Corps de l’article

L’explosion contemporaine du phénomène patrimonial a souvent été regardée comme une aubaine par les collectivités publiques locales. C’est une manière de valoriser un patrimoine qui sort des standards de la reconnaissance hypermédiatique et de l’idée conformiste que les touristes se font du patrimoine emblématique et des sites iconiques. En France, la décentralisation (commencée au début des années 1980) a été un vecteur de la décentralisation patrimoniale et de l’enrichissement de l’offre, mais aussi un facteur d’affirmation identitaire. Une forme de concurrence territoriale s’est développée à partir du rapport au patrimoine, le patrimoine conçu comme ressource de stratégie marketing. La course aux labels est le reflet de cette situation. Le patrimoine industriel, parce qu’il renvoie à une histoire difficile (le traumatisme de la désindustrialisation), paraissait devoir rester à l’écart de ce mouvement de réappropriation patrimoniale. Le label « Ville et Pays d’art et d’histoire » a-t-il permis de dépasser cette sorte de mésestime qui a longtemps frappé les territoires marqués par la fin de la civilisation industrielle? A-t-il réussi à valoriser un nouveau type de patrimoine et de territoire? Comment la labellisation, en liaison avec le processus de « métropolisation », peut être un facteur de stimulation des politiques publiques de dynamisation territoriale?

Trois cas concrets vont nous permettre d’éclairer cette problématique, qu’il conviendrait d’approfondir, car les études sont encore très rares (Saez, Landel et Périgois 2007).

Le label Pays d’Art et d’Histoire

Le label « Ville et Pays d’art et d’histoire » n’a pas surgi de rien. Comme l’écrit Nicolas Navarro, ce label est le révélateur d’un processus de « municipalisation » des politiques patrimoniales : « Ce label manifeste ainsi la montée en puissance du rôle des collectivités locales, illustrant une nouvelle répartition des tâches entre celles-ci et les administrations centrales du ministère de la Culture » (Navarro 2020).

Les Pays d’art et d’histoire (dorénavant PAH) sont des territoires qui sont « conscients des enjeux que représente l’appropriation de leur architecture et de leur patrimoine par les habitants, et qui s’engagent dans une démarche active de connaissance, de conservation, de médiation et de soutien à la qualité architecturale et du cadre de vie[1] ». Créé en 1985, ce label est attribué par le ministre de la Culture, après avis du Conseil national des Villes et Pays d’Art et d’Histoire, aux communes ou groupements de communes qui s’engagent dans une politique de sensibilisation des habitants, des visiteurs et du jeune public à la qualité du patrimoine, de l’architecture et du cadre de vie. Ce label succède à l’appellation « Ville d’art » disparue en 2005. À ce jour, le réseau national compte 190 Villes et Pays d’art et d’histoire : 119 Villes d’art et d’histoire et 71 Pays d’art et d’histoire.

Un projet PAH doit répondre à quatre critères principaux :

un réel engagement politique des collectivités candidates à faire de la culture, de l’architecture et du patrimoine un projet local de développement.

un périmètre pertinent défini à partir de critères de cohérence historique, géographique, démographique et culturelle ;

les moyens mis en oeuvre par la collectivité candidate pour assurer la connaissance, la conservation, la protection et la valorisation du paysage, de l’architecture et du patrimoine ainsi que la capacité à respecter dans le temps les engagements liés à l’attribution du label en termes matériel, financier et humain;

la déclinaison explicite du projet VPah dans les politiques locales menées par les collectivités candidates.

Il s’agit donc d’un projet lourd, complexe, qui implique généralement plusieurs collectivités, dont l’échelle territoriale est plus large que ce que requiert le label « Ville d’Art et d’Histoire ».

C’est un enjeu important pour une collectivité locale qui y voit un levier visant à conforter son image, améliorer la connaissance de soi, s’inscrire dans un réseau et participer à la (re)dynamisation territoriale. Les Villes et Pays d’art et d’histoire constituent un réseau national d’échanges, d’expériences et de savoir-faire et elles bénéficient d’une promotion nationale par le biais de dépliants, d’affiches et d’une communication sur le site du ministère de la Culturel (Direction générale des patrimoines). Mais les collectivités ne doivent pas sous-estimer la difficulté d’un tel projet, car le ministère de la Culture assortit l’attribution du label à une exigence de prise en compte de la notion de « territoire », ce qui complexifie la démarche, élargit le périmètre du patrimoine et implique le recours à des expertises de haut niveau :

Ce projet doit reposer sur un dispositif transversal à l’action du territoire pour mieux accompagner les décideurs et les agents publics, mais aussi l’ensemble des acteurs locaux qui participent à la valorisation de l’architecture, du patrimoine, du paysage et à l’élaboration du cadre de vie. La politique des Villes et Pays d’art et d’histoire concerne en effet de nombreux domaines de compétences comme l’action culturelle, l’action éducative, l’habitat, l’urbanisme et les services techniques, le développement durable, le tourisme, etc[2].

Les PAH sont majoritairement présents dans la partie sud du pays. Cela s’explique par la réunion de plusieurs villes qui ne profitent pas du tourisme porté sur l’héliotropisme car trop éloignées des stations balnéaires et des hauts lieux touristiques de l’extrême sud. Les PAH du Sud de la France sont souvent implantés au coeur d’un territoire en tentant de le rendre plus attractif par le biais du label Pays d’Art et d’Histoire. Néanmoins, ce label n’est pas seulement réductible à un enjeu touristique : il a aussi une fonction de lien identitaire pour la population locale à travers la mise en valeur du patrimoine local. Dans le Nord, le faible nombre de labellisations Pays d’art et d’histoire s’explique par l’image peu attractive associée à ces territoires dans les représentations collectives, souvent en raison de la présence importante du patrimoine industriel. Néanmoins, tout comme Saint-Étienne, les PAH présents dans le Nord peuvent utiliser leur histoire industrielle comme vecteur de tourisme patrimonial.

Dans le cadre de notre enquête, nous avons été amenés à nous questionner sur l’impact touristique de ce label sur les territoires concernés. Il nous a fallu alors répertorier et analyser les liens entre ces structures de valorisation territoriale et le tourisme local. A partir des quelques données que nous avons pu récolter par le biais d’un questionnaire auprès des responsables des PAH, nous avons pu aussi entrer en contact directement avec Emilie Lhoste responsable du PAH de la métropole de Rouen et David Bouvier représentant le PAH du Val d’Argent autour de la commune de Sainte Marie aux Mines[3].

À partir de ce travail, nous pouvons, dès à présent rendre compte de quelques points sur la relation existante entre Pays d’Art et d’Histoire et patrimoine industriel. Si l’exemple de la métropole de Rouen illustrera le fait que le patrimoine industriel est un héritage trop peu pris en compte dans les stratégies des PAH, a contrario, celui de Sainte Marie au Mines nous montrera que des exceptions existent et que le patrimoine peut être une ressource touristique pour les territoires concernés.

Le Pays d’Art et d’Histoire de Rouen : un changement de stratégie patrimoniale dans le cadre d’une communication de crise

En tant que premier port ouest-européen exportateur de céréales, nous aurions pu penser que cette métropole normande mette en avant son riche patrimoine industriel. Pourtant, la Métropole Rouen Normandie, que nous avons eu l’occasion de contacter au moment de la rédaction de notre rapport, nous a appris que ce type de patrimoine n’était pas au coeur des stratégies touristiques. En effet, labellisé Pays d’Art et d’Histoire depuis 2012, la métropole travaille beaucoup sur son patrimoine religieux et médiéval ainsi que sur son patrimoine naturel avec l’organisation d’événements comme les « Cités Jardins – Cités de demain » ou la participation à l’ouverture pour 2025 du musée Beauvoisine selon Emilie Lhoste, responsable depuis 2016 du service patrimoine de la métropole.

Malgré cette faible représentativité du patrimoine industriel dans les stratégies de développement touristique, et aussi dans d’autres documents, tels que le diagnostic territorial du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUI)[4], la région présente des exemples remarquables de ce type de patrimoine[5]. Ainsi les communes de la rive gauche de la Seine ont vu se multiplier les usines de production textile, métallurgique, chimique et papetière à partir du XIXe siècle. Grâce à ces activités, la région possède non seulement plusieurs logements ouvriers et ateliers mais aussi des bâtiments industriels significatifs. La commune d’Oissel, notamment, conserve des filatures à bras des années 1830 (telle l’entreprise Dubois, située rue Jean-Baptiste Pigerre), ainsi que d’autres structures qui témoignent de diverses techniques de ce type de production (filatures actionnées par des manèges à chevaux et filatures industrielles mues à la vapeur). Dans d’autres communes, une vaste usine appartenant jusqu’à 1931 à la Société cotonnière à Saint-Étienne-du-Rouvray conserve des éléments remarquables de l’architecture industrielle tels que les ateliers en briques et toits en sheds. À Rouen, la filature La Ruche a subi une reconversion de ses structures en logements. Au Petit Quevilly se trouve un des bâtiments le plus emblématiques de la région la filature la Foudre, construit dans la première moitié du XIXe siècle remarquable par sa volumétrie, sa texture en brique et le rythme de ses ouvertures[6].

Les potentialités du patrimoine industriel de la région sont donc à la fois évidentes et peu prises en compte. Nous avons retenu de notre entretien avec Emilie Lhoste que si jusqu’à présent le PAH de Rouen ne mettait pas en avant son patrimoine industriel, cette stratégie est aujourd’hui remise en question. En effet, le service PAH étant un service de la commune, celui-ci, dans les années à venir va s’attacher à répondre à un projet politique de la Métropole de Rouen, à savoir redorer l’image du secteur industriel sur le territoire. Ce changement de stratégie doit donc revaloriser l’image de l’industrie qui est en général mal perçue car associée depuis la fin de l’ère industrielle au chômage et à la détresse sociale. En outre, cette image s’est encore dégradée depuis la catastrophe de Lubrizol, le 26 septembre 2019.

Ainsi pour répondre à cette problématique, le service Pays d’Art et d’Histoire de Rouen envisage le développement d’un parcours du patrimoine industriel dans le cadre d’une action d’accompagnement de l’aménagement du territoire. De plus, en lien avec d’autres structures comme le service Habitat de la métropole, le PAH s’attache à développer des outils de médiation sur le thème de la Reconstruction[7].

Comme actions en cours, nous pouvons citer, par exemple, certains itinéraires et expositions temporaires réalisées en 2019 : une visite guidée aux manufactures à Elbeuf et une exposition intitulée « Héritages et récits de la raffinerie de Petit-Couronne – une enquête ethnologique » qui cherche à mettre en valeur par des vidéos, photographies et installations plastiques la mémoire industrielle, technique, sociale et collective du lieu.

Le cas de la métropole de Rouen est représentatif d’un phénomène plus large. Le patrimoine industriel est en effet très peu mis en avant par les services PAH des différents territoires de France. La majorité des PAH concerne des territoires ruraux (contrairement aux Villes d’art et d’histoire qui eux concernent surtout des espaces urbains) et mise avant tout sur le tourisme « vert » selon les réponses des dix PAH ayant répondu à notre questionnaire lors de l’élaboration de notre travail. Le Val d’Argent apparaît comme une exception.

Le Pays d’Art et d’Histoire du Val d’Argent (Sainte Marie aux Mines) : un exemple de mise en valeur d’un riche patrimoine industriel

Le Pays d’Art et d’Histoire du Val d’Argent se situe sur deux départements : le Haut Rhin et Bas Rhin. La commune de Sainte-Marie aux Mines se trouve à 20 kilomètres de la route des vins, il est donc difficile d’attirer des habitants de Colmar. En outre, le logement dans le Val d’Argent est moins cher que dans la plaine, beaucoup préfèrent donc y loger mais visitent Strasbourg ou Colmar en journée. L’ambition du PAH est de faire rester ces visiteurs sur le territoire. Pour cela, des pots d’accueil pour les touristes sont organisés, avec dégustation de vin blanc artisanal, afin de leur présenter le programme des visites guidées.

On y trouvait, entre le XIe et le XXe siècle, une importante activité minière, notamment des mines d’argent. Puis l’industrie textile s’y est implantée à partir du milieu du XVIIIe siècle et jusqu’aux années 1970. Les usines textiles faisaient vivre jusqu’à 20 000 personnes. Ce secteur s’est effondré dans les années 1970 face à la concurrence des pays émergeants et des évolutions rapides de la mode. On comptait sur le territoire 150 usines textiles en 1900 contre une seule encore en activité en 2020.

Les autorités locales de ce territoire ont désiré obtenir le label Pays d’Art et d’Histoire tout d’abord pour redonner une image positive du territoire aux touristes et, surtout, aux habitants. C’est en 1987 qu’apparaît le concept de « Val d’Argent », remplaçant peu à peu le nom de Sainte-Marie aux Mines qui avait une connotation de lieu sinistré (la connotation répulsive du mot « mines »). Afin de relancer le tourisme, le territoire développa des manifestations événementielles. On peut par exemple penser au salon international Mineral and Gems qui a lieu tous les ans le dernier weekend du mois de juin. Le territoire organise également deux salons en lien avec les arts textiles (défilés de mode, expositions de tissus…) : le salon Mode et Tissus et le Carrefour du patchwork.

C’est à Sainte-Marie-aux-Mines que l’on trouve le berceau du mouvement Amish. Il apparaît sur ce territoire en 1693 et s’est notamment illustré par la création de patchworks. En 1993, un groupe d’Amish est venu à Sainte-Marie et a présenté une exposition de patchworks sur trois jours. Cela a beaucoup intéressé les habitants et la collectivité locale a donc eu l’idée de créer un événement annuel autour du patchwork qui attire entre 20 000 et 25 000 visiteurs. C’est dans ce contexte et dans le prolongement de ces efforts que le Val d’Argent candidate pour l’obtention du label Pays d’Art et d’Histoire à partir de 1997.

À cette époque, le territoire parvient à attirer des touristes mais ceux qui vivent sur le territoire en ont encore une opinion très négative. L’idée était d’obtenir un label d’importance nationale pour mettre en place un programme qui se tourne d’abord vers les habitants afin de les sensibiliser à leur patrimoine local pour qu’ils le reconnaissent à sa juste valeur. La dimension touristique n’est pas inexistante, elle a même une certaine importance, mais elle n’est pas prépondérante pour le Val d’Argent.

Dès 1997, une première étude est menée sur le territoire afin d’étudier les potentiels avantages de l’obtention d’un label Pays d’Art et d’Histoire pour le Val d’Argent. Suite à cette étude, un dossier de candidature est monté entre 2001 et 2003 mais il fut rejeté car les politiques culturelles que les professionnels du patrimoine voulaient mettre en place n’étaient pas assez explicites.

En 2003, à la suite de ce refus, un nouveau dossier est rédigé avec pour idée principale de développer un programme d’animation qui permettrait de créer une image positive du territoire. La convention Pays d’Art et d’Histoire fut signée en 2005. À l’origine, l’équipe comptait une animatrice du patrimoine et un adjoint. Aujourd’hui, le service Pays d’Art et d’Histoire du Val d’Argent gère les archives de 12 communes différentes en plus de la mise en valeur du patrimoine sur le territoire. Le Pays d’Art et d’Histoire est rattaché à la communauté de communes du Val d’Argent. Le PAH travaille également en collaboration avec l’Office du Tourisme notamment pour les plaquettes explicatives : la conception est assurée par le PAH et la diffusion par l’Office du Tourisme.

Afin de revaloriser l’histoire du territoire il fallait mettre en valeur les bâtiments encore debout, vestiges de l’ère de prospérité industrielle du territoire. Un travail important fut donc mené autour du patrimoine industriel : on comptait plus de 150 vestiges d’usines textiles sur le territoire. Des plaques explicatives furent posées sur les bâtiments. Le but était de sensibiliser la population locale pour que les propriétaires ne dénaturent pas ces bâtiments industriels mais fassent plutôt des travaux de réhabilitation tout en maintenant l’architecture globale et les éléments d’origine.

Sur ce territoire, le patrimoine minier est prépondérant : quatre mines sont ouvertes aux touristes dont le musée de la mine qui présente une mine du XVIe siècle. Ce patrimoine est mis en avant de façon importante par l’office du tourisme. En revanche, il est plus difficile de susciter l’intérêt du public autour du patrimoine textile. En effet, il ne correspond pas à l’image que la majorité des gens ont de l’Alsace, qui s’attendent plutôt à voir des maisons à colombages. Il est donc nécessaire de trouver un autre point d’accroche, plus attractif pour le public. Ainsi, l’angle des jardins industriels comme porte d’entrée pour intéresser les visiteurs et combattre l’idée préconçue du territoire est assez efficace. Dans chaque commune du Val d’Argent des visites guidées de découverte du patrimoine sont organisées. On compte entre quatre et cinq visites par semaine en été, toutes sont gratuites. L’idée est de montrer qu’une activité industrielle du passé peut encore avoir des traces dans le paysage. Ces visites guidées sont réalisées sous forme de balades d’environ 2h30 à pied. L’aspect naturel de ces balades est un élément apprécié par les visiteurs. Ces excursions permettent de découvrir ce patrimoine a priori peu attractif de façon ludique et pédagogique.

Dans cette volonté de faire découvrir le patrimoine de la façon la plus agréable possible, le PAH organise également des visites théâtralisées ou visites contées. Il s’agit d’un parcours dans une ville en 6 étapes, à chaque étape un acteur en costume est présent et complète le discours du guide qui est également en costume d’époque. En 2019, ces visites contées étaient organisées sur le thème des migrants. La visite est marquée par l’alternance entre le jeu d’acteur et les commentaires du guide, entre le ludique et le sérieux. Chaque partie dure entre 5 et 7 minutes. En moyenne, on compte environ 80 personnes par visite, pour environ 5 visites par saison.

On peut ainsi constater dans ce cas d’étude que malgré une réputation de territoire sinistré et un manque de soutien de ses habitants, le PAH du Val d’Argent a réussi à produire en une décennie une évolution sensible de son image. De plus, le PAH se donne les moyens de réussir sa mission : le Val d’Argent est un des seuls sites labellisés que nous ayons contacté qui a un site internet récent, tenu à jour et prêt à nous aider. De plus, David Bouvier qui a été notre interlocuteur a toujours été rapide, spontané et prêt à répondre à nos questions tout en nous fournissant de la documentation. Une personne passionnée à la tête du label permet de l’utiliser et de produire un contenu qui manque parfois à d’autres institutions ou de combler les vides laissés par un manque de personnel culturel dans les strates administratives du territoire.

Le projet actuel de labellisation de Saint-Étienne Métropole

Il est intéressant de noter que le processus d’émergence de l’idée d’un label à l’échelle du Stéphanois a eu pour origine une réflexion d’élus locaux à partir des équipements touristiques de valorisation patrimoniale. L’impulsion n’est pas venue de la seule capitale régionale, Saint-Étienne, première ville à être labellisée « Ville d’Art et d’Histoire » pour son patrimoine industriel en 2001. La Ville de Firminy a joué un rôle important dans le cadre du plan de gestion Unesco qui prévoit une réflexion pour la création d’une « Ville d’art et d’histoire ». Au regard de l’expérience et des similitudes historiques entre les territoires, Firminy a souhaité se rapprocher de la Ville de Saint-Étienne qui était déjà labellisée « Ville d’Art et d’Histoire » (et non « Pays d’Art et d’Histoire »). La Ville de Saint-Chamond, fortement engagée dans des projets de valorisation de son patrimoine, a fait part de sa volonté d’intégrer une réflexion plus large à l’échelle du territoire. La Ville de Saint-Galmier s’est trouvée dans une situation singulière, suite à son intégration dans le périmètre de Saint-Étienne Métropole, qui implique son retrait du « Pays d’Art et d’Histoire » du Forez ; cette situation a encouragé la mise en place d’une approche plus large et plus complexe de la connaissance et de la valorisation du patrimoine dans un nouveau cadre « métropolitain ». Le développement en France du concept de « métropole » a été ici un facteur décisif du projet de labellisation. L’État a appuyé la démarche. Ainsi, dans le cadre du renouvellement de sa convention « Ville d’art et d’histoire », la Ville de Saint-Étienne a été invitée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) à prévoir l’extension de son label en « Pays d’art et d’histoire » à l’échelle de Saint-Étienne Métropole.

On peut donc considérer que le projet de labellisation « Pays d’Art et d’Histoire » procède d’une logique extension du territoire labellisé « Ville d’art et d’histoire » de la Ville de Saint-Étienne. Mais la DRAC a souhaité qu’un travail soit amorcé entre les villes volontaires par des actions de préfiguration. Le label est regardé par les élus comme un moyen de créer du lien et de la profondeur entre ces 53 communes qui doivent imaginer un avenir commun dans le cadre de cette nouvelle institution qu’est la « métropole », un avenir qui passe par la réappropriation du passé et du patrimoine. On a pu à bon escient parler d’une « injonction métropolitaine à l’actualisation du patrimoine » (Djament-Tran 2015).

Même si les enjeux mis en valeur par les élus de la Métropole visent d’abord la valorisation touristique de son patrimoine, le label « Pays d’Art et d’Histoire », dans sa préparation, permet de créer une dynamique culturelle et patrimoniale à l’échelle d’un territoire qui s’accompagne d’une démarche de reconnaissance du patrimoine.

Pour le territoire, à suivre les conclusions d’un Bureau communautaire de Saint-Étienne Métropole du 18 mai 2017, les enjeux de ce label sont les suivants :

  • se doter d’une stratégie de valorisation du patrimoine en lien notamment avec la compétence tourisme de la Communauté Urbaine;

  • disposer d’un plan d’actions coordonné à l’échelle des 53 communes et ainsi proposer de nouveaux services aux communes membres;

  • offrir aux habitants des produits de découverte leur permettant une appropriation du territoire et de leur cadre de vie;

  • proposer une offre touristique structurée et homogène à l’échelle du territoire;

  • améliorer la stratégie en termes de planification pour les questions relatives au patrimoine.

La première étape est en cours de réalisation. Elle consiste essentiellement à dresser l’inventaire du patrimoine de l’ensemble des communes, à concevoir des actions de préfiguration et à construire des propositions de thèmes qui pourraient être développés pour donner une identité au nouveau label et créer une dynamique patrimoniale partagée à l’échelle du territoire. À cette fin, l’Agence d’urbanisme EPURES a engagé un recensement du patrimoine bâti sur le territoire métropolitain auquel certains étudiants du master Histoire-Civilisation-Patrimoine de l’université Jean Monnet ont participé, et notamment l’une des signataires de cet article[8].

Ancienne grande région industrielle de France, il était inévitable que le patrimoine industriel soit regardé comme le socle commun des 53 communes de l’intercommunalité qui n’hésite pas à investir depuis quelques années dans des équipements intercommunaux mettant en valeur le patrimoine industriel à l’image du site du rocher percé dans la vallée du Gier ou du centre d’interprétation de l’eau dans la vallée de Cotatay au Chambon-Feugerolles.

Conclusion

Le patrimoine industriel est aujourd’hui encore un patrimoine en grande partie déprécié dans sa valeur mémorielle : il est souvent associé au chômage, aux drames sociaux ou encore aux catastrophes industrielles dans les représentations collectives. C’est un patrimoine dont le potentiel touristique est encore largement sous-estimé notamment par des acteurs institutionnels comme les territoires labellisés Pays d’Art et d’Histoire.

Pourtant, les traces de l’industrialisation sont encore visibles tout autour de nous. Certains vestiges de cette industrie deviennent même de nouveaux lieux de découverte. L’urbex, pour urban exploration[9], par exemple, prend une ampleur de plus en plus importante notamment chez les jeunes via les réseaux sociaux. Cette pratique semble « réhabiliter » une partie de ce patrimoine, notamment les friches abandonnées. Les plateformes de diffusion en ligne comme YouTube voient fleurir depuis quelques années d’innombrables vidéos d’urbex qui attirent des centaines de milliers de spectateurs. Ceci est la preuve que ce patrimoine peut se montrer attractif, même si le sentiment de braver l’interdit, de visiter des lieux en marge des circuits touristiques « conventionnels », joue sans doute un rôle important dans cette attractivité auprès du public.

Cette appropriation du patrimoine industriel sur les réseaux sociaux dévoile une certaine acceptation de l’esthétique industrielle de la part du public en général. Sur les images présentes sur les diverses plateformes virtuelles on remarque que les usagers cherchent à mettre en valeur des détails et surtout l’aspect vétuste des bâtiments (la rouille des surfaces, les détails des équipements et structures métalliques et aussi la végétation qui reprend sa place dans les bâtiments souvent abandonnés) en tant qu’éléments qualifiants la photo. Il s’agit donc d’une certaine façon, d’une lecture alternative du patrimoine urbain et du tourisme, étant donné qu’il existe déjà des flux de personnes qui se déplacent pour exploiter des espaces insolites d’ailleurs.

Malgré tout, comme nous l’avons montré, le patrimoine industriel est souvent délaissé par des organismes spécialisés comme les Pays d’Art et d’Histoire, au profit souvent d’un patrimoine perçu comme plus « noble », tel que le patrimoine médiéval. La mémoire douloureuse des dégâts sociaux et économiques causés par le choc de la désindustrialisation n’est pas étrangère à ce phénomène de distanciation. Pendant ces longues années de crise et de transformation identitaire, le retour au passé était regardé comme la confirmation d’une menace et l’approche patrimoniale perçue comme une oeuvre thanatologique! La métropole de Rouen a été un exemple typique de ce phénomène mais pas seulement. En effet, Rouen a aussi été un cas d’étude éclairant pour nous car cet exemple nous a permis de comprendre comment les pouvoirs publics peuvent se servir du patrimoine dans le cadre de leur politique et de leur communication de crise. En effet, dans les prochaines années le service PAH de la métropole s’attachera à revaloriser l’image de l’industrie, d’autant plus dépréciée dans cette région après la catastrophe de l’usine Lubrizol. L’exemple de Rouen, nous rappelle ainsi que les labels PAH sont portés par des intérêts politiques, ils ne sont pas seulement des gages de conservation d’un patrimoine local ni un simple outil marketing pour attirer plus de touristes. Nous retiendrons aussi et surtout que Rouen est représentatif d’une majorité des PAH en France dans sa façon de laisser de côté son patrimoine industriel.

Néanmoins, des contre-exemples existent, comme le Pays d’Art et d’Histoire du Val d’Argent, autour de la petite commune de Sainte Marie aux Mines. L’équipe de ce PAH a compris que l’histoire industrielle locale est tout aussi importante que d’autres aspects de son histoire pour mettre en valeur le territoire. Cette valorisation est certes destinée aux touristes mais elle vise en premier lieu à redorer l’image de ce territoire auprès de la population locale afin qu’elle puisse s’approprier de façon positive sa propre histoire et en conserver la mémoire pour des générations futures. Cette démarche a l’égard de la population des anciens territoires industriels est également présente au sein d’autres labellisation à l’instar du bassin du Nord Pas-de-Calais reconnu patrimoine mondial de l’humanité en 2011 par l’UNESCO.

Durant de nombreuses années les anciens bassins industriels ont eu des réticences à mettre en valeur leur héritage expliquant ainsi le nombre réduit de PAH au sein de ces contrées. Cette tendance paraît quelque peu s’inverser avec la gestation de projets de PAH mettant en avant le patrimoine industriel. Ainsi la ville de Saint-Étienne labellisée depuis 2000 Ville d’art et d’histoire est en train d’élaborer dans le cadre de l’intercommunalité un dossier de candidature pour transformer ce label en Pays d’art et d’histoire. Si plusieurs actions ont déjà été mises en oeuvre à l’échelle du territoire de l’agglomération stéphanoise, elles sont majoritairement liées au patrimoine industriel[10].

Ces intiatives témoignent de la nature « constructiviste » (Rautenberg 2003 : 17) de la démarche patrimoniale et des effets structurants des processus de labellisation dans les politiques publiques de dynamisation territoriale.