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Prendre quelques heures pour réfléchir collectivement à l’état de la situation des études en histoire au Québec s’impose comme une nécessité alors même que les inscriptions dans les différentes universités connaissent une glissade plus ou moins abrupte. Les constats établis dans les contributions précédentes, qui font suite à la rencontre du 15 novembre 2019, s’incarnent avec acuité dans les programmes de premier cycle en histoire à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Les données mises en lumière par François Guérard le montrent de manière éloquente et confirment les déclins d’effectifs étudiants qui affectent particulièrement les plus petites universités. Les causes de cette désaffection sont multiples et dépassent souvent l’influence directe des acteurs du milieu. Si les grandes lignes du diagnostic esquissées jusqu’à maintenant correspondent à la situation de l’UQAR, certains symptômes y sont plus spécifiques. Pour saisir les pistes de solutions que je détaillerai plus bas, je me permets un court survol de la situation dans l’Est-du-Québec.

L’histoire dans l’Est-du-Québec, un diagnostic

Dans un premier temps, la désaffection généralisée envers les sciences humaines – et, parmi celles-ci, les disciplines fondamentales comme l’histoire ou la philosophie – ainsi que le transfert des inscriptions vers les programmes professionnalisants se vérifient à l’UQAR. Les programmes d’éducation font figure d’exceptions ; décernant des diplômes professionnels, ils n’en connaissent pas moins des baisses marquées qui s’expliquent, à tout le moins en partie, par les discours démobilisateurs sur le système d’éducation qui prévalent en ce moment au Québec. Ce désenchantement à l’endroit des sciences humaines s’est accéléré en Amérique du Nord, aux États-Unis en particulier, depuis la crise économique de 2008, et depuis 2013-2014 au Québec. Déstabilisés par un monde de l’emploi difficile, englués dans de lourdes dettes de scolarité, mais aussi attirés par des possibilités d’emplois nécessitant peu d’études générales dans la situation de pénurie de main-d’oeuvre actuelle, de nombreux étudiant.e.s privilégient des formations ouvrant directement et rapidement sur le marché du travail. Force est de constater, jusqu’à maintenant, que l’histoire et plusieurs sciences humaines n’ont pas réussi à s’imposer dans les esprits comme de véritables formations à l’emploi.

Dans le cas rimouskois, la tendance à la baisse des inscriptions en histoire est antérieure à cette récente crise économique. Une première rupture importante s’est produite à partir de 1995, au moment où le programme de baccalauréat en enseignement secondaire de quatre ans est devenu la seule voie d’accès au brevet d’enseignement, mettant ainsi fin à la possibilité pour les bacheliers et bachelières en histoire de joindre les rangs du corps enseignant au secondaire après la réussite d’un certificat d’un an en pédagogie. Une chute marquée de 75 % a été ressentie au cours des cinq années subséquentes[1]. L’équipe professorale en poste a réagi assez rapidement : en 2001, un nouveau programme d’histoire, incluant un volet dit professionnalisant de trente crédits, était inauguré. Désignée sous le titre de « Pratiques et interventions culturelles » (PIC), cette composante du programme – aussi offerte sous forme de mineure et de certificat – rassemblait des cours destinés à préparer directement au monde de l’emploi – tourisme, gestion de projets culturels, production audiovisuelle, etc. – et se concluait par un stage en milieu de travail. Mal arrimé au programme principal en histoire, peu investi par les professeur.e.s et délaissé par les étudiant.e.s, le PIC n’a jamais rempli les attentes au cours de la dizaine d’années où il a été pleinement en vigueur. Le plan de formation a été assoupli avec les années pour permettre aux étudiant.e.s davantage intéressé.e.s par l’histoire et la recherche de consacrer plus d’heures à leur formation disciplinaire. À la faveur de la dernière évaluation de programme et de la réforme qui a suivi en 2019, le volet honni a été éliminé pour être remplacé par un bloc de cours axés sur le terrain et la pratique. Humanités numériques, archéologie, patrimoine et histoire appliquée ont ainsi trouvé leur place dans le plan de formation.

Impossible pour le moment de faire le bilan de ce nouveau baccalauréat, qui en est à la fin de son année d’implantation – celle-ci s’étant conclue dans un contexte de pandémie bien particulier. Toutefois, les aléas de la version de 2001 invitent à la circonspection : on ne peut pas se permettre de perdre notre ADN dans une recherche de solutions aux baisses d’inscriptions. Si, d’une part, il faut admettre que l’employabilité doit être envisagée dans la formation en histoire, il faut, d’autre part, reconnaître que les étudiant.e.s qui décident d’entreprendre une formation disciplinaire en histoire le font avec des attentes bien précises, que ce soit une inclination pour l’altérité temporelle ou encore l’attrait du caractère généraliste de la formation. Ces attentes ne sont pas toujours du même ordre que pour ceux et celles qui, justement, choisissent une formation strictement professionnelle. Autrement dit, il importe de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

Dans un deuxième temps, les différentes stratégies de mise en marché des universités ainsi que les caractéristiques de leur renommée respective doivent être prises en considération dans l’évaluation du recrutement. Cette réalité est encore plus vraie dans le cas des universités régionales de moyenne et de petite taille, le plus souvent associées au réseau de l’Université du Québec[2], comme l’UQAR. Cette dernière est reconnue pour ses formations en océanographie et en développement régional, les deux pôles d’excellence en recherche affichés par l’institution depuis les années 1970. Bien que l’UQAR soit une université généraliste, les formations disciplinaires qui échappent à l’emprise directe de ces deux pôles sont peu connues et peu visibles. D’importants défis s’élèvent donc pour ceux et celles qui portent ces programmes, défis qui nécessitent la collaboration active de multiples acteurs du milieu institutionnel, tant du côté de l’administration que des bureaux des communications, des départements et même du corps professoral. Celui-ci est en effet de plus en plus interpellé dans l’ensemble des réflexions sur le recrutement et plus particulièrement dans l’élaboration de stratégies visant à faire connaître les programmes et à y attirer des étudiant.e.s. La journée d’étude à l’origine de ce dossier ainsi que ma participation aux discussions en sont des preuves tangibles.

Le dernier élément relève d’une réalité sociétale qui dépasse le monde de l’éducation : la baisse démographique actuelle dans certaines régions du Québec. À cet égard, l’Est-du-Québec connaît une diminution inexorable depuis quelques décennies. En 2019, sur les huit MRC de la région du Bas-Saint-Laurent, seules celles de Rimouski et de Rivière-du-Loup ont connu un solde migratoire interrégional légèrement positif, mais, au total, la région présente un solde négatif (-374) alors que celui de la Gaspésie semble s’être stabilisé, même si les prévisions démographiques anticipent une décroissance de 9,4 % d’ici 2041[3]. En outre, le vieillissement de la population touche de plein fouet les régions périphériques, soustrayant du bassin de recrutement de nombreux jeunes. Néanmoins, une timide – mais probablement temporaire – embellie s’annonce dans cinq ou six ans alors que les jeunes issus du « mini baby-boom » des années 2005-2008 arriveront à l’université. Il faudra donc être prêts à les accueillir et à leur offrir des conditions suffisamment attrayantes pour les convaincre de rester dans la région. C’est dans cette perspective qu’ont été pensées les pistes de solution qui suivent.

Une piste de solution : la collaboration

La désaffection à l’égard d’une large partie des sciences humaines et l’actuelle baisse démographique ne touchent pas que l’UQAR. Les cinq cégeps de l’Est-du-Québec (La Pocatière, Rivière-du-Loup, Rimouski, Matane et Gaspésie-Îles de la Madeleine[4], avec leurs centres régionaux à Montmagny, Amqui, Sainte-Anne-des-Monts, Témiscouata, etc.) vivent la même situation. C’est entre autres dans la perspective de réfléchir aux questions plus générales du recrutement étudiant que les directeurs généraux des collèges et le recteur de l’UQAR se sont réunis il y a deux ans pour lancer le Pôle régional en enseignement supérieur de l’Est-du-Québec avec l’appui du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Lancée au printemps 2018, cette initiative a comme objectif affirmé « d’établir une stratégie de recrutement conjointe et de développer des modalités de continuité de parcours. En attirant et en favorisant l’enracinement de davantage d’étudiants, ce pôle se veut un véritable levier de croissance et d’emplois pour l’Est-du-Québec[5]. » Cette initiative s’inscrit, par ailleurs, en droite ligne avec l’un des axes de l’énoncé de mission de l’Université du Québec qui stipule que, « [p] our les établissements du réseau de l’Université du Québec, le partage des ressources, des expertises et des connaissances est un élément clé pour rendre accessible le savoir et la culture à l’ensemble de la population québécoise rapidement et à moindre coût[6] ». Depuis cette première entente en 2018, les institutions d’enseignement supérieur de plusieurs autres régions du Québec ont emboîté le pas et établi des partenariats similaires selon leurs priorités respectives.

Au départ, le pôle de l’Est-du-Québec visait l’établissement de nouvelles passerelles entre les programmes collégiaux techniques et universitaires professionnels. Les professeurs d’histoire y ont néanmoins vu une occasion de ramener à la lumière les impératifs du recrutement des formations généralistes et d’établir des ponts avec les programmes pré-universitaires en sciences humaines des cégeps de la région. Afin de mesurer l’intérêt d’éventuels collaborateurs et d’évaluer la pertinence de présenter un projet plus ambitieux dans le cadre d’un appel de financement annoncé pour l’automne par les administrateurs du Pôle, l’équipe d’histoire de l’UQAR a organisé, au printemps 2019, un dîner informel avec les collègues des cégeps de Matane et de Rimouski.

Cette rencontre a permis de faire deux constats. Premièrement, elle a confirmé que les cégeps sont aux prises avec les mêmes enjeux de recrutement, et de manière plus aiguë dans les profils pré-universitaires. Les effets de la baisse démographique s’y traduisent de la même façon : en fin de compte, plusieurs programmes sont fragilisés et le déplacement des étudiants vers les programmes techniques se confirme. Les données du MEES permettent de constater que les cinq cégeps de l’Est ont connu une diminution marquée de leurs inscriptions depuis 2013. Les pourcentages sont éloquents : une baisse de 14,5 % pour les secteurs pré-universitaires et de 7,3 % pour les secteurs techniques, avec des variations plus ou moins importantes selon les institutions. Les projections laissent entrevoir une poursuite de la courbe descendante jusque vers 2022, pour ensuite remonter légèrement jusqu’en 2028 et se stabiliser autour des données de 2018[7]. Autrement dit, il faudra compter avec une diminution des effectifs étudiants et une concurrence accrue des cégeps des grands centres pour qui les projections laissent plutôt entrevoir une hausse de plus de 20 % jusqu’en 2028.

Le second constat est d’un autre ordre. Nous avons dû convenir que les professeur.e.s d’université et de cégep en histoire dans l’Est-du-Québec se connaissent très peu. Au cours des quinze dernières années, les équipes professorales des institutions d’enseignement supérieur de la région ont été presque entièrement renouvelées. Du côté de l’UQAR, aucun membre de l’équipe actuelle n’est originaire de l’Est-du-Québec et, conséquemment, n’a fréquenté les cégeps de la région. Il y a plus encore : il appert que la majorité des professeur.e.s des cégeps de l’Est n’a pas poursuivi sa formation universitaire à Rimouski. Pareille situation entraîne un défaut de fluidité entre les différents ordres en raison d’un manque de connaissance à la fois interpersonnel et institutionnel.

De ce second constat a émergé une première piste de solution. Concrètement et très simplement, une demande de financement au Pôle régional a été déposée pour permettre l’organisation d’une journée de rencontre. Cette journée s’est tenue le 17 janvier 2020 et a mobilisé une vingtaine de personnes soucieuses de la situation de l’enseignement de l’histoire dans l’est de la province. Aux historiens et à l’historienne de l’UQAR se sont ajoutés au moins un.e professeur.e de chacun des cégeps de l’Est[8] et des enseignant.e.s – histoire, géographie ainsi qu’éthique et culture religieuse – de cinq écoles secondaires de la région. En effet, nous avons compris que, s’il y a un manque de lien entre les cégeps et l’université, la même situation existe entre le secondaire et les cégeps ainsi qu’entre le secondaire et l’université. Cette quasi-absence d’interaction est amplifiée dans l’Est par les grandes distances : couvrir un territoire qui va de La Pocatière aux Îles-de-la-Madeleine peut être essoufflant… Cette réponse enthousiaste s’est manifestée par des discussions nourries qui traduisaient un véritable et viscéral besoin de briser l’isolement – certains cégeps ou centres d’études collégiales ne comptent qu’une seule ressource professorale en histoire… Toutefois, au-delà du simple fait de mettre des visages sur des noms, cette journée avait pour but d’imaginer des activités qui permettraient aux intervenants des trois cycles de l’enseignement secondaire et postsecondaire de collaborer à l’avenir.

La programmation de la journée avait été pensée, dans un premier temps, pour dresser l’inventaire d’initiatives déjà testées, chez nous ou ailleurs, et faire état des possibilités formelles et réglementaires de collaboration entre les différents cycles de formation. Dans un deuxième temps, des périodes d’échange en équipe avaient été prévues avec comme objectif d’en arriver à formuler des propositions concrètes de collaboration, pour finalement en retenir une ou deux en plénière finale et discuter collectivement des moyens à prendre pour les réaliser. Dès les premières discussions, il est apparu que les besoins des trois niveaux différaient : si les représentant.e.s des cégeps et de l’UQAR étaient préoccupé.e.s par le recrutement et souhaitaient développer des projets pédagogiques élargis, les enseignant.e.s au secondaire, moins touché.e.s par la question du recrutement – leurs classes sont souvent au contraire surpeuplées –, étaient surtout porté.e.s par une volonté de dynamiser leur enseignement, de trouver des façons « d’accrocher » leurs élèves à une matière parfois considérée comme superflue par ces derniers. C’est en prenant conscience de ces aspirations différentes, mais non pas divergentes, que la journée s’est amorcée.

Toutes ces réflexions ne partaient pas de zéro. Il y a quelques années, l’UQAR et le cégep de Rimouski avaient lancé une initiative conjointe dont l’objectif était de structurer des projets en recherche ou en enseignement. Les historien.ne.s des deux institutions avaient proposé un projet pilote d’Université d’été en patrimoine (UEP). Intégrée au plan de formation du baccalauréat en histoire[9], cette activité estivale se voulait inclusive et avait été pensée pour que les finissant.e.s du cégep puissent s’y inscrire et voir leurs crédits reconnus dans leur baccalauréat avant même le début officiel de leur formation universitaire. Dans l’entreprise, l’expertise des professeur.e.s de cégeps avait été mise à contribution pour la planification des activités de la semaine intensive sur le terrain. Lors de la semaine d’activités elle-même, la situation s’est toutefois avérée plus complexe que prévu. Les professeur.e.s du cégep peuvent difficilement se voir reconnaître des tâches d’enseignement estival – leur participation reposait donc sur leur unique bonne volonté. Depuis cette édition-pilote en 2011, l’UEP a été offerte par l’UQAR à quatre reprises, mais le cégep s’en est dissocié après la deuxième édition. Cet épisode a convaincu l’équipe de l’UQAR qu’il fallait penser le dossier autrement et revoir les bases de la collaboration. En d’autres mots, ce n’est pas à l’université d’arriver avec ses gros sabots en imposant aux autres un modèle pensé à partir de sa réalité.

D’autres activités ont également eu lieu depuis, dont une sortie de terrain à Matane, coorganisée par des professeur.e.s du cégep matanais et de l’UQAR. Développée cette fois de manière conjointe pour s’insérer dans les plans de cours concernés, l’activité en question, une visite du patrimoine industriel forestier matanais, s’impose comme modèle à suivre pour les prochaines années. Cette proposition a été discutée au cours de la journée de rencontre et un consensus s’est dégagé : en faisant un inventaire des différents cours offerts dans les cégeps et à l’université, il sera possible, à peu de frais – si ce n’est le transport, qui n’est pas à négliger compte tenu des distances à parcourir dans la région –, d’intégrer pareilles activités dans nos plans de formation respectifs. Une initiative plus structurée en ce sens est en voie de se concrétiser entre l’UQAR et le cégep de La Pocatière.

La journée d’étude a également permis d’aborder certaines idées qui avaient été évoquées lors du dîner printanier, dont une « Expo-histoire », sur le modèle bien connu des Expo-sciences. Afin de présenter la structure et l’organisation de ces compétitions annuelles, nous avons invité le coordonnateur régional de l’Expo-sciences pour Technoscience Est-du-Québec. Rappelons que cette compétition rassemble des jeunes du primaire, du secondaire et du collégial autour de projets de vulgarisation, de conception et d’expérimentation scientifiques. C’est donc dire que les enseignant.e.s du secondaire et du collégial qui participaient à la journée d’étude du 17 janvier étaient directement concerné.e.s par cette rencontre. Lors du dîner printanier, nous avions également envisagé la possibilité de mettre en place une structure de mentorat incluant les étudiant.e.s et les professeur.e.s de l’UQAR. Quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre, par la bouche du coordonnateur, que l’Expo-sciences comporte déjà un volet « Sciences sociales et réseaux sociaux » dans lequel il est possible de présenter des projets portant sur les aspects sociologiques ou culturels des sociétés humaines[10] ! Et qu’un programme de mentorat existe déjà… Nous aurions certes pu creuser la question avant d’inviter le coordonnateur (!) ; néanmoins, le fait qu’aucun.e des vingt participant.e.s à la journée d’étude n’ait été au fait de cette ouverture aux sciences sociales et humaines est révélateur d’une conception étroite de la science dans la société. N’a-t-on pas décidé de désigner le bloc de cours formé par l’histoire et la géographie au primaire et au secondaire par un euphémisme aussi peu évocateur qu’ « Univers social » ? Les participant.e.s à la journée d’étude ont donc convenu d’investir les lieux dans une volonté commune de redonner une place effective aux sciences humaines et sociales dans le grand théâtre scientifique que sont les Expo-sciences.

Enfin, outre les collaborations ad hoc entre les institutions, incluant des offres de conférences, de visites ou de capsules vidéo pour les classes de secondaire et de cégep, un grand projet a été évoqué en plénière : l’organisation de « Jeux d’histoire » de l’Est-du-Québec. Plutôt que de dupliquer le modèle bien connu des Jeux de commerce ou de génie qui met en compétition des équipes institutionnelles, nous envisageons une joute amicale où des représentants des cégeps, de l’UQAR et, peut-être, des finissant.e.s d’une ou de deux écoles secondaires seraient réparti.e.s dans des équipes qui prendraient part à des épreuves à caractère historique. Des activités rassembleuses viendraient compléter le programme : banquet historique, visites, « foire des métiers historiques », etc. L’organisation pourrait être tournante ; les cégeps et l’UQAR en seraient ainsi les hôtes en alternance. L’objectif de ce rassemblement est de redonner un côté festif à l’histoire, en plus de montrer concrètement aux jeunes des différents niveaux scolaires l’existence d’une filière scolaire et professionnelle possible en histoire en les familiarisant avec des applications concrètes de leur formation sur le marché du travail. En effet, face à la désaffection grandissante envers les sciences humaines, et l’histoire de manière encore plus aiguë, il devient urgent et incontournable d’établir des ponts avec le monde de l’emploi.

Et ensuite…

Ces suggestions très pragmatiques pourraient n’être qu’un coup d’épée dans l’eau si, parallèlement, d’autres actions plus larges pour la représentation de l’histoire sur la scène publique ne sont pas entreprises. Deux lieux doivent ici être investis à mon avis.

Le premier concerne la formation des maîtres et la place de l’histoire à l’école. Au primaire à tout le moins, je l’indiquais, l’histoire se retrouve fondue dans cette appellation fourre-tout d’ « Univers social ». Au secondaire, on retrouve l’histoire comme matière inscrite au plan de formation. Souvent, elle est dans la tâche d’un.e enseignant.e qui doit aussi prendre en charge des cours de géographie et qui a été formé.e en enseignement secondaire, profil univers social. Je ne remets pas en question la bonne volonté et la compétence de ces enseignant.e.s. Je leur enseigne, et celles et ceux qui ont participé à la journée d’étude sont véritablement préoccupé.e.s de la qualité de leur enseignement. Cependant, la plupart des enseignant.e.s du secondaire, toutes disciplines confondues, n’ont pas de formation disciplinaire complète. Dans le cas particulier de l’histoire, seule véritable représentante des sciences humaines et sociales – avec l’éthique et la géographie – jusqu’en quatrième secondaire, pareille situation n’est pas sans poser problème. Dans la conjoncture actuelle défavorable aux réflexions globales et aux critiques assumées traditionnellement par les sciences sociales et humaines, ce manque de formation disciplinaire apparaît comme un désaveu[11]. Cette absence de reconnaissance constitue un frein évident pour les jeunes qui pourraient envisager d’entreprendre un baccalauréat en histoire ou dans une autre science humaine.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que Brigitte Caulier, Louise Bienvenue et moi-même sommes intervenues dans les médias, au nom de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF), afin de demander une meilleure reconnaissance disciplinaire dans la formation des maîtres, idéalement en réactivant le certificat de pédagogie[12]. La pétition initiée par l’IHAF à la suite de cette sortie publique a d’ailleurs été signée par près de 1 500 personnes, étudiant.e.s, enseignant.e.s, historien.ne.s professionnel.le.s de toutes les régions du Québec[13]. Sans mettre la hache dans le baccalauréat en enseignement actuel, dont le bien-fondé ne fait aucun doute, cette nouvelle avenue d’un certificat en pédagogie – ou d’un autre modèle de formation qui reconnaîtrait véritablement les acquis et l’expérience des diplômé.e.s – viendrait plutôt diversifier le profil des enseignant.e.s et donner aux jeunes la chance de côtoyer plus d’un type d’enseignant.e.s[14]. Peut-être qu’un plus grand nombre d’entre eux et elles y trouveront leur compte ?

En parallèle à ces actions, les historien.ne.s doivent investir l’espace public. Bien sûr, par les médias, mais aussi à travers les institutions culturelles, patrimoniales et communautaires. Nombre d’entre eux et elles le font déjà, et de belle façon. Quelques-un.e.s déploient leurs initiatives à partir d’un poste universitaire, comme certain.e.s qui animent des chaînes YouTube ou des émissions de télévision[15] ; plusieurs – trop nombreux et nombreuses pour les identifier – interviennent ponctuellement sur une variété de plates-formes lorsque l’actualité met en lumière des pans de leur spécialisation[16]. D’autres font carrière à l’extérieur de l’université et organisent des événements, gèrent des entreprises ou offrent leur expertise et contribuent à mettre l’histoire à l’avant-scène[17]. Parmi la communauté historienne, certain.e.s voudraient s’investir sur la scène publique, mais ne se sentent pas toujours à l’aise de « performer » dans ce format de l’instantanéité inhérent aux médias du XXIe siècle ni d’évoluer dans un monde où le contrôle analytique leur échappe parfois en partie. Néanmoins, cette participation apparaît fondamentale pour faire connaître les apports possibles de l’histoire aux grands débats qui agitent notre monde.

Il importe, dans la foulée, de faire reconnaître ces contributions au monde du travail de manière concrète. Déjà, les études se multiplient pour montrer la valeur d’une formation en sciences humaines, et en histoire, dans un marché de l’emploi en profonde mutation[18]. Il reste à convaincre la société et les employeur.euse.s qu’un.e jeune formé.e en histoire peut contribuer positivement à son milieu et qu’il ou elle a, par sa formation rigoureuse, développé toutes les compétences et acquis toutes les connaissances nécessaires pour faire sa place[19].