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Un diagnostic de cancer affecte profondément, non seulement la personne atteinte, mais également son conjoint ainsi que la dyade que forme le couple. Plusieurs études démontrent en effet que les deux membres du couple peuvent éprouver, à divers degrés, de la détresse psychologique durant la trajectoire du cancer (Hagedoorn et coll., 2008; Northouse et coll., 2012). Le couple doit également surmonter de nombreux défis susceptibles de transformer son fonctionnement relationnel (Manne et Badr, 2010; Sormanti et Kayser, 2000). Selon l’étude de Drabe et coll. (2013), une forte majorité de couples rapporte vivre de telles transformations dans leur relation (71,3 % des patients et 74,6 % des conjoints). Une proportion d’entre eux perçoit des changements relationnels négatifs ayant contribué à augmenter leur détresse et à réduire leur qualité de vie (13,4 % des patients et 19,1 % des conjoints).

La qualité du soutien au sein du couple joue un rôle déterminant dans l’adaptation au cancer (Giese-Davis et coll., 2000). Un nombre croissant d’études démontrent que le couple réagit comme un système émotionnel interdépendant dans lequel chacun des conjoints est impliqué dans les processus de soutien et de coping de l’autre (Hagedoorn et coll., 2008). Ainsi, les deux conjoints ont un impact mutuel sur leur qualité de vie, leur santé psychologique et l’ajustement à leurs rôles respectifs (Kim et coll., 2008; Jacobs et coll., 2017; Li et Loke, 2014). En raison de cette influence mutuelle, déterminer et répondre aux besoins de chacun des conjoints et du couple devrait être considéré comme une partie intégrante des services en oncologie (Institute Of Medicine, 2008).

Il est bien établi que les personnes atteintes de cancer et leur conjoint éprouvent une diversité de besoins dans différents domaines (Lambert et coll., 2012; Mogahddam et coll., 2016). On en sait cependant moins sur ce que les couples jugent important d’obtenir comme soutien en tant qu’unité relationnelle pour mieux traverser « ensemble » l’expérience du cancer. Les besoins du couple n’ont généralement été examinés que dans une perspective individuelle (Chambers et coll., 2012; Hodgkinson et coll., 2007; Molassiotis et coll., 2011; Sanders et coll., 2006; Schmid-Buchi et coll., 2008, 2011; Soothill et coll., 2003).

Plusieurs interventions psychosociales développées dans le cadre d’initiatives de recherche ont démontré des effets modérés, mais positifs, pour améliorer la qualité de vie et l’adaptation des couples en contexte de cancer (Badr et Krebs, 2013; Northouse et coll., 2010; Regan et coll., 2012). Toutefois, dans les études examinées, les variations des taux de participation et d’abandon lors de ces interventions, les barrières à la participation et les raisons d’abandon invoquées par les couples montrent la pertinence de mieux comprendre leurs besoins et leurs attentes afin de développer des stratégies pour améliorer l’accessibilité et l’acceptabilité des interventions qui leur sont destinées (Badr et Krebs, 2013; Regan et coll., 2012; Reganet coll., 2013). Des efforts restent également à déployer pour déterminer si, et comment, ces interventions peuvent être intégrées dans les systèmes de soins et services (Badr et Krebs, 2013).

L’organisation des services oncologiques au Québec est basée sur une approche globale centrée sur les besoins des personnes atteintes de cancer et de leurs proches. Elle repose essentiellement sur un réseau intégré de services organisé autour d’équipes interdisciplinaires (gouvernement du Québec, 1998). À notre connaissance, il existe peu de données qui indiquent dans quelle mesure les couples perçoivent obtenir ou non une réponse qui correspond à leurs besoins dans le système québécois de santé et de services sociaux en oncologie. Une enquête récente sur l’appréciation de « l’expérience patient » indique que les besoins touchant la dimension relationnelle du couple ne semblent pas pleinement comblés (Dubé-Linteau, 2014). Ainsi, une proportion élevée de personnes atteintes de cancer rapportent ne pas avoir reçu suffisamment d’information durant les traitements au sujet d’éventuels changements dans la relation avec le conjoint (54,6 %) et la sexualité (45,9 %), même s’ils sont considérés comme des préoccupations importantes. Ces données, cependant encore très partielles, reflètent uniquement le point de vue de la personne atteinte de cancer et ne concernent que les besoins d’information. Elles ne permettent pas d’établir si les couples obtiennent des réponses qui correspondent à la globalité de leurs besoins ni de cerner les facteurs qui y contribuent.

Certaines études montrent néanmoins que plusieurs facteurs peuvent interférer dans la réponse aux besoins en milieu clinique. Il peut notamment exister un écart de perception entre les personnes atteintes de cancer et les professionnels de la santé quant à l’importance d’aborder les changements vécus dans leur intimité/sexualité (Hordern et Street, 2007), des visions différentes à propos des types de soutien nécessaires et bénéfiques pour le couple, ainsi qu’un manque de temps, de ressources et de formation (Regan et coll., 2015). Ces données indiquent l’importance de porter attention non seulement au point de vue des couples, mais également aux visions des différents acteurs concernés par la prestation de service lorsqu’il s’agit de mettre en place des interventions.

Une meilleure compréhension des besoins des couples et de l’arrimage entre leurs besoins et l’offre de service constitue une étape préalable essentielle pour améliorer le soutien à leur endroit (Chambers et coll., 2012; Contandriopoulos et coll., 2001). Quels sont les besoins de soutien des couples que ceux-ci perçoivent comme étant prioritaires? Dans quelle mesure perçoivent-ils obtenir ou non des réponses qui correspondent à ces besoins?

Dans le but de répondre à ces questions, notre équipe a mené une enquête et des groupes de discussion auprès de personnes atteintes de cancer, de conjoints, de professionnels et de gestionnaires. Cette étude avait pour objectifs de : (1) déterminer les besoins de services psychosociaux des couples; (2) documenter la perception au sujet de l’offre de service; et (3) analyser l’arrimage entre ces besoins et cette offre de service. Ces connaissances mèneront à des recommandations pour l’élaboration d’interventions psychosociales mieux adaptées aux besoins des couples.

Cadre d’analyse

Cette section présente les éléments théoriques qui composent le cadre d’analyse ainsi que leur utilité pour la démarche de recherche. Le cadre d’analyse utilisé pour cette étude est construit autour du concept de besoin de McKillip (1998), de la typologie des domaines d’intervention conjugale en contexte de problèmes de santé de Baucom et coll. (2012) et du modèle d’accessibilité des services de santé (au sens large) de Lévesque et coll. (2013). Ces trois éléments ont été intégrés et ont guidé les différentes étapes de la recherche (voir Figure 1).

D’abord, le concept de besoin de McKillip (1998) appliqué au développement de programmes a servi de base pour déterminer les types de besoins à examiner et les participants à inclure dans l’étude. McKillip (1998) définit le besoin comme étant « un jugement de valeur indiquant qu’un groupe a un problème pouvant être résolu » (traduction libre, p. 263). Le problème évoqué ici résulte d’un écart existant entre, d’une part la situation souhaitée permettant d’optimiser le bien-être et la santé et, d’autre part la situation observée. La détermination des besoins et de leur importance fournit des informations essentielles pour prendre des décisions et évaluer les résultats d’un programme d’intervention.

Figure 1

Cadre d’analyse de l’étude

Cadre d’analyse de l’étude

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Nous examinons plus précisément, dans la présente étude, deux types de besoins, soit les besoins normatifs et les besoins ressentis. Les besoins normatifs portent sur les attentes des experts concernant les résultats attendus et les niveaux de services requis pour atteindre ces résultats

Les besoins ressentis correspondent aux attentes ou aux préférences des personnes qui vivent directement la situation problématique (McKillip, 1998). Les experts peuvent avoir des attentes différentes des personnes qui vivent la situation problématique. Dans cette optique, la prise en compte des points de vue de couples, de professionnels et de gestionnaires est considérée cruciale pour mettre en place des services qui répondent de façon optimale aux besoins des couples confrontés à l’expérience du cancer.

Ensuite, la typologie des domaines et des thèmes possibles de l’intervention conjugale en contexte de problèmes de santé de Baucom et coll. (2012) a servi à déterminer les sujets à explorer avec les participants de l’étude. Cette typologie fait ressortir les principaux défis qui devraient faire l’objet d’une intervention auprès des couples confrontés à des problèmes de santé, incluant le cancer. Elle est le fruit de données probantes et concerne principalement le couple en tant qu’unité. Le Tableau 1 en présente une synthèse.

Tableau 1

Synthèse des domaines de l’intervention conjugale en contexte problèmes de santé et des thèmes associés inspirés des travaux de Baucom et coll. (2012)

Synthèse des domaines de l’intervention conjugale en contexte problèmes de santé et des thèmes associés inspirés des travaux de Baucom et coll. (2012)

Tableau 1 (suite)

Synthèse des domaines de l’intervention conjugale en contexte problèmes de santé et des thèmes associés inspirés des travaux de Baucom et coll. (2012)

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Enfin, l’offre de service dans cette étude fait référence aux services de santé et services sociaux dispensés dans le réseau public et, dans une moindre mesure, dans le tiers secteur au cours des trois dernières années. Pour sa part, l’accessibilité des services est définie, au sens large, comme étant « le degré de facilité ou de difficulté que les personnes rencontrent pour obtenir des services lorsqu’elles en ont besoin » (Simard et coll., 2001, p. 5). Au terme d’une recension des écrits à ce sujet, Lévesque et coll. (2013) ont déterminé cinq dimensions de l’offre de service ayant un impact sur son accessibilité. Au coeur de celles-ci, on retrouve la disponibilité (ou non) des services qui est évidemment tributaire, entre autres, des ressources financières et humaines qui lui sont consacrées. On retrouve aussi, parmi ces dimensions, la facilité d’approche référant notamment aux procédures de dépistage, l’acceptabilité des services déterminée en fonction des normes et valeurs des usagers, l’abordabilité ainsi que la pertinence des services offerts. Ces dimensions ont servi de balises pour examiner l’arrimage entre les besoins des couples et l’offre de service. Le Tableau 2 en présente un résumé.

Tableau 2

Les cinq dimensions de l’offre de service ayant un impact sur son accessibilité selon Lévesque et coll. (2013)

Les cinq dimensions de l’offre de service ayant un impact sur son accessibilité selon Lévesque et coll. (2013)

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L’ensemble de ces notions a servi de point de repère pour étudier les cas où la réponse aux besoins a été jugée insuffisante, la nature de ce qui a posé problème et, ultimement comment la situation pourrait potentiellement être remédiée.

Méthodologie

Cette étude descriptive transversale adopte une approche mixte (Creswell, 2015). Deux sources de données ont été combinées dans un devis séquentiel explicatif (voir Figure 2) afin d’approfondir le sens des données recueillies, de permettre la confirmation ou non des données par triangulation, et ainsi augmenter la validité des constats.

Figure 2

Phases de la méthodologie de l’étude

Phases de la méthodologie de l’étude

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Dans une première phase de collecte de données, une enquête par questionnaire a été effectuée de façon électronique ou téléphonique, selon le choix du participant, dans deux régions administratives du Québec (Capitale-Nationale à Québec [CN] et de la Mauricie-Centre du Québec [MCQ]) auprès de personnes ayant reçu un diagnostic de cancer au cours des trois dernières années ou dont le conjoint a reçu un tel diagnostic durant cette période. Cette enquête visait tout d’abord à déterminer les besoins ressentis par les couples et à établir le degré de réponse perçu dans l’offre de service. Plusieurs modalités de recrutement ont été privilégiées pour rejoindre le plus grand nombre de couples : affiches, dépliants et téléaffichage dans les salles d’attente de différents centres de soins de cancer, communiqués dans les journaux et dans la liste de distribution des universités des auteurs, reportages télévisés et radiophoniques.

À notre connaissance, il n’existe pas de questionnaire portant spécifiquement sur les besoins des couples confrontés à l’expérience du cancer en tant qu’unité. Un questionnaire portant sur les besoins en matière de soutien a donc été élaboré par l’équipe de recherche à partir des données probantes provenant d’une importante recension des écrits des instruments existants sur les besoins de chacun des partenaires du couple (Picard et coll., 2014) et des travaux de Baucom et coll. (2012). Une attention particulière a été portée à la dimension relationnelle qui est occultée dans les études antérieures. Les participants avaient à se prononcer, à l’aide d’une échelle de Likert de 0 à 3, sur (a) le niveau d’importance de chacun des 24 items de besoins du questionnaire et (b) sur le niveau de réponse obtenu dans l’offre de service au cours des six derniers mois. Les données de l’enquête ont fait l’objet d’analyses descriptives à l’aide du logiciel SPSS. Un second volet du questionnaire traite des préférences des couples en matière de soutien conjugal (ex.: thèmes à aborder, moment, formats, moyens et durée), ce volet fera l’objet d’un article ultérieur (en préparation).

Dans une seconde phase de collecte de données, un groupe de discussion d’une seule rencontre réunissant des couples ayant participé à l’enquête, des professionnelles et des gestionnaires oeuvrant en oncologie a été tenu dans chacune des régions participantes. Selon Femdal et Solbjor (2018), de tels groupes intégrant à la fois des usagers et des professionnels peuvent, sous certaines conditions, s’avérer particulièrement fructueux. Ces groupes de discussion visaient à approfondir une synthèse des résultats de l’enquête afin de dégager une vision plus complète de l’expérience des couples en matière de soutien. Les besoins prioritaires déterminés par les conjoints sondés et les facteurs pouvant influencer la réponse à ces besoins dans l’offre de service ont fait d’objet de la discussion.

Les professionnelles recrutées[1] ont été désignées par les chefs de service responsables de l’oncologie psychosociale dans les différents établissements participants. Ces personnes étaient contactées par un membre de l’équipe de chercheurs pour leur transmettre des informations sur l’étude et vérifier leur intérêt à y participer.

Les discussions ont été enregistrées, suivies de comptes rendus validés par les participants. Les transcriptions ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique : repérage des unités de significations, catégorisation thématique des unités, regroupements, subdivisions et hiérarchisation des thèmes suivis d’une validation interjuge (Paillé et Mucchielli, 2012).

Résultats

Cette section présente les caractéristiques des participants et les faits saillants provenant des données recueillies lors de l’enquête et des groupes de discussion. Ils seront présentés simultanément afin de faire ressortir les liens entre eux.

Les caractéristiques des participants

Dans la phase 1 de la collecte de données, au moment de mettre fin à la période de recrutement, 81 personnes avaient participé à l’enquête. La moyenne d’âge est de 50,3 ans et la durée moyenne de vie commune de 22 ans. Le Tableau 3 présente les autres caractéristiques des participants à l’enquête.

Dans la phase 2 de la collecte de données, 18 participants ont pris part aux deux groupes de discussion, dont quatre membres de deux couples appariés comptaient une femme et un homme atteints de cancer. Ces deux couples étaient hétérosexuels. Six participantes étaient des infirmières pivots ou cliniciennes. Les huit autres professionnelles (travailleuses sociales, psychologues, médecins) et gestionnaires étaient représentées de façon égale, deux pour chacune des catégories. Pour chacune des deux régions, le groupe de discussion réunissait tous les types d’acteurs.

Tableau 3

Caractéristiques des participants à l’enquête (n = 81)

Caractéristiques des participants à l’enquête (n = 81)

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Il est utile de noter la grande convergence observée entre les propos des différents types de professionnelles ayant participé à l’étude. En effet, nous n’avons pas pu relever de différences importantes, notamment, entre les propos tenus par les travailleuses sociales et ceux des autres professionnelles participantes au regard des besoins prioritaires des couples et de l’arrimage de ceux-ci avec l’offre de service.

Les besoins prioritaires des couples

Les besoins déterminés par les couples ayant participé à l’enquête se sont avérés, dans l’ensemble, assez bien correspondre aux besoins établis dans le cadre de la recherche documentaire. Tel qu’on peut le constater au Tableau 4, la plupart de ces besoins (17 sur 24) ont été catégorisés « très important » (degré 3, soit le degré plus élevé) par une majorité de participants à cette enquête. Les différents besoins y sont présentés selon leur rang, en fonction de la proportion des participants ayant répondu que ce besoin correspondait pour eux au degré 3 (le plus élevé), le rang 1 étant le besoin ayant reçu dans la plus grande proportion cette réponse. On retrouve par exemple au premier rang, le besoin « d’être informé ensemble des soins à recevoir ou à donner » que 86,4 % des participants considèrent un besoin « très important ».

Chacun de ces besoins est suivi, entre parenthèses, par le domaine de besoins concerné, soit PEM pour « psychoéducation sur la maladie », PPSM pour « partage des pensées et sentiments concernant la maladie », PDM pour « prise de décisions en lien avec la maladie », AERLM pour « ajustements aux enjeux relationnels en lien avec la maladie », AERSLM pour « ajustements aux enjeux relationnels sans lien avec la maladie ». On remarque que les besoins se retrouvant aux premiers rangs, soit des rangs 1 à 5, relèvent du domaine de l’information (PEM). Il est ensuite possible de remarquer que les besoins en lien avec la communication dans le couple, associés au domaine PPSM, se démarquent en occupant les rangs 6, 7 et 9, 10. Des besoins des autres domaines se trouvent également représentés sur cette liste de besoins prioritaires pour les couples, tels par exemple ceux aux rangs 8, 11 et 12. Nous examinerons ultérieurement, dans la section intitulée « Arrimage entre les besoins et la réponse à ces besoins », les données mentionnées dans les deux autres colonnes se trouvant à la droite du tableau.

Tableau 4

Besoins des couples classés selon la proportion des participants ayant jugé ces besoins « très important » (degré 3), degré de réponse et arrimage entre besoin et réponse

Besoins des couples classés selon la proportion des participants ayant jugé ces besoins « très important » (degré 3), degré de réponse et arrimage entre besoin et réponse

Tableau 4 (suite)

Besoins des couples classés selon la proportion des participants ayant jugé ces besoins « très important » (degré 3), degré de réponse et arrimage entre besoin et réponse

Tableau 4 (suite)

Besoins des couples classés selon la proportion des participants ayant jugé ces besoins « très important » (degré 3), degré de réponse et arrimage entre besoin et réponse

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Être bien informé pour mieux savoir agir. Par ailleurs, l’ensemble des participants aux groupes de discussion s’entend sur l’importance de fournir de l’information en couple ou en individuel. Cela correspond à la catégorie PEM de notre sondage. Être bien informé constituerait un premier ordre d’aide pour leur permettre de traverser les moments les plus difficiles de ce parcours. Pour les couples participants, recevoir de l’information ensemble augmenterait leurs chances d’assimiler ces informations et d’en arriver à une compréhension commune et plus juste de la situation. Pour ce faire, ils souhaiteraient avoir accès à de l’information de « quelqu’un qui s’y connaît »[2] (CA) et obtenir des points de repère généraux aussi bien sur les aspects médicaux que psychosociaux de la maladie, notamment sur les changements possibles dans les différentes sphères de leur vie (ex. : intimité, finances) et les manières d’y faire face. On souligne de plus que « le côté ensemble est important pour être capable de le vivre harmonieusement autant que faire se peut » (CA). Les moments où les professionnels répondent à leurs questions représenteraient pour eux autant d’occasions d’être conseillés et rassurés sur leurs réactions et leur manière de s’adapter à de telles conditions difficiles. La transmission de l’information en présence des deux conjoints est valorisée chez la plupart des professionnelles participantes parce qu’elle est perçue comme une stratégie pouvant contribuer « à redonner le pouvoir un peu sur la situation » (P). Derrière ce besoin d’information, elles perçoivent l’attente des couples d’être aidés afin de gérer eux-mêmes leur situation, « ils semblent vouloir être informés, d’aller chercher des outils, se débrouiller et régler ça entre eux autres » (P).

Enfin, les deux conjoints non atteints ont exprimé leur besoin de recevoir des informations pour les aider à mieux jouer leur rôle d’aidant. Par exemple, ils désirent être guidés dans les attitudes à adopter face aux réactions d’un conjoint dépressif, anxieux, en déni ou qui refuse d’être aidé et être validés dans leurs comportements de soutien : « Je me demandais toujours si je fais ce qu’il faut pour l’aider. Est-ce que je suis adéquate ? » (CNA).

Partager les pensées et les sentiments pour se comprendre mutuellement. En accord avec les couples sondés, l’ensemble des participants aux groupes de discussion a réaffirmé l’importance des besoins qui font référence à la communication. Ceux-ci correspondent aux catégories PPSM et PDM de notre sondage. Les couples auraient en effet le besoin de « savoir dans un premier temps et d’exprimer des choses dans un second temps » (P). On remarque toutefois que la priorité des couples serait de recevoir l’aide nécessaire pour partager les pensées et les sentiments ayant une influence directe sur la manière de vivre l’expérience du cancer dans le présent : d’abord, par rapport aux défis de la vie quotidienne, comment vivre les prochains jours à la suite du diagnostic et pendant la période de traitements; et ensuite, par rapport au rétablissement, reléguant ainsi au second plan d’autres difficultés déjà existantes dans leur vie. « Les gens ont l’air de nous dire que ce qu’ils veulent ce n’est pas de parler de leur vie [en général], ils veulent parler de ce qu’ils vivent en lien avec la maladie. » (P)

Le besoin de partager ce qu’ils vivent autour de la maladie viserait une meilleure compréhension mutuelle entre les conjoints. À ce sujet, les deux types de conjoints ont fait mention de l’impact négatif possible sur le couple s’ils ne parviennent pas à se comprendre mutuellement. Dans les situations où le dialogue est perçu comme impossible au sein du couple, la solution de rechange envisagée peut être d’en parler à quelqu’un d’autre. Dans certains cas, le soutien des proches peut s’avérer suffisant. De leur côté, les professionnelles confirment qu’elles se retrouvent devant des couples ayant besoin d’aide pour dénouer les tensions générées par des malentendus issus d’interprétations erronées des gestes et des intentions de l’autre. Dans certaines situations, les consultations régulières (ex. : axées sur les soins pour les infirmières pivots) peuvent devenir un lieu d’échange pour mieux comprendre ce que l’un et l’autre vivent par rapport à un aspect de leur expérience et repartir avec d’autres solutions.

S’ajuster aux enjeux relationnels dans leur contexte. D’autres éléments de besoins ont retenu l’attention dans les domaines des enjeux relationnels tels par exemple : les façons de se soutenir mutuellement et d’agir avec les enfants, l’implication des proches et les changements dans l’intimité sexuelle. Ceux-ci correspondent aux catégories AERLM et, dans une moindre mesure, AERSLM de notre sondage. Selon un conjoint atteint ayant participé à un groupe de discussion, la plus faible proportion de couples ayant considéré ces besoins comme « très important » peut signifier qu’ils préfèrent les régler de façon privée. Dans leur pratique, les professionnelles participantes constatent que ces besoins se modulent selon le contexte de vie particulier du couple (ex. : couple avec de jeunes enfants, risque d’épuisement chez le conjoint aidant). En ce qui concerne le thème de l’intimité sexuelle, ces besoins se présenteraient de façon complexe. Toujours selon les professionnelles participantes, l’importance que les couples leur accordent varierait en fonction de plusieurs variables : la perception du caractère privé du sujet, le degré de compréhension du conjoint, le genre, le type de cancer, l’étape du traitement et la durée de leur relation.

Arrimage entre les besoins et la réponse à ces besoins

Dans notre enquête par questionnaire, nous avons dans un second temps demandé aux participants qui ont dit éprouver les divers besoins mentionnés au Tableau 4 de nous donner leur appréciation quant à la réponse de la part des services publics (et, le cas échéant, d’organismes communautaires) concernant chacun de ces besoins. Autrement dit, pour chacun des besoins examinés, dans quelle mesure les participants trouvent-ils que l’offre de service actuelle répond adéquatement aux besoins qu’ils jugent très importants ? La réponse de degré 0 signifiait que ce besoin n’avait « pas [été] répondu », 1 qu’on lui avait « un peu répondu », 2 qu’on lui avait « en bonne partie répondu » et enfin 3 qu’on lui avait « entièrement répondu ». Par exemple, le besoin « D’être informé ensemble des soins à recevoir ou à donner » a obtenu une appréciation moyenne de 2,40. Cela se situait donc entre « en bonne partie répondu » et « entièrement répondu ». Pour chacun des besoins ciblés au Tableau 4, lorsque la moyenne de la réponse se situe entre 0 et 1, nous considérons que l’arrimage est « faible »; entre 1 et 2 qu’il est « mitigé »; et entre 2 et 3 qu’il est « bon ».

Si nous nous concentrons sur les besoins que nous pouvons qualifier de prioritaires, soit ceux jugés comme « très important » par une majorité de participants au sondage, nous retrouvons les 17 premiers besoins présentés au Tableau 4. Parmi ces 17 besoins prioritaires, quatre ont obtenu une moyenne entre 2 et 3 quant à la réponse aux besoins, ayant donc un bon arrimage entre l’offre de service et les besoins des participants. Ces quatre besoins ayant un bon arrimage se retrouvent tous au sommet de la liste (c.-à-d. parmi le « top 5 » des besoins les plus prioritaires). Par contre, 7 des 17 besoins identifiés comme « très important » par une majorité de participants obtiennent un faible arrimage entre les besoins et la réponse à ceux-ci. Entre ces deux catégories, on retrouve 6 des 17 besoins prioritaires obtenant un arrimage pouvant être considéré mitigé.

À la lumière de ces résultats, il est possible de constater un arrimage plus ou moins élevé selon la nature des besoins examinés. Ainsi, quatre des besoins se trouvant au sommet de la liste (cf. rangs 1, 2, 3 et 5) relevant du domaine PEM obtiennent un arrimage particulièrement élevé. De façon plus précise, la nature de ces besoins concerne la dispensation d’informations relatives aux soins et traitements. Le degré de réponse est cependant moins élevé pour d’autres besoins relevant aussi du domaine PEM, mais concernant les besoins informationnels davantage en lien avec des aspects psychosociaux (cf. rangs 4, 14 et 17), tel « d’être informé ensemble des impacts possibles de la maladie sur votre vie de couple et des moyens pour y faire face ». L’arrimage entre ces trois besoins et l’offre de service est en effet mitigé.

Les besoins relevant du domaine du « partage des pensées et des sentiments en lien avec la maladie » (PPSM) (cf. rangs 6, 7, 9, 10 et 16), pourtant élevés sur la liste, sont tous caractérisés par un arrimage mitigé ou faible. C’est le cas, par exemple, du sixième besoin le plus prioritaire soit « d’être aidé à vous partager vos émotions et ce que vous fait vivre la maladie ». En effet, alors que 71,7 % des participants considéraient que ce besoin était « très important », le degré de réponse pour celui-ci n’était que de 0,83, soit entre « pas répondu » et « peu répondu ». L’arrimage entre ce besoin et l’offre de service est par conséquent considéré comme faible.

Les besoins prioritaires relevant des domaines autres que l’information (PEM) et la communication (PPSM) (cf. rangs 8, 11, 12, 13, 15) sont caractérisés par un faible arrimage sauf pour le besoin « d’être aidé à prendre ensemble des décisions (PDM) » (rang 13) qui démontre un arrimage mitigé.

Une prise en compte partielle des besoins psychosociaux des couples. Les participants consultés dans le cadre des groupes de discussion observent également un contraste entre la prise en charge des besoins informationnels médicaux et psychosociaux dans les établissements. D’abord, les professionnelles reconnaissent les limites de l’offre de service actuelle. « C’est sûr qu’on s’adresse davantage à la personne atteinte et les proches effectivement sont les grands oubliés. » (P) Selon les professionnelles participantes, parvenir à répondre aux besoins s’avérerait complexe en raison d’un ensemble de variables cliniques, structurelles et organisationnelles à considérer, notamment la retenue dont peut faire preuve un couple concernant l’expression de ses besoins, plus particulièrement ceux de nature psychosociale, la réceptivité et le respect du rythme du couple à consulter et le contexte d’intervention (ex. : confidentialité, temps disponible). La disponibilité des professionnels est aussi grandement réduite en raison des ressources humaines limitées et des contraintes budgétaires.

Ensuite, la réponse aux besoins d’information relative à la maladie est perçue comme étant davantage priorisée, ce qui serait moins le cas pour les aspects psychosociaux reliés à la réalité du couple. On soulève en particulier un manque d’information générale sur l’adaptation du couple en contexte de cancer qui leur permettrait de « normaliser leurs besoins et de démystifier l’aide » (P).

En outre, l’ensemble des participants aux groupes perçoit également un manque d’information concernant les services psychosociaux disponibles. Actuellement, cette information serait transmise surtout lors de situations particulièrement problématiques (ex. : en situation de crise). Or, tels que le révèlent les résultats de l’enquête (cf. Tableau 4), les besoins de nature psychosociale sont ressentis beaucoup plus fortement et fréquemment qu’on pourrait le croire. On soulève qu’il puisse s’avérer difficile pour les couples de faire appel à ces services, le cas échéant, s’ils ne connaissent pas au départ les personnes à qui s’adresser et la gamme des services offerts dans ou à l’extérieur de l’établissement. Selon certains couples il n’existerait pas de stratégies de prise de contact et d’information tôt dans la trajectoire de soins qui permettraient « d’ouvrir une porte ou de créer un pont » (CA) avec les professionnels et d’y revenir au besoin, ni de stratégies en cas de situation d’urgence. Différentes formules de présentation des services avec ou sans la présence des professionnels psychosociaux et qui s’insèrent dans des activités régulières sont à explorer (ex. : lors d’un rendez-vous médical ou d’une activité courante de groupe ou à l’aide d’un dépliant).

Ensuite, les professionnelles soulèvent d’autres difficultés quant au repérage et à la réponse aux besoins des couples. Contrairement aux besoins informationnels de nature médicale qu’elles perçoivent plus faciles à déceler parce qu’ils se manifestent généralement au début de la trajectoire de soins, les besoins informationnels de nature psychosociale et les besoins communicationnels s’avéreraient plus difficiles à dépister parce qu’ils surgissent à des moments indéterminés : « […] le besoin psychosocial de communiquer […] ce serait de trouver le bon moment, le bon lieu, la brèche » (P). En contrepartie, ils sont perçus comme étant mieux répondus lorsque le couple exprime explicitement ce besoin ou lorsque les professionnels les invitent, de façon proactive, à aborder le sujet en cours de consultations.

Certaines difficultés pour engager les deux conjoints dans les consultations. Les professionnelles ayant participé aux groupes de discussion mentionnent aussi certaines difficultés parfois rencontrées pour engager les deux conjoints dans les consultations de nature psychosociale. D’abord, les pratiques pour les faire participer varient d’un milieu et d’une profession à l’autre. Ils peuvent être invités sur une base individuelle ou en couple, de manière systématique ou ponctuelle. Ensuite, même si leur participation en tant que couple est généralement encouragée, il peut s’avérer difficile de la concrétiser en raison des perceptions et des préférences de part et d’autre. Par exemple, selon certaines professionnelles, les femmes seraient généralement plus réceptives que les hommes à consulter. Les couples peuvent aussi avoir des perceptions négatives concernant l’aide. Les conjoints non atteints peuvent vouloir être rencontrés sur une base individuelle pour pouvoir « décanter seuls » (P) ce qu’ils ont vécu ou ne pas vouloir cette aide pour eux-mêmes parce qu’ils considèrent devoir « se montrer forts pour soutenir » (P) et que leurs besoins sont secondaires par rapport à ceux du conjoint malade. Le moment offert peut ne pas leur convenir en raison d’un conflit avec d’autres priorités concurrentes. D’un autre côté, certaines professionnelles s’attendent à ce que les couples prennent les devants dans l’expression de leurs besoins. Elles s’interrogent également sur la pertinence de les intégrer de façon plus courante aux interventions de façon à ce qu’ils puissent jouer un rôle plus actif s’ils le désirent. On constate cependant qu’advenant ce choix les professionnels de premier contact (ex. : médecin, infirmière pivot) auront à développer une plus grande aisance à aborder un éventail plus large de besoins, notamment de nature psychosociale.

Le manque de référentiels de pratique. Un dernier constat concerne le besoin de référentiels de pratique pour guider l’offre de service aux couples. Plusieurs professionnelles et gestionnaires se disent préoccupées par les besoins psychosociaux des couples et à la recherche de façons optimales de les repérer, d’y répondre au bon moment ou de les orienter vers l’intervenant le mieux qualifié. Elles expriment toutefois avoir besoin de référents pour les guider en matière de vulgarisation et de diffusion de l’information (ex. : les moments et la séquence dans laquelle celle-ci devrait être donnée dans la trajectoire de soins) ainsi que d’un outil plus précis pour la détermination des besoins des couples. Elles souhaitent également être conseillées concernant la mise en oeuvre d’interventions minimales applicables en pratique courante (ex. : poser des questions circulaires), entre autres par des professionnels dont l’expertise concerne davantage la santé physique. Enfin, elles évoquent le besoin de balises plus claires quant au partage des rôles et des responsabilités des différents professionnels concernés par le dépistage des besoins et le soutien des couples tout en tenant compte des expertises de chacun.

Discussion

Selon Lévesque et coll. (2013), l’accès réfère à la possibilité pour les gens éprouvant un besoin d’obtenir un service permettant d’y répondre. Cet accès est optimisé notamment lorsque l’offre de service leur permet d’accéder et de naviguer dans le système de soins et services avec facilité, de la prise de contact à l’obtention d’une réponse, et ce, chaque fois qu’ils en ressentent le besoin. Contandriopoulos et coll. (2001) insistent pour leur part sur la nécessité de cette continuité des services, mais aussi sur l’importance d’une offre de service répondant à la globalité des besoins des usagers.

L’intégration d’une globalité et d’une continuité de services répondant aux besoins des couples

Malgré une préoccupation croissante pour le soutien des couples, les résultats de cette étude révèlent qu’ils éprouvent certaines difficultés structurelles d’accès aux services psychosociaux. L’offre de service psychosocial à leur endroit est encore soit fragmentaire, soit peu définie. La possibilité pour eux d’obtenir ce type de services repose le plus souvent sur des initiatives individuelles de la part des professionnels. L’accès aux services structurés en fonction des besoins soit physiques soit psychosociaux, le manque de balises claires quant à la responsabilité partagée du soutien des couples et le sentiment chez certains professionnels de premier contact de ne pas avoir suffisamment de temps, de ressources et de formation pour aborder les préoccupations des couples semblent constituer des barrières importantes à la prise en compte globale de leurs besoins. Caractérisée par ces nombreuses contraintes, l’offre de service actuelle est manifestement insuffisante. C’est dans ce contexte que les services sont priorisés et se concentrent essentiellement sur les besoins individuels des personnes atteintes. Quand les membres non atteints du couple sont impliqués, c’est habituellement pour leur rôle d’aidant, dans une perspective relativement utilitaire. Selon Lévesque et coll. (2013), ceci constitue des barrières à l’accès au regard de la disponibilité et de la pertinence des services.

L’intégration de services psychosociaux propres aux couples dans l’offre de service représente une solution pour pallier ces lacunes. En effet, selon Fann et coll. (2012), l’intégration de services psychosociaux aux soins en oncologie permet d’assurer la globalité et la continuité de ces services de façon à ce qu’ils correspondent et se coordonnent dans le temps avec les besoins spécifiques des usagers. L’adoption d’un modèle de soins collaboratifs constitue selon eux un élément clé de cette intégration. Une étude québécoise récente réalisée auprès de personnes atteintes de cancer appuie cette vision en suggérant que l’interdisciplinarité, en améliorant le partage de l’information et la coordination des soins, a le potentiel de briser les silos d’expertises et d’atténuer la distinction arbitraire entre les besoins physiques et psychosociaux (Tremblay et coll., 2017). Les résultats de la présente étude vont dans le même sens en mettant en perspective le besoin de définir et de formaliser des trajectoires de collaboration propres au soutien des couples pour assurer une prise en charge globale de leurs besoins.

Dans ce même ordre d’idées, les résultats de cette étude font ressortir la pertinence de privilégier un continuum de services qui suit l’évolution des besoins et des préoccupations exprimés par les couples et qui tient compte de la globalité de leurs besoins découlant de la maladie. Ces couples peuvent ressentir une diversité de besoins qui nécessitent des interventions variées de différents acteurs médicaux et psychosociaux. Ils peuvent également désirer de l’aide à des moments plus qu’à d’autres ou être réceptifs à certains types d’intervention et moins à d’autres. Pour tenir compte de ces différentes variables, les participants sont d’avis qu’il serait souhaitable de préconiser une offre de service diversifiée et modulable plutôt qu’une intervention unique applicable à tous. Ce point de vue rejoint celui de Lévesque et coll. (2013) qui estiment que la possibilité pour les gens de choisir des services pertinents, qui correspondent à leurs besoins ressentis et qui sont acceptables à leurs yeux, favoriserait l’accès aux services en augmentant leur motivation à y participer et leur capacité à s’y engager.

Cette vision se rapproche également d’une tendance émergente dans le domaine de l’intervention conjugale qui soutient que pour rendre l’aide plus efficiente et accessible à la population il est souhaitable d’offrir aux couples un ensemble d’interventions graduées en fonction de la nature des besoins ressentis, du désir de s’investir et de les déployer au moment opportun dans des modalités diverses et flexibles (Hahlweg et coll., 2010; Halford et Doss, 2016). Dans cette perspective, une intervention minimale qui a répondu aux besoins ressentis est perçue comme pouvant conduire le couple à accepter une intervention plus intensive, le cas échéant.

Au-delà de l’offre d’interventions psychosociales intensives, les participants consultés ont insisté sur le besoin des couples de bénéficier, en temps opportun, de brèves interventions pour les aider à traverser certaines difficultés ponctuelles vécues au cours de leur expérience du cancer. Dans une autre section de l’enquête par questionnaire axée sur les préférences des couples en matière de soutien conjugal, les conjoints sondés ont d’ailleurs exprimé une forte préférence pour des interventions psychosociales ponctuelles. En effet, près de la moitié d’entre eux ont répondu souhaiter bénéficier de telles rencontres « au besoin » (46,8 %).

Une offre de service plus proactive. Les résultats de cette étude montrent aussi l’importance de rendre l’offre de service plus proactive pour assurer la globalité et la continuité des services. Il semble qu’en général les services psychosociaux sont peu publicisés et connus des couples. Devant ce constat, un consensus s’est dégagé quant à la nécessité de mettre en place des stratégies de nature systémique; notamment une prise de contact permettant de rejoindre plus tôt les couples dans la trajectoire de soins, de préférence dès le diagnostic. La connaissance précoce des différentes options de services et des procédures pour les obtenir, ce que Lévesque et coll. (2013) appellent la dimension de la facilité d’approche, augmenterait la capacité des gens de demander de l’aide eux-mêmes et de faire un choix éclairé.

La structuration des services en oncologie au Québec accorde un rôle clé aux infirmières pivots dans l’évaluation initiale des besoins des personnes nouvellement diagnostiquées et de leurs proches (gouvernement du Québec, 2008). En effet, ce sont très souvent elles qui réfèrent les usagers aux professionnels psychosociaux. Or, celles-ci mentionnent connaître une difficulté majeure quant à la détermination des besoins psychosociaux de ces couples. Selon Fann et coll. (2012), cette détermination des besoins est un des éléments centraux des soins collaboratifs. Les infirmières pivots participantes reconnaissent l’importance de cette étape. Elles soulignent cependant la nécessité qu’elles soient mieux outillées pour le faire avec les couples. Selon certaines d’entre elles, les outils à leur disposition ne comprennent pas un ou des éléments qui pourraient les soutenir à aborder les besoins psychosociaux des couples et les orienter vers un professionnel au moment où ils y réfléchissent et sont ouverts à en parler. Cette attente rejoint la vision de Wen et Gustafson (2004) qui estiment qu’un outil « idéal » d’évaluation des besoins devrait permettre d’ouvrir la communication entre les patients, les familles et les professionnels.

Cette étude apporte un éclairage sur les besoins prioritaires des couples et suggère des pistes de solutions pour mieux y répondre. Les résultats doivent cependant être interprétés avec prudence étant donné le caractère exploratoire de cette étude. En raison du nombre restreint et de la relative homogénéité des caractéristiques des couples participants, les résultats ne peuvent être considérés comme nécessairement représentatifs de l’ensemble des couples touchés par l’expérience du cancer.

Conclusion

La pratique du travail social et la défense des droits des personnes vulnérables reposent fondamentalement sur une bonne connaissance de leurs besoins et des réponses à ces besoins dans leur globalité (Harper et Dorvil, 2013). Cette étude avait pour objectif de dresser un portrait des besoins prioritaires des couples touchés par l’expérience du cancer et de l’offre de service à leur endroit. Plus spécifiquement, la réponse à leurs besoins informationnels et communicationnels devrait constituer une priorité dans un futur programme d’interventions qui leur serait destiné. Les résultats de l’étude mettent toutefois en lumière plusieurs défis à relever pour y parvenir. À cet effet, les participants à l’étude ont soulevé certaines interrogations quant à la capacité du système de santé et de services sociaux à répondre à leurs besoins; surtout ceux de nature psychosociale. En effet, il ressort que la structuration des services auprès de ces couples est perfectible. La mise en place d’une trajectoire de service intégrée propre aux couples et le déploiement de ressources dédiées, notamment professionnelles et budgétaires, pour répondre à la globalité de leurs besoins sont requis. Une attention particulière devrait aussi être portée aux besoins de formation ressentis chez les professionnels. Plusieurs aspects de l’intégration des services demeurent à documenter davantage, notamment les stratégies organisationnelles à mettre en oeuvre pour rejoindre plus tôt et au moment opportun les couples, les types et les modalités d’interventions brèves à privilégier pour favoriser la participation de ces couples, les outils et les pratiques de collaboration à mettre en place pour assurer le soutien des couples et enfin, les besoins de formation des professionnels.