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Introduction

Le 9 février 1949, un décret instaurait le monopole public sur l’audiovisuel français et créait la Radio-Télévision française (RTF). Dès lors, la télévision se constitue peu à peu comme un « grand média populaire » en France[1]. En 1952, quelques monteuses prennent l’initiative de préserver les sources audiovisuelles des coups de ciseaux des réalisateurs[2] et journalistes car « toute émission passée est susceptible de fournir les éléments d’une diffusion future »[3]. De l’émission télévisée « Magazine du temps passé » (1953-1960) à la radiophonique « Affaires sensibles » (sur France Inter depuis 2014), le traitement de l’histoire dans les médias audiovisuels gagne une place à part[4]. Avec la multiplication des programmes à base d’archives, documentaires historiques mais aussi actualités, commémorations, bêtisiers ou talk-shows les plus divers, les documentalistes jouent un rôle-clef dans la chaîne de production des programmes audiovisuels.

Ainsi, elles et ils définissent, au fil des décennies, leur « territoire professionnel » au sein d’un écosystème audiovisuel plus large, au sens où l’entend Andrew Abott,[5] au coeur d’un environnement de travail où s’organise une division des tâches, parfois concurrentielle, entre les différents métiers.

Qui sont les « documentalistes » ?

Habituées à travailler dans l’ombre, celles[6] que l’on appelle « documentalistes » ont la charge d’indexer les programmes, c’est-à-dire de les décrire et de les résumer, à la fois en tant que contenus et en tant que supports, en vue de leur archivage. Les documentalistes ont également pour tâche de sélectionner des sons pour la radio, ou des images d’archives pour la télévision, afin d’illustrer les différents programmes audiovisuels.

Pourtant, le métier de documentaliste de l’audiovisuel demeure très méconnu, comme en témoigne sa quasi-absence parmi les fonctions des personnes figurant au générique des créations audiovisuelles, ainsi qu’auprès des chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales.

C’est un fait : la documentation exige beaucoup, même si en retour, elle offre peu de reconnaissance à ceux qui exercent ce métier… dans l’ombre…[7]

Mon article a pour ambition de définir l’évolution du périmètre professionnel occupé par les documentalistes de l’audiovisuel dans les créations audiovisuelles, périmètre peu visible et mal défini. De fait, il analysera aussi la question de la visibilité des tâches, cruciale dans la construction de l’identité professionnelle des documentalistes qui évoluent dans l’ombre des créations audiovisuelles.

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un doctorat en Information-Communication qui porte sur l’histoire de la profession de documentaliste de l’audiovisuel, des débuts de la télévision publique à nos jours. Il repose sur une trentaine d’entretiens semi-directifs inédits, menés d’octobre 2017 à décembre 2019, auprès de documentalistes travaillant ou ayant travaillé à l’Institut national de l’audiovisuel (INA), à la Radio-Télévision publique italienne (RAI), ainsi qu’auprès de documentalistes travaillant à contrat pour la télévision publique française. Ma recherche s’appuie aussi sur l’analyse des archives institutionnelles et syndicales (tracts, rapports, courriers, notes internes, etc.) mises à ma disposition par l’INA. Cet article se concentrera plus particulièrement sur l’histoire sociale de la profession de documentaliste de l’audiovisuel telle qu’elle s’est déroulée au coeur de l’audiovisuel public, à la Radio-Télévision française de 1952 à 1964, et à l’Office de radiodiffusion de la télévision française de 1964 à 1975, puis à l’INA.

Dès 1952, les documentalistes de l’audiovisuel construisent leurs savoir-faire, leurs outils et leurs méthodologies de travail de manière autonome, à l’écart des injonctions institutionnelles ou commerciales. La profession ayant été créée par des femmes et ayant été occupée par une écrasante majorité de femmes jusqu’aux années 1990, on peut émettre l’hypothèse que le manque de visibilité du métier est corrélé à sa féminisation[8].

Longtemps reléguées loin des studios des chaînes de télévision, les documentalistes se sont donnés pour principale mission de faire connaître les archives audiovisuelles auprès de publics toujours plus divers, et en les inscrivant dans des créations audiovisuelles, puis numériques. Cet article décrira comment les compétences des documentalistes de l’audiovisuel public se sont d’abord construites à partir de quelques initiatives individuelles. Avec la création de l’INA en 1975, les documentalistes ont ensuite mené différentes luttes pour faire reconnaître leur périmètre professionnel dans le cadre des productions audiovisuelles. Enfin, elles et ils vont activement contribuer à élargir le public des archives audiovisuelles en développant des outils de valorisation inédits.

Naissance du métier de cinémathécaire au sein de la RTF et de l’ORTF (1952-1975)

Un métier qui se construit sur des initiatives individuelles

Le métier de « cinémathécaire » – c’est la première dénomination du métier de documentaliste de l’audiovisuel – se constitue dès les débuts de la télévision publique française, à l’initiative d’une monteuse de la Radio-Télévision française (RTF), en 1952.

Violette Franck entre à la télévision pour organiser les archives. Elle occupe en tout et pour tout un bureau étriqué au rez-de-chaussée de la rue Cognacq-Jay[9]. Pas de machine à écrire. Seul matériel, une armoire de fer et son contenu : onze pellicules. C’est le point de départ de ce qui va devenir la cinémathèque. Quelque temps plus tard, Violette Franck installe en squatter son service dans des bureaux vides, et place l’Administration devant le fait accompli[10]

Le métier se crée donc dans des conditions matérielles au départ très aléatoires. Face aux « coups de ciseaux assassins » des journalistes[11] qui s’attaquent directement aux pellicules pour réutiliser des extraits de programmes antérieurs dans de nouvelles créations, les cinémathécaires prennent en charge, de manière autonome et loin des responsables institutionnels et politiques, la sauvegarde des sources audiovisuelles.

Des compétences peu visibles dans la division du travail ?

Les cinémathécaires[12] mettent peu à peu en place des outils structurés d’indexation des programmes sauvegardés. Elles – car ce sont des femmes à l’origine – décrivent de plus en plus finement les contenus et les supports archivés, et développent des pratiques de classement, de recherche documentaire et de communication de ces archives aux clients de la radio et de la télévision, journalistes, producteurs et réalisateurs. Toutefois, ces tâches s’effectuent toujours dans un contexte peu encadré, et les limites du périmètre professionnel des cinémathécaires restent floues.

Selon Everett C Hughes, « pour étudier correctement la division du travail, il faut, dans chaque système de travail, prendre en compte le point de vue de toutes les catégories de personnes qui y sont impliquées, que leur position soit supérieure ou inférieure, qu’ils soient au centre ou à la périphérie du système »[13]. Pour ce qui est des cinémathécaires, leurs tâches s’inscrivent dans un travail collaboratif avec les autres acteurs et actrices des créations audiovisuelles.

On était […] en contact avec les techniciens qui vérifiaient les supports, on l’a toujours fait, même du temps de l’ORTF, il y avait les documentalistes, les monteurs-monteuses, les techniciens qui vérifiaient le matériel, qui faisaient visionner les clients sur les tables de montage, qui restauraient le matériel quand il était endommagé, et le scotch sur le film et tout ça…
[…] Il y avait plusieurs corps de métier… c’est vraiment la chaîne de traitement documentaire classique : on a les supports qui arrivent, ils sont stockés, classés, décrits (format, support, durée) et parallèlement, la documentaliste qui regarde le contenu et le lien qui est fait entre le contenu et le contenant[14].

Toutefois, leurs missions sont peu visibles et reflètent le propos d’Axel Honneth, à savoir que « les dominants expriment leur supériorité sociale en ne percevant pas ceux qu’ils dominent »[15]. Ce n’est finalement qu’en 1964 que la première cinémathèque de télévision est créée, en même temps que l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). C’est une première étape vers la reconnaissance des compétences du métier de cinémathécaire. La recherche de contenu s’effectue désormais dans un « fichier-bulle » qui regroupe et classe l’ensemble des fiches documentaires sur les programmes conservés, par ordre chronologique, mais aussi thématique. La profession se construit donc sur des compétences de rédaction, de synthèse, de rapidité, pour la réalisation des fiches documentaires lors de la prise d’antenne en direct des programmes de flux. Elle repose aussi sur de nécessaires compétences d’organisation, de recherche documentaire, de classement, ainsi que de communication des archives. Pourtant, la cinémathèque ne dispose toujours pas d’un « budget propre »[16]. De 1952 à 1975, elle est toujours bien peu visible dans l’organisation du travail des créations audiovisuelles.

Une naturalisation genrée des compétences

Le métier de documentaliste de l’audiovisuel s’inscrit dès sa création dans une identité de genre au travail, à l’image de ce que l’historienne Michelle Perrot appelle les « métiers de femme »[17]. Ainsi, les compétences professionnelles des documentalistes prolongeraient les qualités « naturelles » et domestiques de la femme bourgeoise, c’est-à-dire, comme l’explique une cinémathécaire de l’ORTF interrogée pour le magazine Micros et caméras en novembre 1968, « méthode, patience, et diplomatie […], savoir être disponible sans être trop intéressée […][18] ». Toutes qualités ne nécessitant aucune formation particulière, et ne suscitant donc aucune reconnaissance en retour.

Le métier de cinémathécaire s’inscrit dans une division du travail construite à partir des postures récurrentes des documentalistes face à leurs clients journalistes et réalisateurs, qui sont en majorité des hommes pendant les premières décennies de la télévision. Certes, les cinémathécaires participent aux créations audiovisuelles, mais elles, car ce sont en majorité des femmes[19], sont surtout considérées comme des appuis discrets au service des créateurs.

Les journalistes nous considéraient souvent comme une sorte de sous-employées, éventuellement de prestataires…[20]

Les documentalistes semblent en partie reléguées aux tâches ingrates, au « sale boulot » conceptualisé par Everett Hughes, c’est-à-dire à ces tâches qui n’impliquent pas de reconnaissance sociale et dont le sens est difficilement perceptible pour les autres catégories professionnelles. Par exemple, dans un extrait de l’émission « Micros et caméras »[21], diffusée le 14 février 1970, on voit le journaliste français Philippe Gildas réaliser sa commande d’extraits auprès de la cinémathèque d’Actualités de l’Office de radio-télévision française (ORTF), pour illustrer le journal télévisé quotidien. La division du travail paraît alors très verticale : la cinémathécaire répond à une commande, dans un rôle comparable à celui d’une assistante, sans prise d’initiative visible. Dans cet extrait, le travail des cinémathécaires semble intégré à une division du travail très genrée. Ainsi, les bureaux des cinémathécaires sont occupés quasi exclusivement par des femmes, celles-ci effectuant des recherches pour les hommes journalistes. Encore aujourd’hui, et même si elle s’est peu à peu constituée collectivement, la profession souffre d’un manque de reconnaissance de ses pairs et de sa clientèle dans les industries audiovisuelles, et elle reste ignorée du grand public.

Entre 1952 et 1992, les demandes d’archives ont explosé, à mesure que se multipliaient les chaînes et les programmes télévisés, en particulier parce que l’illustration à base d’archives permet d’éviter les coûts d’un tournage à l’extérieur. Face à ces besoins, les cinémathécaires ont donc organisé leur propre méthodologie de travail en mettant en place des bordereaux d’indexation recensant les principales informations sur les programmes diffusés et permettant le classement des archives. Les réalisateurs et les journalistes pouvaient désormais y avoir rapidement accès en cas d’urgence. Cependant, cette évolution s’est réalisée dans une relative indifférence des institutions et des responsables de la télévision.

Par ailleurs, la question du genre est essentielle dans la construction identitaire des documentalistes de l’audiovisuel à l’INA et elle est devenue un enjeu tout au long des années 1970 et 1980. Les documentalistes s’investissent dans des mobilisations collectives qui recoupent parfois des enjeux féministes, dans un objectif de reconnaissance salariale et de plus grande égalité, avec les métiers masculins de l’audiovisuel en particulier.

Rendre visibles les compétences dans le nouveau contexte de l’INA (1975-1992)

La création de l’Institut national de l’audiovisuel : un nouveau cadre institutionnel de travail

En 1975, après l’éclatement de l’ORTF (en 1974) fut créé l’Institut national de l’audiovisuel.

L’INA est né d’un oubli. Celui qui, au moment de l’éclatement de l’ORTF en 1974, a concerné les activités d’archivage, de formation, de production de création et de recherche. À la question posée à l’époque : « que faire de cette palette hétérogène ? », l’énergie de quelques-uns permit l’impensable : les rassembler, pêle-mêle, dans un seul et même organisme, l’Institut national de l’audiovisuel (INA)[22].

La naissance de l’INA constitue un tournant fondamental pour la profession de documentaliste de l’audiovisuel, qui en constitue la profession numériquement la plus importante depuis sa création[23]. Au coeur de cet « établissement public à but industriel et commercial » (EPIC), le travail des documentalistes de l’audiovisuel se déroule désormais dans le double objectif de permettre, d’une part, la conservation d’un fonds audiovisuel exceptionnel en Europe, et d’autre part, de valoriser et de vendre le maximum d’archives, en particulier pour les créations radiophoniques et télévisées.

L’Institut apporte un nouveau cadre financier qui permet des expérimentations inédites en Europe dans les méthodologies et pratiques de la documentation audiovisuelle. L’INA offre, par ailleurs, un contexte institutionnel inédit à la profession, dans laquelle on entre désormais par un concours, qui constitue un rite de passage fondamental pour le groupe des documentalistes. Cela signifie aussi l’émergence d’une reconnaissance des compétences professionnelles puisque l’entrée dans la profession repose sur une sélection. Le concours comporte des épreuves de culture générale, portant sur des questions aussi variées que la politique, la culture ou les médias, mais aussi des épreuves de rédaction et de synthèse. Les profils littéraires sont de fait nettement privilégiés. Parmi les documentalistes que j’ai rencontrées, celles qui sont entrées à l’INA par ces concours des années 1970-1980 avaient toutes auparavant obtenu des diplômes de l’enseignement supérieur, surtout en anglais, en lettres ou en histoire.

Nouveaux besoins et élargissement des compétences

Entre 1975 et 1995, ce sont donc les documentalistes, désormais appelées « analystes de documentation », qui prennent en main, et ce de manière relativement autonome, l’évolution et l’homogénéisation de ces outils. Les missions des documentalistes de l’INA sont doubles : analyser et indexer le flux d’images et de sons diffusés sur les chaînes télévisées et radiophoniques, et archiver de manière structurée les programmes en vue de leur éventuelle et probable réutilisation par les créateurs et créatrices.

Les documentalistes veulent avant tout répondre aux demandes croissantes des journalistes et réalisateurs de la télévision, en particulier ceux du service des Actualités, qui ont recours à leurs services en cas de commémorations ou d’hommages, ces derniers étant parfois imprévus.

[À propos des années 1970] Ma hantise c’était Antoine Pinay[24]. C’était un vieux monsieur, je me suis dit, celui-là, s’il meurt un week-end, on est foutus, tous les films sont à Bry-sur-Marne. Alors on a commencé comme ça à créer des « bout-à-bout[25] », en plus du travail courant, toujours en plus parce qu’on voulait répondre au mieux aux commandes [des journalistes][26].

En effet, une grande partie des archives de l’INA sont peu à peu regroupées à Bry-sur-Marne, où va s’installer la direction de l’INA. Les documentalistes du service des Actualités continuent à travailler jusqu’aux années 1980 rue Cognacq-Jay, à Paris. Des coursiers font donc le relais entre ces deux endroits en semaine, mais c’est beaucoup plus compliqué durant les fins de semaine.

Par ailleurs, dès 1975, avec le soutien d’informaticiens, les documentalistes de l’INA créent une base de données audiovisuelles informatisée inédite en Europe, IMAGO.

Pour chaque émission, IMAGO[27] […] indique le genre […], le générique, le nom des participants, la chaîne et le jour de diffusion, le matériel technique disponible, l’origine (juridique) de la production. Les émissions d’actualité sont décrites plan par plan, en vue d’une réutilisation par les professionnels […][28].

Ce thésaurus[29] audiovisuel inédit permet d’organiser le classement des documents, puis leur recherche. Il est directement inspiré des normes bibliographiques classiques définies pour les livres et les documents papier. Les documentalistes de l’INA y intègrent cependant des termes adaptés à l’audiovisuel. Des réunions d’indexation sont régulièrement organisées par les documentalistes du service des Actualités, pour créer un thésaurus qui soit le plus pertinent possible et qui soit adaptable aux évolutions culturelles et sociétales, intégrant régulièrement des termes nouveaux, afin de faciliter les recherches sur les programmes en fonction des informations sur leur support, sur leur cadre économique et juridique de production, mais aussi sur leur contenu. La singularité des documentalistes repose enfin sur leur maîtrise technique des fonds audiovisuels, qui n’est partagée par aucune autre profession de la radio et de la télévision.

C’est donc en grande partie la pression de la clientèle et l’explosion des demandes d’archives qui ont incité les documentalistes à transformer leurs outils et méthodologies documentaires, de manière très autonome, mais tout en restant dans l’ombre, pour les adapter aux formats créés par les journalistes et les réalisateurs. Cela témoigne bien de leur capacité d’adaptation, voire d’anticipation, des évolutions techniques et commerciales du paysage audiovisuel.

[À propos des années 1975-1995] On était en pleine autogestion, les grands cadres n’étaient pas là, ils étaient aux Buttes-Chaumont, à Bry-sur-Marne, etc. […] Le problème, c’est qu’on avait des décisions à prendre tout seuls, et quand il fallait réorganiser quelque chose, il fallait les convaincre…[30]

Certes, le développement de ces outils est permis par le nouveau cadre institutionnel et financier de l’INA. Toutefois, la modernisation et l’homogénéisation des outils documentaires demeure en grande partie du ressort des initiatives individuelles des documentalistes.

L’affirmation d’un esprit de corps, favorable aux luttes pour la visibilité de la profession

Outre ces questions méthodologiques, la création de l’Institut national de l’audiovisuel a procuré au groupe professionnel des documentalistes un contexte favorable, qui leur a permis de s’affirmer et de faire évoluer leurs outils et leurs pratiques de manière autonome, indépendamment des directives institutionnelles ou politiques. La question de la visibilité, voire de la reconnaissance, des tâches effectuées est devenue cruciale dans la construction de l’identité des documentalistes à partir du milieu des années 1970.

Les documentalistes de l’INA appartiennent à ce que Dominique Pasquier appelle les professions « invisibles », en tension avec les professions « visibles » des créations audiovisuelles[31]. La profession, pourtant occupée par des femmes souvent très diplômées[32], est ainsi très peu reconnue par les professionnels de l’audiovisuel, et méconnue du grand public, comme l’exprime cette documentaliste en fin de carrière :

En fait, je pense que c’est un métier [dans lequel] il ne faut absolument pas avoir d’ego[33].

L’identité professionnelle des documentalistes se construit donc en partie sur un manque de visibilité des tâches, mais aussi sur des compétences spécifiques. Pour les réalisateurs et réalisatrices de télévision, « [l]e souci de définir une identité professionnelle, le besoin d’obtenir une reconnaissance de la profession de réalisateur puis de défendre ces acquis sont les moteurs des trois types de stratégies […] »[34]. De la même manière, les documentalistes de l’INA mettent en place des mécanismes pour rendre visible leur profession, et plus particulièrement leurs compétences, à travers des mobilisations pour une meilleure revalorisation salariale et statutaire, depuis la création de l’INA jusqu’au début des années 1980.

Moi, j’ai commencé en septembre 1977 et je crois qu’il y a eu un mouvement de grève en février 1978, il y en a eu un autre en 1979 [rires], et des grèves qui duraient quinze jours-trois semaines et hyper dures, avec occupation des locaux, manifs, dans la plus pure tradition quoi[35].

Dans un paysage audiovisuel français en pleine mutation, depuis l’éclatement de l’ORTF en 1974 à la loi qui mit fin au monopole public sur l’audiovisuel en 1982, les professionnelles de la documentation audiovisuelle semblent avoir été très mobilisées. Les documentalistes mènent ainsi plusieurs grèves successives pour faire reconnaître leurs missions et leurs compétences, à travers des revendications salariales et statutaires. Ces actions sont facilitées par l’esprit de corps qui s’affirme au sein d’un groupe uni et homogène, jeune et très féminin.

On était quand même que des… jeunes. Bon, il y avait quelques garçons mais pas beaucoup. Deux ! […] et il y en avait un qui avait une décharge pour délégation syndicale très importante. […] Donc… inexistants les garçons. Et on avait toutes entre 24 et 30 ans. Donc, ça faisait quand même une ambiance très particulière[36].

La mobilisation des documentalistes qui se déroule, en novembre 1981, dans le contexte de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et de la création du ministère des Droits des Femmes, est une étape-clef dans les mouvements menés par les documentalistes. D’une part, parce qu’elle est très suivie[37], d’autre part, parce qu’elle aboutit à une revalorisation salariale pour les documentalistes de l’INA travaillant pour la télévision. En effet, les documentalistes de l’INA demandent alors à l’Institut de « reconnaître les diplômes des femmes[38] ». Embauchées au même niveau d’études que la catégorie des techniciens, avec un diplôme universitaire technologique (DUT) qui sanctionne deux ans d’études supérieures, les documentalistes commencent néanmoins leur carrière avec un salaire de départ inférieur de 550 francs[39]. Après trois semaines de mobilisation et un blocage des archives pour empêcher les journaux audiovisuels et les magazines d’information d’y avoir accès, les documentalistes de télévision obtiennent gain de cause, avec un classement supérieur sur l’échelle salariale de l’INA portant leur rémunération à la même hauteur que les techniciens, dès la fin du mois de novembre 1981. Toutefois, les documentalistes de radio qui travaillent à la Phonothèque sont toujours recrutées avec un salaire inférieur.

C’est à moyen terme, en 1985, que la mobilisation de 1981 se concrétise par la signature d’une convention collective qui homogénéise les différents statuts des documentalistes des différents secteurs de l’INA (actualités filmées, documentation papier, radio et télévision notamment). Grâce à ces revalorisations salariales et statutaires, les mobilisations des années 1970-1980 aboutissent donc à une certaine reconnaissance sociale des compétences des documentalistes de l’INA.

Cependant, hormis les questions salariales, l’identité professionnelle des documentalistes reste encore mal définie jusqu’au début des années 1990. En 1992, les documentalistes de l’INA Claire Mascolo et Jean-Michel Rodes évoquent d’ailleurs un métier pour lequel « il n’existe pas un modèle, un profil type »[40].

Les documentalistes de l’audiovisuel vont se trouver dans une multiplicité de situations professionnelles aux contours mal délimités. Sont-ils documentalistes ou assistants ? Informateur, médiateur, gestionnaire d’information ?[41]

Ce flou quant aux missions est particulièrement visible à travers l’évolution de l’appellation de la profession : « cinémathécaire » de 1954 à 1974 ; « documentaliste multimédia » depuis les années 2010 ; « analyste de documentation » de la création de l’INA aux années 1990 ; puis « documentaliste de l’audiovisuel » jusqu’à l’arrivée du numérique. Pour les documentalistes qui travaillent de manière intermittente, on utilise même aujourd’hui la dénomination de « recherchiste ». Mais quel que soit le nom qu’on leur donne, la prise de conscience politique et scientifique de la valeur patrimoniale des archives audiovisuelles au cours des années 1990 va bouleverser profondément les missions des documentalistes de l’INA.

Sortir de l’ombre un patrimoine audiovisuel à destination de nouveaux publics (de 1992 à aujourd’hui)

Peu à peu, le travail de médiation des archives mené par les documentalistes de l’INA amène quelques chercheurs en sciences humaines et sociales, dans le sillage de l’historien Marc Ferro[42], à prendre conscience de l’intérêt des ressources audiovisuelles. Dès lors, les recherches sur l’histoire des contenus radiophoniques et télévisés émergent en France, à l’image des travaux de Cécile Méadel ou de Jérôme Bourdon, dès le début des années 1990.

Dépôt légal et différenciation des compétences professionnelles

La loi du 20 juin 1992 instaure le dépôt légal audiovisuel en France. L’INA est alors chargé de collecter, d’indexer et de rendre accessible l’ensemble des sources télévisuelles et radiophoniques diffusées sur les canaux hexagonaux. Sous l’impulsion de l’historien Jean-Noël Jeanneney, les années 1990 sont celles d’une nouvelle valorisation des sources audiovisuelles en tant que patrimoine collectif et national. En effet, « la fonction patrimoniale permet […] à un objet quelconque […] de passer de l’état de bien privé à celui de “bien commun” au sens des économistes »[43].

Les archives audiovisuelles s’inscrivent désormais dans un patrimoine collectif en construction. Jusqu’ici interlocutrices privilégiées des professionnels de l’audiovisuel, les documentalistes deviennent désormais responsables de la médiation entre les sources audiovisuelles et les chercheurs, au sein du nouveau centre de consultation des archives du dépôt légal de l’Inathèque, ouvert en 1998 à la Bibliothèque nationale de France. Pour cela, la structuration et la transmission des informations sur les supports et les contenus audiovisuels, de plus en plus nombreux, sont essentielles.

Il a fallu, déjà, faire beaucoup d’acculturation… montrer [aux universitaires] les bases existantes de l’époque, ces archives qui étaient là, leur expliquer comment elles étaient construites, comment étaient structurées les données… les règles et usages en termes de description… […] enfin bref, il a fallu leur expliquer tout ça… et à partir de tout ça, discuter avec eux de savoir ce qui les intéressait dans la manière de faire traditionnelle de l’INA, et ce qu’ils voudraient en plus… grosso modo, c’était ça…[44]

Les documentalistes et cadres documentaires du dépôt légal naissant inaugurent alors de nouvelles pratiques documentaires, en cherchant à adapter les niveaux de description documentaire des archives audiovisuelles aux besoins de la recherche. Une documentaliste recrutée pour encadrer le chantier documentaire du dépôt légal raconte :

[…] l’idée, c’était oui, d’être là, pour un peu piloter, diriger les réflexions, sur la méthodologie à mettre en oeuvre… puisque c’était plus du tout les mêmes… c’était pas la même mission que les archives professionnelles, c’était pas les mêmes utilisateurs potentiels…[45]

L’objectif des documentalistes du dépôt légal est de rendre publique les archives pour permettre une meilleure connaissance du passé à travers les archives audiovisuelles, mais en s’adressant spécifiquement au public inédit des chercheurs.

[Depuis le dépôt légal], on fait bien le distinguo […] entre ce qu’on peut vendre et ce qu’on peut pas vendre[46].

Désormais l’INA distingue sa mission de service public, menée par les documentalistes du dépôt légal, et sa mission commerciale, menée dans les vidéothèques d’actualités et de production, qui deviendront les services de la valorisation et de la communication des archives à la fin des années 1990. Avec la mise en place du dépôt légal, à partir de 1992, cohabitent peu à peu deux cultures documentaires à l’Institut. D’une part les documentalistes en charge de la documentation de stock au service de la « valorisation », et de l’autre, celles et ceux chargés de la documentation de flux, au service du dépôt légal.

L’indexation du flux des chaînes télévisées et radiophoniques captées par l’INA et réalisée par les documentalistes du dépôt légal est souvent ressentie comme un travail « à la chaîne », sur une cadence soutenue, qui dévaloriserait leur qualification, pourtant souvent élevée et équivalente à celle des documentalistes des « archives professionnelles ». Cette différenciation entre des documentalistes en charge de la communication commerciale des archives, les archives dites « professionnelles » à destination des réalisateurs et journalistes, et d’autres documentalistes en charge d’une mission de service public à destination des chercheurs, est renforcée par l’informatisation des données et l’entrée de l’INA dans l’ère de la numérisation des images, à partir de la fin des années 1990. En effet, l’informatisation des méthodologies de travail et l’élargissement du périmètre des chaînes captées par l’INA fait craindre une industrialisation du travail d’indexation du flux d’images diffusé par les documentalistes en charge du dépôt légal, tandis que les documentalistes en charge de la valorisation et de la communication commerciale des archives seraient davantage chargées d’un travail d’analyse approfondi des fonds anciens.

Révéler les sources audiovisuelles à un public « profane »[47] (depuis 1999)

Pour l’essentiel des fonds anciens dits « analogiques », les supports sont fragiles et se détériorent rapidement. Tout l’enjeu est donc pour l’INA d’entreprendre la migration des archives analogiques vers le numérique afin d’assurer la pérennité des fonds mais aussi leur plus grande communicabilité[48].

Le Plan de sauvegarde et de numérisation mis en place par l’INA, à partir de 1999, accroît les possibilités d’accès à ses archives et conduit à des transformations profondes des pratiques chez les documentalistes de l’INA.

En particulier, les documentalistes ont vu leurs pratiques changer. Les tâches traditionnelles que sont le catalogage, l’indexation, la recherche documentaire sont désormais largement réalisées par d’autres intervenants – le producteur en amont qui livrera l’archive avec ses données de description, l’utilisateur qui peut accéder en ligne aux bases de données et à la consultation des vidéos. Ces tâches se sont estompées pour laisser place à d’autres, centrées sur l’organisation du fonds, la valorisation des contenus[49].

Dans ce contexte d’ouverture des sources à des publics plus larges, à partir de la fin des années 1990, les documentalistes se lancent, de nouveau de manière autonome, dans un important travail de structuration des fonds. Le classement des documents, chronologique et thématique, est également mis en place sous forme de corpus thématiques et d’éphémérides, qui permettent à la fois d’anticiper les demandes des professionnels, par exemple dans le cadre de commémorations, mais aussi de rendre plus lisibles les sources dans un contexte de foisonnement des informations et des ressources disponibles.

Autour de cette valeur d’authenticité se rencontrent – et c’est là une autre de ses forces – les outils intellectuels des savants autant que les émotions des profanes, même si c’est avec quelque naïveté chez ceux-ci, et avec quelque distance chez ceux-là[50].

Les documentalistes de l’INA ont effectué, depuis les années 2000, un important travail de tri afin de valoriser certaines marques audiovisuelles symboliques d’une mémoire collective auprès du grand public.

Reconfigurer le périmètre professionnel dans le contexte numérique

Au fur et à mesure des profondes évolutions culturelles, sociales, techniques et économiques du marché des archives audiovisuelles, les documentalistes cherchent à reconfigurer leur rôle dans la chaîne de fabrication des créations audiovisuelles. Devant cette évolution des supports audiovisuels et des outils documentaires, une nouvelle division du travail s’organise à l’INA, et de nouvelles compétences sont mises en valeur chez les documentalistes. Ce nouveau contexte numérique déclenche de réelles craintes chez certaines.

[…] À l’INA, les postes de documentalistes sont vraiment remis en question. […] Mais, fatalement, ça va arriver, avec l’intelligence artificielle, les imports, ça va faire qu’il y aura moins besoin de gens sur l’indexation… C’est un métier qui va changer, il va pas disparaître mais on n’a pas besoin de 180 personnes pour valoriser le fonds, je pense pas. […] donc il faut avoir un savoir que les méchantes machines, elles auront pas[51].

Cette crainte d’une déqualification du travail est fortement ressentie chez les documentalistes dans le contexte de la numérisation des fonds. Se pose alors la question de la « préservation des compétences »[52], et même de leur mise en lumière, afin de rappeler le rôle et l’utilité du groupe professionnel dans les créations audiovisuelles. Pour Everett Hughes, le passage par une formation professionnelle induit un « modèle » de socialisation professionnelle[53]. Or, jusqu’aux années 1990, à l’INA, les savoir-faire documentaires se sont constitués « sur le tas » et la transmission se réalisait essentiellement de manière informelle, à l’écart des cadres institutionnels. La création par l’Institut, en décembre 1997, d’une licence professionnelle, formation initiale de documentation audiovisuelle inédite en Europe, formalise enfin les compétences nécessaires pour effectuer les tâches de documentation audiovisuelle.

Toutefois, les documentalistes s’interrogent toujours sur la valorisation de leurs compétences. À propos des réalisateurs et réalisatrices de télévision, « quand l’instrument devient plus facilement maîtrisable […], il devient clair que c’est la maîtrise du contenu qu’on entend préserver »[54]. La numérisation des fonds donne ainsi l’illusion que la recherche documentaire ne requiert pas de compétences professionnelles particulières – illusion renforcée par la possibilité nouvelle qu’ont les réalisateurs ou les journalistes d’accéder à plusieurs fonds d’archives audiovisuelles en ligne, en particulier à celui de l’INA avec les sites inamediapro.com, créé en 2003 à destination des professionnels de l’audiovisuel, et ina.fr, ouvert en 2006 et dédié au grand public. Puisqu’elles permettent de consulter des archives avec un simple accès Internet, ces interfaces contribuent parfois à la dévalorisation des tâches de recherche documentaire dans le paysage de l’audiovisuel et des médias.

Il est donc bien moins nécessaire que du temps de l’analogique de recourir aux documentalistes. C’est pourquoi la question de la visibilité des tâches demeure, encore aujourd’hui, au coeur de la construction identitaire de la profession de documentaliste de l’audiovisuel.

Il y en a d’autres [réalisateurs et producteurs] qui, au moment du générique, ne citent même pas les documentalistes. C’est pas une obligation, régulièrement, les documentalistes de PIAF se disent « comment on pourrait faire ? » Et comment on pourrait faire, c’est compliqué, parce qu’il y a rien d’obligatoire. Dans la loi, il n’y a pas écrit…
On peut citer les sources, c’est obligatoire, ça oui, mais la personne qui les a cherchées, c’est pas obligatoire. Et alors, c’est pas obligé de citer le perchman, mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de génériques qui le font, et que curieusement, il y a des génériques qui citent le troisième assistant mais pas la documentaliste. Et ça, c’est leur choix[55].

Dans ce contexte structurel d’invisibilité se développe l’idée, depuis les années 2000, qu’il faut se constituer en groupe professionnel pour être reconnu au sein du paysage audiovisuel. Ainsi, en 2006, est créée l’association des Professionnels de l’image et des archives de la francophonie (PIAF). L’association s’investit notamment pour définir le périmètre des missions de la profession, avec la volonté d’affirmer sa visibilité dans les industries audiovisuelles, en particulier auprès des réalisateurs et des producteurs de programmes et des créations à base d’archives.

Cependant, l’adaptabilité des documentalistes aux outils de l’archivage numérique et la nouvelle maîtrise d’un langage informatique par les documentalistes du dépôt légal peuvent également leur offrir l’opportunité de faire valoir de nouvelles compétences, tandis que, d’autre part, les missions des documentalistes de l’INA se reconfigurent dans le cadre de ces nouvelles « industries du patrimoine » que sont les plateformes de contenus[56].

Mettre en ligne des documents ne signifie pas seulement ouvrir la porte à de potentiels lecteurs. […] [Un projet] comme […] ina.fr [participe] de facto à la sphère médiatique. Le fait que leurs contenus puissent être réutilisés par les usagers, partagés et donc rediffusés, constitue un enjeu capital[57].

Ainsi, dans le contexte du numérique, les missions des documentalistes évoluent encore.

Là, il y a tout un service qui a été créé, qui s’appelle l’éditorialisation, avec des nouveaux métiers d’ailleurs, rédacteur web, c’est un métier qui est apparu, cette dimension là… et je pense qu’on a dû montrer qu’on était légitime, quelque part. Et donc, qu’on avait cette expertise du fonds. Et je pense que cette expertise elle est reconnue maintenant[58].

Le travail des documentalistes du service de l’éditorialisation consiste notamment à sélectionner des images courtes, facilement accessibles depuis les écrans mobiles, ainsi que des thématiques accrocheuses pour des publics variés. Il s’accompagne de tâches essentielles de contextualisation des sources pour les nouveaux usagers, qui ne sont pas nécessairement familiers de l’histoire des supports et contenus audiovisuels. Une importante médiation, à travers la mise en place de « nuages de mots-clefs », ou de hashtag sur les réseaux sociaux, s’élabore peu à peu. Elle s’organise toutefois dans un contexte numérique de plus en plus dominé par les GAFA et les plateformes internationales, où il faut toujours gagner en visibilité et en clics. La médiation traditionnelle menée par les documentalistes autour des sources doit donc composer avec les buts lucratifs de l’INA, lequel cherche à attirer les internautes vers la part payante de ses contenus.

Ce travail d’éditorialisation a été renforcé par une présence grandissante de l’INA sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter et Instagram, dans le courant de la dernière décennie. Les documentalistes ont ainsi un nouveau rôle à jouer dans la construction d’une mémoire collective sur les réseaux sociaux. Depuis 2012, d’ancien.ne.s documentalistes ont d’ailleurs été recruté.e.s au sein d’un service à part, au sein de la direction de la communication et non de la direction des collections, comme c’est le cas pour les services de documentation. Ce service valorise spécifiquement les contenus audiovisuels sur la plateforme ina.fr et sur les réseaux sociaux. Les rédacteur.ice.s web (une femme et deux hommes) travaillent directement avec d’ancien.ne.s journalistes, ce qui indique que la frontière entre les deux professions est de plus en plus floue lorsqu’il s’agit de mettre en valeur des archives audiovisuelles sur les réseaux sociaux.

Oh… [je ne me sens] quand même pas journaliste, mais non pas plus documentaliste. Non, non, je vois la différence quand même. C’est […] on a un peu plus la main sur le produit fini, ce qu’on n’a pas quand on est documentaliste… Vraiment, documentaliste, pour moi, c’est un passeur, on passe… […] Sauf qu’en fait, ça, ça commence à évoluer. Parce qu’ici, pour les réseaux, ils commencent à justement, aller vers ça… à aller vers la rédaction… donc peut-être que l’évolution du métier ce sera ça, en fait… d’être un peu tout… être documentaliste, rédacteur…[59]

Avec la nouvelle valeur conférée aux archives audiovisuelles par les plateformes de contenus et les réseaux sociaux, les documentalistes ne cessent donc d’adapter leurs compétences vers la valorisation et l’éditorialisation des sources, vers des tâches de plus en plus diversifiées, mais à l’intérieur d’un périmètre professionnel toujours difficile à délimiter.

Conclusion

La profession de documentaliste demeure discrète dans le domaine audiovisuel, et l’analyse par le genre des personnes qui l’exercent majoritairement semble confirmer le fait qu’elles soient confinées à l’arrière-plan.

Aujourd’hui, l’un des enjeux primordiaux du métier de documentaliste est de pouvoir répondre de manière différenciée aux différents usages des archives, professionnelles, scientifiques ou grand public, parmi le foisonnement des ressources disponibles – sachant que les documentalistes doivent aussi inscrire leurs méthodologies de travail dans le contexte d’une valeur de plus en plus marchande des archives, car ils et elles sont les interlocuteurs et interlocutrices incontournables d’usagers qui sont aussi des clients.

La question du genre est aussi un élément essentiel de la construction identitaire d’une profession qui a été créée et qui est encore aujourd’hui majoritairement occupée par des femmes, ce qui explique en partie son statut de « personnel de renfort »[60] au service des créateurs et créatrices, qu’il s’agisse des domaines du journalisme, de la mise en scène, des productions audiovisuelles ou de la recherche.

D’autre part, à l’ère du numérique dans laquelle est entrée l’INA en 1999 avec la mise en place du PSN de ses archives, les documentalistes de l’audiovisuel doivent aussi se construire une nouvelle identité professionnelle dans un contexte de profonde reconfiguration de l’organisation du travail dans ce secteur.