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Introduction

S’il est un domaine professionnel emblématique du changement, entre tradition et transformation, c’est bien celui des métiers des bibliothèques et de la documentation. Les évolutions techniques et les évolutions du rapport à l’information des usagers ont bouleversé – et influencent toujours – la mission de médiation de l’information des professionnels du domaine. Au cours du temps, les modèles ont évolué d’un paradigme orienté vers la mise en place et la gestion de systèmes d’information à un paradigme plus orienté vers les usages et la médiation, jusqu’à un paradigme orienté acteurs, dans lequel l’usager devient acteur de la construction de sa propre information. Dans ce contexte, les notions de compétence et de culture informationnelle deviennent prédominantes (Kennel, 2008). Ces modèles cohabitent encore. Dans le paradigme orienté acteur, souvent associé aux considérations sur la désintermédiation de l’accès à l’information (Espaignet et al., 2003), l’enjeu est d’assurer la capacité de l’usager à maîtriser les processus de collecte, de traitement et de production de l’information de manière autonome.

Si tous les domaines de l’information sont impactés par les transformations des usages et la nécessité d’une médiation pédagogique, les contextes éducatifs sont particulièrement concernés par cet enjeu de formation des usagers, qu’ils soient élèves ou étudiants. Dans différents pays, le métier de professeur documentaliste, ou teacher-librarian, intègre cette dimension dès l’enseignement secondaire. Les contours sont plus flous dans l’enseignement supérieur, mais d’importantes dynamiques existent partout sur le globe.

À l’université, la nécessité de former les étudiants en intégrant l’éducation aux médias et à l’information a cessé d’être questionnée ; elle est au contraire plébiscitée (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2013). Néanmoins, la réalité de la formation est encore sujette à discussion. Elle pose des questions de missions et de place dans l’activité professionnelle des bibliothécaires. Elle soulève également la question des compétences et de l’identité professionnelle. La compétence pédagogique participe-t-elle de l’essence des métiers des bibliothèques universitaires ? De quelle façon ? Quelle est ou quelle peut être la place de la formation dans ce champ professionnel ?

À partir d’un tour d’horizon des formations existantes et de l’analyse plus précise d’une expérience locale française, nous nous proposons d’interroger les enjeux de la formation de formateurs pour les bibliothèques universitaires, les contours qu’elle prend ainsi que les transformations que cette activité peut engendrer pour les métiers.

Nous dresserons dans une première partie le paysage de la formation à la pédagogie telle qu’elle est proposée en France. Nous analyserons sa formalisation et les contenus proposés. Nous présenterons ensuite une étude de cas, celle du Label Formateur proposé par plusieurs établissements universitaires français du site alsacien. Nous étudierons ses objectifs, ses modalités, sa mise en oeuvre, et en ferons un bilan prospectif. Enfin, nous débattrons des effets de la mission de formation des usagers et du développement de cette compétence professionnelle sur les métiers des bibliothèques.

Enjeux de la formation pédagogique et compétences visées

Former pour améliorer la qualité des usages étudiants

Depuis plusieurs décennies, la formation à la maîtrise de l’information est reconnue comme un réel enjeu d’éducation (UNESCO, 2013) et de réussite académique, en particulier à l’université (Coulon, 1997). L’intégration imposée d’une unité d’enseignement de méthodologie du travail universitaire dans les cursus de premier cycle en France à la fin du XXe siècle (France. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 1997), la formation à « l’apprendre à apprendre » dans d’autres pays comme la Belgique, a permis de mettre en place des formations pour les étudiants. Plus récemment, c’est l’obligation de favoriser le développement des compétences transversales qui apparaît dans les textes officiels français, précisant qu’il faut former l’étudiant « au repérage et à l’exploitation des ressources documentaires » (France. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2018). Dans une approche moins restrictive, les différentes dénominations de la compétence attendue, comme « maîtrise de l’information », « culture de l’information », etc., sont souvent aujourd’hui regroupées sous le terme d’« éducation aux médias et maîtrise de l’information » (EMI), proposé dans le rapport de l’UNESCO sur la formation pour les enseignants dans ce domaine (UNESCO, 2012), qui d’ailleurs en propose les contours en termes d’acquis d’apprentissages.

Au Québec, un référentiel a été proposé en 2016 pour décrire les compétences informationnelles attendues dans l’enseignement supérieur (Groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles, 2016). En France, les constituants de cette « métacompétence » sont décrits dans le référentiel proposé par l’association des directeurs de bibliothèques universitaires (Association des directeurs et personnels de direction de bibliothèques universitaires, 2012), adapté de référentiels internationaux, notamment celui de l’Australian and New Zealand Literacy Framework (Australian and New Zealand Institute for Information Literacy et Council of Australian University Librarians, 2004). L’ensemble est structuré en quatre grandes familles : que l’étudiant soit capable d’identifier un besoin d’information et d’en définir la nature et l’étendue, d’accéder aux informations nécessaires avec efficience, d’évaluer de façon critique l’information obtenue (sources, démarche et résultats) ainsi que de produire et communiquer à partir de ses résultats. La formation des étudiants aux compétences informationnelles, portée par l’enthousiasme du milieu professionnel pour les compétences transversales, est donc bien moins considérée aujourd’hui par les tutelles comme un « supplément d’âme » (Boraud et al., 2017), et ce, même si sa mise en oeuvre rencontre toujours de nombreux obstacles. Elle continue de susciter des débats au sein de la profession, tant du côté des responsables de la formation initiale et continue que du point de vue des bibliothécaires eux-mêmes : quelle place dans la formation disciplinaire, quelle reconnaissance dans les diplômes ? Quels acteurs de la formation ? Avec quelles compétences ? Quels liens entre les équipes pédagogiques et documentaires ?

Un enjeu affirmé pour des compétences peu définies

L’activité de formation des usagers figure dans les missions des bibliothèques universitaires françaises. Ses personnels ont la responsabilité de « former les utilisateurs à un emploi aussi large que possible des techniques nouvelles d’accès à l’information scientifique et technique » (France. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2011), et de contribuer par là à la réussite des étudiants (Alix, 2017).

Les différentes réformes statutaires ont également inscrit « dans les statuts des personnels la mission de formation documentaire : conservateurs (1992), bibliothécaires (1992), et – plus récemment – bibliothécaires assistants spécialisés (2011) » (Cachard, 2015). Dans la réalité, les formations sont pour beaucoup assurées en France par des bibliothécaires (catégorie A)[1], mais aussi des personnels de catégorie B ou C ainsi que par des bibliothécaires, des vacataires et souvent des enseignants-chercheurs ou des enseignants de l’enseignement secondaire (Claud et Micol, 2014). Ce paysage est encore compliqué par l’intervention croissante d’autres types de personnels venus d’horizons divers.

On retrouve pour les métiers des bibliothèques et de la documentation, dans le Répertoire des métiers de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, les compétences « préparer et animer une session de formation », « assister, conseiller et former les usagers à l’utilisation des méthodes et des outils de recherche », et « concevoir des outils pédagogiques » (France. Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2011). Il nous manque cependant dans ces référentiels officiels une description plus précise de la compétence de formation des usagers, tenant compte de la particularité des contextes documentaires. Heureusement, d’autres sources sont à notre disposition. Le référentiel de l’enseignant documentaliste (Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, 2013, 2017) ou celui de teacher-librarian de l’association des bibliothèques universitaires, une division de l’American Library Association (Association of College and Research Libraries, 2017) peuvent par exemple nous inspirer. Il existe également à travers le monde des référentiels plus développés que ceux dont nous disposons en France. Le référentiel de l’American Library Association propose ainsi les compétences suivantes pour l’ensemble des métiers des bibliothèques (American Library Association, 2009). Il s’agit de maîtriser :

  • les théories de l’apprentissage, les méthodes pédagogiques et l’évaluation des résultats ainsi que leur application dans les bibliothèques et autres services d’information ;

  • les principes relatifs à l’enseignement et à l’apprentissage des concepts, des procédures et des compétences utilisés dans la recherche et l’évaluation de l’information, l’utilisation des connaissances.

De son côté, l’Association des bibliothèques de recherche du Canada précise les compétences attendues de la part des professionnels des bibliothèques dans le domaine de la culture informationnelle (Canadian Association of Research Libraries, 2010), dans les domaines suivants :

  • culture informationnelle – principes de la culture informationnelle en milieu universitaire, y compris la culture numérique et la connaissance des données ;

  • enseignement et apprentissage – connaissance des modèles et stratégies d’apprentissage, de la pédagogie et des modèles d’enseignement pertinents en milieu universitaire ;

  • enseignement et apprentissage dans l’établissement – connaissance des buts et programmes d’enseignement et d’apprentissage de l’établissement pour communiquer efficacement avec les intervenants et intégrer correctement les programmes de culture informationnelle ;

  • apprentissage permanent et réflexion critique – connaissance des concepts et principes de la culture informationnelle, y compris la valeur de l’intégration de la réflexion critique et de l’apprentissage permanent dans les méthodologies d’enseignement et de  ormation.

En France, dans le cadre de leur initiative récente pour la validation des compétences, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), les centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB) et le réseau des Unités régionales de formation à l’information scientifique et technique (URFIST) ont de leur côté défini ainsi les compétences d’un bibliothécaire formateur[2].

Niveau 1 :

  • s’approprier le scénario pédagogique d’une formation ;

  • transmettre le contenu d’une formation ;

  • effectuer le suivi d’une formation, en évaluer la qualité ;

  • communiquer efficacement ;

  • interagir avec son auditoire ;

  • animer et gérer un groupe ;

  • approfondir régulièrement ses compétences professionnelles et ses compétences pédagogiques.

Niveau 2 :

  • concevoir le scénario pédagogique d’une formation ;

  • utiliser des outils de pédagogie innovante ;

  • adapter une séance à un contenu ou à un public.

L’intérêt de la démarche de ces organismes est ainsi de collaborer pour identifier ces compétences en y associant une offre de formation cohérente à l’échelle nationale et de rendre visible et accessible à tous cette offre[3]. En effet, « embrasser pleinement cette fonction pédagogique exige de se former en conséquence, voire de développer de nouveaux savoirs afin de pouvoir accompagner des publics exigeants dans les dédales de l’écosystème socionumérique de l’information d’aujourd’hui » (Lapointe et Castonguay, 2020).

À l’ère où l’approche par compétences domine dans les définitions des métiers et l’élaboration des formations en France (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2017), cette initiative est donc essentielle pour les métiers des bibliothèques. Elle mériterait cependant de pouvoir s’appuyer sur des cadres officiels définissant suffisamment la compétence pédagogique dans la description des métiers. L’articulation entre activités professionnelles, compétences attendues pour les métiers et programmes de formation est ainsi un sujet qui reste à travailler pour une meilleure cohérence d’ensemble, car un projet de formation bien pensé doit pouvoir répondre à un référentiel de compétences visées qui correspond, dans le cadre de la formation professionnelle, à un champ professionnel ou un métier (Poumay et Georges, 2017).

La formation à la compétence pédagogique

Une offre de formation initiale limitée

Les informations disponibles au grand public sur les programmes de formations des cursus universitaires donnent à connaître peu d’éléments concernant la formation à la pédagogie, mis à part bien sûr ce qui concerne les formations particulières aux métiers des bibliothèques scolaires en France (préparation au concours d’accès au professorat de l’enseignement secondaire option documentation, niveau Master[4]), aux États-Unis ou au Canada (diplôme de teacher-librarian, relevant plus souvent d’ailleurs de la formation continue), par exemple.

Nous pouvons relever parmi les offres existantes celle de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal, dont la maîtrise en sciences de l’information[5] affiche parmi ses objectifs celui de permettre aux diplômés d’être capables d’« agir comme médiateur et formateur ». Le module « Formation à la maîtrise de l’information » représente trois crédits sur les 51 du diplôme. Il vise les acquis d’apprentissages suivants, tels que décrits dans le syllabus accessible en ligne : « développer les compétences nécessaires pour concevoir du matériel didactique et des activités de formation à la maîtrise de l’information » et « comprendre les concepts et enjeux liés à la formation à la maîtrise de l’information » (EBSI de l’Université de Montréal, 2020).

En France, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) propose une unité d’enseignement optionnelle dans sa formation des conservateurs des bibliothèques. L’objectif est que les étudiants soient capables de transmettre et d’acquérir des compétences informationnelles, d’élaborer une séquence de formation, de construire des objectifs pédagogiques et de proposer des modalités innovantes[6]. Pour les bibliothécaires, une unité d’enseignement « renseigner et former efficacement les usagers » est proposée[7]. Ces formations ne concernent que les catégories A de la filière Bibliothèque (les bibliothécaires et les conservateurs). Pourtant, les personnels de catégorie B (et C) constituent une partie importante des formateurs (deux tiers des formateurs à l’Université de Strasbourg, par exemple), sans compter les personnels contractuels ou issus d’autres filières de la fonction publique. Cela signifie que plus de la moitié des formateurs actifs en bibliothèque ne se voient proposer aucune formation initiale.

Certains parcours locaux du diplôme universitaire de technologie (deux années post-baccalauréat) ou de la licence professionnelle (bachelor) offrent un module d’enseignement sur la formation des usagers (Université Grenoble Alpes[8], Université de Strasbourg[9]) en France. De même, certains cégeps du Québec intègrent de tels modules dans leurs diplômes d’études collégiales (DEC), comme le Cégep Garneau[10].

En France, sur les 30 masters conduisant aux métiers de l’information et des bibliothèques répertoriés sur la plateforme officielle d’offre de formation en master[11], très peu affichent la formation à la compétence pédagogique à l’image du parcours esDOC de l’Université de Poitiers[12].

L’offre de formation initiale à la compétence pédagogique est ainsi assez réduite. De ce fait, la grande majorité des professionnels des bibliothèques ont longtemps assuré la formation des usagers sans aucune formation préalable à la pédagogie (ils sont le plus fréquemment issus des cursus d’Histoire et de Lettres), se confrontant ainsi à une activité qui ne relève pas du coeur de leur métier.

L’inscription de la formation dans le développement professionnel continu

Aujourd’hui, du côté de la formation tout au long de la vie, l’offre est plus développée. Celle-ci reste néanmoins ponctuelle et repose largement sur le volontariat des membres du personnel qui décident de s’engager, pour leur développement professionnel, dans la pédagogie. La formation continue à la pédagogie pour les personnels des bibliothèques universitaires françaises s’inscrit dans différents types d’initiatives : les stages d’une ou plusieurs journées, les communautés de pratiques, les parcours de certification.

Des programmes de formation à la carte

En France, différentes thématiques sont proposées dans les stages offerts par les organismes de formation professionnelle continue comme les douze Centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB) et les sept Unités régionales de formation à l’information scientifique et technique (URFIST) dédiés plus particulièrement à l’enseignement supérieur, et l’Enssib. On trouve ainsi par exemple du côté des CRFCB les intitulés de formations suivants[13], qui couvrent des thématiques développées et structurées dans le cadre du projet de validation des compétences :

  • Animer un réseau de formateurs en bibliothèque universitaire ;

  • Mettre en place des actions d’éducation aux médias et à l’information ;

  • Animer et gérer efficacement un groupe en formation ;

  • Développer une pédagogie active en formation documentaire ;

  • Former ou animer des ateliers en lecture publique : animer sans ennuyer ;

  • Animation, coconstruction et pratiques participatives ;

  • Ludopédagogie en bibliothèque ;

  • Concevoir un module de formation à distance ;

  • Prise de parole en public.

Les URFIST[14] proposent ponctuellement des formations à la pédagogie, mais l’offre reste avant tout technique, par exemple :

  • Bigbluebutton pour la formation #À DISTANCE ;

  • Réaliser un screencast pédagogique avec les outils libres et gratuits ;

  • Du présentiel au distanciel : méthodes et outils pour le formateur.

Les professionnels des bibliothèques universitaires bénéficient également de l’offre de formation interne (63 % des directeurs de bibliothèques universitaires françaises rapportent des actions de formation de leurs personnels aux nouvelles pratiques pédagogiques [Chalmel et al., 2016]) et de formations à la pédagogie proposées par les services universitaires de pédagogie, de plus en plus déployés dans le paysage universitaire français. Il s’agit d’une offre générale à destination des enseignants et enseignants-chercheurs ainsi que des chargés d’enseignement. Les relations avec les services de formation au sein des bibliothèques se développent de plus en plus. Cette offre permet d’approfondir les compétences pédagogiques adaptées aux problématiques universitaires, de nouer de liens avec les enseignants et les ingénieurs pédagogiques ainsi que de s’inscrire dans des projets et des pratiques d’innovation.

Globalement, l’intention de développement d’une offre de formation continue à la pédagogie est réelle. Elle mériterait cependant, encore aujourd’hui, de gagner en maturité. Si l’approche pédagogique est bien présente, l’ingénierie de formation avec une réelle approche par compétences et une approche programme (Prégent et al., 2009) permettrait d’articuler une offre plus cohérente qui s’inscrirait dans un alignement pédagogique réel (Sylvestre et Berthiaume, 2013).

Le réseau et les communautés de pratiques

De leur côté, les services des bibliothèques proposent également des formations internes. Ce mode de développement des compétences est généralement bien intégré dans les établissements. Les agents amenés à intervenir auprès des usagers sont préalablement accompagnés par des formateurs plus expérimentés, ils suivent des formations individualisées ou en groupes. Le modèle est fréquemment celui du mentorat (Clutterbuck, 2004) et de la formation par les pairs (Cristol, 2017), et même, dans certains établissements, de l’organisation apprenante (Argyris et Schon, 2002).

Au niveau national, des initiatives pour mettre en place un réseau national des bibliothécaires formateurs ont débuté dès les années 2000 et se sont renforcées au cours du temps. L’Association des directeurs de bibliothèques universitaires (ADBU) a pris ici une place essentielle. Sa journée d’études annuelle joue un rôle important pour la formation à la pédagogie et l’échange de pratiques, surtout depuis la création du Réseau national des formateurs mis en place en 2018[15]. Ce réseau rencontre un succès certain, preuve d’une attente forte mais aussi du développement des missions pédagogiques des bibliothèques universitaires. Il répond aux recommandations de l’inspection générale des bibliothèques françaises, qui préconisent de tels rapprochements « au niveau national sous la forme d’un réseau des compétences des opérateurs (Enssib, SCD, Urfist), pour donner plus de visibilité aux stratégies pédagogiques et promouvoir des opérations de certification ou de labellisation » (Claud et Micol, 2014). Dans le même axe, le dispositif FORMIST (FORmation à l’Information Scientifique et Technique), réseau francophone pour la formation à l’usage de l’information dans l’enseignement supérieur, avait permis, dès les années 2000, de créer des synergies en permettant au public universitaire de se former à l’usage de l’information d’une manière autonome (Noël, 2009). Il avait constitué un outil d’autoformation, un outil d’aide aux formateurs et un espace pour la recherche dans le domaine de l’information scientifique et technique. Il avait lancé les premières journées d’études réunissant les formateurs des bibliothèques avec les « rencontres formist » de 2001 à 2012.

Pour une didactique professionnelle de l’information

Plusieurs problématiques mériteraient d’être approfondies quant à l’élaboration des dispositifs de formation à la compétence pédagogique des professionnels des bibliothèques, en particulier dans le contexte de l’enseignement supérieur. Celles-ci relèvent à la fois de la pédagogie (que faut-il enseigner ? comment l’enseigner ? comment l’évaluer et le certifier ?) et d’une didactique de l’information qui reste à penser dans le cadre de l’enseignement supérieur.

Les programmes de formation à la compétence pédagogique des bibliothèques restent le plus souvent limités à la pédagogie et abordent peu le « quoi » et le « comment » enseigner la compétence informationnelle, mis à part pour une offre souvent limitée à l’éducation aux médias et à l’analyse critique de l’information. Pourtant, la didactique de l’information-documentation, définie comme

[l’]étude des conditions de transmission, d’appropriation, de médiation et de construction des enseignements et des apprentissages dans des disciplines, des domaines émergents, des technologies (TICE), des éducations, des domaines professionnels, qui tient compte de certains croisements et confluences, de la réalité de l’activité et des pratiques professionnelles des Métiers de l’Humain[,]

Frisch, 2016

mériterait d’être intégrée à la formation des formateurs, tant elle définit aussi la spécificité de l’intervention des bibliothécaires dans les cursus étudiants, formalisée notamment par des curricula de l’école à la formation tout au long de la vie (Brunel-Bacot, 1997 ; Panijel-Bonvalot, 2005).

Du côté du « comment », l’alignement pédagogique permettrait de mettre réellement en cohérence les contenus à enseigner, les pratiques pédagogiques, les objectifs et les acquis d’apprentissage (Daele et Berthiaume, 2013). L’inscription dans une approche programme (Prégent et al., 2009) amènerait aussi à concevoir un réel écosystème de formation prenant notamment en compte les contextes, les modalités d’apprentissage, mais également les questions de la collaboration au sein des équipes pédagogiques plurielles.

Le développement de la compétence pédagogique dans la formation des professionnels de l’information, et en particulier des bibliothèques, reste donc limité et surtout relève quasi exclusivement de la formation continue et d’initiatives locales peu formalisées. Elle bute sur différents obstacles : une définition officielle de la compétence pédagogique des bibliothécaires encore très modeste ; une approche de l’objet de la formation des usagers et de ses enjeux qui n’est elle-même pas toujours partagée ou qui est réductrice, « techniciste, souvent limitée à l’usage du catalogue de la bibliothèque ou d’un robot de recherche » (Panijel-Bonvalot, 2005) ; une légitimité qui reste malgré tout encore à construire par la reconnaissance des compétences développées et de l’identité de formateur.

Une étude de cas : le label « Formateur »

Répondre à l’évolution des missions professionnelles

Des initiatives locales ou peu généralisées existent néanmoins et vont plus loin que la formation de base ou à la carte. Elles visent à valider de façon plus officielle les compétences développées dans le cadre des formations. C’est l’idée des « labels ». Dans notre contexte, le label est un document issu d’une institution ou d’un groupement qui a vocation à attester de la qualité de la formation reçue. Il diffère de la certification car le dispositif n’est pas validé par un organisme certificateur indépendant et n’a donc pas de reconnaissance officielle. Le label « Formateur » est par exemple un projet issu d’un groupe de travail inter-établissements créé en 2010 et regroupant différents établissements de l’est de la France : l’université de Haute Alsace, l’université de Strasbourg, la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, puis successivement trois écoles d’ingénieurs et une école d’art[16].

Dès le départ, l’objectif du groupe de travail, créé en 2010, était d’envisager des pistes de coopération et de développement de dispositifs innovants. Ce groupe de travail est rapidement arrivé à la conclusion que « former les bibliothécaires à la pédagogie » constituerait une véritable innovation indispensable avant tout développement d’autres initiatives. Cette vision anticipait bien l’évolution nécessaire de la mission des bibliothécaires formateurs. En effet, si la formation des usagers était alors encore « une activité émergente, en quête d’identité et de repères » (Boraud et al., 2017), elle est aujourd’hui un axe essentiel de l’activité du service des bibliothèques. Une étude québécoise sur les pratiques éducatives des bibliothécaires universitaires « note une hausse de 59 % du nombre d’activités de formations entre 2003 et 2015 » (Lapointe et Castonguay, 2020). À l’Université de Strasbourg, par exemple, 12 851 étudiants ont été formés en 2019 (hors visites des bibliothèques), pour 6 362 étudiants formés en 2011 par les formateurs du service des bibliothèques universitaires et de la Bibliothèque nationale universitaire. En 2011, 44 collègues étaient impliqués dans la formation, dont 24 régulièrement. Ils sont 66 aujourd’hui, dont 52 qui interviennent régulièrement, pour une moyenne de 32 heures par an, les volumes variant d’une heure à 200 heures par an selon les formateurs (Département Formation des usagers, 2009). Les restructurations dans les organigrammes des bibliothèques traduisent ces évolutions. Ainsi, à l’Université de Strasbourg, une réorganisation des services des bibliothèques a été dessinée, inscrivant la formation comme un pôle à part entière et non plus rattaché au pôle des services aux publics. Il englobera à terme la formation continue du personnel. L’objectif est de systématiser la mise en place de coordinateurs « formation » chargés de développer les formations dans les cursus des composantes concernées, mais aussi d’étoffer le maillage des formateurs, dans chaque bibliothèque du service. Ces missions pédagogiques seront systématiquement intégrées dans les fiches de poste des agents. La montée en puissance de l’activité de formation au sein des établissements a eu pour conséquence une refonte des organigrammes et une nouvelle politique de développement et de valorisation des compétences acquises en matière de pédagogie. Au niveau des programmes de formations tout au long de la vie, comme du développement des compétences, l’élaboration d’un programme de formation ad hoc pour la compétence pédagogique avait une double intention : garantir la compétence pédagogique des professionnels de l’information et la légitimer, et répondre à un manque exprimé par les acteurs eux-mêmes, qui soulignaient que les formations existantes jusque-là étaient très théoriques et trop adaptées aux enseignants-chercheurs. Leur formalisation en cycles complets ne correspondait pas au besoin des bibliothécaires, qui souvent n’interviennent que ponctuellement auprès des étudiants.

La mise en oeuvre du projet

Dans le cadre du contrat de site, une enveloppe a été dédiée au projet. Elle s’est répartie entre les différents établissements avec l’ambition de faciliter le déroulement logistique des formations qui constitue le frein le plus souvent évoqué par les bibliothécaires-formateurs dans leur activité (ADBU, 2012). Du matériel a donc été acquis. Un conseiller pédagogique a également pu être recruté pour formaliser les outils du projet, coordonner les actions et impulser l’innovation dans les équipes des établissements partenaires. Son rôle était aussi d’accompagner les expérimentations en pédagogie active, ainsi que celles autour de la pédagogie numérique.

Un référentiel de formation a été élaboré à partir de différents référentiels métiers du Répertoire des métiers de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (France. Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2011) : bibliothécaire, enseignant-chercheur dans le supérieur, enseignant des premier et second degrés, formateur d’adultes et enfin coordinateur de formation (Boraud et al., 2017). Le cycle de formation comprend ainsi les compétences de base de l’ingénierie pédagogique et de l’animation d’un groupe d’apprenants. Il intègre également les demandes exprimées par les collègues lors d’une enquête inter-établissements, comme la gestion du stress et un module sur la communication, et propose donc des formations sur mesure. S’ajoute à cela le développement des échanges et de partage entre formateurs des différents établissements.

En partenariat avec le CRFCB-Médial, le dispositif de formation a ainsi pu être élaboré et formalisé. Cent trente-deux personnes ont été concernées par les 35 sessions qui ont eu lieu entre 2013 et 2019. Cette formation a également été institutionnalisée dans le label Formateur. Pour obtenir ce label, le candidat doit avoir participé aux actions du label Formateur, et avoir suivi au moins deux formations de formateurs jugées incontournables, avoir une pratique régulière de formateur, avoir suivi la veille technico-pédagogique. Chaque agent est ensuite invité à une autoévaluation de ses compétences, l’objectif étant moins de juger d’une performance que de la capacité de chacun à mesurer ses points forts comme ses points de progrès.

Outre le premier niveau, ouvert à tous les formateurs, un deuxième niveau du label a été proposé pour l’année 2018-2019. Il s’agissait d’un programme d’approfondissement, entièrement centré sur l’ingénierie pédagogique. Quinze personnes se sont portées volontaires sur l’ensemble du site et ont bénéficié, pendant neuf mois, d’une formation hybride offerte par une formatrice qui les a accompagnés dans la réalisation d’un projet pédagogique. Ce format – plus proche de l’accompagnement que de la formation – a permis une acquisition de compétences sur mesure et a véritablement contribué à l’accroissement de l’expertise pédagogique des participants.

Un bilan convaincant

Le projet a avant tout permis d’apporter les compétences nécessaires aux personnels assurant jusque-là leur formation de façon très empirique et souvent confidentielle, sans beaucoup de collaboration, en particulier avec les enseignants-chercheurs. Il a aussi eu pour intérêt de construire et de proposer une offre de formation à la pédagogie adaptée aux besoins exprimés par les bibliothécaires-formateurs du site et correspondant aux référentiels métiers (Boraud et al., 2017). Depuis sa création, 74 bibliothécaires ont obtenu le label (niveau 1), et 15 ont obtenu le niveau 2.

La dynamique créée par le projet a favorisé l’engagement des personnels dans la formation des usagers avec un nombre grandissant d’acteurs engagés (pour l’Université de Strasbourg, par exemple, le nombre est passé de 31 formateurs réguliers en 2011 à 64 en 2019, en incluant les formateurs de la bibliothèque nationale universitaire). La septième Journée des formateurs alsaciens a accueilli à Mulhouse 74 participants en 2019, quand 40 personnes étaient présentes à la première session de 2013. Le partage de plus de 100 supports de formation au sein des équipes de formateurs a également fortement contribué à la montée en compétences et à l’amélioration de la cohérence et de la qualité de la formation. Celle-ci a également favorisé l’émergence d’une réelle communauté de pratiques.

Quant à la reconnaissance des compétences acquises,

la perspective d’une labellisation a constitué un levier particulièrement opérant dans les équipes en donnant une légitimité et une reconnaissance à des fonctions souvent peu valorisées sur les fiches de poste et l’évaluation [et] sans nul doute, contribué à légitimer la place de la formation des usagers, au coeur du métier des bibliothécaires.

Boraud et al., 2017

À présent, la majorité des collègues formateurs du site ont obtenu le label Formateur et le besoin de labellisation est moindre. Les établissements du site souhaitent néanmoins unanimement poursuivre la formation et le label.

Un projet à l’échelle nationale

Une initiative similaire apparaît dans l’offre proposée depuis 2019 par l’Enssib, les CRFCB et le réseau des URFIST[17].

Cette offre est constituée, d’une part, d’un parcours de formation et, d’autre part, d’une validation de compétences. Le parcours est construit à partir de formations à la carte qui répondent à un référentiel commun. On peut ainsi participer à des sessions comme « animer et gérer efficacement un groupe en formation » ou « du présentiel au distanciel : méthodes et outils pour le formateur »[18]. Les deux propositions (parcours de formation et validation des compétences) peuvent être associées ou choisies indépendamment. Les compétences requises pour obtenir la reconnaissance relèvent du premier niveau du référentiel de fonction proposé par les organismes porteurs, présenté précédemment : s’approprier le scénario pédagogique d’une formation, transmettre le contenu d’une formation, effectuer le suivi d’une formation, en évaluer la qualité, communiquer efficacement, interagir avec son auditoire, animer et gérer un groupe, approfondir régulièrement ses compétences professionnelles et ses compétences pédagogiques.

Le processus de reconnaissance des compétences accorde beaucoup d’importance à l’expérience, à l’engagement dans une communauté de pratique et surtout à la réflexivité sur le développement professionnel en adoptant une posture de praticien réflexif (Schön, 1983). En effet, le dossier de validation comprend la présentation du parcours de formation de formateur, un bilan personnel de l’activité de formation, la preuve de la participation éventuelle à des groupes de travail portant sur la formation des publics en bibliothèque, et une attestation des activités de formation. Cette validation des compétences est attestée par un jury de professionnels des bibliothèques et de la formation, qui cherche à identifier les savoirs et les savoir-faire du bibliothécaire formateur à partir d’un dossier et d’un entretien[19].

Le label Formateur, tout comme le dispositif de validation des compétences, conçus par une association d’établissements français dans le cadre d’un large projet de collaboration, représentent deux initiatives très intéressantes de programme de formation et de reconnaissance de la compétence pédagogique. Leur force est d’émaner du monde professionnel, en faveur de l’évolution des métiers des bibliothèques et de la professionnalisation des acteurs. Ils nous permettent d’identifier les éléments de changement de la formation des professionnels de l’information et d’en évaluer l’impact sur l’activité et les représentations des acteurs.

Ils nous font cependant nous interroger sur plusieurs points. Si la délivrance d’un label est un premier pas vers la reconnaissance de la compétence pédagogique des bibliothécaires formateurs, mais aussi de l’importance de cette compétence dans le métier, une réelle légitimité assortie d’une reconnaissance institutionnelle gagnerait à s’inscrire dans une certification professionnelle ou un diplôme reconnu par l’État, comme cela peut exister dans d’autres pays, notamment au Canada (Koechlin et Brooks Kirkland, 2018) ou en Australie[20], où sont proposés des cursus universitaires pour devenir teaching librarian. Cette certification était un des objectifs dès le départ du projet des CRFCB en association avec les URFIST et l’Enssib. La démarche mériterait également, comme nous l’avons évoqué en première partie, de s’appuyer sur une approche curriculaire et globale bien articulée avec les compétences métiers et l’objectif disciplinaire de formation des étudiants aux compétences informationnelles.

Ces dispositifs ont en tous les cas le mérite d’exister et de s’appuyer sur des bases conceptuelles et expérientielles solides, ainsi que de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.

Former pour construire une nouvelle identité professionnelle ?

Garantir l’adéquation formation-métier

L’articulation formation-métier est l’enjeu essentiel de la professionnalisation des apprenants. L’offre de formation doit en effet répondre aux besoins du milieu professionnel. Mais ne doit-elle pas aller plus loin et anticiper l’évolution des activités, préfigurer les changements et parfois même les induire dans une vision prospective ? L’objectif d’une ingénierie de formation est bien, et d’ailleurs souvent affiché comme tel, de préparer aux métiers de demain. Pourtant, malgré l’évolution de la médiation documentaire vers une médiation pédagogique tournée vers une meilleure maîtrise de l’information par les usagers, la formation à la compétence pédagogique des bibliothécaires universitaires peine à s’institutionnaliser et à trouver sa place dans la formation académique, même dans une offre de spécialisation. Une première explication peut être trouvée dans le fait que « les personnels en poste dans les bibliothèques ne constituent pas une communauté homogène » (Alix, 2017), que ce soit en termes de spécialisation, de statut et de mission. Si la compétence pédagogique s’inscrit dans le métier de bibliothécaire, elle ne saurait le définir. Former à cette compétence ne pourrait donc qu’être un choix optionnel, lié à des contextes particuliers d’exercice, et expliquerait la volonté de ne pas systématiser ni imposer de tels modules dans les cursus de formation, comme à l’Enssib (Ientile, 2016). Ce choix peut également s’expliquer par le refus d’imposer une activité à un public qui a souvent volontairement fait le choix des métiers des bibliothèques plutôt que de l’enseignement.

À l’inverse, d’autres auteurs défendent la dominante pédagogique dans la fonction documentaire et affirment que « plutôt que de se considérer comme des professionnel·le·s de l’information, pourquoi est-ce que les bibliothécaires n’essaieraient pas de devenir ce qu’ils et elles sont déjà à bien des égards, soit des pédagogues de l’écosystème socionumérique de l’information ? » (Lapointe et Castonguay, 2020). Est-ce à dire qu’il faudrait proposer des cursus complets pour exercer dans le supérieur des métiers réellement hybrides comme ceux que l’on rencontre dans l’enseignement secondaire (professeur documentaliste, teaching librarian) ? Au sein même de la profession, le risque est qu’une telle évolution du métier ou de la mission d’une partie des professionnels, si elle n’est ni pensée ni accompagnée de manière réfléchie, n’engendre des cloisonnements et ne « fragmente la communauté professionnelle » elle-même, « au détriment du socle commun des métiers des bibliothèques et de la documentation » (Alix, 2017).

Décloisonner et collaborer

Cette proposition doit être confrontée à un autre aspect du modèle existant dans l’enseignement supérieur, qui est celui de la répartition des rôles entre enseignants-chercheurs et personnels de bibliothèque dans la formation des étudiants. Plusieurs questions se posent : quelle articulation dans l’exercice de cette mission et quels périmètres pour chacun ? Quelles compétences à partager ? Quelle reconnaissance mutuelle des compétences de spécialité ?

Béjean et Monthubert, dans leurs travaux pour la définition d’une stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES), constatent que les personnels des bibliothèques

sont rarement associés aux équipes pédagogiques alors qu’ils constituent une ressource précieuse pour aider les étudiants à développer des compétences méthodologiques dans l’accès à l’information, et aux enseignants pour trouver des ressources pédagogiques sur lesquelles s’appuyer.

Béjean et Monthubert, 2014

Les auteurs recommandent donc de « créer des équipes pédagogiques et les responsabiliser devra permettre d’associer enseignants et autres personnels engagés conjointement dans l’accompagnement des étudiants » (Béjean et Monthubert, 2014). Selon l’équipe de recherche en charge du rapport Articulation et complémentarité des équipes pédagogiques et des services de documentation au coeur de la transformation pédagogique, développer ces collaborations entre enseignants et professionnels de l’information pour la formation à la culture informationnelle des étudiants « passera à la fois par une vraie politique de formation professionnelle des acteurs de la formation et par l’évolution des identités professionnelles » (Chalmel et al., 2016). Ce changement permettra en effet de réduire le complexe du bibliothécaire qui ne revendique pas – voire même rejette – la posture de formateur professionnel ou celle de l’enseignant, et qui peine à situer son expertise et son rôle dans le collectif d’acteurs de la formation documentaire : enseignants-chercheurs, enseignants documentalistes du second degré nommés dans le supérieur, ingénieurs pédagogiques, etc. Cette solution pourra également permettre « la clarification des responsabilités des différentes catégories de formateurs » (Stoll et Blin, 2005).

Certifier et labelliser la formation pédagogique des personnels des bibliothèques est donc aussi une façon de légitimer leur place, de la faire reconnaître par les acteurs et l’institution, et de donner davantage de visibilité aux actions menées (Ientile, 2016). Cette articulation gagnerait également à se dessiner d’autres manières : en institutionnalisant le rôle des bibliothécaires dans les équipes pédagogiques, en faisant tomber les digues entre les métiers, maintenues par une approche corporatiste cloisonnante, et en favorisant un fonctionnement en organisation apprenante (Argyris et Schon, 2002).

Former des formateurs de formateurs ?

La qualité de la formation aux compétences informationnelles gagnerait également à ce que les enseignants du supérieur en charge de ces modules méthodologiques développent leurs compétences en didactique de l’information et qu’ils puissent pour cela bénéficier de formations ou au moins de l’accompagnement des spécialistes du domaine, comme le préconise le rapport au ministère de l’Enseignement supérieur de 2016 (Chalmel et al., 2016). Cette offre pourrait s’inscrire dans les catalogues des services universitaires de pédagogie et tirerait avantage d’une articulation et d’une collaboration avec ces services répondant à la nécessité « de s’adjoindre les compétences […] de spécialistes de l’ingénierie de formation » (Bertrand, 2015). L’idée serait ainsi de rapprocher les métiers de l’information et de la pédagogie dans les établissements d’enseignement supérieur, notamment dans les learning centres qui se déploient doucement dans le paysage des universités, comme le préconise le rapport conjoint de la Conférence des présidents d’université (CPU) et de la Caisse des dépôts (2011). Pour permettre aux personnels des bibliothèques d’être en mesure de former les enseignants qui interviennent auprès des étudiants à la didactique de l’information, il sera cependant nécessaire de développer un axe « formation de formateurs de formateurs », qui pourrait inscrire un troisième niveau du label Formateur ou d’une future certification.

Élaborer un programme de formation et le réaliser est une opération complexe. Il s’agit de définir l’objectif visé : quelles compétences vise-t-on ? Quel niveau d’expertise ? Il s’agit aussi de concevoir un programme cohérent, ayant du sens. Mais doit-on encore parler de métier comme objectif de formation ? La compétence pédagogique est-elle une habileté nécessaire pour le néo-métier de bibliothécaire, voire de documentaliste, ou bien s’agit-il d’une spécialisation forte qui définit un nouveau métier de bibliothécaire-formateur ?

Conclusion

La maîtrise de l’information et, plus largement, l’éducation aux médias et à l’information sont de véritables enjeux de société affirmés par les gouvernances d’un grand nombre de pays et d’organisations internationales. Dans l’éducation et l’enseignement supérieur, c’est également un enjeu de réussite académique, inscrit souvent aujourd’hui dans le développement des compétences transversales. La formation des usagers aux compétences informationnelles est donc essentielle dans les parcours scolaires et universitaires. Dans l’enseignement supérieur, elle relève de la mission des personnels des bibliothèques, aux côtés des enseignants et enseignants-chercheurs. Si l’objet de cette formation des usagers est bien décrit dans différents référentiels, même s’il mériterait d’être mieux articulé dans des curricula, les programmes de formation de formateurs pour les professionnels de l’information restent encore souvent relativement modestes et peu institutionnalisés. La volonté d’articuler l’offre de formation à la compétence pédagogique avec le besoin professionnel et les compétences attendues pour exercer les métiers est bien présente, mais souffre de la définition même que l’on peut donner de la mission pédagogique des bibliothécaires, voire de la reconnaissance de celle-ci. Cette offre de formation relève d’ailleurs principalement de la formation continue. Très peu de modules sont proposés dans les cursus de formation initiale et ils sont d’ailleurs le plus souvent optionnels. Les programmes pour la formation tout au long de la vie, quant à eux, se développent, s’étoffent et se structurent. Ils mériteraient cependant encore d’être réfléchis de manière plus systémique, avec une approche à la fois pédagogique et didactique et en intégrant une conception des métiers plus prospective. L’ambition de certification de la compétence pédagogique acquise, indispensable à sa reconnaissance, prend forme au travers de l’initiative du label Formateur, déployé depuis plusieurs années dans des établissements d’enseignement supérieur de l’Est de la France, et du dispositif récemment proposé au niveau national par les principaux organismes de formation continue dans le domaine des bibliothèques.

La formation initiale et continue à la compétence pédagogique est un reflet de l’évolution et de l’hybridation des métiers des bibliothèques. Elle reste chargée des lourdes perceptions de ce domaine professionnel, intégrées le plus souvent par les acteurs concernés eux-mêmes, qui sont encore aujourd’hui des freins à la construction d’une identité professionnelle assumée et partagée, même si elle peut être multiple. Pourtant, la maîtrise de la compétence pédagogique et l’exercice de cette compétence dans l’activité professionnelle, qu’il s’agisse de formation ou de médiation pédagogique, montrent toute la force d’adaptation de la communauté professionnelle, son inscription dans la transversalité ainsi que dans les enjeux de société et d’éducation.