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La réputation de l’historien Yvan Lamonde en histoire des idées politiques au Québec n’est plus à faire. L’historien, qui s’est toujours tenu loin des polémiques publiques, a publié une oeuvre pour chercheurs généralistes et plus spécialisés à laquelle des colloques universitaires sont désormais consacrés avec raison[1]. Nous reviendrons ici sur son plus récent ouvrage, Brève histoire des idées au Québec (1763 à 1965)[2]. Nous ferons quelques observations sur une section du travail de l’historien qui interpelle les sociologues et politologues qui s’intéressent à la question coloniale dans le Québec contemporain, soit la section sur l’appropriation des thèses anticoloniales par des intellectuels québécois durant les années 1960 et 1970. Ce retour sur ce premier contexte de débats, d’échanges et d’influences de courants théoriques issus d’une vibrante période de décolonisation est intéressant pour plusieurs raisons. D’abord, parce que plusieurs militants de l’époque ont eu le privilège de l’échange réel avec des auteurs, Berge, Memmi, Allende, qui sont aujourd’hui relus par une nouvelle génération de chercheurs. Puis, parce qu’une nouvelle génération de militants passe souvent rapidement sur la mise en contexte de cette première génération. Enfin, parce que le nationalisme québécois est aujourd’hui très éloigné du nationalisme de libération nationale qui émergea durant les années 1960 dans certains secteurs de la société civile. Certains lui reprochent de ressembler davantage au nationalisme conservateur auquel s’opposaient autant les cité-libristes que les parti-pristes à l’époque. Nous comparerons donc ici ce premier contexte d’appropriation avec le nouveau contexte de diffusion de ces thèses parmi une nouvelle génération de chercheurs au Québec et au Canada. Après avoir topographié la fracture générationnelle qui sépare ces générations d’interprètes et d’activistes, nous rappellerons l’importance du travail de Lamonde afin de développer une sociologie historique des processus de formations étatiques, coloniales et nationales au Canada. À elle seule, l’oeuvre de Lamonde ne donne évidemment pas l’ensemble des clés nécessaires en vue d’une telle sociologie historique, mais elle en fournit des matrices essentielles qui sont souvent négligées chez ceux qui s’empressent de calquer le contexte de la France ou celui des États-Unis pour comprendre la complexité du développement socio-historique canadien.

Brève histoire des idées au Québec (1763 à 1965) présente le survol colossal de l’histoire des idées politiques au Canada et au Québec effectué par Lamonde au cours des dernières décennies. L’ouvrage reprend en 245 pages les grands axes présentés dans ses quatre volumes totalisant près de 1650 pages à travers lesquelles il documente les idées politiques de cette période[3]. Cet important travail d’érudition s’impose de façon décisive comme une oeuvre dont aucun chercheur s’intéressant aux idées politiques et aux transformations des débats sur la question nationale au Québec ne peut faire l’économie. Notons, cependant, que la synthèse nécessaire à la publication de Brève histoire fait disparaître autant les notes de bas de page que les bibliographies étoffées des quatre volumes. Le procédé rend l’ouvrage plus accessible au grand public, mais les chercheurs avides de parcourir la riche documentation bibliographique devront consulter les quatre ouvrages originaux.

Brève histoire invite le lecteur à parcourir deux siècles en 245 pages. Les lecteurs de Lamonde, qui connaissent son intérêt pour le long XIXe siècle, ne seront pas surpris de ne pas avoir franchi l’année 1840 avant la page 88. L’historien a effectivement consacré plusieurs ouvrages à l’évolution de la pensée politique de Louis-Joseph Papineau, dont un qu’il consacre à l’idée de nationalité chez le chef du Parti patriote[4]. Pour l’historien, Papineau et Parent irriguent deux grands sillons qui alimentent l’ambivalence politique et identitaire des Canadiens, puis des francophones au Québec. Lamonde y réfère comme aux « deux hémisphères du cerveau politique québécois[5] ». Papineau irrigue le sillon républicain ; Parent, celui de la résignation culturelle apolitique. Les premières couches de sédimentation de cette ambivalence sont façonnées au cours des deux décennies qui précèdent les rébellions des Patriotes, lors des rébellions, puis pendant la période de post-mortem qui leur succède. Lors de chacune de ces périodes, les acteurs furent confrontés à des dilemmes politiques qui vinrent profondément façonner leurs répertoires d’actions dans le champ politique.

Le cadre au sein duquel Lamonde reconstruit l’histoire intellectuelle débute en 1763. Avant la Conquête, estime-t-il, les sources ne fournissent pas encore suffisamment de matériaux pour reconstruire une histoire des idées inscrite dans un espace public aussi cohérent. Bien que compréhensible sur le plan méthodologique, ce cadrage impose cependant la Conquête comme point de départ du récit raconté. Le récit débute ici avec la colonisation des colonisateurs. La période de la Nouvelle-France est donc exclue de ce survol historique.

S’il fallait résumer l’objet que Lamonde fait revivre à travers son oeuvre, ce serait dans une large mesure la quête identitaire protéiforme qui meuble l’espace public canadien-français. Les idées politiques des anglophones du Québec apparaissent rarement dans ce paysage[6]. Lamonde reconstitue les débats dont est traversé cet espace public où la question du rapport au passé et à la destinée des Canadiens français occupe une place essentielle. Il décrit les conditions matérielles d’émergence de cette opinion publique entre 1760 et 1815 dans un chapitre du premier volume de son histoire des idées qui est ici repris sous forme synthétique. Cet espace n’est évidemment pas fréquenté uniquement par des bourgeois et des petits-bourgeois, des seigneurs, et surtout le clergé, catholiques de droite et catholiques de gauche, y occupent longtemps une place centrale. Plus tard, au XXe siècle, des intellectuels organiques du mouvement syndical y occuperont également une place non négligeable. Avec le temps, les acteurs qui investissent cet espace public seront de plus en plus issus des professions libérales, et plusieurs chrétiens de gauche joueront un rôle important dans sa déconfessionnalisation.

Au début de la période étudiée, cet espace public délibératif est nourri par un ensemble de publications rendues possibles par l’explosion démographique de la population de Montréal entre 1784 et 1815, qui passe alors de 6 500 à 15 000 habitants. Les journaux s’y multiplient : la Quebec Gazette, le Quebec Mercury (journal de la classe marchande), Le Canadien (journal de la petite bourgeoisie éduquée essentiellement montréalaise), L’Ordre (journal libéral modéré), L’Avenir (journal libéral), Le Devoir, le Journal de Québec et son adversaire épistolaire, Le Pays (qui succède à L’Avenir en 1852 et sera dirigé par Louis-Antoine Dessaulles et Louis Labrèche-Viger), etc. À ces journaux s’ajoutent le milieu universitaire, mais aussi des institutions, comme l’Institut canadien de Montréal, un institut libéral où catholiques et protestants se fréquentent durant les années 1850-1860, mais qui s’attire les foudres et la censure du clergé[7]. Au XXe siècle, L’Action française, L’Action nationale, La Nation, Parti pris, Cité libre, Vrai, Traditions et Progrès, La Laurentie et Liberté viennent meubler un espace public délibératif où l’on assiste à la lente émergence d’éléments d’une pensée politique moderne ; à une séduction pour les idées de Pétain chez des indépendantistes de droite jusqu’en 1942, le mouvement l’Alliance laurentienne (1957-1962) de Raymond Barbeau a encore pour slogan « Dieu, famille, patrie » à la fin des années 1950 ; et, à une lente dissociation entre un nationalisme catholique tourné vers le passé et un nationalisme de droite indépendantiste.

Lamonde est moins complaisant que d’autres quand il documente la guerre culturelle des réseaux ultramontains et catholiques conservateurs contre les institutions et les idées libérales, ou le flirt de plusieurs nationalistes et conservateurs avec des idées antisémites et fascistes durant l’entre-deux-guerres. L’historien ne tente pas de minimiser l’influence de l’antisémitisme sous le prétexte qu’il aurait été dans l’air du temps à l’époque, mais infiniment moins important qu’en Allemagne nazie.

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La France sort défaite de la Guerre de Sept Ans en 1763. Elle perd la quasi-entièreté de ses possessions en Amérique du Nord. L’Empire britannique en émerge comme une redoutable puissance impériale. Le Canada britannique hérite de 80 000 nouveaux sujets, français et catholiques, qui viennent s’ajouter aux 2 000 sujets protestants. Lamonde ne dénombre pas la population autochtone alors présente. Les Premières Nations sont effectivement absentes de cette histoire, comme ce fut longtemps le cas dans les ouvrages portant sur le XIXe siècle canadien. Il s’agit de l’un des angles morts de cette histoire intellectuelle qui rappelle la lenteur de l’institutionnalisation d’une histoire autochtone au Québec. On se souviendra que l’auteur du Pays renversé, Denys Delâge, fut professeur dans un département de sociologie à une époque où les portes des départements d’histoire étaient encore difficilement franchissables pour les spécialistes de l’histoire des Autochtones au Québec[8].

C’est dans le cadre de l’hégémonie des institutions britanniques qu’est façonnée la vie politique au Canada. Certaines institutions françaises d’Ancien Régime, auxquelles consentent les Britanniques, survivent à 1791, mais elles opposent au mieux une résistance culturelle aux institutions politiques et militaires de l’Empire. Les élites canadiennes doivent s’approprier rapidement les rouages du régime parlementaire britannique, hérité de la Révolution de 1688, ainsi que la pensée constitutionnaliste et libérale britannique. C’est en grande partie sur cet échiquier que se déplacent les conflits politiques où se développe un répertoire de revendications qui seront mises de l’avant par des acteurs canadiens.

L’importante question qui se posera désormais pour les autorités impériales est « Quelles libertés anglaises peut-on conférer à une colonie ?[9] ». Les premières réponses viendront avec le cadre politique mis en place par le Conseil de Québec (1764-1775) et l’Acte de Québec (1774). La gouvernance impériale ne reposera pas seulement sur la force, mais sur une configuration hégémonique, où plusieurs institutions françaises d’Ancien Régime trouveront leur compte : des élites militaires seront cooptées ; la seigneurie demeure en place ; le droit civil n’est pas abrogé, et l’Église catholique sera tolérée en échange de sa loyauté et, à cet égard, elle ne décevra pas. La guerre d’indépendance américaine (1775-1783) vient changer la donne démographique au Canada, alors que des dizaines de milliers de loyalistes, restés fidèles aux autorités britanniques, y trouvent refuge. La Grande-Bretagne promulgue l’Acte constitutionnel de 1791, entre autres dans le but de les accommoder. L’Acte institutionnalise la division entre le Haut et le Bas Canada, la division des pouvoirs entre une Assemblée législative élue, soumise aux bonnes grâces d’un Conseil législatif nommé par les autorités impériales, ainsi qu’à un Conseil exécutif et à une branche juridique dont les membres sont également nommés par les autorités britanniques incarnées par un gouverneur. Cet échiquier politique est la clé pour comprendre le type de politiques de contentions, la lutte pour le gouvernement responsable notamment, et la longue guerre de positions auxquels on assiste au Bas-Canada durant les trois décennies suivantes. La Révolution américaine est également un événement incontournable pour les acteurs politiques au Canada. Papineau est séduit par les développements institutionnels et politiques au sud de la frontière. Avec le temps, les tensions politiques dues notamment à l’absence d’une imputabilité d’un Conseil législatif non élu, et dominé par des seigneurs nommés par les autorités britanniques, sont galvanisées par un premier projet d’union du Haut et du Bas Canada en 1822. Les réactions à ce projet alimentent un cycle de contentions politiques qui culmine dans les rébellions des Patriotes de 1837-1838, après que les 92 revendications portées par la voie politique aient reçu une fin de non-recevoir par Lord Russell. La réponse de Russell ferme la porte à « la voie républicaine[10] », estime Lamonde. La table est alors mise pour les rébellions qui furent écrasées par les capacités militaires de l’Empire. Ce sera l’exil aux États-Unis pour Papineau, alors que pour Étienne Parent s’entame la voie de la « soumission honorable ».

Une force de l’histoire des idées de Lamonde est de montrer la diversité des réponses politiques à un contexte donné et le poids de ces conceptions politiques sur les décisions des acteurs. C’est ici que l’histoire des idées politiques rappelle les limites d’une reconstruction structuraliste des idéologies politiques. Les idées politiques des acteurs peuvent rarement être déduites uniquement de la place qu’ils occupent dans une structure sociale. Papineau est seigneur, mais il est aussi séduit par les institutions républicaines américaines. Parent est journaliste et il cherche en vain une voie de sortie honorable au sein du cadre britannique. La pensée politique des acteurs évolue, s’ajuste, s’adapte à un contexte et à un champ politique toujours mouvant. Les règles du jeu fixées par l’Empire britannique ne génèrent jamais un seul mouvement idéologique et politique chez les Canadiens, mais un dégradé de positions contradictoires et mouvantes. Très tôt, on voit apparaître un clivage entre la clique politique de Québec et les courants d’idées plus influents à Montréal. Lamonde analyse ces courants à partir d’un vaste catalogue de sources. Les courants politiques forment leurs propres journaux où ils s’invectivent et débattent de l’opportunité des différents répertoires de choix politiques et stratégiques. Chacun des choix de la politique coloniale britannique consolide donc certaines institutions et certains rapports de force. La démographie favorisant d’abord les Canadiens face aux Britanniques dans la Province de Québec, l’Empire a recours à des alliés pour asseoir son hégémonie. Lorsque les Patriotes prennent les armes, non seulement les représentants de l’Église catholique s’opposent à leur mouvement, mais ils développent le cadre de référence venant sceller l’alliance des pouvoirs politiques et religieux : « la politique repose sur la morale, qui repose sur la religion » et la religion exige l’obéissance au pouvoir politique impérial[11].

Ce n’est que tardivement dans cette grande fresque que l’on assiste à l’appropriation de l’idée d’indépendance par des figures comme André d’Allemagne et Marcel Chaput, qui se sont déplacés de la droite vers la gauche de l’échiquier politique, après avoir été dans le giron de l’historien conservateur Robert Rumilly. Lamonde revient sur l’influence importante du père Lévesque à l’École de service social, puis à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval dans la formation d’une nouvelle génération d’intellectuels pour qui les sciences sociales, tout comme le milieu coopératif, devait s’autonomiser de l’emprise de la théologie et du cléricalisme. De nouveaux intellectuels viennent s’inscrire dans l’horizon des luttes anticoloniales qui ébranlent les hiérarchies de l’ordre international durant les années 1950 et 1960. La revue Parti pris sera leur lieu de résidence. Alors que Cité libre s’oppose au nationalisme conservateur qu’elle associe aux réflexes antidémocratiques et antilibéraux des nationalistes des années 1930 et 1940, Parti pris cherche à réhabiliter le nationalisme en le déplaçant dans un horizon de libération nationale devant déboucher sur un État laïque, socialiste et indépendant.

Dans Brève histoire, l’importante période de bouillonnement intellectuel qui s’échelonne de 1945 à 1965 est abordée en 45 pages[12]. L’historien insiste sur le fait que la Révolution tranquille ne se résume pas à une date ou à un nom, mais qu’elle est le fruit d’un processus de maturation où la Seconde Guerre mondiale joua un rôle important. Le « Maîtres chez nous » de Jean Lesage apparaît ici moins comme un moment de rupture que comme un fruit mûr à la suite d’un long processus où l’opposition extraparlementaire au duplessisme est finalement parvenue à faire triompher le présent, ou la modernité, sur le passé.

Lamonde ne réduit pas l’histoire politique à l’histoire constitutionnelle ou parlementaire. À propos de l’angle qu’il privilégie, il affirme : « Les idées analysées dans cette étude concernent la société civile et la démocratie et non pas seulement la politique. Le civique, le politique plutôt que la politique[13] ». Par le civique et le politique, ici, il entend l’espace public qui s’intéresse à la chose politique : les politiciens, bien sûr, mais aussi les journalistes, les intellectuels organiques de mouvements de gauche comme de droite, les essayistes et les littéraires. Lamonde ne fait pas non plus de l’histoire sociale, si on entend par cette expression l’histoire par le bas associée au travail phare de E.P. Thompson sur la classe ouvrière anglaise dans le prolongement duquel s’inscrit au Québec le Centre d’histoire des régulations sociales associé aux travaux de Jean-Marie Fecteau et de Martin Petitclerc. Les idées politiques que répertorie Lamonde sont davantage celles des élites lettrées que celles des sujets traditionnels de l’histoire-par-le-bas : les paysans, les travailleurs et les femmes. Parmi ces derniers, les idées politiques des mouvements de femmes trouvent cependant une place nettement plus importante dans le travail de Lamonde que dans celui des historiens de la nouvelle sensibilité politique.

Lamonde aborde des conflits sociaux importants, comme la grève de l’amiante, mais essentiellement à travers le débat épistolaire mettant en scène Pierre Elliott Trudeau et André Laurendeau qui analysent fort différemment le comportement politique des Québécois dans le contexte de cette grève. Les débats sur la faible productivité agricole, sur les politiques de colonisation, n’occupent pas une place centrale dans la fresque esquissée par l’historien. Son histoire des idées a pour fil conducteur l’évolution et les métamorphoses de « trois idées » ayant « traversé les XIXe et XXe siècles », soit « le catholicisme, le libéralisme (au sens des libertés) et le nationalisme[14] ». Ces idées n’évoluent pas en vase clos et Lamonde en dissèque les différentes permutations. L’historien s’intéresse à la mise à l’épreuve de ces trois courants d’idées dans le monde moderne. Par libéralisme, ici, c’est davantage aux idées politiques qu’économiques que s’intéresse l’historien. Le politique et le civique, donc, mais un peu moins le social et l’économique.

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Je poursuivrai cette note critique en adoptant une perspective multidisciplinaire où j’assume le point de vue, d’une part, du sociologue inquiété par l’ontologie anhistorique de la pratique sociologique actuelle, et, d’autre part, du chercheur intéressé par la sociologie historique de la formation de l’État, des colonialismes, des nationalismes et des racismes au Canada et au Québec. J’avancerai différentes raisons pour lesquelles une nouvelle génération de chercheurs en sociologie et en science politique gagnerait à s’approprier le travail de Lamonde. En m’intéressant au dialogue entre sociologues et historiens autour d’une telle sociologie historique, je suis également conscient que l’objet de l’oeuvre de Lamonde n’est pas le même. Il serait mal avisé de critiquer une oeuvre dont l’objet était différent à partir d’un angle qui m’est bien personnel. Il me semble plus porteur d’identifier les éléments du travail de Lamonde qui permettent d’alimenter des réflexions transdisciplinaires qui dépassent le projet initial de son auteur et de montrer comment ces éléments permettent d’approfondir le regard des sociologues et politologues sur des enjeux actuels[15].

Bien que l’histoire des idées de Lamonde prenne fin en 1965, son oeuvre est évidemment une ressource essentielle afin de faire la sociologie des nationalismes au Canada et au Québec. Cette histoire jette un éclairage important sur la vigueur de l’anticléricalisme d’une importante génération d’intellectuels ayant été sur les bancs d’école durant les années 1950, ainsi que sur les prises de position publiques de l’historien en faveur du mouvement laïque québécois durant les dernières décennies. Si les arguments de l’historien sur cet enjeu ne convainquent pas tout le monde, ils ont l’intérêt d’être arrimés à une conception de la modernité québécoise qui n’a pas les allures d’une mimique colonisée du républicanisme français.

Le travail de Lamonde alimente les débats contemporains également, parce qu’il est indissociable du thème de l’américanité du Québec, un thème indissociable de la question coloniale dans le Nouveau Monde. Ce thème apparaît de façon transversale dans les travaux de l’historien. Il met en relief une dimension centrale de la façon dont s’est posée la question de la décolonisation des savoirs au Québec qui est souvent oubliée, ou omise, dans les discussions actuelles sur cet enjeu. Pour plusieurs intellectuels canadiens-français et québécois qui ont posé dans leurs termes la question de la décolonisation du savoir au XXe siècle, la décolonisation n’impliquait pas seulement une émancipation de la domination politique et économique des Canadians. Elle impliquait aussi sur les plans culturel et scientifique une émancipation par rapport à la domination symbolique, culturelle et académique exercée par la France sur le Québec. Pour ces intellectuels, de Marie-Victorin à Gaston Miron, réinscrire le Québec et le Canada français dans l’espace des Amériques était essentiel pour s’émanciper de cette domination symbolique et culturelle. Lamonde met en relief l’importance des référents nord-américains dans les trajectoires politiques de figures allant de Louis-Joseph Papineau à Gaston Miron en passant par Robert Charbonneau. Le sentiment d’aliénation par rapport à la domination symbolique et culturelle de la France est formulé de façon particulièrement importante chez Miron qui n’en peut plus de se faire imposer des cadres de référence, des manières de faire, et les canons littéraires français comme la norme à laquelle il devrait se conformer. De Marie-Victorin à Miron, l’horizon de la décolonisation culturelle passe aussi par la critique des élites du Canada français qui ne peuvent saisir les réalités biologique, historique, littéraire, culturelle et politique du Québec en dehors de l’imprimatur des intellectuels français. C’est ce qui rend la figure du colonisé si complexe dans l’oeuvre de Miron et des anticoloniaux de cette période. Savoir bien parler la langue française était évidemment un élément essentiel de la résistance culturelle sur lequel ont insisté les élites, de Hubert LaRue à Lionel Groulx. Cependant, le passage de la résistance à la réappropriation des lettres, de la culture et du symbolique impliquait une étape de plus, celle de trouver les mots, les cadres, les symboles et l’imaginaire pour penser, nommer et créer sans l’imprimatur de la France ou du Vatican. La décolonisation ici ne passe pas seulement par le fait de devenir maître de son développement économique et politique, mais aussi de s’émanciper du poids du capital symbolique, académique, culturel et linguistique exercé par les intellectuels français sur ce que certains percevaient, et perçoivent encore, de façon paternaliste comme la branche québécoise de « l’arbre français[16] ». Ainsi, s’il y a une américanité du Québec estime Lamonde, c’est parce que comme l’anthropologue Serge Bouchard s’est bien attelé à le mettre en relief, une partie des trames et des cadres symboliques auxquels s’alimentent les imaginaires culturels et politiques, est profondément imprégnée par une culture des Amériques. Affirmer cela n’implique évidemment pas qu’il n’y ait pas une influence intellectuelle française au Québec, ce qui tombe sous l’évidence.

Le travail du sociologue Gérard Bouchard et plus récemment les ouvrages de Sean Mills et de David Austin sur la pensée postcoloniale au Québec durant les années 1960 inscrivent également les développements intellectuels de cette période dans l’important réseau de circulation d’intellectuels de l’Amérique atlantique où Montréal était un important carrefour[17]. Parmi les manifestations de cette américanité, il faut rappeler que les processus de formation des États des Amériques se font en rupture avec des Empires européens et qu’ils ont tous composé avec une importante présence autochtone qui a façonné et façonne encore le rapport à l’espace et à la culture[18]. Cette dernière dimension ne ressort cependant pas des échanges épistolaires reconstruits par Lamonde, où les Autochtones sont relégués à la marge de l’histoire. Cette autre question coloniale, où la logique de la force, de l’évangélisation et de l’assimilation opère avec une violence maintes fois décuplée, est absente des délibérations publiques reconstruites par l’historien. Pourtant, ce n’est pas faute d’y avoir occupé une certaine place. Autant chez ceux qui louaient les mérites du métissage que chez ceux qui s’efforçaient d’en nier l’importance, la question de la relation des colons et du clergé aux Premières Nations est une composante centrale de l’institutionnalisation des hiérarchies coloniales, nationales et raciales dans les Amériques[19].

L’oeuvre de Lamonde est également précieuse pour les sociologues parce qu’elle contribue à expliquer le fossé générationnel entourant la question coloniale dans le Québec actuel. Dans un contexte où une nouvelle génération de chercheurs s’intéresse aux classiques de la littérature anticoloniale, Lamonde rappelle le contexte intellectuel dans lequel une première génération d’intellectuels et de militants politiques (André Major, Paul Chamberland, Andrée Ferretti, Pierre Vallières, Jacques Ferron, Pierre Falardeau) s’est approprié l’oeuvre de Frantz Fanon, d’Albert Memmi, de Jacques Berque et d’Aimé Césaire dans les années 1960 et 1970. Puis, l’historien inscrit ce contexte dans la longue durée, ce qui situe la période de nationalisme et de libération nationale au Québec sur une trajectoire historique où elle apparaît à plusieurs égards sous le signe de la rupture, par son laïcisme et son indépendantisme revendiqué notamment[20]. Lamonde répertorie le spectre de positions et d’engagements par rapport à cette littérature et la séduction à géométrie variable qu’elle exerça sur les intellectuels de l’époque. Certains, comme Laurendeau, se méfiaient des analogies à saveurs mobilisatrices qui risquaient de dénaturer les spécificités de l’histoire coloniale au Québec et au Canada.

En parcourant le travail de Lamonde portant sur les mobilisations du thème de la libération nationale entre 1955 et 1965, il est difficile de ne pas prendre conscience du fossé herméneutique qui sépare les deux générations d’intellectuels et de militants francophones qui se sont approprié les idées anticoloniales dans des contextes différents de l’histoire du Québec. Deux générations séparées entre autres par la crise d’Octobre 1970, les référendums sur la souveraineté du Québec de 1980 et 1995, l’extraordinaire mobilité sociale ascendante des francophones de la fin des années 1970 aux années 1980, la crise d’Oka de 1990, le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, le mouvement étudiant de 2012, le projet de Charte des valeurs québécoises du Parti québécois et l’attentat à la mosquée de Québec. Ces événements occupent une place bien différente dans les cadres de références politiques d’une première génération qui voit le jour dans les années 1940-1955 et d’une autre qui voit le jour entre 1985 et 2000. La première a aujourd’hui entre soixante et soixante-quinze ans ; la seconde, entre vingt et trente-cinq ans. La première, qui s’est approprié les écrits de Fanon durant les années 1960 et 1970, débattait l’application des théories anticoloniales à son propre contexte, à celui des Canadiens français, reléguant à la périphérie le sort des Autochtones ou des immigrants racisés. Elle voulait libérer le Québec de la domination politique et économique d’Ottawa et de Toronto, de la domination culturelle de Paris et de la domination ecclésiastique et symbolique du Vatican. Même Albert Memmi considérait la question assez importante pour consacrer une section de l’édition québécoise de 1972 de Portrait du colonisé à la question « Les Canadiens français sont-ils des colonisés ? » C’était peu après que la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme ait situé les Canadiens français au dix-neuvième rang sur vingt et un groupes ethniques eu égard à leur statut socio-économique au Canada et que Marcel Chaput ait affirmé : « Nous sommes la minorité la mieux traitée du monde. Mais là n’est pas la question. Nous ne voulons plus être une minorité[21] ». Cette génération de lecteurs du corpus anticolonial a connu une très importante mobilité sociale ascendante. Elle a participé aux transformations sociales en profondeur de la société et de l’État québécois et a accumulé un capital symbolique, académique et culturel qui lui a permis d’accéder à des postes d’influence en politique, dans les syndicats, dans l’économie sociale, dans l’enseignement supérieur, l’édition, la fonction publique et les arts. C’est à travers ces transformations sociales, socio-économiques et socioculturelles que les Québécois sont passés d’une autoreprésentation de soi comme minoritaire à une autoreprésentation de soi comme majoritaire. C’est également auprès de cette génération que l’on trouve la plus forte proportion d’appuis au Parti québécois durant les deux dernières élections provinciales. L’autre génération, quant à elle, ne constitue plus un bassin à partir duquel se renouvelle « naturellement » l’électorat péquiste et souverainiste comme ce fut le cas pendant quelques décennies.

En effet, depuis une dizaine d’années, une nouvelle génération d’intellectuels et de militants s’approprie ce même corpus anticolonial, augmenté des références obligées à Edward Saïd, Gayatri Chakravorty Spivak et Patricia Hill Collins[22]. Cette génération, formée politiquement à travers les luttes étudiantes des années 2000, s’est approprié la littérature anticoloniale dans le contexte des débats sur la Charte des valeurs québécoises, de la loi 21, du Black Lives Matter et des luttes autochtones au Québec et au Canada. Il ne fait pas de doute pour elle que le minoritaire d’hier est devenu le majoritaire d’aujourd’hui et qu’il agit désormais comme tel. Le nationalisme dominant que dénonce cette nouvelle génération est moins le nationalisme Canadian que le nationalisme identitaire et homogénéisant, assumé et incarné par l’ADQ, le PQ, puis la CAQ, depuis 2007. Elle considère les tenants de ce nationalisme au mieux suspects lorsqu’ils se réclament d’un horizon anticolonial. Ce clivage générationnel est particulièrement important sur le terrain des idées, débats et mouvements féministes. Ici, la première génération de féministes est souvent vilipendée par une nouvelle génération formée aux courants d’analyses intersectionnels et postcoloniaux qui relègue les interventions des premières à des caprices de bourgeoises libérales blanches. On rétorquera certes que ce clivage générationnel n’est pas spécifique au Québec et qu’il a même fait l’objet d’un ouvrage important sur les causes du « backlash culturel » populiste auquel on assiste en Occident[23]. Certes, mais une spécificité de la trajectoire québécoise est qu’en l’espace d’une génération, les hiérarchies des relations de domination au Québec se sont transformées d’une manière telle qu’elles en sont devenues méconnaissables. Il en résulte une nouvelle cartographie des conflits politiques où les acteurs mobilisent des ressources mémorielles distinctes, dont l’énonciation se traduit souvent par le mépris distant des seconds à l’égard des premiers et par le paternalisme des premiers à l’égard des seconds.

En l’espace de quelques décennies, l’appropriation d’un même corpus de thèmes anticoloniaux inspire donc des luttes sociales différentes, dont les sujets politiques ne sont plus les mêmes, et qui s’inscrivent dans des horizons politiques souvent antagoniques. Antagoniques parce que différents régimes historiques d’expériences et de représentations des hiérarchies nationales, coloniales et raciales s’invectivent en restant enchaînés à leur horizon herméneutique. Les colonisateurs-colonisés d’hier sont les colonisateurs-majoritaires d’aujourd’hui sur fond des transformations profondes de la société québécoise et de sa relation avec le reste du Canada durant cette période. En l’espace de quelques décennies, la hiérarchie des relations nationales et raciales a été profondément bouleversée. Ce sont là des réflexions que l’on ne retrouve pas dans Brève histoire des idées au Québec, qui s’achève avant la crise d’Octobre 1970, mais qui ne peuvent faire autrement que de frapper le sociologue qui s’approprie cette oeuvre en 2020.

Il y a d’autres raisons pour lesquelles une nouvelle génération de chercheurs en sciences sociales devrait s’approprier le travail de Lamonde. Dans la perspective des sciences sociales historiques, le projet de développer une sociologie historique des processus de formations étatiques, nationales, raciales et coloniales dans le contexte canadien reste à faire. Un tel programme de recherche devra éviter l’écueil de s’inscrire dans l’horizon d’un jeu à somme nulle entre l’histoire et la mémoire des Canadiens français, des Premières Nations et des minorités racisées. Non pas pour ménager les susceptibilités des uns et des autres, mais parce que les répertoires d’action, les schèmes de perception et les positionnements stratégiques des uns et des autres s’articulent précisément à la façon dont les uns et les autres sont colonisés, nationalisés et racisés à travers des processus et dans le cadre d’institutions spécifiques à l’histoire canadienne. Il devra également éviter l’écueil de réduire cinq siècles de conflits coloniaux, sociaux, religieux et linguistiques à un antagonisme entre Blancs et non-Blancs, comme c’est parfois le cas dans les travaux de la vulgate postcoloniale. Un tel cadrage anhistorique et présentéiste fait l’impasse, d’une part, sur les interactions complexes à travers lesquelles les Anglais, les Canadiens français, les Acadiens, les Métis, les Irlandais, les Écossais, les Italiens et les Juifs ont négocié leurs relations intercommunautaires durant des décennies, et, d’autre part, sur les mécanismes et processus à travers lesquels les Canadiens français, les Irlandais, les Juifs et les Italiens ont connu une mobilité sociale ascendante dans l’histoire du Québec et du Canada. Assumer, comme le font certains encore aujourd’hui, qu’il suffit de plaquer les réalités américaine ou française pour les appliquer aux contextes canadiens ou québécois est une démarche qui relève d’une part d’un positivisme ahistorique, et qui d’autre part, est teintée du mépris qu’elle est censée combattre. Un tel cadrage décontextualise et simplifie l’ensemble des contradictions sociales et des hiérarchies impériales, nationales et raciales qui ont façonné les processus de formations étatiques, nationales, raciales et coloniales dans l’histoire canadienne. Il en résulte parfois une sociologie qui se réclame de la postcolonialité, mais où le recours au prêt-à-porter de la dernière mode théorique camoufle mal les lacunes empiriques d’un traitement historique où la déportation des Acadiens, le rejet par les autorités britanniques des revendications en faveur d’institutions représentatives élues et responsables, la répression militaire des Métis de l’Ouest, la pendaison des Patriotes et la répression des grévistes irlandais de Beauharnois apparaissent au mieux comme des notes de bas de page de l’histoire impériale canadienne.

Enfin, l’oeuvre de Lamonde est essentielle, car elle permet de combler les lacunes historiques et mémorielles de certaines contributions à la sociologie produite au Canada anglais qui semble (encore) estimer que l’on puisse faire la sociologie des processus de formations étatiques, coloniales et raciales au Canada et au Québec en se dédouanant de prendre en compte les contributions intellectuelles produites en français au Québec et dans les francophonies canadiennes en milieux minoritaires. En dépit des mots d’ordre maintes fois répétés selon lesquels les sociologues devraient écouter la voix des subalternes, se mettre à la place de l’autre et intégrer les savoirs locaux, ces injonctions ne semblent pas s’appliquer à la prise en compte de la production intellectuelle effectuée dans l’une des deux langues nationales. Ceci non pas seulement dans des milieux conservateurs, que l’on pourrait soupçonner de relents assimilationnistes, mais aussi chez des auteurs progressistes où le lecteur cherchera en vain une seule source historique, un article scientifique ou une monographie publiée en français par un auteur issu de la francophonie canadienne. Cette omission de la production intellectuelle des francophones au Canada s’applique autant à celle des Québécois qu’à celle des communautés francophones en milieu minoritaire, aux minorités racisées qui écrivent en français ou aux membres des Premières Nations qui écrivent en français. Comme l’ont souligné plusieurs chercheurs en sciences sociales, le « Québec » et le « Canada français » demeurent des objets sur lesquels certains universitaires anglophones ont le privilège épistémique de travailler sans en maîtriser la langue et cela même aux cycles supérieurs[24]. Cela pose sérieusement la question des conditions institutionnelles de la recherche sur le Canada et le Canada français dans le Canada hors Québec. Comment un chercheur peut-il situer et contextualiser une source ou une oeuvre s’il ne comprend pas la langue dans laquelle elle a été écrite ? Comment peut-il reconstruire les conventions linguistiques d’un contexte sans la compréhension desquelles on ne peut pas comprendre le sens des actes de langage qui y sont énoncés ? Il ne le peut pas évidemment.

Ainsi, même chez des autrices phares d’une sociologie antiraciste au Canada, comme Himani Bannerji, Sunera Thobani ou Sherene Razack, on ne trouve guère de références à un article ou à une monographie publiée par un ou une collègue francophone qui publie en français au Canada. La situation est souvent la même dans les ouvrages qui proposent des perspectives critiques sur le multiculturalisme canadien, comme chez Eva Mackey ou Cecil Foster. L’ouvrage Multiculturalism and the History of Canadian Diversity du sociologue Richard J. F. Day compte quatre références à des articles ou ouvrages publiés en français. Comme si les francophones n’avaient pas des choses à dire sur l’histoire de la diversité au Canada. L’ouvrage Multicultural Nationalism de Gerald Kernerman, qui cherche à replacer les questions nationales au coeur de l’enjeu du multiculturalisme canadien, parvient à intégrer un nombre plus substantiel de publications en anglais d’intellectuels francophones du Québec, mais aucune en français[25]. Cette invisibilisation de la production intellectuelle francophone ne s’applique évidemment pas à l’égard des Foucault, Derrida, Lacan ou autres icônes de la French Theory dont les traductions tapissent, non sans ironie, des écrits théoriques qui se réclament de l’anti-eurocentrisme, mais qui semblent pouvoir s’appliquer sur mesure à n’importe quel contexte sans égard à la production intellectuelle locale.

Quand même des sociologues qui se revendiquent d’une critique du colonialisme ne voient pas ce qu’il y a d’ironique à ce qu’ils puissent travailler sur le Québec et le Canada sans daigner y citer des sources francophones, on peut mesurer l’ampleur du travail de décolonisation des savoirs qui reste à faire dans la sociologie du Québec et du Canada, au Canada. Il s’agit d’une autre raison pour laquelle l’oeuvre de Lamonde reste essentielle pour comprendre un chapitre de l’histoire des formes de colonialismes, de nationalismes et de racismes au Canada et au Québec. Elle ne raconte certes pas toute cette histoire ou toutes ces histoires, mais elle en raconte une matrice structurante, complexe, antagonique et mouvante dont une démarche socio-historique ne peut pas faire abstraction. Est-ce une oeuvre qui a des angles morts ? Oui, bien sûr, j’en ai souligné certains. Cependant, elle est loin d’en avoir le monopole. L’excellente collection d’essais publiés par Claude Couture autour du travail de l’historien indique bien dans quelles directions ce travail pourrait être développé et approfondi.