Corps de l’article

Une crise conjoncturelle inédite

L’année 2020 marquera la plus grande révolution que le secteur du tourisme mondial ait eu à affronter au cours de son histoire. L’importance de la crise est telle que, fait inédit, toutes les composantes de ce secteur sont impactées : les tourismes nationaux et internationaux, le tourisme d’affaires et le tourisme de loisir, le tourisme de masse et ceux de niche. L’offre touristique va devoir composer avec des réglementations sanitaires nationales et internationales complexes, voire des interdictions de voyager, impactant à la fois les pays émetteurs, mixtes et récepteurs.

La même complexité prévaut concernant la demande touristique. Deux exemples révélateurs : la généralisation du télétravail va-t-elle perdurer dans l’après-crise, impactant ainsi fortement le tourisme d’affaires ? Quelles incidences la crise aura-t-elle sur le comportement du consommateur à l’égard du tourisme de loisir ? Des données rationnelles peuvent être prises en compte, mais elles sont contradictoires (exemple : baisse du pouvoir d’achat en France d’environ 25 % en deux mois, mais hausse de l’épargne « forcée » de 55 milliards d’euros dont personne ne peut prévoir l’utilisation finale) (de Calignon, 2020). De plus, comment appréhender les données psychologiques déterminantes du comportement touristique futur des individus et des ménages ? « Le risque perçu (et pas nécessairement réel) est le facteur fondamental qui guide la prise de décision des touristes de se rendre dans une destination » (Delaplace et al., 2018).

Le tourisme dans son ensemble va donc connaître une évolution, voire une mutation de son fonctionnement : d’abord la disparition potentielle d’un tourisme de masse tel que pratiqué avant crise (« surtourisme ») ; suivie de la prise en compte majorée de l’écologie aussi bien pour l’offre (impact des transports) que pour la demande touristique (critères de choix des consommateurs) ; finalement le développement d’un tourisme socialement plus responsable et ancré sur le sens du voyage.

Cette évolution–mutation va se traduire par deux formes de résilience : la première vise « non pas à s’opposer à l’aléa, mais à en réduire au maximum les impacts » (Dauphiné et Provitolo, 2007 : 3). En cela, la résilience est un « outil d’aide stratégique » qui vise à atténuer le choc et à retourner au plus vite à l’état initial (Duval et Vogel, 2008 : 4). Cette conception correspond au sens du mot latin resillire, « rebondir » (Kurtz, 2014).

La deuxième conception vise à dépasser l’adaptation au choc, pour « développer de nouveaux chemins de croissance. [Ici] la résilience renvoie à la capacité à se renouveler après la survenue de risques. Résilience et stabilité sont donc différentes, dans la mesure où résilience ne signifie pas revenir à la situation initiale[1] » (Boschama, 2015). Plus qu’un simple outil d’aide stratégique pour faire face à la crise, la résilience devient alors un vecteur d’innovation stratégique. Nous appellerons ici cette notion « la résilience dynamique », comprise comme « les capacités d’invention de nouvelles ressources ou valeurs en contexte de changement » (Hamdouch et al., 2012).

Pour appréhender ces bouleversements, nous avons choisi d’effectuer une analyse qualitative sur un espace géographique précis, la région Occitanie en France. Cette région est représentative de beaucoup de secteurs concernés : elle est à la fois riche en tourisme d’affaires, en visiteurs locaux et nationaux, vise au développement de son tourisme international, et comprend nombre de typologies de tourismes : patrimoine, culture, gastronomie, nature, etc. Elle est également une région traversante du tourisme européen, notamment entre l’Espagne, la France et le nord de l’Europe.

Touchée comme toutes les régions françaises par la crise de la COVID-19, l’Occitanie a connu une forme de résilience intimement liée aux plans de sauvegarde nationaux, qu’il est utile de présenter dans une première partie de l’analyse, en tant qu’outil d’aide stratégique pour faire face à la crise. Dans un deuxième temps, il est intéressant de tenter de penser la résilience sur le territoire occitan en tant que vecteur d’innovation stratégique, dans une prospective liée au concept de résilience dynamique.

La résilience en Occitanie : outil d’aide stratégique

Globalement, les répercussions de la crise sur le secteur touristique occitan sont semblables à celles à l’échelle nationale, tant les fondamentaux sont négativement touchés sur tout le territoire. Ce même impact négatif se retrouve également sur tous les secteurs de la filière.

Sur le plan économique, les chiffres sont éloquents : la fermeture complète des structures d’accueil touche 95 % des restaurants, bars et hôtels, et une moyenne de 80 % des structures culturelles et sportives (Philippe, 2020). De même, pour les offres non pérennes (ouvertures saisonnières), le taux d’annulations ou de reports de séjours dépasse les 80 % (campings, chambres d’hôtes) (INSEE, 2020).

Au niveau des ressources humaines, 95 % des firmes professionnelles ont eu recours au chômage partiel pour plus de 80 % de leurs employés (Vignon, 2020). Au niveau financier, l’impact moyen sur le chiffre d’affaires des professionnels du tourisme a été de ‑33 % en février, ‑60 % en mars et ‑90 % en avril au plus fort de la crise (INSEE, 2020). Ces pertes sont des pertes sèches : en effet, contrairement à beaucoup de secteurs économiques (aéronautique, automobile…), le tourisme n’est pas une « industrie de stock », c’est une économie de consommation immédiate où il n’y a pas de rattrapage possible.

De plus, sur ces trois niveaux, économique, humain et financier, les prospectives de moyen terme sont assez désastreuses : comparativement à 2019, les chiffres des réservations en Occitanie pour l’année 2020 par les touristes internationaux et les touristes nationaux sont en baisse de 13 % et de 22 % respectivement (Chaigneau, 2020).

Face à cette situation, le « plan Marshall » français mis en place par les autorités publiques, tant nationales que régionales, constitue la trame de la résilience stratégique d’État. Ce plan est à la fois « une capacité, un processus et vise à un résultat » (Delaplace et al., 2018) ; il veut être une « bouée de sauvetage » pour la survie des entreprises et pour l’emploi et prévoit : 6,2 milliards d’euros de prêts garantis par l’État pour un total de 50 000 entreprises ; continuité jusqu’à la fin de 2020 du fonds de solidarité pour les entreprises du tourisme (jusqu’à 10 000 euros d’aide calculés sur les trois meilleurs mois de 2019) ; report des mensualités bancaires sur 12 mois et exonération des cotisations salariales et patronales pendant les périodes de fermeture. À cela s’ajoutent : un allègement de 50 % des taxes de séjour pour les collectivités ; la continuité du chômage partiel au moins jusqu’à la fin de l’automne 2020 ; le doublement du plafond des titres restaurants[2] (de 19 à 38 euros) utilisables désormais les fins de semaine (samedis et dimanches) et les jours fériés. Enfin, un plan de relance d’investissements publics (Caisse des dépôts et Bpifrance) à hauteur de 1,3 milliard d’euros et des investissements privés pour un montant total de 7 milliards d’euros sont mis en place.

En résumé, la France injecte dans l’économie touristique nationale 18 milliards d’euros (Philippe, 2020). De plus, la réouverture des cafés et des restaurants début juin et l’autorisation des vacances d’été en juillet et août sur le territoire national (hexagone et outre-mer) ont permis une reprise sinon totale, à tout le moins partielle, d’une offre et d’une demande touristiques nationales et régionales conséquentes, sinon suffisantes. En cela, l’État et les régions se posent en chantres de la défense de la performance organisationnelle (Hollnagel et al., 2009), construisant leur capacité de résilience face à un événement externe. Il s’agit ici de développer des projets visant à améliorer la résilience dans le temps, de façon réactive, d’apprendre du choc exogène et de traiter ses conséquences immédiates. Ce qui est alors recherché c’est le « retour à l’état de stabilité » de l’organisation (Altinas et Royer, 2009).

À l’image du territoire national et des autres régions françaises, l’Occitanie vise d’abord deux objectifs prioritaires de la résilience : premièrement « atténuer le choc », deuxièmement « retourner au plus vite à l’état initial » (Duval et Vogel, 2008 : 4).

Cette capacité de résistance face à la crise provoquée par l’environnement externe, la pandémie, requiert la prise en compte des trois dimensions énoncées par Karl E. Weick et Kathleen M. Sutcliffe (2007) : la capacité d’absorption permettant de ne pas s’effondrer devant l’inattendu ou un choc ; la capacité de renouvellement par laquelle la région peut s’inventer de nouveaux futurs ; la capacité d’appropriation permettant de devenir plus fort en capitalisant sur ses expériences.

Ces capacités d’absorption, de renouvellement et d’appropriation de la région Occitane sont indéniables. À l’échelle nationale, région qui vient au 11e rang (sur 18) des régions les plus riches et 5e région en nombre d’habitants, l’Occitanie attire annuellement au-delà de 50 000 nouveaux arrivants nationaux et se classe au 4e rang des régions touristiques françaises (Philippe, 2020). À l’échelle locale, si l’agriculture est le premier secteur économique de la région (140 000 actifs), le tourisme en est le deuxième (10 % du produit intérieur brut [PIB] régional, 100 000 emplois) (La région Occitanie, 2020a).

Le tourisme en Occitanie comporte de nombreux atouts importants en termes de résilience, dans la mesure où « exécuter un plan pour faire face à la crise dépend des ressources valables et disponibles » (Meyer, 1982). Nous pouvons, au regard de la crise contemporaine, synthétiser ces atouts suivant trois axes.

Premièrement, ce tourisme est structurellement très riche car très diversifié. Or, parmi les facteurs positifs qui augmentent la résilience d’un système ou d’une destination, « la diversité est un facteur éminemment positif » (Dauphiné et Provitolo, 2007 : 5). Cet élément est très important sinon pour atténuer les effets de la crise, à tout le moins pour accentuer les effets positifs de la reprise par la diversification de l’offre. L’Occitanie compte plusieurs pôles d’attractivité qui autorisent un développement protéiforme et multiscalaire : du tourisme d’affaires aux mobilités étudiantes, du tourisme patrimonial et culturel (8 sites classés au Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO, 300 musées, 12 villes classées « Arts et Histoire », 400 festivals annuels, 45 villages référencés « Plus Beaux Villages de France ») (Comité régional du tourisme Occitanie, 2019) au tourisme naturel (montagne, mer, campagne), la région dispose bien de nombreux atouts pour rebondir après la crise.

Deuxièmement, sa position géographique (accès aux façades méditerranéenne et pyrénéenne, lieu de passage privilégié vers la Catalogne) et son accessibilité hors aéroports[3] (300 gares, 15 autoroutes) sont des avantages indéniables en comparaison d’autres régions françaises très attractives mais enclavées et dépendantes d’une offre d’accessibilité pour l’instant très problématique (exemple de la Corse dont le tourisme ne peut fonctionner sans ferrys et avions).

Troisièmement, le fort ancrage d’une demande essentiellement nationale sur tous les secteurs de l’offre touristique occitane est un « avantage » indéniable. Or, on sait que la coprésence de différents types de touristes et d’habitants est un facteur de résilience des villes en tant que destination touristique. En outre, en cas de crise, la présence continue des résidents, mais également des touristes nationaux, « permet d’absorber en partie le choc dû à la diminution forte de la fréquentation touristique étrangère, le temps que cette fréquentation se redresse » (Delaplace et al., 2018). Le tissu touristique occitan est composé à 70 % de Français. Plus encore, la demande est très fortement régionale (37 % du total), ce qui peut vraisemblablement pérenniser le volume de touristes attendu sur les mois à venir. Enfin, parmi les 30 % de touristes étrangers, l’essentiel de la demande est frontalière (Espagne, 41 %), ce qui est aussi un gage de sécurité : nul besoin de recourir à des modalités de transport complexes, longues, potentiellement anxiogènes ou soumises à régulations, comme le transport aérien. Ainsi, certains pays émetteurs qui peuvent être cruciaux pour l’avenir de l’offre touristique dans de nombreuses régions françaises ont très peu d’influence sur l’économie touristique occitane : l’Angleterre ne représente que 7 % des visiteurs, l’Allemagne 2 %, et l’ensemble États-Unis–Canada 1 % (Comité régional du tourisme Occitanie, 2019).

Ce qui jusqu’alors passait pour un inconvénient, la faiblesse du tourisme international devient donc aujourd’hui gage de résilience à court et moyen terme pour la survie des entreprises locales. Il semble en effet clair que sur l’ensemble de l’année 2020, et ce à travers le monde, peu de touristes pourront ou voudront voyager à l’étranger et ils auront tendance à privilégier un voyage de loisir ethnocentrique, tant il est vrai que « la prise en compte du risque est omniprésente dans le choix de la destination par les touristes » (Croutsche et Roux, 2005 : 1). Il y aura donc un report positif des vacanciers français vers l’offre hexagonale, report dont l’Occitanie peut bénéficier grâce à la multiplicité de ses pôles d’attractivité déjà évoqués. De plus, même si l’Occitanie n’est pas la destination finale des « nouveaux » touristes d’après-crise, sa position de « transit » vers d’autres destinations françaises (Atlantique, Méditerranée, Pyrénées) ne pourra que lui être favorable.

Mais diversification, accessibilité aisée de l’offre et ethnocentricité de la demande ne peuvent suffire ; de nouveaux axes de développement doivent enrichir l’évolution du secteur touristique en Occitanie : la crise sanitaire peut être le catalyseur d’une réflexion sur les investissements à réaliser sur les futurs piliers de croissance du secteur.

La résilience dynamique en Occitanie : vecteur d’innovation

Si rester résilient est l’objectif recherché par tout territoire ayant construit une partie de sa stratégie de développement sur le tourisme, certaines situations de crise (guerres, terrorisme, catastrophes naturelles et ici pandémie) sont plus « acérées » et nécessitent une remise en cause profonde des systèmes de développement existants (Ait Tejan et Safaa, 2018).

Parmi ces nouveaux axes d’innovation dynamique, deux pistes représentatives occitanes peuvent être mises en avant à titre d’exemple : l’une au niveau régional, l’autre au niveau local.

Au niveau régional, le développement rapide de nouvelles typologies de tourisme, au côté d’offres déjà éprouvées (première région française en nombre de campings et d’établissements de thermalisme, plus grand nombre de « Plus Beaux Villages de France »), doit répondre aux nouvelles aspirations de nombre de consommateurs dans l’après-crise COVID-19. Ces nouvelles modalités touristiques innovantes peuvent en outre constituer un foyer d’investissements et d’emplois important.

La région Occitanie dispose à cet égard de divers avantages structurels à développer tels que l’écotourisme, à travers les trois dimensions majeures de celui-ci : un tourisme « axé sur la nature, comprenant une composante éducative et un besoin de durabilité » (Blamey, 1997 ; 2001).

En ce qui concerne la dimension « nature », la région occitane possède 249 sites classés « Natura 2000 » (Comité régional du tourisme Occitanie, 2019) et est classée première région de France dans de nombreux domaines touchant à ce secteur spécifique du tourisme :

  1. en biodiversité (40 % du territoire est composé d’espaces naturels remarquables) ;

  2. en classement « Pavillons Bleus » (labellisation environnementale internationale pour les plages et les ports de plaisance) ;

  3. en agritourisme et en œnotourisme (plus vaste vignoble du monde) ;

  4. en tourisme de plein air (itinérance pédestre, cycliste, fluviale).

En ce qui concerne les composantes « éducation » et « durabilité », la région Occitanie a mis en place, dès 2017, un schéma de gouvernance fédérative et partagée, grâce à un système d’évaluation continue des acteurs du tourisme occitan (La région Occitanie, 2020b). Ce schéma s’enrichit depuis le 15 juillet 2020 par la mise en place du plan régional « Citoyenneté et Démocratie », plan multisectoriel incluant le tourisme, visant à promouvoir l’innovation dans le développement régional à travers une « convention citoyenne » et un « green new deal » pour l’Occitanie. Ce plan correspond donc bien à la nécessité de « relancer le secteur touristique à travers une révision profonde de sa gouvernance » (Delaplace et al., 2018).

L’Occitanie bénéficie ainsi d’une offre complémentaire aux typologies traditionnelles de tourisme, ces dernières pouvant être fortement touchées négativement dans le futur par des mesures de distanciation sociale obligatoires (thermalisme ou camping). Cette offre d’écotourisme correspond également aux nouvelles attentes des consommateurs : « retour à la nature, ruralité, tourisme solidaire, proximité des territoires » (Devanne et Fortin, 2011).

Au niveau local, nous pouvons prendre l’exemple de la nécessité de cette nouvelle orientation par la candidature autonome de la ville de Toulouse, capitale de l’Occitanie, au classement « Patrimoine mondial de l’UNESCO »[4]. Cette candidature, initiée dès 2014, visant à la recherche de la construction de « la ville résiliente » (Thomas et Da Cunha, 2017), s’inscrit dans la volonté de proposer une offre individualisée de développement de la demande touristique pour la capitale occitane. La France possède 43 sites classés, la région Occitanie 8, et la ville de Toulouse participe à deux d’entre eux[5] avec trois éléments qui lui sont propres[6]. Mais, pour la capitale occitane, la représentation onusienne n’est pas caractérisée comme étant identitaire, puisque qu’elle ne fait que partager ces sites classés avec d’autres régions françaises. Or, la ville, la destination, est inscrite dans un territoire et sa résilience est autant territoriale que dynamique (Hamdouch et al., 2012 : 4), où la résilience est alors le fruit de deux formes : « la résilience territoriale » (capacités de résistance, maintien de sa spécificité) et « la résilience dynamique » (capacités d’invention de nouvelles ressources ou valeurs en contexte de changement) (Kadri et al., 2018).

La volonté d’autonomisation prônée par les autorités locales était porteuse d’une recherche de « résilience territoriale », par le développement et la pérennisation de la demande de tourisme national et international. Elle doit être aujourd’hui vectrice d’une proposition touristique innovante liée à la « résilience dynamique ». Il s’agit en cela de « générer un apprentissage post-crise favorable à la mise en place de changements […], de générer la modification récurrente des ressources et compétences […], de construire une capacité dynamique favorable au développement d’une résilience active » (Altintas, 2020).

Comment rendre cette candidature à l’UNESCO innovante ? Par la multiplicité et la pertinence des mesures à prendre : mesures opérationnelles (communication, promotion par les prix, facilités fiscales, événements spéciaux) et mesures stratégiques (plans d’actions et de développement, stratégies financières, investissements, accessibilité, marketing de diversification et de ciblage, partenariats stratégiques…) (Ait Tejan et Safaa, 2018). Le projet qui s’inscrit désormais dans le plan de développement régional initié à l’été 2020 prend cette direction, en mettant en avant « les trois facteurs positifs qui augmentent la résilience d’un système soumis à une perturbation : diversité, auto-organisation et apprentissage » (Dauphiné et Provitolo, 2007 : 5). Il existe en effet une réelle collaboration des différents acteurs (diversité), visant par leur coopération à une synergie des réseaux (auto-organisation), après « repérage et correction des dysfonctionnements » (Charreire, 2002) depuis l’apparition de la crise sanitaire (apprentissage).

Le plan de candidature actuel porte sur « les représentations historiques des lieux de pouvoir toulousains ». Ce plan comporte plusieurs aspects quantitatifs et qualitatifs :

  1. Le recensement, la préservation et la mise en valeur du bâti existant des lieux de pouvoir économique (fortunes du pastel), politiques (Capitouls), religieux (l’apport chrétien étant dominant).

  2. L’analyse des représentations historiques liées à ces monuments dans le passé et dans le présent.

  3. L’étude sociale et culturelle de ces représentations par l’apport indispensable du PCI (patrimoine culturel immatériel).

  4. La création d’un récit porteur de sens pour tous.

Le cadre institutionnel de ce projet se situe dans la catégorie des « biens culturels » de la Convention UNESCO du 16 novembre 1972 : « Ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. » Tel qu’il est en cours, il répond à deux des critères catégorisés par l’UNESCO dans cette convention :

  • Témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture […], des arts monumentaux, de la planification des villes […]

  • Offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural […]

Pour cela, les autorités régionales et la mairie de Toulouse ont centré leurs efforts sur trois axes de développement : préserver, protéger et promouvoir le bâti existant ; démontrer l’existence d’une « expression culturelle » de ces lieux de pouvoir ; confirmer la reconnaissance par les communautés, les groupes et les individus d’une appartenance à un patrimoine culturel vivant, commun et partagé.

Les trois axes ici présentés ne posent guère de problèmes en ce qui concerne la résilience territoriale : le bâti est préservé, l’expression culturelle des lieux de pouvoir toulousains est reconnue, la synthétisation culturelle et sociale créatrice d’une identité commune « ville rose » fédère autant les autochtones que les nouveaux arrivants.

Néanmoins, la résilience dynamique est encore à bâtir pour « cristalliser les flux sur l’espace historique », « valoriser les nouveaux espaces touristiques » et « mettre en réseau l’offre thématique » de ces lieux de pouvoir (Dewailly, 2005). En effet, si la vision sociale intègre bien tous les acteurs politiques, économiques, et la population, « la mise en tourisme [doit aller] au-delà du centre historique traditionnellement représentée comme le lieu de concentration des lieux emblématiques » (Kadri et al., 2018). Or, le projet actuel s’attache à des représentations de pouvoir vues parfois comme non homogènes et sans possibilité d’adaptabilité. Ainsi, si « chaque territoire a ses atouts, ressources spécifiques, qui constituent son « fonds de commerce touristique » (Vlès, 2005 : 116), il est capital de se focaliser sur « l’image construite afin d’attirer les touristes vers ce site » (Middleton, 1988). Cette notion « d’image » « facteur de valorisation d’une destination touristique » (Marcotte et al., 2017) est essentielle : si l’authenticité du projet Toulouse-UNESCO est avérée, le choix d’une attractivité par des touristes reste à démontrer comme étant « une entité reconnue par sa marque, par son image » (Bédard, 2011).

Le classement UNESCO reste malgré tout une piste de résilience majeure pour la ville de Toulouse pour, au-delà des aléas des crises conjoncturelles et des risques potentiels liés au voyage lointain, assurer la continuité d’une « envie » de visiter : quel séjour prioriser une fois libéré des contingences du confinement et du risque de reprise de la pandémie ? Un classement aussi prestigieux permettrait indéniablement de drainer des voyageurs, notamment français, attachés à la fois à assurer la sécurité du voyage (« Lorsque le tourisme cesse d’être agréable en raison de risques réels ou perçus, les touristes exercent leur liberté et leur pouvoir pour éviter les situations ou les destinations à risque ») (Sönmez et al., 1999), mais aussi à rechercher le séjour « exceptionnel » hexagonal[7].

Conclusion : de l’adaptation forcée à la mutation choisie du tourisme

La crise sanitaire et les politiques de confinement des populations dans le monde ont eu des conséquences négatives sur tous les secteurs, tous les pays, toutes les régions concernées par l’industrie du tourisme. Il est vrai que depuis longtemps le péril sanitaire a été reconnu comme « un risque susceptible de mettre en danger les touristes », mais aussi comme « un élément de déstabilisation politique, économique ou sociale du pays d’accueil contre lequel il convient de lutter » (Roussillon, 1994 ; De Serres et al., 2005 ; Tessier, 2005 ; Roux, 2008).

Néanmoins, la région Occitanie, comme l’ensemble du territoire national, dispose d’une forte capacité de résilience stratégique au sens de « système qui perdure malgré les chocs et perturbations en provenance de l’environnement externe » (Vickers, 1965) ; à court et moyen terme grâce aux aides publiques, et à long terme grâce à une clientèle fidèle (bars, restaurants, campings, hôtels, locations saisonnières, tourismes sportifs et culturels). Il faut ici noter l’importance des aides publiques pour faire face à la crise : un pays comme Malte est économiquement très dépendant du tourisme (35 % de son PIB) (Anadolu Agency, 2017), mais va bénéficier des plans d’aide de l’Union européenne ; à l’inverse, l’Égypte peut paraître moins vulnérable (12 % du PIB) (Veille Info Tourisme, 2019), mais ne bénéficie d’aucun soutien.

Structurellement, la région n’est pas dépendante de typologies de tourismes dont le modèle d’affaires peut paraître « condamné » par la crise sanitaire : exemple des croisières, non écologiques et non adaptées à la distanciation sociale.

Géographiquement, l’Occitanie fait partie d’un ensemble important de régions issues de pays émetteurs et récepteurs de tourisme : douze pays issus de trois continents, l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie, représentant plus de 50 % des flux de tourisme dans le monde, et ce, depuis plus de dix ans (Dehoorne et al., 2008 ; UNWTO, 2018).

Tous ces éléments démontrent « la persistance des relations au sein d’un système ; elle constitue une mesure de la capacité de ces systèmes à absorber les changements de variables d’état, de pilotage et de paramètres, tout en persistant » (Holling, 1973 : 17).

Mais la seule dotation factorielle et géographique de la destination Occitanie n’est pas suffisante pour atteindre la dimension de la résilience dynamique : il faut non seulement déterminer les secteurs à très fort potentiel de rebond et de développement, qui répondent à de nouvelles aspirations de consommation touristique éthique, responsable et durable, mais aussi y investir. C’est le sens du développement de l’écotourisme au niveau régional que nous avons mis en avant comme aspect qualitatif du voyage en Occitanie. Il faut également déployer de nouvelles typologies d’offres novatrices, créatrices d’identité, de lien social et culturel, dans lesquelles les touristes nationaux et étrangers vont (re)trouver l’envie du séjour. C’est le sens du projet identificateur « Toulouse – UNESCO » : passer de la « résilience passive » à « la résilience proactive » (Barroca et al., 2013).

L’exemple occitan doit donc tendre à démontrer qu’il est possible de passer de l’urgence de la résilience à la nécessité de la mutation des modèles touristiques, tout en renouvelant et complexifiant le concept de « marque » dans la gestion du marketing territorial (Maynadier, 2010).