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La violence conjugale vécue par la majorité des femmes résidant en maison d’hébergement est définie comme une violence coercitive et de contrôle, une dynamique au sein de laquelle les victimes sont graduellement amenées à vivre en fonction des désirs et des intérêts de leur agresseur et de moins en moins en fonction de leurs propres désirs et intérêts (Johnson, 1995, 2006, 2008; Pence et Paymar, 1993). Cette perte d’autonomie se construit à travers l’utilisation de différentes tactiques de contrôle par l’agresseur. Pence et Paymar (1993) en décrivent huit, à savoir : (1) l’intimidation, (2) la violence psychologique, (3) la minimisation, le déni et le blâme, (4) le recours à des privilèges associés aux hommes, (5) l’utilisation des enfants, (6) la violence économique, (7) les menaces et la coercition, et (8) l’isolement. À ces tactiques peuvent s’ajouter les violences physique et sexuelle qui, bien qu’elles ne soient pas toujours présentes, renforcent le déséquilibre des pouvoirs entre les partenaires lorsqu’elles le sont (Pence et Paymar, 1993).

Le contrôle exercé sur les femmes au sein de la relation violente ne se produit cependant pas en vase clos, la femme et son agresseur étant tous deux enchâssés dans un contexte relationnel plus vaste (Goodman et coll., 2016). De fait, bien que la perte d’autonomie des femmes victimes de violence conjugale soit généralement attribuée aux violences commises par l’agresseur, la littérature scientifique portant sur les proches suggère que l’autonomie et la perte d’autonomie des femmes impliquent l’ensemble de leur réseau social[1].

Ce réseau social peut avoir été réduit par la violence conjugale. En effet, l’isolement des victimes fait partie des tactiques parfois utilisées par les agresseurs (Pence et Paymar, 1993). Cet isolement peut se construire graduellement et ne passe pas toujours par l’interdiction de fréquenter les proches (Rose et coll., 2000). Les agresseurs qui isolent leur victime peuvent filtrer ses fréquentations, exprimer un blâme ou une jalousie, supprimer ses messages téléphoniques, dénigrer ses proches, lui faire honte en public ou menacer de se suicider. Comme le souligne Turgeon (2003, p. 11), pour les femmes qui sont isolées par leur conjoint, « l’univers du conjoint [devient] le seul auquel elles ont accès ».

Les personnes qui demeurent présentes au sein du réseau de la victime, malgré la violence, peuvent agir de différentes manières. Elles peuvent soutenir les femmes, notamment en les écoutant, en les encourageant, en s’engageant à rester auprès d’elles coûte que coûte, en leur fournissant une aide financière, en gardant leurs enfants ou en leur offrant un toit (Goodman et coll., 2016; Hoff, 1990; Klein, 2012). Les femmes victimes de violence conjugale ne reçoivent toutefois pas que du soutien. De fait, 78% des victimes constituant l’échantillon de Trotter et Allen (2009) rapportent avoir été confrontées à des réactions négatives. Parmi les réactions perçues comme étant négatives par les victimes, on trouve le blâme (Baker, 1997; Hoff, 1990; Lutenbacher et coll., 2003; Moe, 2007; Trotter et Allen, 2009), la pression pour quitter le conjoint violent (Baker, 1997; El-Bassel et coll., 2001), la minimisation de leurs sentiments (Trotter et Allen, 2009) et un éloignement par rapport à la situation de violence, qui s’observe par un désengagement par rapport à la relation (Hoff, 1990; Hoyle et Sanders, 2000; Moe, 2007; Trotter et Allen, 2009). Certaines participantes considèrent aussi comme étant négatif le fait que leurs proches ne les questionnent pas lorsqu’elles se confient et leur inaction par rapport à la situation de violence (Lutenbacher et coll., 2003).

Les actions de l’entourage, positives comme négatives, forment le contexte au sein duquel les femmes font des choix par rapport à leur situation et, à leur tour, agissent. Elles peuvent, par exemple, répondre à une action en choisissant de se confier ou, au contraire, en choisissant de ne plus se confier (Baker, 1997; Hoyle et Sanders, 2000; Lempert, 1996; Lutenbacher et coll., 2003; Moe, 2007; Rose et coll., 2000). Comme celles de l’agresseur, les actions de l’entourage ne suffisent toutefois pas à donner une vue d’ensemble du contexte dans lequel les femmes agissent. Un regard complet sur le réseau des femmes et les interinfluences qui s’y produisent exige que les proches, le conjoint violent et les femmes soient tous et toutes considérés.

Le présent article porte sur les actions de l’ensemble des acteurs et actrices du réseau des femmes, incluant l’entourage, les conjoints violents et les femmes elles-mêmes. Il vise à décrire les actions de ces personnes, à analyser les manières avec lesquelles elles s’influencent mutuellement et à comprendre comment elles créent un contexte d’autonomie ou, au contraire, maintiennent les femmes dans un contexte de contrôle. Les femmes victimes sont ici positionnées en tant qu’actrices principales de leur propre réseau et c’est à partir de leurs actions que celles d’autrui sont analysées.

Le concept d’autonomie relationnelle

Les études antérieures portant sur le réseau des femmes victimes de violence conjugale sont assez éclectiques dans leurs choix théoriques : elles utilisent la théorisation ancrée comme méthode d’analyse (Knickmeyer et coll., 2010; Latta et Goodman, 2011), utilisent de manière singulière des concepts tels que celui d’organisation sociale (Mancini et coll., 2006) ou de prise au piège (Moe, 2007), ou ne font simplement pas référence à la théorie (Katerndahl et coll., 2013). La cohérence entre ces différents choix théoriques et la définition de la violence conjugale est par ailleurs questionnable considérant que la plupart des études omettent de définir la violence conjugale (Katerndahl et coll., 2013; Levendosky et coll., 2004; Moe, 2007; Rose et coll., 2000; Trotter et Allen, 2009) ou la définissent sans égard aux dynamiques entre les partenaires (Goodman et coll., 2016; Mancini et coll., 2006). Dans cet article, l’analyse des actions des membres du réseau des femmes victimes de violence conjugale est effectuée à partir du concept d’autonomie relationnelle, développé à partir des écrits d’Oshana (2006) et de Burt (1992, 2005). Si le concept d’autonomie trouve sa pertinence dans le fait que la violence coercitive et de contrôle cause d’importantes entraves à l’autonomie des femmes, la perspective relationnelle adoptée permet d’appréhender l’autonomie comme le contexte créé par un ensemble d’acteurs et d’actrices.

Pour Oshana (2006) et Burt (1992, 2005), une personne autonome est apte à créer sa vie, car elle évolue dans un contexte qui lui permet d’avoir accès à des opportunités nombreuses et variées. L’importance de l’accès à une diversité d’options est appuyée par les écrits en violence conjugale : les femmes victimes ont besoin d’une aide diversifiée, notamment pour le transport, l’hébergement, la garde d’enfants, le soutien émotionnel et la redéfinition de leur situation (Goodman et coll., 2016; Lempert, 1996; Liang et coll., 2005; Lyon et coll., 2008; Moe, 2007).

Selon la théorie des trous structuraux (Burt, 1992, 2005), les personnes autonomes ont une position « entre des groupes » et ont, ainsi, un accès privilégié à une diversité d’options. Elles ne sont ni enfermées au sein de groupes ni enchâssées dans des réseaux de tailles restreintes. Elles ne sont, ainsi, pas contraintes à une seule option. Elles sont également moins susceptibles de voir leurs choix et leurs actions contrôlés par les membres de leur réseau, car ceux-ci n’étant pas en contact entre eux, ils peuvent moins se transmettre l’information la concernant et sont, ainsi, moins susceptibles d’y réagir.

Oshana (2006) ajoute que les options des personnes autonomes sont pertinentes en fonction de leurs buts. En lien avec la problématique au coeur de la présente étude, une femme victime de violence conjugale pourrait avoir pour but de faire cesser la violence et le contrôle qui pèsent sur elle; dans ce cas, son autonomie dépendra de son accès à différentes ressources pouvant l’aider à se construire une vie sans violence. Une autre femme pourrait cependant avoir pour but de se confier; dans sa situation, son autonomie dépendra de son accès à une diversité de confidents potentiels. Dans un cas comme dans l’autre, les femmes seront considérées comme évoluant dans un contexte relationnel favorisant leur autonomie si elles ont accès à plusieurs options. Avoir accès à plusieurs options leur permettra de choisir celles qui leur conviennent le mieux, de ne pas dépendre d’options qui ne leur conviennent pas.

Oshana (2006) propose aussi que les personnes autonomes entretiennent des relations qui possèdent certaines caractéristiques. Premièrement, elles peuvent prendre des décisions différentes de celles prises par les personnes qui les influencent, sans risque de rétribution. Deuxièmement, elles évoluent dans des relations qui préservent leur sécurité. Troisièmement, elles ne sont pas tenues responsables des besoins, des attentes et des échecs d’autrui. Quatrièmement, elles ne font pas l’objet de manipulation et de désinformation. Cinquièmement, elles ne sont pas financièrement dépendantes d’autrui. Une personne qui serait entourée d’individus qui la blâment, lui transmettent de fausses informations ou lui interdisent l’accès à l’emploi n’évoluerait ainsi pas dans un contexte d’autonomie relationnelle.

Le modèle d’Oshana (2006) porte sur les caractéristiques des relations et non pas sur les interprétations qui en sont faites par les personnes. Or, ces interprétations contribuent à former la ligne d’action des personnes : (1) les interactions forment les attentes à l’égard des interactions à venir et (2) les attentes à l’égard des interactions à venir façonnent les actions individuelles (Burt, 2005). Si une interaction avec une personne est vue positivement, les interactions à venir sont susceptibles d’être vues comme étant peu risquées et l’individu est potentiellement plus disposé à saisir les options rattachées à cette personne. Au contraire, si une interaction avec une personne est vue négativement, les interactions à venir sont susceptibles d’être vues comme étant risquées et l’individu est potentiellement moins disposé à saisir les options rattachées à cette personne.

Méthodologie

L’analyse des actions des membres du réseau des femmes victimes de violence conjugale repose ici sur une approche qualitative[2]. L’échantillonnage a été guidé par un principe de diversification interne d’un groupe homogène (Pires, 1997), soit celui des femmes victimes de violence conjugale suivies en maisons d’hébergement. L’échantillon a d’abord été constitué de sorte à obtenir un contraste en fonction de la variable « milieu de vie », selon que les participantes habitent en milieu urbain (n = 13) ou rural (n = 17). Une fois ce contraste rendu possible, une diversification interne a été réalisée jusqu’à saturation empirique. Le recrutement s’est achevé lorsque les entrevues ne permettaient plus d’apporter d’informations suffisamment nouvelles justifiant une extension de la collecte des données. Alors qu’une autre recherche portant sur le réseau social des femmes victimes de violence conjugale a atteint cette saturation empirique après 20 entrevues (Netto et coll., 2017), la présente recherche a nécessité 30 entrevues pour obtenir ce résultat.

Les participantes (15 résidentes, 11 ex-résidentes et 4 femmes en suivi externe) ont été recrutées dans quatre maisons d’hébergement à travers le Québec. Au moment des entrevues individuelles, les participantes avaient en moyenne 36 ans et la majorité d’entre elles avait au moins un enfant (n = 26). Les participantes étaient majoritairement nées au Québec (n = 20), mais certaines étaient issues de l’immigration (n = 10). En moyenne, leur relation avec leur conjoint violent avait duré 9,4 ans. Elles ont rapporté avoir vécu de la violence psychologique (100%), sociale (84%), économique (81%), physique (77%) et sexuelle (40%).

Le recrutement s’est effectué par le biais des organisations qui représentent les maisons d’hébergement au niveau provincial, soit la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes et le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Le projet de recherche a été transmis à ces organisations, qui ont fait le relais vers leurs maisons membres. Les maisons souhaitant participer ont ensuite contacté l’auteure principale et le recrutement des participantes a été organisé en collaboration avec la direction et les intervenantes de chaque maison. Dans trois maisons, une intervenante a pris en charge le recrutement et les horaires des entrevues. Dans la quatrième maison, le recrutement a été pris en charge par l’auteure principale, qui a présenté la recherche de vive voix lors d’une réunion de résidentes. Dans ce cas précis, l’horaire des entrevues a aussi été géré par l’auteure principale, en fonction des disponibilités des femmes.

Lors des entrevues, les participantes ont été invitées à dresser une liste des membres de leur réseau personnel à partir de questions telle la suivante[3] : au cours des 12 derniers mois, avec qui avez-vous parlé de sujets importants pour vous? Elles ont ensuite été invitées à qualifier leur relation avec chacune des personnes mentionnées, à partir de questions liées notamment à la confiance qu’elles leur portaient et à la possibilité de leur demander de l’aide. D’une manière semi-dirigée, les femmes étaient ensuite encouragées à élaborer plus amplement à propos de chacune de leurs relations : comment ces personnes ont-elles réagi par rapport à la violence ? Comment les femmes ont-elles perçu leur réaction ?

Les entrevues individuelles ont été suivies d’une analyse verticale, puis transversale des résultats. À partir de l’analyse transversale, une entrevue de groupe a été organisée en collaboration avec une maison d’hébergement qui souhaitait connaître les premiers résultats et a accepté de contribuer à les valider et les bonifier. Une intervenante s’est alors chargée d’inviter l’ensemble des intervenantes de la ressource, de même que l’ensemble des participantes y ayant été recrutées. Cinq personnes étaient présentes lors de l’entrevue de groupe, soit trois intervenantes et deux participantes. L’inclusion d’intervenantes à cette étape a permis un accès à une vaste étendue d’expériences et à un recul par rapport à celles-ci. Par exemple, les intervenantes ont pu rapporter certaines situations rares, mais dramatiques dans lesquelles la famille des femmes prend parti pour le conjoint violent, situations qu’elles ont pu associer à la dynamique de violence conjugale. Puisque les résultats présentés étaient issus de l’analyse transversale des données, le processus ne mettait pas en jeu la confidentialité des participantes. Certaines précautions ont néanmoins été prises afin d’éviter que les intervenantes puissent associer un résultat à une femme en particulier. La principale stratégie a été de présenter des thèmes transversaux (ex. : retrait des proches) plutôt que des situations individuelles (ex. : retrait des proches à la suite d’événements précis).

Les entrevues ont été transcrites rapidement. Lorsque les participantes souhaitaient ne pas être enregistrées, une prise de notes détaillées se faisait au fur et à mesure de l’entrevue et une transcription informatique se faisait dans les minutes suivant l’entrevue. Cette distinction méthodologique peut avoir nui à la portée du processus d’analyse. Nous osons cependant avancer que les solutions envisagées (ex. : prise de notes systématiques) ont minimisé les effets de l’absence de matériel audio. De plus, le fait d’avoir respecté la volonté des femmes a permis d’éviter une potentielle revictimisation par le processus de recherche. De fait, un suivi était fait par les intervenantes après les entrevues et toutes ont rapporté à l’auteure principale n’avoir entendu que des commentaires positifs à l’égard des entrevues.

Les données ont été codées à partir du logiciel NVivo 11. Une liste initiale de codes a été créée à partir des objectifs de l’étude, des écrits recensés en violence conjugale et de la conceptualisation théorique. Cette liste a été ajustée en fonction des éléments qui émergeaient du récit des interviewées et à travers la spécification du cadre théorique. Par exemple, le code général « réactions de l’entourage » a été changé pour « actions de l’entourage », en plus d’être subdivisé en neuf sous-codes distincts, marquant un plus grand degré de précision dans la codification et un approfondissement de la compréhension de la réalité des participantes.

Les choix méthodologiques adoptés pour cette étude ne sont pas sans comporter certaines limites, notamment à savoir que les proches et les agresseurs n’ont pas été rencontrés alors que leurs actions sont analysées. Dans une future recherche, il serait pertinent d’effectuer des entrevues avec l’ensemble des acteurs et actrices du réseau des femmes, de sorte à comprendre leurs réalités respectives et les raisons qui sous-tendent leurs actions. La recherche telle qu’elle a été conçue et réalisée permet néanmoins de rendre compte du point de vue des femmes et, surtout, de la manière avec laquelle les membres de leur réseau contribuent à modeler leur autonomie relationnelle.

Résultats

Les analyses présentées dans cet article focalisent sur l’action individuelle. L’action est utilisée de deux manières : afin de comprendre les effets des actions sur l’autonomie relationnelle des femmes – de saisir comment elles contribuent à leur créer des options et à encourager leur liberté de saisir celles qui sont disponibles; et de comprendre comment les actions des uns influencent celles des autres. La première section concerne les actions des principales intéressées, à savoir les femmes elles-mêmes. La deuxième section porte sur les actions d’un autre acteur incontournable de la problématique, à savoir les conjoints violents. La troisième section porte finalement sur les actions de tous ceux et celles qui entourent la  dyade.

Les actions des femmes

Bien que nos participantes aient témoigné de diverses actions entreprises pendant et après leur relation violente, pour certaines femmes, le point de départ de la chronologie réside parfois dans une perte globale d’autonomie. Les femmes n’arrivent alors plus à agir. Le témoignage d’une ex-résidente illustre l’étendue de cette incapacité à agir de même que ses manifestations dans les actions les plus simples de la vie quotidienne. Avec le soutien de son intervenante, elle s’était fixé, en début de séjour, un défi qui consistait à sortir prendre un peu d’air. Alors qu’elle souhaitait réaliser son défi avant le mercredi suivant, passer à l’action demeurait difficile malgré les jours qui passaient :

Rendu au mercredi, j’étais toujours pas sûre. Mon intervenante m’a demandé : « quand est-ce que tu veux y aller? » Je savais toujours pas. Elle m’a dit que ça ne donnait rien de toujours remettre à plus tard et j’ai éclaté à pleurer. C’est pour te dire à quel point je suis partie de loin. Aller se balancer dans la cour avec ma fille, pour la plupart des personnes, y a rien là, mais pour moi, c’était un défi.

Faraa

Les conséquences de cette incapacité à agir peuvent être hautement dramatiques :

Quand je suis arrivée, c’est comme si j’avais plus d’identité. J’avais des idées suicidaires. Je ne voyais pas comment je pouvais me sortir de cette relation-là.

Pascale

Selon l’étude de Coker et coll. (2004), les femmes victimes de violence conjugale sont plus à risque de faire une tentative de suicide que celles qui n’en sont pas victimes. Le témoignage de Pascale suggère que c’est en compromettant l’autonomie des femmes que la violence culmine vers l’idéation suicidaire : lorsque les victimes ne voient aucune option envisageable, le suicide peut sembler une solution adaptée.

Avant d’arriver à une telle perte d’autonomie, les femmes résistent cependant de différentes manières. Elles le font d’abord en choisissant de rester ou de retourner avec leur conjoint violent. Nos données permettent de soutenir que cette décision s’appuie sur leur perception que dans les circonstances, il s’agit de la meilleure, sinon de la seule option disponible. À titre d’exemple, une ex-résidente raconte que c’est en réponse à la solitude engendrée par la surveillance accrue de ses parents et de tout le village dans lequel elle habitait qu’elle a fini par inviter son conjoint violent à la visiter en catimini, son intention étant alors de retourner vivre avec lui :

Je me disais, si je peux renouer avec l’ancien conjoint, je vais pouvoir sortir, partir de là, on parlera à la DPJ qu’on va faire des thérapies, collaborer, tout ça.

Laurie

Comme le souligne Lempert (1996), il est nécessaire de considérer à la fois les bons et les mauvais côtés des relations conjugales violentes, la dynamique à l’oeuvre étant généralement complexe. Par contre, contrairement à cet auteur, nous n’associons pas d’emblée la décision des femmes de rester avec le conjoint violent au caractère amoureux occasionnellement empreint d’affection et de soutien mutuel de la relation violente. À la lumière du témoignage de Laurie, il parait limité de n’analyser la décision de rester qu’à travers la dyade amoureuse : elle parait devoir plutôt être mise en perspective avec l’ensemble du contexte dans lequel elle est prise. Le contexte relationnel de Laurie était tellement difficile qu’elle a préféré retourner avec un conjoint qu’elle savait violent.

Une autre action des femmes consiste à se taire au sujet de la violence. Ce silence peut être expliqué par les attentes des femmes à l’égard des conséquences d’un dévoilement. Des participantes ont mentionné avoir eu peur d’être jugées, de blesser leurs proches, que le conjoint soit mis au courant des confidences ou que leurs confidences suscitent des comportements contrôlants chez leurs proches qui, touchés par la situation, pourraient tenter de la prendre en charge. En gros, se taire permet aux femmes de préserver leur liberté d’action, tel que le souligne la directrice d’une maison d’hébergement :

Ça aurait fait quoi si elles en avaient parlé? Ils auraient dit : « laisse-le »; « tu peux pas rester là, on va aller te chercher »? Tant que t’en parles pas, c’est parce que t’es pas prête à ce que ce soit fini.

Monique

L’action de se cacher du conjoint pour agir à l’encontre de ses interdits est une constante dans les décisions et les actions entreprises par les femmes victimes de violence conjugale que nous avons rencontrées. Elles se cachent notamment pour occuper un emploi ou pour fréquenter leurs proches, tel que le mentionne Marie-Ève :

Y a été un bon bout de temps où j’étais avec mon conjoint, il était très contrôlant alors je pouvais pas être en contact physiquement, mais dès qu’il sortait, je les appelais.

En plus de se cacher de leur conjoint, les femmes peuvent se cacher de certains proches lorsque ces derniers leur imposent des décisions. Par exemple, une participante nous a mentionné que lors de sa rupture, ses parents insistaient pour ne plus qu’elle fréquente son conjoint, mais qu’elle avait choisi de le fréquenter en cachette en vue de retourner vivre avec lui.

En plus de résister à une perte de liberté, les femmes résistent à une perte d’options. Les femmes que nous avons rencontrées ont parfois choisi d’interrompre temporairement certaines relations dans le but de les préserver à long terme. Une résidente explique que son conjoint insultait ses amies lorsqu’elle les invitait à la maison et qu’afin d’éviter des conflits, elle a préféré ne plus les voir :

À un moment donné, elles se seraient tannées! (…) Ça aurait fait des conflits et je suis pas bonne pour gérer ça.

Josée

Les femmes peuvent aussi agir par la rupture. La rupture constitue un moment clé avec lequel certaines actions s’arrêtent. Elles n’ont plus, par exemple, besoin de taire la violence auprès de personnes qui auraient autrement voulu les convaincre de le faire. Ce faisant, lorsque les femmes sont prêtes à rompre, elles sont aussi prêtes à commencer à parler de la violence à leurs proches : « C’est quand j’ai quitté que j’ai commencé à en parler » souligne une résidente. La rupture constitue aussi un moment clé à partir duquel certaines actions peuvent commencer. En effet, les femmes peuvent alors plus facilement demander du soutien à leurs proches et aux services formels, dont les maisons d’hébergement. Elles peuvent aussi rebâtir des relations ayant été interrompues pendant la relation violente, bien que Rose évoque des « peurs sociales » créées par la violence et qui rendent difficile ce processus de reconnexion. À partir de la rupture, les femmes peuvent finalement passer à l’action pour se créer de nouvelles relations, que ce soit avec d’autres victimes de violence conjugale, avec des collègues ou avec un nouveau conjoint.

Ultimement, les différentes actions posées par les femmes pendant leur relation violente, lors de la rupture et après celle-ci, peuvent culminer en une reprise d’autonomie globale leur permettant de façonner leur vie. Cette reprise d’autonomie a pu être observée même chez les femmes qui ont vécu une perte d’autonomie généralisée pendant et après leur relation violente. Faraa, citée précédemment pour illustrer la perte d’autonomie, est un bon exemple : lors de son entrevue, elle mentionne avoir un emploi à temps plein, être travailleuse autonome à temps partiel et être confiante en regard des démarches légales liées à son divorce. Elle fréquente un nouveau conjoint qu’elle dit très gentil bien qu’elle demeure prudente, disant qu’il doit « faire ses preuves ». Elle fréquente plusieurs ami.e.s par le biais d’une équipe sportive et d’une chorale dans laquelle elle chante. Elle est en lien avec plusieurs personnes qui, n’étant pas en contact entre elles, sont susceptibles de lui donner accès à des options diversifiées (Burt, 1992, 2005).

Les actions des conjoints violents

Les actions des femmes, présentées et discutées dans la section précédente, témoignent de leur grande volonté d’autonomie. Leurs actions sont toutefois nécessairement influencées par celles des acteurs qui composent leur réseau. Ainsi, cette section porte sur les actions d’un autre acteur central de la problématique, à savoir le conjoint violent.

Les écrits d’Oshana (2006) permettent d’envisager les violences subies par les femmes victimes de violence conjugale comme des embuches majeures à leur autonomie. Les violences psychologiques, physiques et sexuelles instaurent un contexte d’insécurité au sein duquel les femmes doivent marcher sur des oeufs pour ne pas susciter la colère de leur conjoint, comme l’explique une participante :

Tu te dis tout le temps, il va me chialer après pourquoi? Mais ça donne rien parce qu’il chiale pareil.

Sara

Les violences sociale et économique ont par ailleurs pour effet de réduire les options auxquelles les femmes ont accès, brimant là encore leur autonomie selon le modèle d’Oshana (2006). Certaines femmes ne peuvent tout simplement pas être en contact avec qui que ce soit pendant leur relation violente :

J’étais très isolée. Je n’avais pas de contact avec personne, sauf lui. Il m’a jusque fait me débarrasser de mon chien parce que je m’occupais trop de lui.

Pascale

Les femmes qui sont isolées par leur conjoint se retrouvent dans des réseaux de plus en plus petits. Par exemple, pendant sa relation violente, Sara n’était en contact qu’avec son conjoint et sa belle-mère. Sara et Pascale ne sont toutefois pas seules à avoir vécu cette situation : neuf des trente participantes ont mentionné que leur conjoint refusait qu’elles fréquentent certains proches. Leur réseau devient alors de plus en plus restreint et contraignant.

Lorsque la violence atteint un certain niveau, il arrive qu’elle agisse en tant qu’élément déclencheur de la recherche d’aide et de la rupture :

Je voulais pas venir ici, mais j’ai été obligée. Y a eu une violence que j’ai pas eu le choix. Mais c’est vraiment parce que j’ai pas eu le choix.

Claire

En imaginant le processus d’autonomisation des femmes sur une ligne du temps scindée par le moment clé de la rupture, le cas échéant, les différentes actions violentes du conjoint peuvent être vues comme une force contribuant à les maintenir dans la situation de violence. Les actions des conjoints violents contribuent alors à la perte d’autonomie généralisée vécue par certaines femmes : lorsqu’elles ne peuvent agir d’aucune manière, que leur conjoint persiste à agir sans égard à leur volonté et qu’il y a de moins en moins d’options dans leur réseau, les femmes peuvent ne plus arriver à envisager d’autres options que de rester. Cette perte d’autonomie généralisée peut dans certains cas conduire au moment clé de la rupture et de la recherche d’aide. Nos données permettent, plus spécifiquement, d’avancer que lorsque la violence atteint un certain niveau, elle peut elle-même agir en tant qu’élément déclencheur de la rupture et de la recherche d’aide. La violence, même la plus aigüe, peut toutefois ne pas mener à une sortie de relation violente si aucune autre option n’est disponible. Ainsi, il importe d’élargir l’angle d’analyse et d’englober l’ensemble des personnes qui constituent le réseau des femmes.

Les actions de l’entourage

Faisant partie du réseau des femmes, leurs proches ont un rôle de premier plan; ils sont souvent les premiers à qui elles demandent de l’aide et les plus susceptibles d’offrir une aide durable (Mancini et coll., 2006; Rose et coll., 2000). Il importe cependant d’adopter un regard nuancé et de considérer les proches[4] comme pouvant contribuer ou nuire à l’autonomie des femmes victimes de violence conjugale. Dans cet article, en plus des proches, les actrices des maisons d’hébergement sont également prises en considération, celles-ci faisant momentanément partie du réseau social des femmes qui y sont accueillies.

Les actions de l’entourage des femmes ont été regroupées en trois catégories. Les deux premières font entrave à l’autonomie des femmes alors que la troisième la favorise. La première catégorie est l’appropriation du problème : touchés par la situation, les membres de l’entourage prennent les choses en charge et agissent. Plus précisément, ils expriment leur colère et menacent, donnent des ordres et surveillent les femmes. Ces actions, même si elles peuvent être le fruit d’une bonne volonté (ex. : vouloir protéger, défendre), constituent des obstacles à l’autonomie relationnelle des femmes, d’abord en les dépossédant des décisions et des actions à entreprendre, ensuite en limitant les options qui leur restent accessibles. Les proches qui s’approprient le problème peuvent effectivement faire en sorte que les femmes craignent les conséquences d’une demande d’aide et refusent de faire appel à eux dans le futur. À titre d’exemple, Pascale se remémore les paroles de son frère pendant sa relation violente : « Si jamais il se passe quelque chose, ça va brasser! » et le sentiment qu’elle avait d’être coincée : si elle lui parlait sincèrement de la violence qu’elle vivait et que son frère passait à l’acte pour brasser le conjoint, elle craignait d’en subir les conséquences et de « manger une go ». Le frère de Pascale pouvait être fort bien intentionné, mais sa réaction témoigne d’un manque de compréhension par rapport à la complexité de la situation et au risque de représailles pour sa soeur. Rappelons que pour Oshana (2006), l’autonomie relationnelle implique que les personnes puissent choisir leur vie dans un contexte où elles peuvent préserver leur sécurité. Par l’intensité de sa réaction, le frère de Pascale lui a fait craindre pour sa sécurité, ce qui lui a enlevé l’envie de se confier à lui, qui aurait autrement constitué une option envisageable.

Alors que certains proches s’approprient la situation, d’autres ont des comportements pouvant être interprétés comme un refus du problème. Des participantes nous ont rapporté certains propos de leurs proches. Ceux-ci peuvent d’abord exprimer un doute : « c’est délicat, on n’a pas de preuves ». Ils peuvent aussi exprimer un blâme par lequel ils placent l’entière responsabilité sur la femme plutôt que d’accepter la complexité de la situation : « tu le savais qu’il était colérique quand tu l’as marié! » Finalement, l’entourage réagit parfois par le rejet ou le retrait, contribuant à diminuer les options disponibles aux femmes :

Ça arrive que la famille [de la femme] va choisir la relation avec le conjoint au-delà de la relation avec leur propre enfant.

Lise, une intervenante

Encore aujourd’hui, j’ai des come-backs au niveau social. Je vois plus mes amis. Ils me traitent d’irrespectueuse. Ça faisait comme 10 à 13 ans que je les connaissais, ils me regardent comme plus. Y me disent que j’ai juste voulu faire un bébé avec lui, que je l’ai envoyé chier puis que je veux pas qu’il vienne voir le bébé. Puis c’est pas vrai. (…) Il est très manipulateur.

Judith

En entrevue, Judith explique qu’à cause de la violence sociale qui marque son histoire, elle pouvait passer très peu de temps avec ses ami.e.s pendant sa relation avec son agresseur; à l’opposé, celui-ci sortait souvent et avait de fréquentes occasions pour entretenir ses relations. Cette distinction a donné un avantage à ce dernier lorsqu’est venue l’heure de faire valoir son plaidoyer contre Judith.

Le portrait de l’entourage dressé à travers les thématiques d’appropriation et de refus du problème peut laisser croire que le réseau des victimes de violence conjugale est complètement incompétent. Or, lorsque leurs actions consistent à prendre une juste part du problème, elles peuvent contribuer à soutenir l’autonomie relationnelle des femmes. Nos participantes soulignent d’abord la nécessité de respecter leurs choix et leur rythme, ce avec quoi les intervenantes des maisons d’hébergement sont particulièrement habiles :

Avec l’intervenante, on a parlé beaucoup et je me sentais pas jugée. Elle me disait : « je ne te dirai pas de le quitter, ça doit venir de toi. »

Pascale

Les membres de l’entourage peuvent aussi exprimer leur appui aux femmes, comme le souligne Jennifer, une ex-résidente, qui dit avoir aimé que ses proches l’encouragent en lui disant qu’ils la trouvaient « forte, endurante, patiente et bonne mère ». Ils peuvent aussi aider concrètement, pour de l’hébergement et de l’aide financière, entre autres. L’entourage peut finalement soutenir l’autonomie des femmes en les référant à des ressources formelles lorsqu’elles y consentent :

Honnêtement, j’ai deux enfants, puis si un jour ça arrive à ma fille, je lui conseillerais les mêmes démarches que j’ai faites : d’aller vers les professionnels.

Laurie

À travers le respect des choix et du rythme des femmes, l’appui, l’aide concrète et la référence, les membres de l’entourage augmentent les options disponibles aux femmes tout en leur laissant la liberté de saisir celles qu’elles considèrent comme pertinentes en fonction de leurs objectifs.

Conclusions

Les écrits scientifiques antérieurs sont clairs à l’effet que les femmes victimes de violence conjugale ne sont pas passives face à la situation dans laquelle elles évoluent. Elles peuvent, par exemple, tenter de contenir la violence, la maintenir cachée, choisir de se confier, quitter leur conjoint ou faire appel aux autorités en vue de porter plainte formellement contre lui (Baker, 1997; Hoyle et Sanders, 2000; Lempert, 1996). Ne faisant pas exception, nos participantes ont témoigné de diverses actions entreprises pendant et après leur relation violente. Bien que certaines peuvent arriver à une perte globale d’autonomie, avant d’en arriver là, elles choisissent et agissent de différentes manières : en restant avec le conjoint violent, en taisant la violence, en se cachant, en interrompant des relations, en rompant, en cherchant du soutien, en rétablissant d’anciennes relations et en en créant de nouvelles.

Les femmes s’ajustent et exercent leur autonomie en fonction de leur contexte relationnel. Même lorsqu’elles n’ont que peu d’options autour d’elles, elles agissent et tentent de contrôler les quelques éléments sur lesquels elles ont un contrôle et de sorte à préserver le peu d’autonomie qu’il leur reste. Puis, au fur et à mesure que leur autonomie relationnelle se développe, les femmes, libres de choisir et d’agir dans un contexte riche en opportunités, reprennent le contrôle sur leur vie.

Lorsque les femmes subissent des violences psychologique, physique, sexuelle et économique, ce qu’elles veulent faire ou penser devient secondaire, car c’est leur conjoint qui choisit. Les violences sociales et économiques ont en outre pour effet de réduire les options auxquelles les femmes ont accès. La violence sociale qui caractérise le processus d’isolement dans lequel certaines femmes sont engagées est généralement insidieuse et ne se concrétise pas seulement par un empêchement catégorique de fréquenter les proches. Dans les faits, le processus d’isolement en est un d’appauvrissement des relations par lequel les femmes ne peuvent pas s’investir dans l’entretien des liens avec leur entourage. Le fait de placer les femmes dans un réseau restreint et contraignant au sein duquel ils sont en lien avec tout le monde permet aux conjoints violents de garder le contrôle sur l’information qui se rend jusqu’aux femmes, de même que sur l’information qui circule à leur sujet. Cette configuration favorise le maintien du secret entourant la violence.

Outre les actions des conjoints violents, celles de l’entourage influencent aussi l’autonomie des femmes. Dans l’optique de les mettre en lumière, trois catégories d’actions ont été dégagées des entrevues avec les participantes à notre étude. La première est celle de l’appropriation du problème. Les membres de l’entourage dont les actions peuvent être associées à cette catégorie expriment leur colère, menacent, donnent des ordres et surveillent. Ils prennent les choses en charge, choisissent et agissent, peu importe si leurs actions dépossèdent les femmes des décisions et des actions à entreprendre. La deuxième catégorie est celle du refus du problème. Les membres de l’entourage demeurent dans ce cas à l’écart en exprimant un doute, en blâmant les femmes, en les rejetant ou en se retirant de leur relation avec elles. Dans tous les cas, ces personnes se retirent des options possibles afin d’obtenir un soutien. Dans la troisième catégorie d’action, les proches prennent une juste part du problème. L’entourage s’implique alors, mais sans déposséder les femmes des décisions qui les concernent. Plus précisément, l’entourage respecte les choix et le rythme des femmes, leur exprime un appui, les aide et, ultimement, les réfère aux ressources susceptibles de leur venir en aide.

Les actions des proches peuvent être pensées en lien avec leur influence potentielle sur les actions des femmes. Plusieurs actions peuvent pousser les femmes à se taire, par peur des conséquences que leur parole pourrait engendrer. L’expression de colère et de menaces, les ordres et la surveillance sont plutôt efficaces pour faire taire les femmes. Les ordres et la surveillance, en les contraignant et en leur bloquant des options, sont même associés à un retour des femmes avec leur agresseur, tantôt parce qu’elles n’étaient pas prêtes à le quitter, tantôt parce qu’elles espèrent retrouver auprès de lui une meilleure capacité à agir. Les actions des proches qui sont associées à un refus du problème sont moins ancrées que les précédentes dans le processus d’autonomisation des femmes, sinon par leurs effets sur la configuration de leur réseau et l’autonomie structurelle qu’elles y trouvent. Les proches qui témoignent du respect, qui soutiennent et qui réfèrent les femmes aux ressources qu’elles jugent appropriées pour leur venir en aide alors que celles-ci sont prêtes à y être référées contribuent à promouvoir leur liberté et à développer leurs options. Lorsque ces opportunités conduisent vers des milieux d’intervention, ce sont les actions des professionnelles qui y travaillent qui seront alors susceptibles d’accompagner les femmes vers leur autonomisation.

Cet article n’est pas sans limites. Premièrement, les actions du conjoint violent sont limitées à celles pouvant être associées à différents types de violence; il n’a pas été question, dans les dossiers ou les entrevues, des actions du conjoint pouvant contribuer à augmenter leur autonomie. Bien que les actions positives du conjoint soient moins probables au sein d’une dynamique de violence coercitive et de contrôle qu’au sein d’un autre type de violence ou d’une relation non-violente, elles ne sont pas impossibles et devront être intégrées à de futures recherches. Dans le même ordre d’idées, les actions de l’entourage évoquées dans le cadre de cette étude demeurent centrées sur la situation de violence; il ne s’agit pas de comprendre la ligne d’action globale des personnes ou leurs réactions à des problématiques antérieures. Dresser un historique complet des relations des femmes pourrait s’avérer pertinent pour comprendre la confiance ou la méfiance qu’elles leur accordent, celles-ci pouvant s’installer ou s’amenuiser à travers le temps (Burt, 2005).

Dans une future recherche, il serait par ailleurs pertinent de diversifier les lieux de recrutement. Alors que nous nous sommes ici concentrés sur les femmes accueillies en maison d’hébergement, il serait aussi pertinent de comparer le réseau de ces femmes avec celui de femmes qui seraient suivies, par exemple, par des organismes liés spécifiquement au système de justice. Il serait alors adéquat de porter une attention particulière aux acteurs et actrices du système de justice et à leur impact sur l’autonomie relationnelle des femmes : les avocats, les intervenant.e.s, les juges et les policiers agissent-ils de sorte à préserver l’autonomie relationnelle des femmes?