pouvant exclure les communications de tierces parties en cas de besoin.

Il est également théoriquement possible que des Membres non participants utilisent le modèle d’accord type proposé dans l’arrangement. Cela semble peu probable — les Membres ayant tout avantage à participer à l’AMPA afin de s’assurer d’un certain contrôle sur le mécanisme — mais demeure envisageable, notamment en lien avec des pays souhaitant « tester » la formule avant de s’obliger ou encore en lien avec des États souhaitant conclure des accords d’arbitrage sur une base entièrement ad hoc. Il n’est toutefois pas certain que les Membres participants acceptent que les arbitres AMPA officient lors de ces différends. Cela pourrait toutefois contribuer à accroître le nombre de participants en permettant aux Membres de tenter l’aventure et renforcerait au passage l’aura d’acceptabilité du mécanisme. La possibilité d’un appel concernant un Membre non participant semble toutefois plus grande s’agissant d’une affaire dont l’une des deux parties est participante. L’application de l’article 9:3 du Mémorandum d’accord prévoit qu’en cas de plaintes concernant « la même question », les membres des groupes spéciaux entendant les affaires devraient être les mêmes[148], ceux-ci officiant toutefois au sein de groupes spéciaux formellement distincts. Cela semble le plus souhaitable afin que des parties participant à l’AMPA puissent porter les conclusions d’un groupe spécial en appel si nécessaire; l’article 9:1 du Mémorandum d’accord requérant que des groupes spéciaux uniques seront établis « chaque fois que possible »[149] sans que cela soit obligatoire.

5. Rôle du Secrétariat et support administratif dédié à l’arbitrage AMPA

La question du support administratif devant être fourni aux arbitres AMPA par le Secrétariat ou une nouvelle division de celui-ci est également fondamentale. Tel que susmentionné, l’arbitrage au sein de l’OMC est prévu par l’article 25 du Mémorandum d’accord et en tant qu’élément du système de règlement des différends couvert par le Mémorandum, le Directeur général et le Secrétariat sont tenus d’y apporter leur concours. Eu égard au Directeur général en particulier, bien que son rôle se réduise à notifier aux parties l’identité des trois arbitres siégeant pour un différend parmi la liste de dix arbitres choisis notamment en vertu du principe de roulement, il a désormais un rôle particulier envers le personnel assistant les arbitres, l’AMPA l’invitant à fournir une structure administrative distincte du Secrétariat général. En l’occurrence, le personnel de ladite structure administrative ne relèvera que des arbitres[150]. La forme de ce support est néanmoins peu définie, certains Membres comme l’Afrique du Sud[151] étant réfractaires à l’AMPA; d’autres comme les États-Unis s’opposant à ce qu’une nouvelle division du Secrétariat apporte son concours aux arbitrages AMPA et à ce que le budget du Secrétariat serve au maintien du bassin d’arbitres. L’Ambassadeur des États-Unis auprès de l’OMC estime notamment que

A group of Members has no right to expend WTO resources and direct the chairs of various WTO bodies to vet and select individuals to serve on a roster of arbitrators for potential arbitrations. Nor does Article 25 provide a basis for a Member to direct the WTO Director-General to provide WTO secretariat support to an arbitrator, nor the terms of such support […] If Members desire a separate support staff for their disputes resolutions, those Members (and not the WTO membership as a whole) should finance it[152].

Il est donc possible que le Directeur général doive faire un compromis, en assurant son concours à l’arbitrage, mais en demandant aux Membres participants de contribuer singulièrement au maintien et au fonctionnement du bassin d’arbitre. Considérant l’appui institutionnel devant être apporté aux arbitrages en vertu de l’article 27 du Mémorandum, les coûts excédentaires devraient demeurer marginaux. En période de pandémie de Covid-19, il est également fort probable que les échanges entre les arbitres AMPA soient effectués en ligne — les déplacements demeurant peu aisés —, diminuant par le fait même les coûts associés au bassin et à l’exercice de sa collégialité.

***

Des accords d’arbitrage ont d’ores et déjà été conclus dans les affaires Canada — Mesures régissant la vente de vin[153] entre le Canada et l’Australie, Canada — Mesures concernant le commerce des aéronefs commerciaux[154] entre le Canada et le Brésil, Costa Rica — Mesures concernant l’importation d’avocats frais en provenance du Mexique[155] entre le Costa Rica et le Mexique et Colombie — Droits antidumping sur les frites congelées en provenance d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas[156] entre la Colombie et l’Union européenne. L’accord type prévu par l’AMPA prend donc « vie » en obligeant formellement certains Membres participants à l’AMPA. Bien que les Membres participants ne soient pas de jure obligés de conclure des accords d’arbitrage lors de différends entre eux, la conclusion de tels accords ne fait pas de doute considérant le haut degré d’engagement des Membres participants. Un refus de conclure un tel accord par un Membre participant viendrait par ailleurs ternir sa réputation, celui-ci s’étant en définitive engagé à utiliser et à respecter la procédure proposée dans l’AMPA.

La présente étude a permis de mieux saisir les tenants et aboutissants de l’arrangement. La problématique générale, puis le corps, énonçant les buts et principes de ce mécanisme, ont d’abord été abordés afin de traiter de la nature juridique et des implications de l’AMPA. Les deux annexes ont ensuite été abordées. Dans un premier temps, l’Annexe 1 contenant l’accord d’arbitrage type a été exposée afin de mettre en exergue les étapes et les particularités de la procédure arbitrale en vertu de l’AMPA. Dans un second temps, l’Annexe 2 régissant la formation du bassin d’arbitres AMPA a également été exposée afin de souligner les standards de compétence et de qualifications que ces derniers devront démontrer. Des considérations liées aux améliorations procédurales prévues par l’AMPA, à la nature « arbitrale » des appels initiés par le biais de l’arrangement, ainsi que des questions plus générales ayant trait à la gestion et à l’influence des arbitrages AMPA, ont enfin permis de jauger ce mécanisme à l’aune du reste du système de règlement des différends à l’OMC.

L’arrangement n’est assurément pas une panacée, mais il devrait avoir des effets positifs et contribuer à débloquer le système général de règlement des différends étant donné que certaines propositions issues du Walker process — notamment en termes de délais — y ont été intégrées. Pour Paolo Garzotti, précédemment Chef de délégation adjoint de la Mission de l’Union européenne auprès de l’OMC, l’AMPA est une « unité de soins intensifs » visant à maintenir minimalement le système de règlement des différends de l’OMC en place, alors que le Walker process était une tentative plus pérenne de fabrication d’un « vaccin » visant la remise en fonction de l’OA à long terme[157]. L’AMPA a toutefois l’avantage d’éviter que les Membres participants ne décident de porter un appel dans le « vide », échappant ainsi à leurs obligations au titre des accords OMC. L’AMPA va dès lors au-delà du maintien d’un système à deux niveaux, l’arrangement maintenant in fine la possibilité même de régler des différends survenant en lien avec les obligations au titre des accords visés.

Les standards extrêmement élevés enchâssés dans l’AMPA et dans l’accord type, ainsi que la possibilité pour d’autres Membres de se joindre en tout temps, devraient mener à un accroissement du nombre de Membres participant au cours des mois à venir. Les Membres n’y participant pas pour l’heure pourraient notamment en faire l’expérience à titre de tierces parties à l’occasion du règlement d’un différend entre des Membres participants, ou encore utiliser l’accord type de façon ponctuelle. Un tel système comporte potentiellement le risque de voir les Membres de l’OMC s’y habituer, relâchant ainsi la pression pour la remise en fonction de l’OA. La mise en place des arbitrages pourrait toutefois pousser les Membres réfractaires à faire évoluer leur position et à mettre du leur afin de relancer l’OA, afin de ne pas être exclus de tout un pan du système de règlement des différends de l’OMC. Enfin, le recours à une procédure arbitrale sans possibilité d’appel, en vertu de l’article 25 du Mémorandum, en renonçant ainsi complètement à la procédure régulière sous les groupes spéciaux, demeure également possible.

Les Membres participants, malgré leur importance certaine, ne comptent toutefois que pour une fraction seulement des différends surgissant habituellement à l’OMC. Ceux-ci représentent en effet 15 % des Membres de l’organisation et ont été impliqués en tant que plaignants ou intimés dans environ le quart des disputes entre 1995 et 2019[158].. Les Membres participants font toutefois preuve d’audace, l’UE a notamment fait savoir à la Russie dans le cadre de l’affaire UE — Méthodes d’ajustement des coûts II (Russie), de laquelle elle a appelée du rapport du groupe spécial, qu’elle était « prête » à conclure un accord d’arbitrage en vertu de l’article 25 du Mémorandum[159]. La Russie est donc confrontée à deux scénarios, soit entreprendre une procédure d’appel arbitrale, soit voir les conclusions du groupe spécial flotter dans le « vide » de l’appel. Les vicissitudes auxquelles est confronté le système de règlement des différends à l’OMC ne devraient toutefois pas cesser tant que les États-Unis n’accepteront pas de reprendre les négociations visant à réformer l’OA, ceux-ci étant à eux seuls plaignants ou intimés dans environ 45 % des différends à l’OMC[160]. Concernant la volonté des parties, l’absence d’une possibilité d’appeler d’un rapport d’un groupe spécial aussi longtemps que durera la paralysie de l’OA, hors recours à l’arbitrage, pourrait mener certains Membres de l’OMC à adhérer à l’AMPA comme pis-aller. Gabrielle Marceau fait toutefois remarquer avec justesse que pendant les douze mois au cours desquels s’est étendu le Walker process, les Membres ont fait plus pour réformer le Mémorandum d’accord que pendant les vingt-deux années de négociations précédentes[161].

L’AMPA peut donc somme toute être considéré comme un pas en avant, maintenant en place des garanties minimales tout en permettant de tester certaines innovations potentiellement à même de débloquer le système. Nous pouvons supposer que les Membres ne percevront pas une différence substantielle entre l’AMPA et l’OA les procédures du premier étant largement calquées sur celles du second. Cette situation est à double tranchant : les États-Unis pourraient en tirer des enseignements et convenir avec les autres Membres de l’OMC de réformer l’OA, ou bien se satisfaire d’un système à deux vitesses qui ne leur est pas forcément préjudiciable. Les résultats de l’élection américaine de 2020 devraient également avoir une incidence certaine sur le système de règlement des différends. Une victoire républicaine signifierait probablement le maintien du statu quo, voire de nouveaux assauts contre le système commercial multilatéral. Une victoire démocrate pourrait mieux augurer pour le futur de l’organisation : bien que les récriminations américaines aient été vocalisées sous l’administration Obama, celle-ci n’était pas allée jusqu’au point de « tuer » l’OA en le privant de ses forces vives. Enfin, bien que l’OA soit un élément important du système multilatéral, contribuant à sa stabilité et à sa prévisibilité, il ne s’agit pas d’une fin en soi. Dans la doctrine, certains auteurs comme Bernard Hoekman et Petros Mavroidis proposent même pour débloquer le système multilatéral d’abandonner complètement l’OA et d’opter pour un système révisé à un seul niveau. Pour eux, la solution pourrait être de « professionnaliser » et de « dépolitiser » les groupes spéciaux en constituant un corps permanent de spécialistes appelés à siéger en tant que panélistes[162].

Quoi qu’il en soit, la réforme du système de règlement des différends à l’OMC devra passer par une révision de l’OA ou par la mise en place d’un nouveau système. Le plus important demeure que le remède au blocage du système inclue l’ensemble des Membres de l’organisation — y compris les États-Unis — afin d’être pérenne. L’AMPA constitue ainsi une initiative plus que bienvenue : elle a le mérite d’éviter l’inertie totale du système. Reste à espérer, comme le souhaitent les Membres participants, que cette initiative ne sera que provisoire : un système à deux vitesses pourrait causer plus de mal que de bien si, à défaut de contribuer à dénouer l’impasse, il conduit à une fragmentation accrue du système. L’AMPA intègre du reste de nombreuses innovations procédurales appelées à être testées au cours de prochains mois. Leur « mise à l’essai » est certainement une bonne nouvelle pour le système commercial multilatéral : ces innovations pouvant assurément contribuer au renouvellement du système.