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Indépendamment des fluctuations liées à des facteurs économiques internes à un secteur touristique que résume parfois la formule de « crise du tourisme littoral » ou de « crise des stations de sports d’hiver », les études qui croisent tourisme et crise ne sont pas si nombreuses. Cela est d’autant plus vrai dans le champ des études francophones.

Quelques auteurs se sont préoccupés des risques terroristes et des difficultés de l’économie touristique dans les destinations touchées par des instabilités géopolitiques sources de violences (attentats, enlèvement…). Dans un numéro de la présente revue qui traitait du sujet sous le titre du tourisme « au risque du politique » (Sarrasin, 2004), les auteurs discutaient plusieurs points. Des analyses géopolitiques à l’effet du traitement médiatique, les auteurs ont démontré des liens complexes entre tourisme et terrorisme, mais sans revenir sur l’effet direct d’une crise en particulier. Dans une intention plus professionnelle et gestionnaire, Eric Denécé et Sabine Meyer (2006) fournissent dans un ouvrage très documenté des données, des pratiques et des perspectives de sécurisation des sites. Sinon, dans une perspective plus polémique, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York, Jean-Michel Hoerner (2001) estimait contre certaines prévisions de l’époque à propos du nombre de séjours en Amérique du Nord que « le pire n’est jamais certain », dans le sens où il prévoyait – rétrospectivement à raison – que les conséquences pour l’industrie touristique ne seraient ni très fortes ni très longues. Il ajoutait même que « les attentats terroristes qui ont frappé les États-Unis […] comme toute crise, devraient permettre au secteur de s’organiser pour mieux préparer l’avenir ».

Des études concernant les liens entre tourisme, sport et catastrophes naturelles devraient également exister. Il faudrait traiter des liens entre catastrophes environnementales (pollution, risques chimiques et nucléaires) et fréquentation des sites de loisirs, mais cela manque dans la littérature francophone. Le séisme et tsunami de 2004 dans les zones touristiques de l’océan Indien, les effets directs des avalanches meurtrières en stations de sports d’hiver ou la crise sanitaire du chikungunya dans l’île de la Réunion et ses effets sur les séjours n’ont pas vraiment fait l’objet de recherches collectives conséquentes dans la francophonie.

Les bases méthodologiques, théoriques et réflexives sont dès lors fragiles pour étudier une telle situation dans le cadre politique et géographique français. À partir d’une approche exploratoire, réflexive et critique coconstruite entre professionnels experts du tourisme et chercheurs en sociologie, histoire et géographie du tourisme[1], cette note vise à présenter quelques résultats d’une étude à vif des adaptations en cours dans les destinations touristiques aux prises avec la crise sanitaire prolongée de la COVID-19 en France et participer de la réflexion sur les manières possibles de faire du tourisme dans l’après-COVID. Plus largement, donnant suite aux approches culturelles des pratiques récréatives de Jean Corneloup, Philippe Bourdeau et Pascal Mao (2002 ; 2004), cette contribution, qui défend l’hypothèse d’un changement des pratiques de développement touristique en cours, remet en question les rapports entre utopie(s) et réalité(s) face aux contraintes sociales, environnementales et humaines de l’industrie du tourisme de masse. Il s’agit à la fois de saisir une adaptation en cours (au sens de Cholat et al., 2019) et d’envisager la possibilité d’un slow tourisme, plus local, plus humain et plus durable.

Une économie du tourisme modifiée par la crise sanitaire

Dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 survenue au printemps 2020, la réponse française a été marquée par une politique de confinement (du 17 mars au 11 mai) et un second temps dit de « déconfinement » avec une reprise progressive des activités. Depuis cette période, le tourisme et les pratiques de loisir se trouvent complètement modifiés.

Sur le plan économique, selon l’Observatoire de l’économie du tourisme (2020), cette crise sanitaire se traduit par une chute générale de la demande, liée aux interdictions de circulation et à l’annulation d’un certain nombre de manifestations (festivals, compétitions sportives, rassemblements culturels…). La perte d’activité serait en moyenne de 40 % et frappe en premier lieu le secteur de l’hôtellerie-restauration, quasiment à l’arrêt (‑90 % d’activité), et les voyagistes (‑97 % de réservations) pendant deux mois. Cela pourrait représenter 25 % du produit intérieur brut (PIB) touristique en 2020. Selon le Baromètre Orchestra (2020), en montagne, la perte d’activité sur la saison serait de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, dont 50 % supportés par les hôteliers. Dans les stations littorales, l’hôtellerie de plein air (campings) serait moins touchée (‑40 % de profitabilité) que les organisateurs de voyages (‑79 %) ; les séjours haut de gamme et de luxe seraient les plus touchés (Palierse, 2020). Sinon, les acteurs les plus affectés sont les bars, les festivals, les discothèques et plus généralement le monde de la nuit qui n’est pas en situation de reprise et actuellement pas non plus en capacité de réorientation. Différents débats interprofessionnels et politiques sont en cours. Selon les différents chiffres de l’Observatoire de l’économie du tourisme (2020), « une certaine reprise est attendue pour l’été », mais le retour des capacités d’investissement ne serait pas possible avant trois ans.

Avec des périmètres de déplacement et des limitations multiples dans les transports, le tourisme de proximité s’impose depuis cet été. Ce tourisme ne doit pas simplement se lire comme une réduction purement géographique qui se compte en kilomètres, mais aussi comme une nouvelle dimension sociale via la proximité des interactions et dans son rapport au dépaysement, nourri d’expériences locales, comme l’évoquent les témoignages sur la présence renforcée de la nature dans la vie quotidienne confinée. Un des premiers articles publiés au sujet du tourisme confronté à cette crise sanitaire aborde précisément cette nouvelle approche touristique dans le contexte canadien, un contexte culturel marqué par la notion de communauté très différent de la situation française (Lapointe, 2020).

Le tourisme de proximité tient au sentiment de « faire » du lien avec le territoire et ses habitants. Il insiste sur la relation personnelle et singulière entre le visiteur et son hôte. L’échange entre les deux est censé favoriser la transmission de ce qui fait l’âme du territoire, son identité. Ce développement intègre plusieurs formes de tourisme comme le slow tourisme, le tourisme éthique et solidaire ou le développement durable. C’est l’un des points développés dans la suite de ce texte.

La volonté d’un nouveau positionnement des destinations

Au-delà des initiatives marginales, les acteurs des grandes destinations littorales réfléchissent maintenant à un autre développement. Pour le directeur de l’Office de tourisme de l’emblématique station du Cap d’Agde, « c’est une transition de fond » qui n’a rien de transitoire et implique de « revoir notre offre au lieu d’avoir une démarche sur la demande » (Christian Bezes, communication personnelle, mai 2020). Selon lui, cette offre doit maintenant être basée sur « la connexion du pays littoral et de l’intérieur », une perspective nouvelle dès lors pour les arrière-pays méditerranéens (au sens discuté par Suchet, 2014). Avec 195 000 lits touristiques, pour moitié des lits marchands, 15 millions de nuitées regroupant 20 communes, le Cap d’Agde représente la première station balnéaire en termes de lits ; mais ce qui fait aussi sa notoriété internationale est son village naturiste qui accueille 50 000 visiteurs (60 % d’étrangers) (Observatoire tourisme CRT Occitanie). Pour le directeur de son Office du tourisme Christian Bezes (communication personnelle, mai 2020),

Ce n’est pas un simple épisode éphémère, c’est une nouvelle ère et nous devons revoir notre stratégie jusqu’à présent basée sur la demande pour aller vers une nouvelle offre axée sur la destination mer, bien sûr, mais aussi intérieure, valeur, identité, terroir, culture, histoire, avec des offres d’expériences, sensorielles, vélo, marche, bref de notre identité, de nos valeurs culturelles et naturelles. Il s’agit de redéfinir le projet de territoire et d’utiliser la crise comme un accélérateur.

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Navigation sur le canal du Midi dans le Bas-Languedoc, un tourisme de lenteur en recherche d’authenticité

Navigation sur le canal du Midi dans le Bas-Languedoc, un tourisme de lenteur en recherche d’authenticité
Photo : André Suchet, été 2019.

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L’agglomération de Béziers, avec 17 communes, 124 000 habitants et plus de 75 000 lits, dont 22 000 marchands, est précurseur en matière de tourisme urbain sur des logiques de proximité et d’hectique. Comme l’explique son directeur Gilles Panné (communication personnelle, mai 2020),

Nous avons mobilisé 15 000 ambassadeurs locaux qui ont comme mission de mettre en valeur ce qui fait notre identité, œnologie, culture patrimoine, les sites remarquables avec les neuf écluses de Fonseranes, et transmettre un message de transmission de nos valeurs. La situation pandémique dans sa mise en œuvre complique, avec les gestes-barrières, c’est vrai ce contact, mais notre organisation est un formidable levier pour accueillir ce tourisme de proximité et lui faire vivre une expérience. De même, nous sommes le premier office de tourisme en France à avoir une référente salariée dédiée aux pratiques écologiques et toutes nos initiatives sont orientées sur le respect de l’environnement et l’utilisation des circuits courts.

Dans les destinations de montagne, et notamment les petites stations de moyenne montagne, la situation est un peu différente ; l’idée semble plutôt de renforcer le positionnement alternatif au tourisme de masse déjà visé par ces destinations. Danielle Fantin, directrice de l’Office de tourisme de Corrençon-en-Vercors (communication personnelle, avril 2020), précise :

Nous avons depuis longtemps engagé la station dans une démarche de développement local. Bien que la COVID-19 nous perturbe beaucoup, c’est aussi une opportunité et ça nous conforte dans notre stratégie. Pour des territoires comme nous le nôtre, le développent local a créé de nombreux projets avec de nouveaux arrivants et toute une chaîne d’acteurs et de prestataires qui travaillent entre eux et sont pour la majorité des habitants à l’année du village, ça reste sur le territoire.

À l’échelle nationale, Jean-Marc Silva (communication personnelle, mai 2020), directeur général de France Montagne qui regroupe 350 stations et 12 milliards de chiffre d’affaires, explique :

Bien que l[a] COVID nous perturbe beaucoup, c’est aussi une opportunité et ça nous conforte dans notre stratégie […] En montagne, le développent local a créé de nombreux projets avec de nouveaux arrivants et toute une chaîne d’acteurs et de prestataires qui travaillent entre eux et sont pour la majorité des habitants à l’année du village, ça reste sur le territoire.

En matière de communication, il ajoute s’orienter sur « l’âme des villages de montagne, le bon air, le bien-être, les grands espaces ». Selon lui, « cet été, la montagne devrait s’en sortir » ; par contre, il chiffre déjà la perte pour l’hiver prochain, qu’il planifie de manière conséquente : « Il est clair que les stations vont revoir leur stratégie de long-courriers (USA, Chine…) » et notamment le tourisme hivernal haut de gamme.

La réinvention nécessaire du tourisme dans l’après-crise relève dès lors principalement d’un contexte accélérateur des mutations attendues par un marché plus exigeant et moins porté sur la démesure, tant pour les publics accueillants que pour les visiteurs (Tuppen et Langenbach, 2019). Plus que jamais, le tourisme de proximité, tant dans sa dimension spatiale que sociale, devient l’enjeu de cette période.

Les travaux récents conduits autour de l’économie de proximité, en mettant l’accent sur la dimension transactionnelle et interactionniste de l’économie, ont parfois donné l’illusion que l’on peut négliger la localisation des acteurs et des activités (Rallet et Torre, 2004). La crise sanitaire rend certaines modalités d’organisation du tourisme plus pertinentes. Elle pose un défi aux organisateurs qui tentent de « sauver la saison » à l’heure où les conditions d’exploitation sont encore très incertaines parce que soumises à la menace d’une dégradation de la situation sanitaire et des restrictions sociales qui pourraient l’accompagner. Les rapports entre tourisme et périphéries, la centralité des lieux et la durabilité du tourisme sont en question (Bourdeau, 2008 ; Bernard et al., 2017).

Trouver la bonne distance. Les mutations de l’accueil…

Depuis le début de cette crise sanitaire, le vocabulaire s’est enrichi de nouveaux termes : confinement, gestes-barrières, distanciation sociale ou physique. Terminologie sanitaire nécessaire mais combien antinomique avec les pratiques touristiques dont le principe réside justement dans l’accueil, la convivialité et le rapprochement. Pour accueillir cet été les touristes, tous les territoires préparaient une série de mesures protocolaires permettant de garantir cette fameuse distanciation. Elles attendent les cadrages des services ministériels qui doivent encore changer au 1er août, mais il est évident que les sociabilités touristiques sont remises en cause. Difficile dans ces conditions de boire l’apéro, le pot de l’amitié et d’accueil, de manger ensemble, de danser ou encore de chanter au milieu d’un groupe d’amis. Le dialogue avec les visiteurs quand tout le monde est masqué et maintenu à deux mètres de distance semble bien différent. Dominic Lapointe (2020), dans son étude canadienne, évoque un « tourisme à 2 mètres » (6 foot-tourism).

Les gestes naturels de l’accueil touristique sont bannis au profit de toutes sortes d’applications numériques et mobiles, avec parfois des avatars qui font office de guide. Séverine Durand (communication personnelle, mai 2020), hôtesse d’accueil de l’Office de tourisme de Grenoble, explique :

Durant les dernières années on nous a incités à supprimer les banques d’accueil pour se rapprocher du client. Maintenant on réfléchit à tout faire pour prendre de la distance. On va supprimer aussi l’accès libre aux brochures à la boutique car il y a un risque de propagation. On ne sait pas comment on va faire pour montrer sur les cartes les itinéraires. Même pour nos bornes tactiles. On pense à les supprimer de peur de contamination sur écran ou bouton. Où sera notre sourire derrière des masques ! C’est fou, ça remet totalement en question notre métier.

Emmanuel Herman (communication personnelle, mai 2020), directeur du tourisme de la Communauté de communes Cœur de Chartreuse qui gère le Cirque de Saint-Même (espace naturel avec 80 000 visiteurs par an), l’enjeu pour cet été 2020 est de « faire preuve d’agilité et de souplesse pour ne pas perdre notre âme d’un tourisme de proximité et que le client à la fois soit rassuré et ne pense pas non plus à se retrouver dans un CHU ». Exercice difficile : il s’agit de trouver la bonne distance physique sans « casser » le lien social.

Il faut dire que le tourisme est aussi un moment de rencontres, amicales, érotiques, amoureuses. « Gardez vos distances ou je crie ! », prévenait la jeune fille dans l’Idylle interdite de Joanna Maitland (2009), c’est maintenant la réalité des interactions de l’été. On pense notamment à la vente de nouveaux appareils portatifs qui déclenchent une alarme lorsque la distance-barrière est franchie.

La proximité a changé de signification avec la crise sanitaire. Le tourisme (de proximité) se nourrissait du lien social « retrouvé », bref un temps de qualité pendant le séjour. Même des espaces naturels font l’objet de restrictions de mouvement, comme les forêts, les parcs et jardins publics ou les plages à qui sont imposés des sens uniques de marche, la suppression d’aires de repos et pique-niques, ou qui sont saisis d’interdiction de stationner. Sur le plan pratique, les responsables du tourisme s’interrogent sur les signes qui permettent de matérialiser la proximité tandis que les protections en verre, les barrières ou encore les films transparents d’emballage se multiplient.

Le lien, le local et le participatif. Les dimensions possibles d’un tourisme durable d’après-COVID

Dominique Kreziak (2020) exprime dans un article du journal Le Monde, en adoptant le point de vue du consommateur, après bien d’autres écrivains, géographes et analystes :

L’objectif des vacances, c’est d’abord de couper avec son quotidien, de changer de la routine, de quitter quelque chose. Ensuite, c’est d’aller découvrir quelque chose de nouveau. On n’a pas forcément l’habitude de l’envisager si proche de chez soi, il va falloir faire preuve de créativité. Et c’est une très bonne opportunité pour repenser notre idée de l’ailleurs : il peut être tout près.

Les témoignages et les premières observations mentionnent cette préoccupation. Pour Jeremy Rifkin (2005), « les biens et les services passent au second plan, ce sont les relations humaines qui deviennent la marchandise la plus précieuse ». Comme une valeur refuge et pour limiter la contamination, le mode vacances qui semble prendre l’avantage correspond au mode « tribu » en famille dans des lieux qui privilégient l’espace et le grand air. Le lien avec les proches et les valeurs du territoire sont maintes fois cités dans les entretiens. Ce « recentrage sur l’essentiel » fonctionnerait comme un réflexe en période de crise. Comparativement, la consommation marchande, notamment de vêtements et de gadgets de vacances, semble ralentir.

En matière de tourisme, le lien social au territoire est incarné par les « locaux », c’est-à-dire les résidents permanents depuis relativement longtemps du lieu, qui lui donnent corps et qui lui procurent cette âme qui donne le sentiment de se reconnaître dans les lieux et d’y appartenir. Le lien s’incarne dans la famille, même éloignée, les amis, les tribus, les groupes constitués, les clubs, les connaissances… De signaux faibles avant la crise de la COVID-19, les vertus du lien sont devenues essentielles. Dès lors, les publics de proximité, souvent infrarégionaux, deviennent les plus captifs pour une destination dans la mesure où le lien est plus fort, plus ancien également ; sur le plan pratique, le déplacement vers cette destination est maîtrisé ; tout cela comme les résidents secondaires qui, de fait, se sentent « chez eux » (Urbain, 2002). Et sur eux reposera probablement une part plus importante de l’activité touristique. Tout à la fois ambassadeurs, promoteurs, hébergeurs, résidents, ils construisent du lien dans nombre de sites.

Le local génère plus majoritairement un tourisme responsable. Ce contrat social avec le territoire se légitime, s’inscrit avec le « code territorial », ses valeurs, son environnement. Pour l’Union nationale des associations de tourisme (UNAT, 2020), « Le tourisme solidaire regroupe les formes de tourisme ‘alternatif’ qui mettent au centre du voyage l’homme et la rencontre et qui s’inscrivent dans une logique de développement des territoires. L’implication des populations locales dans les différentes phases du projet touristique, le respect de la personne, des cultures et de la nature et une répartition plus équitable des ressources générées sont les fondements de ces types de tourisme », ce que confirme Gilles Caire (2007).

Le tourisme durable est une philosophie directement inspirée du développement durable. Il englobe toutes les formes de tourisme respectueuses de l’environnement et soucieuses du bien-être des populations. Le tourisme local est d’ailleurs un processus déjà connu de développement depuis les années 1990 (Bachimon et Amirou, 2000). Le local est durable parce qu’il incite au slow tourisme qui engage à découvrir une destination en acceptant le rythme de vie local (Lebreton et al., 2020). La blogueuse Lola Dubois (2019) témoigne de cette motivation actuelle pour « voyager en toute conscience ». Elle invite à intégrer cette découverte dans un éloge de lenteur et des codes locaux mis en exergue dans les travaux de Pierre Sansot (1998) notamment. Cela représente autant de pistes pour le tourisme d’après-COVID. Ce motif permet de sortir des lieux communs, de mener l’aventure de proximité.

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Escalade, paysage et ressourcement dans le massif des Albères, Pyrénées Orientales

Escalade, paysage et ressourcement dans le massif des Albères, Pyrénées Orientales
Photo : André Suchet, été 2020

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Le local est aussi participatif. C’est précisément une dimension attendue avant la crise sanitaire 2020, mais que la situation imposée par cette pandémie – avec notamment la perte de confiance dans la gestion politique de la crise et la remise en cause du politique à l’heure du mouvement social des Gilets jaune (voir notamment les analyses de Floris et Gwiazdzinski 2019) – peut renforcer. Les forces sociales en présence tendent à converger autour des thématiques du renouveau de la pensée et de « l’agir » démocratique, de la justice sociale, de la préservation de l’environnement et de la prise en compte des générations futures (solidarité, coresponsabilité, soutenabilité et cohésion sociale). C’est le sens du texte très récent de Francesc Romagosa (2020) qui ose même qualifier la crise sanitaire de la COVID-19 d’« opportunité pour le tourisme durable et de proximité ».

Ce sont des modèles économiques, plus ou moins convergents. Ils gravitent autour d’une reconsidération du modèle classique de croissance perpétuelle (économie circulaire, consommation collaborative, économie de la frugalité, économie des circuits courts, etc.). L’institutionnalisation politique et empirique de ces modèles est un processus inscrit dans la durée, qui entraîne des changements progressifs, voire des hybridations. L’économie sociale et solidaire dans le domaine du tourisme constitue un bon exemple de ce processus.

Ce tourisme local est durable quand il met en priorité la gestion des problématiques locales au bénéfice des habitants. Ce sont eux qui y vivent, qui y travaillent. Ce sont eux qui vont transmettre à leurs enfants leurs biens et leur héritage. Ce sont eux qui produisent un tourisme qualitatif, fidélisant et particulièrement adapté aux nouvelles aspirations des clientèles touristiques. Si le tourisme d’après-COVID‑19 avait pour ambition de servir le local, il chercherait à limiter la consommation au profit de la participation.

Conclusion

Le tourisme semble dans une période charnière où s’impose un lien entre un lieu, des habitants et des visiteurs. Proximité géographique, offre de pratiques récréatives tournées vers l’espace naturel libre, utilisation de circuits courts devraient caractériser la majorité des stratégies dans les destinations touristiques 2020. Dans le même temps, les conditions d’accueil (le port du masque ou la distance dite sociale) sont clairement modifiées. De nombreuses recherches en cours et publications thématiques annoncées devraient confirmer ces premières observations.

Certains acteurs, déjà positionnés dans ce sens avant la crise sanitaire de la COVID-19, se trouvent renforcés dans leurs convictions et leur logique d’un développement éthique ; d’autres vont expérimenter des pratiques touristiques nouvelles et s’adapter. Les résultats de cette étude témoignent de cette préoccupation, y compris dans de grandes destinations du tourisme de masse comme le Cap d’Agde en Méditerranée.

Des entreprises du secteur vont souffrir de ce contexte économique, de la réduction et la reconfiguration du marché (hôtellerie, commerçants, spectacles…), mais cette situation semble pouvoir bénéficier à un tourisme non marchand, plus respectueux de l’environnement. L’émerveillement et la contemplation d’un lieu, d’un paysage sans artifice, un public limité et de nouvelles formes d’attention au local semblent devoir caractériser cette période transitoire et cet après-COVID. Avec de nombreux activités, festivals, discothèques, parcs de loisirs fermés ou à accès très limité, ce tourisme se recompose autour d’expériences à la fois plus proches en distance et plus proches de l’environnement. Cette crise sanitaire semble remettre en cause le « zapping » à toute vitesse d’un programme de vacances, la consommation effrénée dans des destinations lointaines et le tourisme de masse basé sur la « foule ».

Liste des sources

Liste des sources écrites

Baromètre Orchestra et TOM, 2020, Baromètre du Tourisme loisirs , 2 e  quinzaine de mars 2020.

Dubois, Lola, 2019, Le slow tourisme : voyager en toute conscience , 25 avril. < www.ouvrirlemonde.com >, blogue du Centre d’échanges internationaux, Paris, consulté en août 2020.

Kreziak, Dominique, 2020, « La crise du Covid-19 est l’occasion de réinventer ce que signifient vacances et voyage », Le Monde , 15 mai.

Observatoire de l’économie du tourisme, 2020, Les effets de la crise du COVID-19 sur le secteur du tourisme , Les notes de tendances n° 1, INSEE [Institut national de la statistique et des études économiques] et Banque de France.

UNAT, 2020, « Tourisme social et solidaire, Le tourisme au service des hommes et des territoires », < www.unat.asso.fr >, consulté en août 2020.

Liste des sources orales

Tourisme littoral

Bezes, Christian, directeur, Office du tourisme Cap d’Agde Méditerranée, communication personnelle, mai 2020.

Commerçant et représentant interprofessionnel, Argelès-sur-Mer, souhaitant conserver l’anonymat, communication personnelle, mai 2020.

Dancale, Renata, hôtesse d’accueil et impliquée dans des projets en spectacle vivant, Banyuls-sur-Mer, communication personnelle, mai 2020.

Responsable des séjours dans la station d’Argelès-sur-Mer, souhaitant conserver l’anonymat, communication personnelle, mai 2020.

Tourisme urbain et culturel

Berthet, Nicolas, chargé de la promotion, Office de tourisme de Perpignan Méditerranée, communication personnelle, mai 2020.

Commerçant et président d’une association de spectacle, Perpignan Méditerranée Métropole, souhaitant conserver l’anonymat, communication personnelle, mai 2020.

Durand, Séverine, hôtesse d’accueil de l’Office de tourisme de Grenoble-Alpes Métropole, communication personnelle, mai 2020.

Panne, Gilles, directeur, Office du tourisme de Béziers Méditerranée, communication personnelle, mai 2020.

Tourisme de montagne et ruralité

Commerçant et personnalité politique locale, station de Font-Romeu, souhaitant conserver l’anonymat, communication personnelle, mai 2020.

Fantin, Danielle, directrice, Office de tourisme de Corrençon-en-Vercors, communication personnelle, avril 2020.

Herman, Emmanuel, directeur du tourisme, Communauté de communes du Cœur de Chartreuse, communication personnelle, mai 2020.

Silva, Jean-Marc, directeur général, France Montagnes, communication personnelle, mai 2020.