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Ce collectif didactique est un excellent livre, vraiment très pertinent. Il saura faire oeuvre utile, tant chez les didacticiennes et les didacticiens de l’histoire d’ici et d’ailleurs que chez les praticiennes et praticiens des différents ordres d’enseignement. De fort nombreuses façons et avec des approches le plus souvent des plus crédibles, les différents auteurs démontrent que l’enseignement de l’histoire peut bien s’amalgamer, et gagne à le faire, à des oeuvres de fiction mettant en valeur différents volets artistiques et médiatiques tels, par exemple, le cinéma, le théâtre, la télévision et les jeux vidéo ludiques, qui peuvent être pertinents à l’apprentissage eux aussi. Par la suite, l’ouvrage approfondit sur les plans didactique et épistémologique en s’interrogeant sur l’entrelacement de questions tel l’enseignement de l’histoire, jumelé à la fois à la fiction et à la narration. Cela est favorisé, à de nombreuses reprises, par le développement concomitant de la méthode historique à la base de l’enquête historienne menée en classe, ou dans son antichambre, de façon appropriée. De telles questions ne peuvent tendre qu’à des interrogations bien menées sur la culture publique et identitaire qui en découle inévitablement par l’analyse et le déploiement de possibilités didactiques sous forme muséale ou d’artéfacts, de liens, ou de reconstitutions historiques.

Les cinq sections du livre que je viens de résumer brièvement sont toutes introduites par des experts du domaine, puis subdivisées en chapitres où d’autres experts-praticiens décortiquent des thèmes approfondissant l’enseignement de l’histoire en liant le plus souvent les mondes profanes analysés à une littérature savante riche et fouillée, comme le prouve amplement la liste de références de plus de soixante pages. À partir de la section 2 est offert, dans chaque chapitre, un encadré didactique pouvant être réinvesti dans la pratique et explicitant le thème développé. Comme il s’agit d’un livre riche et très dense, tous les intervenants et les thèses qu’ils ou elles développent ne pourront être évoqués ci-dessous étant donné le nombre limité de mots qu’implique cet exercice.

Au premier chapitre, Stéphane Trudel, Stéphane Martineau et Alexandre Buysse s’interrogent sur les liens entre mémoire et histoire et ils nous disent qu’il n’y a de bonne méthode en histoire que dans la mesure où les mémoires sensibles sont jointes au grand récit (p. 22-23). D’ailleurs, il est clair que pour eux, « il ne peut y avoir présentation de l’histoire sans une certaine mise en récit » (p. 26).

Au deuxième chapitre, David Lefrançois et Marc-André Éthier interrogent des réalisateurs et dramaturges tels Alexis Martin, Denys Arcand et Sonia Bonspille-Boileau, qui nous expliquent de façon bien intéressante comment ils utilisent une réalité historique basée sur une recherche sérieuse, néanmoins contextualisée pour les besoins de leur cause. En conclusion, les auteurs soulignent que « non seulement l’usage aliénant de l’histoire profane n’est pas une fatalité, mais un usage actif, conscient, critique et capacitant de l’histoire mise au service de l’autonomisation est envisageable, quand les conditions le permettent » (p. 46).

Cela nous mène naturellement à la section 2 : « Histoire et arts de la scène : télévision, cinéma, théâtre ». D’entrée de jeu, Marjolaine Boulet relève une donnée intéressante et révélatrice d’une enquête menée auprès de près de 600 enseignants du secondaire aux États-Unis où « 83 % d’entre eux-elles n’avaient pas reçu de formation spécifique à l’utilisation d’un film en classe, alors que 100 % d’entre eux-elles avaient projeté un film en classe dans le mois qui a précédé l’étude » (p. 56). Au troisième chapitre, Olivier Côté et Alexandre Lanoix soulignent que l’utilisation « de récits historiques télévisuels en classe recèle de nombreux défis, mais offre des occasions de réflexion et d’interprétation riches, [ce qui] semble augmenter l’engagement des étudiant-e-s dans une tâche d’histoire » (p. 72-73). Au chapitre suivant, Bastien Sasseville et Marie-Pier Tremblay traitent de l’intégration des médias à l’enseignement de l’univers social pour arriver au constat suivant : « Plus une production est populaire, plus la mémoire qu’elle propose est partagée et s’inscrit dans la conscience collective. Le passé proposé par l’image mobile est reconstruit autour de messages plus ou moins explicites qui façonnent la mémoire partagée » (p. 105). Vient ensuite une activité d’apprentissage proposée par Dominique Laperle avec fiches d’observation appropriées au visionnement des élèves et s’intitulant « Comprendre et nuancer la place des religieuses au Québec durant la Révolution tranquille grâce à La passion d’Augustine » (p. 118-124). La section se conclut sur une analyse de Vincent Boutonnet, qui souligne « que l’intégration critique du film en classe dépend d’abord des postures épistémologiques des enseignant-e-s et que les pratiques des enseignant-e-s s’approcheraient davantage des recommandations théoriques si ils-elles étaient mieux formé-e-s » (p. 131). Le chapitre et la section se terminent par une tâche intégratrice, proposée par Catherine Déry, où la pièce 887 de Robert Lepage sert de base à une compréhension approfondie des enjeux nationaux, politiques et sociaux qui agitaient le Québec dans les années 1960 et dont les répercussions sont toujours perceptibles.

La section 3 porte sur les liens entre « Histoire et jeux vidéo ». L’introduction de Dominic Arsenault résume en une phrase un problème inhérent à cette jonction : « Une fiction affichée ne pose pas de problème. Mais c’est lorsque la fiction imbrique des éléments d’histoire, de manière ludique et pédagogique, que la donne se complique » (p. 153). Vincent Boutonnet remarque de plus que les « études vidéoludiques sont en plein essor, au croisement de plusieurs disciplines (histoire, géographie, sociologie, psychologie, etc.) et de plusieurs axes de recherche, dont le contexte d’enseignement » (p. 163). Là où le bât blesse – surtout quant à l’utilisation de jeux vidéo en classe –, c’est principalement sur le plan des coûts importants qu’ils impliquent, souvent « pour un usage limité et temporaire dans l’année » (p. 175). Et favoriser l’usage connexe de ces jeux à la maison discrimine les enfants de parents ayant des moyens financiers moindres, nous dit Boutonnet au chapitre 6. L’encadré qui suit, de Marjo Émond, Sébastien Trempe et Alexandre Lanoix, note lui aussi que les élèves aiment beaucoup ces jeux vidéo. La belle tâche intégratrice qu’ils ont construite les mène à conclure « qu’il est primordial de déployer des stratégies pour ramener les élèves à leur objectif premier, une réflexion » (p. 187) sur un concept à prioriser. Au chapitre 8, Julien Bazile décortique le jeu Assassin’s Creed pour noter que « le recul réflexif qu’induit le jeu [peut et doit idéalement mener l’élève] à la résolution de problèmes […] avec une forme de pratique de recherche et d’expérimentation » (p. 234). À l’encadré, Frédéric Yelle continue ce qui précède en soulignant que le but de ce type de jeu est « d’entraîner une prise de position chez les élèves concernant les axes travaillés, soit la critique de la source et les multiples interprétations possibles en histoire selon l’analyse que l’on fait des sources et des choix narratifs » (p. 242).

La quatrième section s’intitule : « Enseignement de l’histoire, fiction et narration : entre le récit d’histoire et l’enquête historienne ». Son présentateur, Dominique Garand, résume un point commun des trois chapitres qui suivent quant au fait « que l’apprentissage du raisonnement historique peut se faire avec le concours du récit, et même du récit fictionnel […]. Cette ouverture reflète les tendances les plus actuelles au sein de l’historiographie » (p. 255-256). Au chapitre 9, Audrey Bélanger et Sabrina Moisan basent leur démonstration sur l’application de la méthode historique, là où l’utilisation du récit permettrait de souligner l’humanité des événements historiques (p. 266). À leur suite, Marie-Hélène Brunet et Stéphanie Demers observent qu’une analyse « du roman peut aussi servir à réfléchir sur les manifestations de la mémoire collective » (p. 285). Le dixième chapitre, de Jean-François Boutin et Virginie Martel, porte sur le roman graphique qui n’est jamais « à l’abri, et cela reste assez caractéristique d’un certain traitement de l’histoire en fiction, d’une occasionnelle tentation au didactisme » (p. 300-301). L’encadré de Chantal Rivard et Sylvain Larose propose une tâche intégratrice typique pour des élèves, avec une amorce, une contextualisation, une problématisation, en plus du processus menant à sa réalisation : la recherche et l’analyse, suivies d’une critique-synthèse, d’une phase d’intégration et, enfin, de la possibilité de différenciation de l’activité (p. 313-316). La section se termine avec l’analyse que fait Charles-Antoine Bachand de l’utilisation de la chanson en classe d’histoire. Il illustre qu’en lien approprié avec la pensée historienne, utiliser « les chansons de façon critique ne pourra que contribuer à une compréhension plus complète des élèves de la réalité historique » (p. 331). Très intéressante est l’activité pédago-didactique qui suit de Chantal Rivard et Joséanne Grégoire, où la chanson est utilisée pour que les élèves approfondissent, par le truchement de la méthode historique, l’évolution du nationalisme au Québec entre 1945 et 1980.

La section 5 porte sur l’ « Histoire et culture publique : artefacts, lieu, musée, reconstitution ». À bon droit, Anik Meunier met d’abord de l’avant une synthèse des travaux du Groupe de recherche en éducation muséale (GREM), dont l’historien et didacticien Michel Allard est le fondateur et auquel elle participe depuis vingt-cinq ans. « Le GREM a aussi développé un modèle didactique visant à améliorer la qualité de la visite scolaire au musée en [l’inscrivant] dans une démarche pédagogique de type inductive qui se déroule en trois temps : la prévisite, la visite, la postvisite » (p. 367). Une de ses conclusions ouvre des pistes de recherche : « Nous savons peu de choses sur ce que les enseignants-e-s d’histoire font ou veulent réellement faire lorsqu’elle-ils utilisent les musées » (p. 377). L’encadré de Kevin Poliquin fournit des pistes d’encadrement pour la durée d’une année scolaire pour préparer un voyage d’études historiques d’élèves, dans ce cas-ci à Rome, dans un contexte d’approfondissement de l’Antiquité. Les reconstitutions historiques en classe d’histoire occupent ensuite l’intéressant chapitre d’Alexandre Lanoix. Pour lui, il est clair que des jeux de rôle motivent les élèves et cela provient souvent d’une question historique ciblée qui leur est soumise. « Le défi demeure de stimuler le développement d’habiletés liées à la pensée historienne en exploitant ce moyen pédagogique » (p. 402). Enfin, le dernier chapitre, de Stéphanie Demers et Julia Poyet, porte sur le patrimoine bâti et la culture immatérielle, ce qui répond « à deux impératifs, soit que 1) l’histoire se fait avec des sources et que 2) les élèves d’âge primaire apprennent à développer les outils conceptuels du mode de pensée historique en commençant par interpréter des éléments familiers et concrets » (p. 420). Ainsi, une question les anime : « Permettre aux élèves de développer leur identité sociale et de prendre conscience de leur agentivité, n’est-ce pas là la mission de l’école et des sciences sociales en particulier ? » (p. 422). L’encadré est des deux mêmes auteures et vise une mise en pratique qui va dans le même sens en favorisant « le développement des compétences et l’acquisition de savoirs essentiels énoncés dans le curriculum du domaine de l’univers social et la conceptualisation de concepts propres aux sciences humaines tel celui de patrimoine » (p. 446).

En fait, la seule déception qu’amène la lecture de cette excellente oeuvre est l’absence de conclusion générale. Ouvrir par exemple des pistes de recherche découlant des nombreuses richesses qu’offre ce livre aurait été aussi pertinent que souhaitable, ce qui n’enlève toutefois rien à ce qui précède, loin de là.