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1. Introduction

Le contexte de travail des ergothérapeutes et des travailleuses et travailleurs sociaux, pour ne citer que ces deux professions de la relation d’aide, est en constante évolution avec une clientèle de plus en plus diversifiée (âge, niveau socioéconomique, langue, ethnie, état de santé, etc.) (Carter-Black, 2007; Dogra, Reitmanova et Carter-Pokras, 2009). Les appartenances ou ancrages culturels multiples, qui constituent cette diversité, font généralement référence à des systèmes de significations partagés par les membres d’un même groupe (Hall et Theriot, 2016; Kohli, Huber et Faul, 2010). Ces systèmes guident les individus quant au sens à donner aux situations et aux comportements à adopter lors d’interactions avec autrui. Pour Beagan (2015) et Cai (2016), notamment, la diversité culturelle est entendue au-delà du contexte migratoire, ce qui est également le cas dans la présente étude. En somme, toutes formes d’identités sociales et biologiques ou d’expériences communes peuvent être perçues comme source d’une différence radicale, d’une altérité chez autrui (Beagan, 2015; Cai, 2016; Hall et Theriot, 2016; Henderson, Horne, Hills et Kendall, 2018). Dans ce sens, cet Autre[1] remet parfois en doute les compétences professionnelles servant à interpréter les signes de l’environnement et à guider les actions (Bredendiek et Krewer, 2003; Fedor, 2014). Ainsi, le rapport à l’Autre se définit par la façon dont les intervenant·e·s agissent dans les situations d’interaction avec les individus qu’elles ou ils perçoivent comme différents. En outre, l’Autre existe par rapport au Soi, ce qui implique que la différence est relative, c’est-à-dire qu’elle se situe dans la relation (Ben Messahel, 2009; Ogay et Edelman, 2011; Prum, 2010). Voilà pourquoi le rapport à l’Autre évolue dans une interaction entre deux êtres ou deux groupes, qui permet aux un·e·s et aux autres de se définir, de se développer.

Former des jeunes adultes à travailler comme professionnel·le·s auprès de personnes aux ancrages culturels divers constitue un défi. Il est essentiel que ces futur·e·s professionnel·le·s acquièrent des compétences interculturelles nécessaires à l’accomplissement d’interventions respectueuses et adaptées aux cadres de référence de chacun·e (Beagan, 2015; Cai, 2016; Feize et Gonzales, 2018; Hall et Theriot, 2016; Henderson et al., 2018; Nadan, 2016). En effet, intervenir en contexte de diversité, de même qu’au sein d’une culture institutionnelle, peut donner lieu à des malentendus et des incompréhensions de part et d’autre (Cohen-Emerique, 2011; Govender, Mpanza, Carey, Jiyane, Andrews et Mashele, 2017; Hall et Theriot, 2016). Ces incompréhensions compromettent parfois la collaboration et peuvent altérer la relation d’aide (Cohen-Emerique, 2011; Govender et al., 2017). Développer des compétences interculturelles constitue un processus constant d’avancées et de reculs dans un cadre expérientiel (Cai, 2016; Govender et al., 2017; Henderson et al., 2018). Plusieurs auteur·e·s recommandent d’ailleurs d’introduire des notions en lien avec la pratique en contexte de diversité dès la formation initiale afin que les étudiant·e·s en comprennent les tenants et les aboutissants (Beagan, 2015; Dogra et al., 2009; Henderson et al., 2018; Huckabee et Matkin, 2013). Pour les établissements de formation, il s’avère essentiel de cibler les facteurs qui contribuent au développement d’attitudes et de comportements culturellement sensibles, c’est-à-dire équitables et éthiques, ainsi que respectueux et adaptés aux appartenances de chacun (Henderson et al., 2018). Cette démarche des établissements vise à l’élaboration de programmes d’enseignement adéquats. Pourtant, cet aspect est peu étudié empiriquement, et encore moins en ce qui concerne les futur·e·s professionnel·le·s des domaines de la santé et du social (Cai, 2016; Feize et Gonzalez, 2018; Henderson et al., 2018; Kohli et al., 2010; Te, Blackstock, Fryer, Gardner, Geary, Kuys … Chipchase, 2019).

Afin d’y remédier, la présente étude vise à explorer des dimensions psychologiques[2] du rapport à l’Autre d’étudiant·e·s en ergothérapie et en travail social sous l’angle des types d’orientations d’acculturation de la communauté d’accueil (Bourhis, Bosset et Sioufi, 2018; Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis, Moïse, Perreault et Senécal, 1997; Wagner-Guillermou, Tisserant et Bourhis, 2013). En considérant que ces futur·e·s professionnel·le·s sont en interaction avec des personnes aux ancrages culturels différents des leurs (que ce soit en matière de genre, d’âge, de niveau socioéconomique, de langue, d’ethnie, ou d’état de santé), l’orientation d’acculturation adoptée envers l’Autre devient un indice de sensibilité interculturelle. En se basant sur des travaux précédents sur les liens entre les orientations d’acculturation et d’autres variables psychologiques comme l’attachement adulte et la personnalité multiculturelle (Bourhis et al., 2018; Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis et al., 1997; Wagner-Guillermou et al., 2013), l’objectif de la présente étude est d’établir comment ces trois dimensions interagissent et modulent le rapport à l’Autre des étudiant·e·s. En explorant les liens entre l’orientation d’acculturation de la communauté d’accueil, l’attachement adulte et la personnalité multiculturelle, il est question d’évaluer comment ces dimensions peuvent intervenir dans la mise en place d’un programme de formation adéquat pour développer les compétences interculturelles des futur·e·s professionnel·le·s des domaines de la santé et du social.

1.1 Rapport à l’Autre et orientations d’acculturation

Considérant que la population auprès de laquelle les personnes ergothérapeutes et travailleuses sociales oeuvrent en France et en Suisse est de plus en plus diversifiée (âge, niveau socioéconomique, langue, ethnie, état de santé, etc.), il arrive que des malentendus, des incompréhensions et des jugements de valeur teintent les relations entre la ou le professionnel·le et l’Autre (Cohen-Emerique, 2011; Govender et al., 2017; Hammell, 2013; Rachédi et Taïbi, 2019). Selon ces auteur·e·s, la communication peut alors être altérée et les interventions offertes être modulées en fonction des caractéristiques des protagonistes en interaction. Pourtant, les professionnel·le·s des domaines de la santé et du social doivent comprendre rapidement la situation, sans préjugés ou idées préconçues, saisir les besoins de l’Autre et mettre en oeuvre des plans d’action pour faire face aux difficultés identifiées. Or, des études consultées (Cohen-Emerique, 2011; Sue, Zane, Nagayama Hall et Berger, 2009) constatent que les institutions et les intervenant·e·s agissent souvent en fonction des valeurs appartenant à la culture dominante, que ce soit en matière de genre, d’âge, de niveau socioéconomique, ou encore d’ethnie et de langue. Ces valeurs sont présentées comme étant universelles, créant ou entretenant une forme de discrimination. Cohen-Emerique (2011) soutient que les interventions sont aussi marquées par la standardisation des pratiques et l’uniformisation de la formation des professionnel·le·s. En fait, la pratique en contexte pluriculturel peut comporter une lecture divergente de la problématique, entraîner des problèmes lors des échanges et générer des incompréhensions, tout ceci pouvant modifier, et parfois même détériorer, l’offre de services (Hall et Theriot, 2016; Schofield, Wang et Chew, 2007; Sonn et Vermeulen, 2018).

Lors des stages en contexte de diversité, la dynamique relationnelle évolue entre un·e étudiant·e et un·e bénéficiaire aux ancrages culturels différents. Du contact entre deux cultures distinctes peut découler un processus d’acculturation qui conduit à des changements de valeurs, de normes, de comportements, etc. (Bourhis et al., 2018; Wagner-Guillermou et al., 2013). Ces changements apparaissent autant chez l’Autre que chez les membres de la communauté d’accueil, à savoir les milieux de stage des étudiant·e·s en ergothérapie ou en travail social qui tendent à privilégier la culture dominante telle que décrite précédemment (Cohen-Emerique, 2011; Sue et al., 2009). Une manière d’opérationnaliser ce rapport à l’Autre consiste à déterminer l’orientation d’acculturation endossée par l’étudiant·e comme membre de la communauté d’accueil (Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis et al., 1997). Pour la présente étude, cette théorie correspond à une vision des appartenances culturelles plus large que le contexte migratoire. En somme, il s’agit du positionnement de la ou du futur·e professionnel·le envers les ancrages culturels de la personne perçue comme différente (Bourhis et al., 2018). Comme l’expliquent les auteur·e·s à l’origine de ce concept (Bourhis et al., 2018; Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis et al., 1997; Montreuil et Bourhis, 2001, 2004), selon le type d’orientation d’acculturation des protagonistes, les relations interpersonnelles et intergroupes peuvent alors être harmonieuses, problématiques ou conflictuelles. Ces auteur·e·s décrivent six orientations possibles pour les membres de la communauté d’accueil: (1) l’exclusionnisme; (2) le ségrégationnisme; (3) l’assimilationnisme; (4) l’individualisme; (5) l’intégrationnisme; et (6) l’intégrationnisme-transformation. Ces orientations sont classées sur un continuum allant du rejet ou de la fermeture à l’Autre et à ses appartenances culturelles (relations conflictuelles) jusqu’à un positionnement plus ouvert et accueillant (relations harmonieuses) (Bourhis et al., 2018; Wagner-Guillermou et al., 2013). Elles font référence à un ensemble d’attitudes, de croyances et d’intentions guidant la manière de penser et d’agir des individus (Montreuil et Bourhis, 2001, 2004). Bien que les auteur·e·s de cette théorie utilisent un angle d’approche ciblé sur les populations migrantes, la présente étude l’applique de manière élargie à tous types de différences culturelles.

En se basant sur l’échelle d’acculturation de la communauté d’accueil (Bourhis et al., 2018; Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis et al., 1997; Bourhis, Montreuil, Barette et Montaruli, 2009; Montreuil et Bourhis, 2001, 2004), trois orientations peuvent être qualifiées de fermées ou peu accueillantes. D’abord, les exclusionnistes ne tolèrent pas que l’Autre adopte ou influence la culture d’accueil. Elles ou ils refusent également que la personne maintienne sa culture d’origine. Il s’agit de l’orientation d’acculturation la moins accueillante. En somme, les populations minoritaires n’ont pas leur place dans la communauté d’accueil. Deuxièmement, les personnes ségrégationnistes, plutôt fermées, tolèrent que l’Autre conserve sa culture d’origine. Toutefois, elles ne souhaitent pas que cet individu adopte, influence ou transforme la culture d’accueil. Les personnes ségrégationnistes évitent les contacts avec les populations aux ancrages culturels différents et préfèrent que celles-ci restent dans des lieux séparés de la communauté d’accueil. En troisième, il y a l’orientation nommée l’assimilationnisme. Elle correspond à la volonté des individus de la communauté d’accueil que les personnes perçues comme différentes renoncent à leur culture d’origine au profit de l’adoption de la culture d’accueil. Dans un contexte migratoire, Bourhis et ses collaborateurs (2018) évoquent cette orientation comme étant le reflet du «principe classique de l’absorption culturelle des immigrants au sein de la culture majoritaire de la communauté d’accueil» (p. 3).

Les trois autres orientations d’acculturation sont identifiées comme favorisant davantage l’ouverture, l’accueil de l’Autre (Bourhis et al., 2018; Bourhis et Bougie, 1998; Bourhis et al., 1997; Montreuil et Bourhis, 2001, 2004). D’abord, l’individualisme concerne les personnes qui se définissent elles-mêmes et les autres selon leurs caractéristiques, leurs qualités personnelles, leurs compétences et leurs accomplissements. Reflet de la méritocratie, soit la hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel, cette orientation ne considère pas les individus comme uniquement des membres de groupes religieux, ethniques, ou linguistiques. En effet, chaque personne a droit à un traitement égal, basé sur ses propres caractéristiques. Ensuite, il faut aborder l’orientation nommée intégrationnisme. Elle vise les individus qui acceptent et valorisent le maintien de la culture d’origine, tout en favorisant l’adoption de la culture d’accueil par l’Autre. Enfin, l’intégrationnisme-transformation désigne des gens prêts à modifier leurs propres pratiques institutionnelles et certains aspects de la culture d’accueil.

De nombreuses études empiriques ont utilisé l’échelle d’acculturation de la communauté d’accueil qui permet d’évaluer le niveau d’endossement de chacune des six orientations (Barrette, Bourhis, Personnaz et Personnaz, 2004; Bourhis et al., 2018; Bourhis et Dayan, 2004; Montreuil et Bourhis, 2004; Wagner-Guillermou et al., 2013). Selon la revue de ces études effectuée par Bourhis et ses collaborateurs (2018), il ressort que dans les sociétés démocratiques, les étudiant·e·s universitaires tendent davantage vers l’individualisme et l’intégrationnisme plutôt que vers les orientations d’acculturation plus fermées (exclusionnisme, ségrégationnisme, assimilationnisme). Ces auteur·e·s notent que les personnes qui adoptent les orientations dites ouvertes ou accueillantes se sentent en sécurité et à l’aise avec les populations ayant d’autres ancrages culturels. Cherchant le contact, elles perçoivent de manière positive les individus provenant d’autres cultures. À l’inverse, les personnes qui endossent des orientations d’acculturation moins accueillantes, voire tournées vers le rejet, se sentent facilement menacées par l’Autre (Bourhis et al., 2018). Elles évitent d’entrer en contact avec elle ou lui et en ont une perception négative. Dans le domaine du travail social, Taillandier-Schmitt et ses collaborateurs (2012) expliquent qu’en France les étudiant·e·s et les travailleuses et travailleurs sociaux endossent surtout les orientations intégrationniste et individualiste.

Selon Bourhis et ses collaborateurs (2018), les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil diffèrent en fonction de la perception des personnes aux ancrages culturels divers en question. Cette perception peut varier selon plusieurs critères: la similarité ou la différence perçue entre soi et l’Autre, la menace identitaire et sécuritaire que cet Autre représente, la compétition économique ou sociale ressentie, la menace de la cohésion linguistique, culturelle ou religieuse de la communauté d’accueil (Bourhis et al., 2018). De même, Taillandier-Schmitt et ses collaborateurs (2012) soulignent que les orientations d’acculturation peuvent différer en fonction du contexte (professionnel ou privé). Il semble ainsi qu’au travers du processus de socialisation professionnelle, les travailleuses et travailleurs sociaux en viennent à privilégier la norme professionnelle dominante (souvent assimilationnisme) plutôt que leur avis personnel. Cet état de fait peut toutefois varier selon les contextes géographiques et temporels. Ainsi, ces facteurs contextuels et sociaux ont une influence importante dans la pratique en contexte de diversité, et plus particulièrement sur le développement d’attitudes et de comportements culturellement sensibles. Toutefois, plusieurs auteurs (Bennett, 2004; Cohen-Emerique, 2011; Draguns, 2008; Eley, McAllister, Chipchase, Strong, Allen et Davidson, 2015) estiment que le rapport à l’Autre est également associé à des caractéristiques psychologiques, ici des futur·e·s intervenant·e·s en ergothérapie et en travail social. Ce sont ces caractéristiques qui seront explorées dans la présente étude.

1.2 Caractéristiques psychologiques modulant le rapport à l’Autre

Dans les écrits scientifiques consultés, plusieurs caractéristiques psychologiques ont été mises en évidence comme étant des facteurs d’influence du rapport à l’Autre. Par exemple, la théorie de l’attachement développée par Bowlby (1983) aborde la question des relations entre êtres humains, et ce, à tous les âges de la vie. Selon la théorie de l’attachement, des «modes d’emploi» relationnels sont développés durant l’enfance et influencent également les interactions à l’âge adulte. Chez l’adulte, trois dimensions structurant les comportements ont été établies par Collins et Read (1990), en se basant sur le modèle de l’attachement. Il s’agit de: (1) l’anxiété; (2) la dépendance; (3) la proximité. L’anxiété s’exprime par des désirs de contacts proches et par la peur d’être quitté·e ou rejeté·e par des personnes aimées. La dépendance renvoie au besoin d’être au contact des autres et au sentiment de pouvoir toujours compter sur eux. Quant à la proximité (ou l’intimité), elle se caractérise par un continuum entre deux pôles. D’un côté, de l’anxiété ou de la nervosité physique ou émotionnelle sont ressenties lorsqu’une personne se rapproche trop. De l’autre, un réel plaisir est éprouvé à la pensée que d’autres individus puissent dépendre de soi. Toujours en se basant sur les écrits de Collins et Read (1990), ces trois caractéristiques permettent de cibler les représentations que la personne se fait des relations, sa manière de les comprendre, de les interpréter et de les anticiper. Elles influencent le comportement et les réactions. Ces dimensions semblent donc essentielles pour mieux comprendre les interactions interculturelles. D’ailleurs, Van Oudenhoven et Hofstra (2006) se sont intéressés aux liens entre l’attachement adulte et les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil. Il en ressort que les personnes dont le style d’attachement est sécure (scores bas pour l’anxiété, scores élevés pour la dépendance et la proximité) sont plus enclines à endosser des orientations accueillantes. Bien que relativement stable dans le temps, l’attachement peut varier lors de périodes de transition, induisant momentanément plus d’insécurité chez les individus (Ainsworth, 1991; Brisset, Safdar, Lewis et Sabatier, 2010). Par exemple, Milikovitch (2010) parle de réorganisation lorsque de nouvelles informations provenant de l’environnement ne coïncident pas avec les anciennes, ce qui vient modifier les dimensions structurant les comportements envers l’Autre.

Outre les dimensions de l’attachement adulte, d’autres caractéristiques psychologiques sont considérées comme liées à la réussite du travail en contexte multiculturel (Faniko, Grin et Ghisletta, 2015; Van der Zee et Van Oudenhoven, 2000, 2001). Il s’agit de: (1) l’empathie culturelle; (2) la flexibilité; (3) l’ouverture à l’Autre; (4) le sens de l’initiative; (5) la stabilité émotionnelle. Regroupées dans l’échelle de personnalité multiculturelle (Faniko et al., 2015; Van der Zee et Van Oudenhoven, 2000, 2001), ces caractéristiques contribuent à la mise en oeuvre d’une manière d’agir adéquate en contexte de diversité, ainsi que d’une adaptation réussie dans ce type de situations. Selon Van der Zee et Van Oudenhoven (2000, 2001), l’empathie culturelle consiste en une capacité à se montrer bienveillant·e envers les sentiments, les croyances et les comportements de personnes aux ancrages culturels différents des siens. L’importance de cette caractéristique dans la pratique interculturelle a d’ailleurs été démontrée dans plusieurs travaux (Cohen-Emerique, 2011; Draguns, 2008; Kirmayer, 2008).

Concernant la flexibilité, elle réfère à une facilité à passer d’une stratégie à une autre suivant le contexte, ainsi que la capacité à apprendre de ses erreurs et de ses expériences (Van der Zee et Van Oudenhoven, 2000, 2001). Des auteur·e·s (Draguns, 2008; Eley et al., 2015) ont évoqué l’importance de cette caractéristique. En effet, les personnes flexibles sont plus enclines à s’adapter aux ancrages culturels de l’Autre et à accepter d’apprendre d’autres stratégies que celles utilisées habituellement. Quant à l’ouverture d’esprit, il est indéniable qu’elle s’avère liée aux compétences interculturelles (Bennett, 2004; Cohen-Emerique, 2011; Draguns, 2008). Van der Zee et Van Oudenhoven (2000, 2001) la définissent comme étant une attitude sans préjugé envers les personnes ayant des ancrages culturels divers (normes, croyances, valeurs). Cette manière d’être est d’ailleurs au centre de la définition de la sensibilité interculturelle (Cai, 2016; Beagan, 2015; Henderson et al., 2018). La quatrième caractéristique de la personnalité multiculturelle présentée par Van der Zee et Van Oudenhoven (2000, 2001) est le sens de l’initiative. Ces auteurs la désignent comme étant une propension à aborder les situations sociales de manière active, en prenant des initiatives. Quant à la stabilité émotionnelle, il s’agit d’un continuum entre deux types de réactions face à une situation stressante: d’un côté, une capacité à rester calme et, de l’autre, des réactions émotionnelles intenses et déstabilisantes (Van der Zee et Van Oudenhoven, 2000, 2001).

Former les futur·e·s professionnel·le·s en ergothérapie et en travail social à intervenir en contexte de diversité est essentiel pour réduire les préjugés et les incompréhensions, ainsi que pour favoriser des plans d’action éthiques et équitables. La présente étude explore comment les caractéristiques psychologiques des étudiant·e·s en ergothérapie et en travail social peuvent renseigner sur leur rapport à l’Autre dans l’activité professionnelle en contexte de diversité. Ces caractéristiques sont opérationnalisées à partir des orientations d’acculturation, des dimensions de l’attachement adulte et celles de la personnalité multiculturelle. Ces informations vont permettre aux établissements d’enseignement d’ajuster le type de formation à mettre en place suivant les orientations d’acculturation endossées par leurs étudiant·e·s. De plus, comme les caractéristiques liées à l’attachement adulte et à la personnalité multiculturelle interviennent également dans le rapport à l’Autre, il semble important de comprendre comment elles modulent les orientations d’acculturation des étudiant·e·s.

2. Méthodologie

2.1 Type d’étude

La présente étude repose sur un devis quantitatif quasi expérimental (Creswell, 2014). Cette démarche méthodologique est basée sur des questionnaires, lesquels sont remplis par les mêmes participant·e·s lors de deux temps de mesure. Il s’agit de saisir les transformations qui s’opèrent dans le temps au sein d’un large échantillon d’individus. Cette étude fait partie d’une recherche mixte de plus grande envergure menée sur trois ans en Suisse et en France (Tétreault, Gulfi et Kühne, 2016-2019).

2.2 Participant·e·s

Cette étude a été réalisée auprès d’étudiant·e·s du premier cycle universitaire (bachelor) en ergothérapie et en travail social. Deux hautes écoles de Suisse romande et onze instituts de formation de France ont été contactés. Avec l’accord des responsables des programmes d’ergothérapie et de travail social, les personnes inscrites à temps plein en première année de formation ont reçu un courriel les invitant à participer à l’étude. Il s’agit d’un échantillon de convenance, car la participation s’est faite sur une base volontaire. Conformément à l’approche méthodologique longitudinale et mixte décrite par Creswell (2014), ainsi que par Plano Clark, Anderson, Wertz, Zhou, Schumacher et Miaskowski (2015), la collecte des données de l’étude de plus large envergure s’est déroulée en trois étapes successives, soit une par année de formation. Au temps 1, l’ensemble des étudiant·e·s ont été invité·e·s par message électronique à remplir un questionnaire en ligne. Uniquement les étudiant·e·s suisses ont participé à un entretien semi-structuré. Durant la période de stage en deuxième année (temps 2), elles et ils ont aussi fait un autre entretien sous la forme d’un récit de pratique (Bétrisey et Tétreault, 2019). Le temps 3 comprend la passation du même questionnaire en ligne pour les participant·e·s de Suisse et de France, ainsi qu’un entretien (en Suisse) permettant de revenir sur l’ensemble de la formation. Le présent article porte exclusivement sur les données quantitatives issues des questionnaires passés aux temps 1 et 3 (en première et en troisième année de formation) en Suisse et en France.

En tout, 202 étudiant·e·s, soit 22 hommes (11 %) et 180 femmes (89 %) ont rempli le questionnaire aux deux temps de mesure. Les participant·e·s ont une moyenne d’âge de 23 ans (é.t. = 5,7; min = 17; max = 51). Ces individus réalisent leur formation soit en Suisse (n = 48; 24 %), soit en France (n = 154; 76 %). En ce qui a trait au domaine d’étude, 111 participant·e·s (55 %) sont en ergothérapie et 91 (45 %) en travail social. Cinq personnes (2 %) ne sont pas de la nationalité du pays dans lequel elles étudient. Par ailleurs, 24 participant·e·s (12 %) possèdent une deuxième nationalité. Concernant les groupes culturels auxquels les répondant·e·s s’identifient, seules 12 personnes (6 %) n’en mentionnent aucun. La majorité (n = 134; 66 %) en nomme un seul (généralement le groupe majoritaire, soit Suisse ou France). Seize personnes (8 %) ne s’identifient pas au groupe majoritaire (soit Suisse ou France). En outre, 56 participant·e·s (28 %) s’identifient à au moins deux groupes culturels différents (max = 4).

Les expériences professionnelles et interculturelles antérieures ont aussi été documentées, soit le nombre d’années d’expérience professionnelle acquise avant de débuter la formation actuelle, ainsi que les expériences interculturelles déjà vécues parmi les options suivantes: immigration, couple mixte, adoption d’un enfant à l’étranger, voyage significatif, ami·e·s proches de culture différente, travail auprès de populations migrantes, stage ou travail à l’étranger, activités sociales interculturelles, ou autre type d’expériences interculturelles. Parmi les 202 étudiant·e·s interrogé·e·s, 163 (81 %) n’ont pas d’expérience professionnelle antérieure à leur formation, alors que seulement 39 individus (9 %) en ont une d’une durée moyenne de 6 ans (é.t. = 6,7; min = 1; max = 30). La majorité des personnes (n = 104; 51 %) citent un à deux types d’expériences interculturelles significatives vécues. Il s’agit généralement du fait d’avoir des ami·e·s proches de culture différente, d’avoir effectué un voyage significatif, ou de réaliser des activités sociales interculturelles. Le nombre maximum de types d’expériences interculturelles significatives est de six (n = 1).

2.3 Outils de mesure

Les questionnaires, d’une durée de 15 à 20 minutes au total, sont en ligne et auto-administrés. Ils comprennent trois échelles de mesure, en plus des questions sur les caractéristiques sociodémographiques et les expériences professionnelles et interculturelles antérieures.

La première échelle porte sur l’acculturation de la communauté d’accueil (EACA). Elle a été développée par Bourhis et Bougie (1998), puis validée au Québec par Montreuil et Bourhis (2001, 2004). Elle comprend 24 énoncés qui sont évalués à l’aide d’une échelle de Likert en sept points, allant de 1 (pas du tout en accord) à 7 (énormément en accord). Cette échelle permet d’apprécier l’accord des participant·e·s à six orientations d’acculturation, soit: (1) l’exclusionnisme; (2) le ségrégationnisme; (3) l’assimilationnisme; (4) l’individualisme; (5) l’intégrationnisme; (6) l’intégrationnisme-transformation. Une moyenne des scores est calculée pour chacune d’entre elles (4 items par orientation). La cohérence interne (α de Cronbach) des six orientations d’acculturation varie entre 0,59 et 0,83 au temps 1, et entre 0,66 et 0,85 au temps 3.

La deuxième échelle vise à documenter l’attachement adulte (EAA). Elle a été développée par Collins et Read (1990), puis validée en français par Brisset, Sabatier, Lannegrand-Willems et Perchec (en préparation). Elle comporte 18 items, dont le niveau d’accord est mesuré sur une échelle de Likert en cinq points, allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord). Cette échelle informe sur trois dimensions sous-jacentes aux représentations que chacun se fait des relations à autrui: (1) l’anxiété; (2) la dépendance; (3) la proximité. Une moyenne des scores est calculée pour chaque dimension (6 items chacune). La cohérence interne (α de Cronbach) des trois dimensions se situe entre 0,76 et 0,80 pour le temps 1, et entre 0,76 et 0,83 pour le temps 3.

Le dernier outil utilisé se nomme l’échelle de personnalité multiculturelle (EPM). Il a été élaboré par Van der Zee et Van Oudenhoven (2000, 2001), puis validé en français par Faniko et al. (2015). Ce questionnaire se compose de 43 items à évaluer sur une échelle de Likert en cinq points, allant de 1 (pas du tout) à 5 (tout à fait). Les participant·e·s doivent ainsi indiquer dans quelle mesure les constats s’appliquent à elles et eux. Cette échelle évalue les caractéristiques psychologiques qui permettent de prédire une bonne capacité d’adaptation en contexte pluriculturel: (1) l’empathie culturelle (9 items); (2) la flexibilité (8 items); (3) l’ouverture d’esprit (8 items); (4) le sens de l’initiative (10 items); (5) la stabilité émotionnelle (8 items). Il s’agit à nouveau de moyennes des scores calculées pour chacune des cinq dimensions. La cohérence interne (α de Cronbach) des dimensions de la personnalité multiculturelle se situe entre 0,73 et 0,78 pour le temps 1, et entre 0,74 et 0,82 pour le temps 3.

2.4 Collecte des données

À la suite de la sollicitation, les étudiant·e·s de première année ont reçu un message électronique les invitant à remplir le questionnaire en ligne (temps 1, soit en 2016). Des informations sur la nature de l’étude, les bénéfices et risques ainsi que le droit de retrait étaient fournies. Les personnes devaient donner leur consentement avant de débuter le questionnaire. Puis, un deuxième message les invitant à remplir à nouveau le questionnaire a été envoyé aux participant·e·s lors de la troisième année de formation (temps 3, soit en 2018). Compte tenu de leur stabilité et de leur pertinence, les informations concernant le sexe, l’âge, le lieu et le domaine de formation, les groupes culturels d’identification, les expériences professionnelles antérieures à la formation et les expériences interculturelles significatives vécues n’ont été documentées qu’au premier temps de mesure. À titre de rappel, aucun questionnaire n’a été passé au temps 2.

2.5 Analyses statistiques

Pour permettre des comparaisons, seuls les scores des participant·e·s qui ont répondu aux deux temps de mesure ont été pris en compte (en première et en troisième année). Pour les trois échelles de mesure, à savoir l’acculturation de la communauté d’accueil (EACA), l’attachement adulte (EAA) et la personnalité multiculturelle (EPM), les moyennes et les indices de dispersion ont été calculés pour chacune des dimensions et chacun des deux temps de mesure (temps 1 et 3). La significativité des différences de moyennes entre les temps 1 et 3 a été testée à l’aide du t de Student pour échantillons appariés. En complément, la taille de l’effet a été établie à l’aide du d de Cohen.

Puis, des analyses de régressions linéaires multiples utilisant un modèle «pas à pas» (multiple stepwise) ont été effectuées sur chacune des six orientations de l’EACA pour les deux temps de mesure. Pour les besoins de l’étude, les variables prédictives de nature sociodémographique introduites dans le modèle sont l’âge, le nombre de groupes culturels d’identification, le nombre d’années d’expérience professionnelle antérieure à la formation et le nombre d’expériences interculturelles significatives vécues. En plus des éléments sociodémographiques, l’anxiété, la dépendance, la proximité, l’empathie culturelle, la flexibilité, l’ouverture d’esprit, le sens de l’initiative et la stabilité émotionnelle ont été introduits dans le modèle de régression pour les deux temps de mesure. En ce qui concerne les régressions effectuées sur les six orientations de l’EACA du temps 3, les variables du temps 1 et du temps 3 de l’attachement adulte (EAA) et de la personnalité multiculturelle (EPM) ont été introduites. L’ensemble de ces analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel statistique SPSS (version 25).

3. Résultats

Une analyse descriptive des trois échelles utilisées (EACA, EAA, EPM) sera effectuée. Puis, des modèles de régressions linéaires multiples seront réalisés pour chacune des orientations d’acculturation aux temps 1 et 3.

3.1 Description des résultats aux trois échelles de mesure

Les participant·e·s ont complété à deux reprises (temps 1 et 3) trois échelles de mesure liées au rapport à l’Autre: (1) EACA; (2) EAA; (3) EPM. Les moyennes des scores pour les différentes dimensions de ces trois échelles sont décrites en comparant les deux temps de mesure (t de Student pour échantillons appariés).

3.1.1 Échelle d’acculturation de la communauté d’accueil (EACA)

Les moyennes à l’EACA pour les deux temps de mesure sont présentées dans le tableau 1. Les différentes orientations ont été classées en ordre croissant, allant de la fermeture à l’ouverture vis-à-vis des populations aux ancrages culturels différents de ceux de la communauté d’accueil.

Tableau 1

Comparaison de moyennes pour l’EACA (n = 202)

Comparaison de moyennes pour l’EACA (n = 202)

Note: ddl = degré de liberté; échelle de Likert en sept points, allant de 1 (pas du tout en accord) à 7 (énormément en accord), * p < ,05; ** p < ,01.

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Les orientations d’acculturation assimilationniste et exclusionniste récoltent le moins d’accord de la part des participant·e·s. En effet, les moyennes respectives sont de 1,5 (é.t. = 0,6) et de 1,8 (é.t. = 1,1) pour le temps 1, ainsi que de 1,4 (é.t. = 0,6) et de 1,6 (é.t. = 1,0) pour le temps 3. Concernant l’assimilationnisme, ces moyennes indiquent que les participant·e·s ne souhaitent pas encourager l’Autre à renoncer à sa langue et sa culture d’origine au profit de la langue et de la culture majoritaire de la communauté d’accueil. La différence de moyennes entre les deux temps de mesure n’est d’ailleurs pas significative (t(198) =  1,11, p = 0,292, d = 0,01). Quant à l’orientation exclusionniste, les étudiant·e·s interrogé·e·s adhèrent peu à cette attitude d’intolérance envers le maintien des cultures d’origine des populations aux ancrages culturels différents. Les répondant·e·s sont peu en accord avec le fait de mettre en place des conditions susceptibles d’inciter ces populations à quitter la communauté d’accueil. D’ailleurs, l’intérêt démontré pour cette orientation diminue significativement entre les deux temps de mesure, avec une taille de l’effet qui s’avère moyenne (t(197) = 3,15, p = 0,002, d = 0,05).

Avec une moyenne de 3,3 (é.t. = 1,4) pour le temps 1, et de 3,1 (é.t. = 1,4) pour le temps 3, les participant·e·s semblent un peu plus en accord avec l’orientation d’accultu-ration ségrégationniste, tout en restant au-dessous de la moyenne (3 = un peu en accord). Ainsi, les étudiant·e·s tolèrent légèrement que les personnes avec d’autres ancrages culturels conservent leur culture d’origine, mais tendent à vouloir qu’elles restent entre elles dans des espaces distincts. De plus, cette orientation suggère d’éviter les contacts avec l’Autre afin de ne pas affaiblir la culture majoritaire. Néanmoins, l’intérêt pour le ségrégationnisme diminue significativement entre les deux temps de mesure, bien que la taille de l’effet soit faible (t(198) = 2,08, p = 0,038, d = 0,02).

Pour l’intégrationnisme-transformation, les moyennes se situent entre 3,9 (é.t. = 1,4) pour le temps 1 et 4,1 (é.t. = 1,3) pour le temps 3. Les participant·e·s endossent moyennement cette orientation, à savoir la valorisation du maintien de divers aspects de la culture d’origine des personnes avec des ancrages culturels divers. De plus, il s’agit pour les étudiant·e·s de chercher à modifier leurs propres pratiques institutionnelles et certains aspects de leur culture afin de favoriser l’intégration de ces personnes. Le niveau d’accord envers l’intégrationnisme-transformation augmente d’ailleurs significativement entre les deux temps de mesure, mais avec une taille de l’effet plutôt faible (t(197) = -2,22, p = 0,028, d = 0,02).

Il apparaît que les orientations d’acculturation intégrationniste et individualiste sont celles qui obtiennent le plus fort accord de la part des participant·e·s. La moyenne pour l’intégrationnisme est de 5,1 (é.t. = 1,0) pour le temps 1, et de 4,9 (é.t. = 1,0) pour le temps 3. En somme, les étudiant·e·s approuvent le fait que l’Autre adopte la culture majoritaire, mais tout en facilitant le maintien de sa culture d’origine. Toutefois, la moyenne d’accord avec cette orientation diminue significativement entre les deux temps de mesure (t(198) = 2,43, p = 0,016, d = 0,03). La taille de cet effet reste cependant peu élevée. Quant à l’individualisme, les participant·e·s s’y accordent encore plus, avec une moyenne de 5,3 (é.t. = 1,3) pour le temps 1, et de 5,5 (é.t. = 1,3) pour le temps 3. Les membres de la communauté d’accueil se définissent ici et définissent les autres selon leurs caractéristiques personnelles et le mérite individuel. En somme, elles et ils n’enferment pas les individus dans leurs appartenances groupales. Entre les deux temps de mesure, l’endossement de cette orientation augmente de manière significative, mais avec une faible taille de cet effet (t(197) = -2,05, p = 0,042, d = 0,02).

3.1.2 Échelle d’attachement adulte (EAA)

Le tableau 2 présente les moyennes à l’EAA pour les deux temps de mesure. En ce qui concerne la dimension de l’anxiété, la moyenne des étudiant·e·s ne diffère pas significativement entre les deux temps de mesure (t(200) = 1,89, p = 0,061, d = 0,02). Elle est de 2,7 (é.t. = 0,8) pour le temps 1, et de 2,6 (é.t. = 0,8) pour le temps 3. Ces résultats montrent que le désir des participant·e·s d’avoir des contacts étroits avec les autres reste peu élevé (2 = pas trop d’accord; 3 = ni d’accord, ni pas d’accord). De plus, elles et ils expriment une peur relative que les personnes aimées les quittent ou les rejettent.

Tableau 2

Comparaison de moyennes pour l’EAA (n = 202)

Comparaison de moyennes pour l’EAA (n = 202)

Note: ddl = degré de liberté; échelle de Likert en cinq points, allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord).

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Pour la dimension de la dépendance, les participant·e·s obtiennent une moyenne de 3,5 (é.t. = 0,7) au temps 1 comme au temps 3. Plus élevées que pour l’anxiété, ces moyennes révèlent que les étudiant·e·s ont un besoin modéré d’être en contact avec d’autres personnes et de savoir qu’elles et ils peuvent toujours compter sur elles. Comme pour l’anxiété, la différence entre les deux temps de mesure n’est pas significative (t(200) = -0,64, p = 0,520, d = 0,00). Quant à la dimension de la proximité, la moyenne est de 3,9 (é.t. = 0,7) au temps 1, et de 3,8 (é.t. = 0,8) au temps 3, ce qui indique que les participant·e·s prennent plaisir à la pensée que d’autres individus puissent dépendre d’elles et eux. À nouveau, la différence de moyenne entre les temps 1 et 3 n’est pas significative (t(200) = 0,83, p = 0,405, d = 0,00).

3.1.3 Échelle de personnalité multiculturelle (EPM)

Dans le tableau 3, les moyennes à l’EPM sont présentées pour les deux temps de mesure. Les participant·e·s ont obtenu des moyennes élevées à la dimension de l’empathie culturelle, soit de 4,0 (é.t. = 0,4) pour le temps 1, de même que pour le temps 3. Elles et ils disent faire preuve d’une capacité de bienveillance envers les membres d’un groupe culturel différent du leur. En outre, les étudiant·e·s sont sensibles aux sentiments, pensées, comportements de personnes aux ancrages culturels divers, et ceci de manière constante dans les deux temps de mesure (t(201) = 1,94, p = 0,054, d = 0,02).

Tableau 3

Comparaison de moyennes pour l’EPM (n = 202)

Comparaison de moyennes pour l’EPM (n = 202)

Note: ddl = degré de liberté; échelle de Likert en cinq points, allant de 1 (pas du tout) à 5 (tout à fait) * p < ,05.

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Les moyennes d’ouverture d’esprit sont modérément élevées, soit de 3,6 (é.t. = 0,6) pour le temps 1, et de 3,5 (é.t. = 0,7) pour le temps 3. Les participant·e·s tendent à avoir une attitude sans préjugés envers les personnes considérées comme faisant partie d’un autre groupe d’appartenance. La différence entre les moyennes des deux temps de mesure n’est pas significative (t(201) = 1,42, p = 0,158, d = 0,01), ce qui témoigne de la stabilité de cette ouverture.

Comme pour l’ouverture d’esprit, les participant·e·s rapportent un sens de l’initiative moyen, soit de 3,4 (é.t. = 0,5) pour le temps 1 et le temps 3. De manière similaire pour les deux temps de mesure (t(201) = 0,47, p = 0,636, d = 0,00), les étudiant·e·s interrogé·e·s tendent à aborder les situations sociales de manière moyennement active et prennent des initiatives. En outre, pour la dimension de la flexibilité, les répondant·e·s obtiennent une moyenne de 3,2 (é.t. = 0,6) au temps 1, et de 3,1 (é.t. = 0,6) au temps 3. La différence entre ces moyennes n’est pas significative (t(201) = 1,22, p = 0,223, d = 0,01), soulignant que cette dimension reste stable dans les deux temps de mesure. Selon ces résultats, les participant·e·s sont moyennement capables de s’ajuster lorsqu’une stratégie semble inefficace. Elles et ils considèrent apprendre globalement de leurs erreurs et parviennent à faire face à des situations nouvelles.

La seule dimension de l’EPM qui évolue significativement entre les deux temps de mesure est la stabilité émotionnelle (t(201) = 2,33, p = 0,021, d = 0,03). La taille de cet effet reste toutefois plutôt faible. Avec une moyenne de 2,9 (é.t. = 0,6) pour le temps 1, et de 2,8 (é.t. = 0,7) pour le temps 3, il s’agit aussi de la dimension pour laquelle les moyennes obtenues sont moins élevées que celles des autres dimensions de l’EPM. En somme, les participant·e·s jugent qu’elles et ils gardent moyennement bien leur calme face à des situations stressantes, bien que la stabilité émotionnelle diminue un peu au temps 3.

3.2 Régressions sur les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil à partir des variables prédictives

Afin de prédire les moyennes des six orientations d’acculturation de la communauté d’accueil au temps 1 puis au temps 3, des régressions linéaires multiples «pas à pas» (multiple stepwise) ont été réalisées sur chacune d’elles à l’aide des variables prédictives décrites précédemment. Les modèles significatifs sont présentés pour le temps 1 (cf. tableau 4) et pour le temps 3 (cf. tableau 5).

Pour l’exclusionnisme au temps 1, un haut score d’anxiété et un bas score d’ouverture d’esprit sont des prédicteurs significatifs d’un accord avec cette orientation visant le rejet des populations aux ancrages culturels différents de ceux de la communauté d’accueil (F(1, 196) = 4,430, p = ,037, r2 = ,079). Ce modèle n’explique toutefois que 8 % de la variance totale de la dimension exclusionniste, ce qui représente un effet de petite taille. Au temps 3, les deux mêmes variables prédictives ressortent dans un modèle expliquant 14 % de la variance totale pour cette orientation d’acculturation (F(1, 195) = 7,877, p = ,006, r2 = ,136), ce qui reste faible. Alors que pour le temps 1, l’anxiété (ß = ,207, p = ,004) joue un rôle plus important dans la prédiction que l’ouverture d’esprit (ß = -,148, p = ,037) (c.-à.-d. qu’un haut score d’anxiété prédit davantage l’adhésion à l’exclusionnisme, alors qu’un haut score d’ouverture d’esprit en prédit le rejet), l’inverse apparaît au temps 3 (respectivement: ß = ,190, p = ,006; ß = -,284, p < 0,001). Un faible niveau d’ouverture d’esprit (moyenne au temps 3) explique davantage l’endossement de l’exclusionnisme que l’anxiété (moyenne au temps 1).

Tableau 4

Régressions sur les orientations de la communauté d’accueil au temps 1 (n = 202)

Régressions sur les orientations de la communauté d’accueil au temps 1 (n = 202)

* p < ,05; ** p < ,01.

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Concernant le ségrégationnisme, les variables prédictives significatives au temps 1 sont l’âge et le nombre de groupes culturels d’identification, expliquant 7 % de la variance totale de cette orientation d’acculturation (F(1, 196) = 4,590, p = ,033, r2 = ,066). En d’autres termes, bien que le pourcentage expliqué par le modèle soit peu élevé, les personnes jeunes (ß = -,228, p = ,001) et ayant un grand nombre de groupes culturels d’identification (ß = ,149, p = ,033) tendent à adopter l’orientation ségrégationniste. Au temps 3, le niveau d’anxiété et l’ouverture d’esprit, tous deux au temps 1, s’ajoutent aux deux autres variables prédictives dans un modèle expliquant 17 % de la variance totale du ségrégationnisme (F(1, 195) = 5,043, p = ,026, r2 = ,172), ce qui reste peu élevé, bien qu’il s’agisse du meilleur modèle prédictif pour les six orientations de l’EACA au temps 3. En fait, les personnes jeunes (ß = -,205, p = ,003) ayant un score élevé d’anxiété au temps 1 (ß = ,215, p = ,002), une faible ouverture d’esprit au temps 1 (ß = -,154, p = ,026), et un grand nombre de groupes culturels d’identification (ß = ,156, p = ,019) adhèrent davantage aux principes du ségrégationnisme.

Tableau 5

Régressions sur les orientations de la communauté d’accueil au temps 3 (n = 202)

Régressions sur les orientations de la communauté d’accueil au temps 3 (n = 202)

* p < ,05; ** p < ,01; *** p < ,001.

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Pour le temps 1, l’anxiété explique à elle seule 5 % de la variance totale de l’assimilationnisme (F(1, 197) = 10,271, p = ,002, r2 = ,050), ce qui reste faible comme modèle prédictif. En résumé, les individus ayant un score élevé d’anxiété (ß = ,223, p = ,002) s’accordent avec les principes de l’assimilationnisme. Au temps 3, l’anxiété n’est plus une variable prédictive. Elle disparaît au profit de l’ouverture d’esprit et de l’empathie culturelle, avec un modèle expliquant uniquement 14 % de la variance de cette orientation d’acculturation (F(1, 197) = 4,880, p = ,028, r2 = ,144). Par ailleurs, une faible ouverture d’esprit (ß = -,305, p < 0,001), ainsi qu’un faible niveau d’empathie culturelle (ß = -,152, p = ,028) laissent prévoir que les personnes seront en accord avec l’assimilationnisme.

Pour l’individualisme, il apparaît qu’au temps 1, l’empathie culturelle n’explique que 4 % de la variance totale (F(1, 196) = 9,034, p = ,003, r2 = ,044). En fait, bien que ce soit un effet de petite taille, un score élevé d’empathie culturelle (ß = ,210, p = ,003) prédit une adhésion aux principes de l’individualisme. Pour le temps 3, la proximité et la dépendance interviennent également dans un modèle n’expliquant que 11 % de la variance totale (F(1, 196) = 4,073, p = ,045, r2 = ,114). C’est ainsi que les personnes ayant un score élevé d’empathie culturelle au temps 3 (ß = ,180, p = ,011), de proximité au temps 1 (ß = ,246, p = ,001), mais montrant peu de dépendance au temps 1 (ß = -,146, p = ,045) endossent l’orientation individualiste.

Concernant l’intégrationnisme au temps 1, l’empathie culturelle, la flexibilité, et le nombre d’expériences interculturelles significatives vécues expliquent 13 % de la variance totale de cette orientation (F(1, 195) = 8,696, p = ,004, r2 = ,127). Bien qu’encore faible, ce modèle prédictif est le meilleur pour les six orientations de l’EACA au temps 1. Avec un niveau élevé d’empathie culturelle (ß = ,170, p = ,014), peu de flexibilité (ß = -,216, p = ,002), et plusieurs expériences interculturelles significatives (ß = ,201, p = ,004), les personnes s’accordent avec les principes de l’intégrationnisme. Pour le temps 3, les expériences interculturelles n’interviennent plus dans le modèle qui n’explique que 6 % de la variance totale (F(1, 197) = 4,690, p = ,032, r2 = ,056). Cette fois, un score élevé d’empathie culturelle au temps 3 (ß = ,172, p = ,014), et un faible niveau de flexibilité au temps 1 (ß = -,150, p = ,032) prédisent une adhésion à l’intégrationnisme.

Pour terminer, le modèle du temps 1 qui prédit l’endossement de l’intégrationnisme-transformation explique seulement 9 % de la variance totale (F(1, 195) = 4,573, p = ,034, r2 = ,085). Les personnes qui présentent un niveau élevé d’ouverture d’esprit (ß = ,187, p = ,014) et d’empathie culturelle (ß = ,160, p = ,034) tendent à être en accord avec l’orientation d’acculturation intégrationniste-transformation. Tandis qu’au temps 3, seule l’ouverture d’esprit compose le modèle de régression significatif avec toutefois uniquement 7 % de la variance totale expliquée (F(1, 198) = 15,465, p = ,034, r2 = ,072). Dans une certaine mesure, obtenir un score élevé d’ouverture d’esprit au temps 3 (ß = ,269, p < 0,001) est un prédicteur d’endossement de l’intégrationnisme-transformation.

4. Discussion

La présente étude visait à décrire l’évolution de l’adhésion aux différentes orientations d’acculturation de la communauté d’accueil, ainsi que les changements dans les variables prédictives entre les deux temps de mesure chez des étudiant·e·s en ergothérapie et en travail social. De plus, il s’agissait de mettre en évidence les caractéristiques psychologiques intervenant dans le rapport à l’Autre, opérationnalisé au travers de l’échelle d’acculturation de la communauté d’accueil, de l’échelle d’attachement adulte et de l’échelle de personnalité multiculturelle.

Dans leur revue des études empiriques sur les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil, Bourhis et ses collaborateurs (2018) relèvent qu’au cours de leur formation, les étudiant·e·s universitaires adhèrent davantage à des orientations comme l’individualisme qu’à des orientations fermées envers les populations aux ancrages culturels différents des leurs. Cela correspond à l’évolution des moyennes à l’EACA, car il est apparu qu’au temps 3, les participant·e·s de la présente étude sont plus en accord avec deux orientations d’acculturation accueillantes envers l’Autre, soit l’individualisme et l’intégrationnisme-transformation. Par ailleurs, elles et ils endossent moins l’exclusionnisme et le ségrégationnisme, qui sont des orientations fermées, ainsi que l’intégrationnisme au temps 3 qu’au temps 1. Bien que significatifs, ces changements sont de petite taille. Des résultats similaires sont mentionnés par Taillandier-Schmitt et ses collaborateurs (2012) dans le domaine du travail social. Ainsi, ces résultats sont encourageants, dans le sens où les étudiant·e·s tendent à se tourner davantage vers des attitudes accueillantes après plus de deux ans de formation, que ce soit en ergothérapie ou en travail social.

Pour les dimensions de l’EAA (anxiété, dépendance, proximité), aucune différence significative n’a été enregistrée entre les deux temps de mesure. En d’autres termes, ces caractéristiques restent stables dans le temps. L’apprentissage des actes professionnels par les stages ne semble pas avoir de retombées importantes sur la manière d’entrer en relation avec l’Autre. Quant à l’EPM, seule la stabilité émotionnelle des participant·e·s varie, diminuant entre le temps 1 et le temps 3, bien que ce changement soit de petite taille. Il est possible qu’à l’approche de la fin de leur formation, les étudiant·e·s aient plus de mal à rester calmes dans des situations stressantes.

Les modèles de régression linéaire multiple ont permis de mettre en évidence des liens entre les dimensions de l’EAA et de l’EPM et les différentes orientations d’acculturation envers l’Autre. Bien que ces liens soient faibles, il a été observé que le fait d’être en accord avec les principes de l’exclusionnisme peut être prédit par les niveaux d’anxiété et d’ouverture d’esprit. Pour le ségrégationnisme, les variables prédictives sont l’anxiété et l’ouverture d’esprit, ainsi que l’âge et le nombre de groupes culturels d’identification pour le temps 3. Pour le temps 1, l’anxiété et l’ouverture d’esprit ne sont pas présentes dans le modèle prédictif. Quant à l’assimilationnisme, si l’anxiété apparaît comme prédicteur au temps 1, l’ouverture d’esprit et l’empathie culturelle deviennent les variables prédictives au temps 3. Plus précisément, l’anxiété et la fermeture d’esprit semblent prédire l’endossement des orientations d’acculturation qui prônent le rejet des populations aux ancrages culturels différents, leur mise à l’écart ou la volonté de leur faire adopter la culture dominante. En somme, présenter de l’anxiété dans les relations (peur du rejet) tend à pousser les individus à être en accord avec les orientations d’acculturation fermées (exclusionnisme, ségrégationnisme, assimilationnisme). Cette peur de l’Autre se reflète bien dans l’EACA, comme l’expliquent Bourhis et ses collaborateurs (2018). Selon ces auteurs, lorsqu’un sentiment de menace est ressenti envers l’Autre, les contacts sont évités. Les deux autres dimensions de l’EAA, à savoir la dépendance et la proximité, interviennent différemment de l’anxiété.

À l’inverse, endosser des orientations d’acculturation accueillantes rime principalement avec empathie culturelle, ouverture d’esprit et flexibilité. Pour l’individualisme, les variables prédictives sont l’empathie pour le temps 1, avec l’ajout de la proximité et de la dépendance pour le temps 3. En d’autres termes, les étudiant·e·s qui privilégient les compétences et les caractéristiques individuelles plutôt que l’appartenance à un groupe sont aussi celles et ceux qui montrent beaucoup d’empathie culturelle, d’intérêt à la proximité avec les autres et de joie liée au fait que d’autres personnes dépendent d’eux. Concernant l’intégrationnisme, être en accord avec ses principes va de pair avec un niveau d’empathie culturelle élevé, un grand nombre d’expériences interculturelles significatives de type différent, et un faible niveau de flexibilité. Quant aux personnes qui se reconnaissent dans l’intégrationnisme-transformation, il s’agit d’individus présentant une grande ouverture d’esprit, ainsi qu’une grande empathie culturelle. Ces résultats sont similaires à ceux de Van Oudenhovent et Hofsta (2006) concernant les liens entre l’attachement adulte et les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil. Quant aux caractéristiques psychologiques de la personnalité multiculturelle, elles semblent également confirmer ce que des auteurs (Faniko et al., 2015; Van der Zee et Van Oudenhoven, 2000, 2001) cherchaient à démontrer. En effet, en contexte de diversité, l’empathie culturelle, l’ouverture d’esprit et la flexibilité favorisent une attitude accueillante envers l’Autre.

Plusieurs limites ressortent, soit les difficultés de recrutement des étudiant·e·s (taux de réponse pour les deux temps de mesure) ou encore l’opérationnalisation du rapport à l’Autre et le choix des outils de mesure. Il est estimé que les changements observés sur les trois échelles de mesures (EAA, EPM, EACA) puissent rester faibles sur une durée de deux ans. Un suivi à plus long terme, une fois la formation initiale terminée, pourrait mettre en évidence l’évolution de ces dimensions chez les professionnel·le·s. L’utilisation d’échelles de mesures plus sensibles serait aussi une piste de solution. Par ailleurs, il est à noter que certaines des orientations de l’EACA présentent une cohérence interne inférieure à 70 %, ce qui peut remettre en question les résultats obtenus. De plus, les modèles de régression obtenus n’expliquent que faiblement les orientations d’acculturation endossées par les participant·e·s. Toutefois, cette étude est originale et peu de recherches ont abordé cette thématique.

5. Conclusion

Dans un contexte où les populations rencontrées par les professionnel·le·s de la santé et du social sont de plus en plus diversifiées, la formation à une approche interculturelle contribue fortement à une offre de services respectueux des ancrages culturels de chacun·e. Pour adapter la formation de ces professionnel·le·s, il s’avère aussi important de comprendre comment s’établit la relation avec l’Autre. L’utilisation de mesures comme l’EAA, l’EPM et l’EACA peut donner des pistes aux enseignant·e·s afin d’entreprendre un travail visant l’évolution des étudiant·e·s vers une pratique culturellement sensible.

Au vu des résultats obtenus, il semble essentiel de conscientiser les étudiant·e·s dès le début de leur formation au défi de la pratique en contexte de diversité. Étant donné que les caractéristiques psychologiques mesurées par l’EAA et l’EPM semblent rester stables durant la formation, les mettre en évidence dès la première année serait très utile afin de travailler sur ces éléments avec les étudiant·e·s. Un travail pourrait être fait en leur enseignant les manières d’être à favoriser pour une intervention culturellement adaptée et en les encourageant à l’introspection et à l’autoréflexion sur les attitudes qu’elles et ils adoptent envers les personnes aux ancrages culturels différents des leurs. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’aborder ces éléments peut entraîner des émotions parfois négatives (stress, anxiété, gêne, colère, frustration, etc.) (Beagan, 2015; Hall et Theriot, 2016; Kohli et al., 2010). C’est pourquoi un encadrement non jugeant, accueillant et compréhensif doit être procuré aux étudiant·e·s.

Comme les caractéristiques psychologiques mesurées demeurent relativement stables, il faudrait vérifier si le peu de différences enregistrées sur les trois échelles utilisées témoigne d’une carence dans le développement de la sensibilité et de l’ouverture à l’Autre lors de la formation. L’efficacité des divers moyens pédagogiques utilisés (cours magistraux, exercices, jeux de rôles) pour développer ces compétences pourrait être mesurée dans le cadre d’une autre étude. Des recherches longitudinales sur d’autres formations seraient aussi nécessaires. En conclusion, comme certaines personnes dans cette étude, qui vont pourtant oeuvrer dans des domaines de relations d’aide, démontrent encore des attitudes de rejet envers l’Autre, il importe de former les futurs intervenant·e·s pour offrir aux personnes ayant des marqueurs culturels significatifs des services équitables et respectueux de ces différences.