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Le tourisme communautaire a connu au Mexique et notamment dans la péninsule du Yucatán un grand essor au cours des vingt dernières années. Cette région, celle des Mayas, située au sud-est du pays et bordée par le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes, est bien connue pour Cancún. En effet, la construction de cette station touristique au début des années 1970 a marqué un tournant puisque la péninsule s’est spécialisée à des degrés différents dans l’activité touristique : la conurbation touristique Cancún-Riviera Maya est devenue la région touristique la plus importante d’Amérique latine, les sites mayas de Chichen Itzá, Tulum et Uxmal de hauts lieux touristiques mondiaux, Tulum, Playa del Carmen ou Bacalar des stations touristiques de renommée internationale, Mérida ou Campeche, villes coloniales, sont devenues des villes touristiques. Et, aux alentours, de nombreux villages et parcs naturels ont eux aussi expérimenté le tourisme. En 2012, dans la péninsule, 153 entreprises sociales qui se dédient au tourisme communautaire étaient recensées (García de Fuentes et al ., 2015). Les pionniers du tourisme communautaire se trouvent dans la réserve de la biosphère de Calakmul, où les premiers projets de ce type ont été entrepris.

Le tourisme communautaire inclut les modalités touristiques proposées et gérées par les sociétés locales elles-mêmes, formes qui s’intègrent de façon « harmonieuse » dans les diverses dynamiques sociales traditionnelles du lieu d’accueil. Théoriquement, la gestion de l’activité touristique se base sur une organisation collective, des assemblées et des décisions consensuelles. Si l’activité est gérée dans quelques cas par l’ejido[2], dans de nombreux villages c’est une entreprise sociale impulsée par les politiques publiques qui porte l’activité. Dans la pratique, cette entreprise sociale peut être familiale ou regrouper différentes souches familiales. On entend donc par entreprise sociale un idéal-type d’organisation qui se différencie de l’entreprise de capitaux privés et permet un enrichissement collectif et horizontal de ceux qui participent à l’activité sous un statut associatif ou coopératif (Kieffer, 2018 ; Jouault, 2018). Certaines études mentionnent l’existence de ce type de tourisme depuis les années 1990 dans la péninsule du Yucatán.

Si en 2009 la grippe porcine ou virus H1N1, apparu dans l’État de Veracruz au mois de mai, avait fait trembler le secteur touristique au Mexique et dans la péninsule du Yucatán, la pandémie liée à la COVID-19 met cette fois en évidence la fragilité du phénomène touristique à l’échelle mondiale. En moins de quatre mois le coronavirus a mis en échec l’industrie mondiale touristique, menaçant le futur de milliers d’entreprises et d’emplois directs et indirects liés à ce secteur économique. Des nations comme le Mexique dont l’économie nationale est dépendante du tourisme devront innover pour la récupération du secteur et les stratégies de résistance ou d’adaptation au problème devront varier en fonction du contexte territorial.

La pandémie actuelle de COVID-19 représente un défi pour l’humanité tout entière, mais ses effets pour le secteur du tourisme, à court et long terme, semblent bien pires. Au mois de mai, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), dans son « Évaluation de l’impact de la flambée de COVID-19 sur le tourisme international », estimait une réduction de l’activité touristique de 58 à 78 % d’ici 2020 (OMT, 2020b)[3], ce qui, avec l’arrêt complet des activités pendant la période de confinement forcé (#QuédateenCasa[4]) et la lente reprise dans les mois restants de 2020, laisse entrevoir un scénario futur complexe. Certaines réalités peuvent apparaître minimes devant les problématiques médiatisées des grandes villes et autres destinations touristiques adaptées au tourisme de masse. Il s’agit dans cet article de présenter quelques défis, enjeux et opportunités pour le tourisme communautaire dans la péninsule du Yucatán face à la pandémie de COVID-19.

Dans le cadre d’un projet financé par le Programme des petites donations (PPD) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), intitulé « Création d’un réseau péninsulaire de tourisme communautaire », entre août 2019 et juin 2021 [5] , nous avons administré un questionnaire [6] au mois de janvier 2020 à des leaders d’entreprises sociales lors d’un travail de terrain. Ce diagnostic auprès de 24 entreprises sociales a permis de dresser une image de l’Alliance touristique pour le tourisme communautaire (APTC) intégrant l’organisation communautaire et l’économie sociale, la conservation et les aspects environnementaux, l’offre touristique et sa commercialisation, ainsi que les financements, infrastructures et équipements (Jouault, 2020). Ensuite durant la crise sanitaire, un second questionnaire a été administré en ligne à la mi-avril 2020 aux 24 représentants des entreprises sociales pour connaître les mesures prises face à la crise, mais aussi obtenir des renseignements sur la gestion administrative et comptable de leur entreprise. Nous avons ensuite traité et analysé l’information. Pour la rédaction de cet article, nous avons réalisé une dizaine d’entretiens avec des associés ; ces derniers nous ont fait parvenir des photographies en complément d’information.

Pour démontrer brièvement le développement du tourisme communautaire dans la péninsule du Yucatán, nous présenterons quelques données sur l’évolution de l’activité en 2019 ; nous nous intéresserons en particulier à l’Alliance péninsulaire du tourisme communautaire, puis présenterons les conséquences de la COVID-19 dans ces villages touristiques avant d’analyser les problématiques et les défis.

Le tourisme dans la péninsule du Yucatán en 2019

En moins d’un demi-siècle, le tourisme est devenu l’épine dorsale de l’économie des États de Quintana Roo et de Yucatán et joue un rôle croissant dans le Campeche. Par conséquent, l’augmentation du nombre de touristes s’accompagne d’une croissance exponentielle du nombre de sites touristiques ( illustration 1 ). Le tourisme en général et le tourisme communautaire en particulier élaborent actuellement des processus socio-territoriaux les plus dynamiques, en matière de production spatiale par exemple (García de Fuentes et al. , 2019).

La croissance du tourisme a entraîné une plus grande diversification de la gamme d’activités proposées et son expansion étendue à des régions qui, jusqu’à récemment, étaient isolées, peu peuplées ou marginales. Le tourisme est présent dans presque toute la péninsule : l’expansion de la conurbation touristique de Cancún-Riviera Maya rivalise avec les plus grandes au monde, mais plus importante encore est l’avancée du tourisme vers les territoires intérieurs. Cette expansion commence et se concentre dans l’arrière-pays maya, la route de Chichén Itzá et les environs de Mérida, mais progresse selon un processus d’irradiation décroissante dans une direction sud-ouest des Caraïbes vers l’État du Campeche et vers le sud de l’État de Quintana Roo (Jouault, 2018).

Le tourisme fonctionne dans la région de deux manières apparemment indépendantes : le tourisme de masse et le tourisme alternatif ou à faible impact. Le premier est subdivisé en tourisme de soleil et de plage, y compris les résidences secondaires, le tourisme urbain et le tourisme de croisière. Le second se pratique sous différentes formes (tourisme de nature, rural, d’aventure, écologique, vert, communautaire, etc.). Il s’agit donc d’une offre diversifiée qui se caractérise par un nombre limité de touristes et incorpore comme attractions principales la richesse bioculturelle de la région. Le tourisme communautaire et le tourisme de masse sont néanmoins fortement imbriqués, car à la pratique du premier s’ajoute souvent une excursion complémentaire du second pour permettre aux touristes d’entrer en contact avec « l’authentique culture maya et les forêts vierges ».

Il est important de noter qu’une grande partie des entreprises sociales qui se dédient au tourisme communautaire se développent grâce à des programmes mis en place par l’État sous la forme d’entreprises du secteur social de l’économie (coopératives ou ejidos ), c’est-à-dire que les paysans et les pêcheurs intègrent le tourisme dans leur stratégie de vie. Ce processus compliqué de reconversion économique de paysans en entrepreneurs n’a pas de logique territoriale de type économique, mais, en tant que stratégie globale, ce processus donne accès à des capitaux, à un coût minimum, à d’énormes territoires qui étaient maintenus dans des positions très marginales (García de Fuentes et al. , 2019).

Illustration 1

Le tourisme dans la péninsule du Yucatán en 2019

Le tourisme dans la péninsule du Yucatán en 2019
Source : Traduction de García de Fuentes et al. , 2019.

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La croissance du tourisme dans la péninsule du Yucatán au cours de la dernière décennie est plus soutenue que les tendances répertoriées aux niveaux mondiaux et continentaux. En effet entre 2010 et 2018, si les arrivées touristiques ont augmenté respectivement de 47 % et 54 % à l’échelle mondiale et continentale, la péninsule de Yucatán, elle, a vu son nombre de touristes augmenter de 82 % (OMT, 2019 ; Secretaría de Turismo, 2020). L’année touristique 2020 s’annonçait sous les meilleurs auspices. En effet, pour la première fois, le Tianguis turístico ou salon du tourisme mexicain devait se dérouler à Mérida à la mi-mars 2020. De même, le projet du train Maya porté par le gouvernement fédéral [7] , bien que critiqué entre autres par une partie de la société civile et de la communauté scientifique, attirait les regards vers la péninsule.

Dans la foulée, l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire s’est formée pour renforcer sa visibilité aussi bien auprès des autorités gouvernementales en charge de la promotion touristique que des touristes eux-m êmes.

L’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire

Dès 2016, des leaders et des responsables d’entreprises sociales dédiées au tourisme communautaire se sont rencontrés pour échanger sur les problématiques et les défis du secteur. Quelques années plus tard, en décembre 2019, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement et les conseils d’universitaires, ladite Alliance pour le tourisme communautaire prend forme. Finalement, 24 entreprises sociales situées dans divers écosystèmes, dont certaines ont vu le jour il y a 27 ans, proposent une série d’activités parmi lesquelles on peut citer : tours en bateau, randonnées pédestres sur des sentiers interprétatifs et observations ornithologiques, pêche sportive, snorkeling sur des récifs coralliens et observation de requins-baleines, cyclisme, kayak et natation dans des lagunes et cenotes[8] , tyrolienne et rappel, ateliers artisanaux de médecine traditionnelle ou gastronomique ou encore d’apprentissage de langue maya, ethnotourisme, agrotourisme et participation à des cérémonies mayas (voir illustration 2 ). Le tourisme est une activité complémentaire dans 19 des 24 entreprises sociales. En plus du tourisme, dans ces villages les associés se dédient au commerce, à l’artisanat et principalement aux activités agricoles, forestières ou à la pêche. Dans certains cas, il existe une diversification des activités productives essentiellement du secteur primaire.

Illustration 2

L’offre touristique de l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire

L’offre touristique de l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire
Réalisation : Abraham Puebla, Alejandro Montañez et Samuel Jouault, 2020.

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Ces entreprises sociales membres de trois réseaux ( Co’ox Mayab dans le Yucatán, Caminos Sagrados dans le Quintana Roo et le Conseil de tourisme rural du Campeche) sont situées dans 22 villages différents immergés dans des espaces naturels protégés. On estime à plus de 25 000 hectares les réserves naturelles volontaires associées aux activités touristiques des entreprises sociales. En tout, l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire regroupe 617 associés et collaborateurs issus de 417 foyers. Les bénéfices touristiques des 24 entreprises sont évalués à environ 16 millions de pesos bénéficiant à approximativement 1664 personnes réparties entre des familles et des commerces locaux. Les 84 436 visiteurs recensés en 2019 étaient en grande partie d’origine internationale. Seuls 34 % d’entre eux visitaient les centres touristiques communautaires à travers des intermédiaires (Jouault, 2020).

La COVID-19 et ses impacts directs sur le tourisme communautaire dans la péninsule du Yucatán

Au Mexique, depuis la fin février 2020, le gouvernement fédéral a commencé à mettre en place des conférences de presse quotidiennes en soirée pour entretenir une communication constante à propos des mesures prises en réponse à la pandémie. Pendant cette première période, considérée comme phase 1 car peu de cas étaient signalés et qu’il s’agissait essentiellement de cas importés, le gouvernement n’a pas mis en place de mesures de précautions spécifiques pour la pandémie.

Le lundi 23 mars 2020, la Journée nationale de la distanciation sociale a débuté au niveau fédéral dans le but de prévenir les infections de masse parmi les citoyens. Cette mesure a encouragé la mise en œuvre d’actions telles que le renforcement des mesures de prévention de base, la suspension temporaire des activités scolaires et non essentielles, la suspension des événements de concentration de masse, la protection des personnes âgées et, la plus complexe, celle du confinement. Initialement prévu jusqu’au 30 avril 2020, il a été prolongé jusqu’au 30 mai 2020. Ce n’est qu’un mois plus tard, le lundi 21 avril 2020, que le gouvernement fédéral a officiellement déclaré la phase 3 de la contamination massive en demandant aux entreprises de suspendre les activités de travail non essentielles et en lançant la campagne # QuédateenCasa[9] .

Et le secteur du tourisme communautaire a été délaissé dès la mi-mars 2020, conformément aux dispositions des autorités locales, municipales ou étatiques. Dans certains cas, la crainte de la contagion des touristes étrangers a conduit à l’imposition de mesures radicales telles que la fermeture de toutes les routes d’accès aux ports d’Isla Arena, de Río Lagartos et de San Felipe. À Isla Arena, les gens se sont organisés pour ne laisser passer personne et il est fort compliqué même pour les habitants de sortir ( illustration 3 ).

Illustration 3

Barrage filtrant l’entrée d’Isla Arena, Campeche[10]

Barrage filtrant l’entrée d’Isla Arena, Campeche10
Photo : Israel Molas, 2020.

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Les vacances de Pâques, plus traditionnellement appelées en Amérique latine « semaine sainte », constituent la meilleure période de l’année pour toutes les entreprises sociales de l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire où se réunissent des touristes de toutes origines (locaux, régionaux, nationaux et internationaux). Dans certains endroits, ces pertes découlent d’investissements pour la saison (achat d’équipement, renouvellement d’infrastructures, paiement des assurances et des autorisations pour fonctionner). Des 4836 réservations, environ 90 % ont été annulées, se traduisant en pertes de 2,5 millions de pesos. Seulement 10 % des réservations ont été reportées. Sur les 54 agences et voyagistes, un seul avait contacté les entreprises sociales. En 2020, on estime les pertes des 24 entreprises à plus de 20 millions de pesos. Et le tourisme communautaire profite directement et indirectement à d’autres activités économiques, qui sont également touchées par le chômage dans le secteur, comme le service des guides locaux, l’artisanat, les producteurs locaux et les transports locaux. Dans un tel contexte, l’économie globale des villages se trouve très affectée.

Malgré la réduction des coûts de maintenance, 67 % des entreprises mènent des activités visant à améliorer les installations et les processus, notamment : nettoyage des installations (8 des 24 entreprises), entretien et adaptation des bateaux et des moteurs (5), entretien et réparation des installations (salles de bains, vestiaires, cave, cabines de peinture, piscine, équipements de cuisine et de cuisson, nettoyage des climatiseurs, ventilateurs, curage des puits, changement de l’installation électrique) (4) ; entretien et réparation des toits de palme (3) ; arrosage des plantes et entretien des espaces verts (3) ; entretien et signalisation des sentiers (2) ; nettoyage des gilets de sauvetage et des tentes (2) ; observation et comptage des oiseaux et remplissage des jaltunes[11] pour la faune ; réparation du quai d’amarrage ; amélioration des processus administratifs, organisation ou réorganisation des différentes activités.

En ce qui concerne la réactivation de l’activité touristique, au moment de l’enquête à Quintana Roo, un panorama plus optimiste que le panorama actuel a été estimé, compte tenu de la reprogrammation des réservations en juin. Dans les autres États, conformément aux dernières prévisions du secteur, il est prévisible que la réactivation de l’industrie débute en été, d’abord dans les marchés locaux. Il s’agira d’un défi, car 65 % des touristes en 2019 qui ont fréquenté ces entreprises sont internationaux. Pour assurer le retour des visiteurs, ces mesures doivent être complétées par l’acquisition d’équipements et la mise en œuvre de mesures sanitaires garantissant la propreté des établissements touristiques et maintenant lesdits « gestes barrières », ce qui implique l’acquisition de produits de nettoyage locaux et biodégradables pour assurer le faible impact de l’activité touristique.

Défis, adaptations et opportunités du secteur face à la COVID-19

Cette pandémie a mis en lumière un grand nombre de situations démontrant les grandes inégalités tant dans les pays dits développés que dans les pays du Sud. Les médias et l’information en temps réel semblent être un moyen de désinformation. En effet, quelques petites localités, confrontées à toutes les incertitudes, ont pris des mesures préventives qui, aux yeux de l’Occident, peuvent même être qualifiées de violations des droits de l’homme, comme la fermeture de l’espace public (illustration 3). La pandémie est toujours dans une phase d’évolution et a soulevé beaucoup plus de questions que de réponses : le secteur du tourisme est confronté non seulement à l’inactivité actuelle, mais aussi à l’incertitude future, en raison de la crise économique, des nouvelles normes sociales envisagées après la COVID-19, etc. En raison de cette incertitude, et peut-être comme dans beaucoup d’autres localités dans le monde, l’absence de plans d’urgence et de services de santé de base, ainsi que le manque de connaissances et de préparation des autorités municipales ont obligé les citoyens eux-mêmes à prendre en charge leurs propres mesures d’urgence face à la pandémie actuelle. Certaines localités ont gardé leurs accès ouverts, d’autres sont ouvertes uniquement aux résidents. Quelques-unes ont même fermé pour ceux qui vivent dans la localité tout en travaillant à l’extérieur. Ces mesures autonomes prises dans certaines petites villes, bien qu’elles puissent avoir des effets d’endiguement de la pandémie, peuvent être sources d’incertitude sur le plan touristique. En effet, les décisions de fermeture de l’espace public n’ont pas été convenues avec l’ensemble des villageois.

Dans le même temps, certains acteurs du tourisme communautaire dans quelques localités ont cherché des stratégies face à la crise économique actuelle. L’une d’entre elles est la résurgence du troc ; les communautés se sont organisées pour échanger les produits des milpas[12] et des potagers contre des produits de la mer. Certaines de ces initiatives ont eu lieu au sein des entreprises de tourisme communautaire. Ainsi, les membres des deux coopératives d’Isla Aguada ont troqué les prises de leurs deux jours de pêche avec la coopérative Los Reyecitos située dans le village de Miguel Colorado, à plus de 100 kilomètres de là : poissons contre miel, piments, citrons, mangues ( illustration 4 ). Le troc profitera à plus d’une cinquantaine de familles, initiative qui a été mimée quelques semaines plus tard par les coopératives d’Isla Aguada et certains habitants de Halachó à une cinquantaine de kilomètres.

Illustration 4

Troc entre Isla Aguada et Miguel Colorado[13]

Troc entre Isla Aguada et Miguel Colorado13
Source : Élaboration personnelle à partir de photos de Raul García, 2020.

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Dans plusieurs localités de la péninsule du Yucatán, on observe que de nombreux ruraux sont retournés à la milpa  ; c’est une action fondamentale car elle met en discussion la sécurité alimentaire, le champ de maïs comme système alimentaire millénaire du peuple maya, que la modernité a progressivement déplacé, mais qui est repris en raison de la crise actuelle.

Les adaptations à la crise s’opèrent de différentes façons ; la créativité émerge, mais aussi la dépression, l’anxiété et les inquiétudes s’accentuent. À Tekit, où l’activité principale est traditionnellement la fabrication de guayaberas[14] , comme suite à la pandémie, des habitants se retrouvent sans travail du jour au lendemain, les marchés sont fermés, les commandes sont annulées. Aussitôt on discute quotidiennement de solutions afin de faire face à la crise dans les mois à venir, dans une ville où l’épargne est inexistante, au même titre que la sécurité sociale, et où l’on vivait au jour le jour avec la certitude qu’il y aurait toujours du travail. La solution trouvée est alors de se tourner aussitôt vers la fabrication de masques pour les vendre aux villes voisines, puis au gouvernement lui-même et plus tard les exporter. Après les masques, il y a les combinaisons pour les médecins, puis les sacs mortuaires. Cette activité a permis aux habitants de cette localité de subsister face à la crise économique. Et ce n’est pas le seul endroit, puisqu’à San Agustin, au sud du Yucatán, quelques femmes de la coopérative de tourisme ont elles aussi confectionné plus de 3000 masques ( illustration 5 ).

Illustration 5

Après la fabrication de masques

Après la fabrication de masques
Source : Programme des petites donations Mexique – Programme des Nations Unies pour le développement, 2020.

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Dans la péninsule du Yucatán, la crise ne concerne pas seulement la COVID-19, elle est également due à la sécheresse intense qui a engendré de grands et graves incendies de forêt, notamment durant les mois de mars et d’avril. Face à cela, certains acteurs du tourisme communautaire, comme c’est le cas à Tekit, se sont engagés à construire des abreuvoirs et aussi à remplir des jaltunes[15] pour apporter de l’eau à la faune ( illustration 6 ). Par ailleurs, la chasse augmente de jour en jour, sans que les autorités ne prennent de mesures concrètes pour mettre fin à ces actions déguisées sous forme d’activités traditionnelles, alors qu’il s’agit de la période de reproduction des cerfs à queue blanche.

Illustration 6

Construction d’abreuvoirs pour la faune locale

Construction d’abreuvoirs pour la faune locale
Photo : Manuel Xool, 2020.

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Mais cette crise sanitaire devenue pandémie fragilise encore plus des communautés qui doivent faire face à d’autres phénomènes qui rendent évidente la vulnérabilité locale, tels les ouragans, mais aussi les mégaprojets liés aux fermes d’énergie solaire et aux parcs éoliens, aux grandes plantations de soja, aux fermes porcines et avicoles, synonymes de déforestation de milliers d’hectares ces dernières années. Face à cela, il est indispensable d’intégrer le versant communautaire aux mesures d’atténuation et de réactivation du secteur touristique. L’intégration des localités rurales dans le tourisme peut les rendre plus vulnérables, et c’est donc un danger qui se profilera si des mesures correctes ne sont pas prises pour inverser ces situations. Comment protéger les entreprises sociales touristiques contre la chute soudaine du tourisme ? Comment renforcer leurs capacités locales de gestion des risques ?

Propositions pour un plan de réactivation économique du secteur

Devant ce défi planétaire, pour réactiver le tourisme communautaire dans la péninsule du Yucatán, un plan de récupération devrait inclure les aspects d’investissements en faveur du tourisme communautaire, de promotion de l’économie communautaire et du tourisme, et de promotion stratégique du tourisme communautaire.

Investissement dans le tourisme communautaire

  • Adaptation des infrastructures et acquisition d’équipements pour la mise en œuvre de mesures de sécurité et d’hygiène post-COVID-19 dans les sites touristiques communautaires ;

  • Mise en place d’un protocole spécifique pour le tourisme communautaire ;

  • Entretien et construction d’infrastructures pour renforcer l’offre touristique par le biais d’un programme d’emplois temporaires ;

  • Financement des certifications NMX133 et NOM09, qui garantissent respectivement le respect des normes environnementales et la formation du capital humain dans les zones rurales ;

  • Réduction de la fracture numérique par des investissements dans des infrastructures qui garantissent l’accès à l’Internet et le signal téléphonique pour maintenir la communication avec la clientèle ;

  • Amélioration des infrastructures routières et de l’accès aux communautés, dans le respect des réglementations écologiques et territoriales, ce qui facilite l’accès aux destinations sans mettre en danger la conservation de la flore et de la faune.

Promotion de l’économie communautaire et du tourisme

  • Renforcement de l’économie circulaire autour des réseaux de valeur communautaire (ledit kilomètre 0) ;

  • Renforcement du coopérativisme comme source d’emploi et consolidation du tissu social de la communauté.

Promotion stratégique du tourisme communautaire

  • Inclusion du tourisme communautaire dans les plans de communication de SECTUR ;

  • Reconnaissance du fait que le tourisme communautaire, en raison de son échelle (petits groupes), de sa relation avec la nature et de la fourniture de bénéfices économiques directement aux communautés par le biais de coopératives, sera la clé de la réactivation du tourisme au Mexique.

Par ailleurs, l’Alliance péninsulaire pour le tourisme communautaire a lancé la campagne de promotion «  Viaja turismo comunitario  » sur le Web < http://viajaturismocomunitario.com >, dans l’objectif de visibiliser les initiatives associées à cette alliance. Bien qu’à ce jour les mobilités soient fortement réduites dans la péninsule du Yucatán, la campagne de promotion a suscité un intérêt auprès des acteurs.

Tout cela nous conduit à une réflexion sur la vie quotidienne dans ces villages, sur la façon dont les activités se sont transformées, et comment certaines activités sont reprises et les formes d’organisation perturbées. Si «  la vida sigue[16]  » dans de nombreuses localités rurales, la crise sanitaire et économique met en exergue le besoin de diversification des activités primaires où le tourisme est une activité complémentaire et la question de sécurité alimentaire un élément central. Les plans de réactivation de ce secteur devront donc prendre en compte ces aspects fondamentaux.