Corps de l’article

Introduction

Les enquêtes criminelles ont pour but d’identifier et d’arrêter les auteurs des faits correspondants. Secondairement, elles participent à la manifestation de la vérité établie lors du procès en tentant d’apporter des éléments de compréhension au passage à l’acte. Lorsque les agresseurs sont inconnus des victimes, la tâche s’avère particulièrement complexe pour les enquêteurs (Beauregard et Martineau, 2017b). Afin de parvenir à identifier les coupables de ces crimes, les forces de l’ordre ont parfois recours au profilage criminel. Cette technique a pour objectif de faire le lien entre les caractéristiques du crime et les caractéristiques de l’agresseur (démographique, comportementaux, psychologique) (Bartol et Bartol, 2013). Si théoriquement le profilage criminel vise à identifier les suspects de crimes, d’un point de vue pratique cela prend différentes formes. Aujourd’hui, la résolution d’affaires criminelles par le biais direct du profilage fait débat en de nombreux points, et particulièrement quant à son efficacité à identifier des suspects (voir par exemple ; Dern, Dern, Horn et Horn, 2009 ; Snook, Cullen, Bennell, Taylor et Gendreau, 2008). Cependant, son application en complément de l’enquête criminelle traditionnelle peut s’avérer être d’une aide importante dans le processus de priorisation des suspects (voir Chopin et Beauregard, sous presse-a ; Deslauriers-Varin, Bennell et Bergeron, 2018) ainsi que pour la compréhension de l’acte criminel et la détermination du rationnel liant les différentes phases du mode opératoire. Ce concept, qui peut être défini comme « l’ensemble des actions commises par un individu pour mener à bien son crime[3]« (Douglas, Burgess, Burgess et Ressler, 2006, p. 353), s’avère très important dans une perspective de profilage. En effet, le profilage tente d’établir le lien entre les éléments de la scène de crime, le mode opératoire et les caractéristiques des agresseurs. Plusieurs facteurs ont été identifiés comme ayant une influence sur le mode opératoire suivi par l’agresseur. Ces éléments peuvent aussi bien des facteurs externes (âge des victimes, distance à parcourir, etc.) et internes (facteurs développementaux, troubles psychologiques, consommation de produits psychotropes, etc.) (voir par exemple Beauregard, Lussier et Proulx, 2004, 2005 ; Chopin et Beauregard, 2018, 2019a ; Chopin et Caneppele, 2019a, 2019b). Parmi les facteurs internes des agresseurs, Beauregard et Martineau (2017a) indiquent que la présence de comportements paraphiliques chez les meurtriers sexuels a une incidence sur leur mode opératoire. Dans le cas des viols, ou la présence de comportements paraphiliques est également identifiée, aucune étude à ce jour ne s’est intéressée de savoir s’ils influençaient ou non le mode opératoire suivi par les agresseurs. Nous pouvons alors nous demander si les agresseurs présentant des comportements paraphiliques ont un processus de passage à l’acte qui est différent de ceux qui n’en développent pas. La notion de comportements paraphiliques est souvent reliée à la délinquance sexuelle, mais cette association a été relativement peu étudiée d’un point de vue empirique (Beauregard et Martineau, 2017a) alors que leur présence s’avère être une importante source de motivation dans la commission de crimes (Curnoe et Langevin, 2002 ; Hazelwood et Warren, 2016). La prévalence des agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique est fortement dépendante de l’échantillon utilisé dans les différentes recherches ainsi que de la définition qui en a été retenue par les chercheurs. Dans leur étude, Gravier, Mezzo, Abbiati, Spagnoli et Waeny (2010) décèlent que 24 % d’un échantillon d’agresseurs sexuels en Suisse est sujet aux comportements paraphiliques.

Bien que les études aient cerné la proportion d’agresseurs qui possède des comportements paraphiliques, aucune d’entre elles n’a permis d’identifier s’il existait un lien entre ces comportements paraphiliques et les comportements des agresseurs sur la scène de crime.

Revue de littérature

Fantaisies sexuelles, fantaisies sexuelles déviantes et comportements paraphiliques

Les travaux entourant la notion de comportements paraphiliques s’intéressent en particulier aux concepts de fantaisie, fantaisies sexuelles déviantes, paraphilies et comportements paraphiliques. Ces notions sont clairement liées, mais ne peuvent être utilisées comme synonymes dans la mesure où elles représentent des réalités différentes. Ainsi, d’après Prentky et al. (1989), une fantaisie est « un ensemble élaboré de cognitions (ou de pensées) caractérisées par une préoccupation (ou une répétition), ancrée dans l’émotion et provenant de rêveries (p. 889) ». Une fantaisie devient déviante lorsqu’elle implique la douleur, une absence de consensus entre les personnes ou un comportement qui va en dehors de ce que la société juge acceptable (Prentky et al., 1989). La présence de fantaisies sexuelles déviantes (par ex., domination, sadisme) est généralement considérée comme faisant partie du processus normal du développement sexuel des personnes (Arndt, Foehl et Good, 1985 ; Gee, Devilly et Ward, 2004 ; Leitenberg et Henning, 1995 ; McCollaum et Lester, 1994 ; Templeman et Stinnett, 1991). Les paraphilies sont définies par le DSM-5 comme des comportements sexuels intenses et persistants, différents des comportements copulatoires et précopulatoires normaux (American Psychiatric Association, 2013). D’après Holmes et Holmes (2009), il n’existerait pas moins de 547 paraphilies différentes. Certaines paraphilies peuvent être «  sans contact  » direct avec une victime (par ex., le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le fétichisme et le travestisme) tandis que d’autres impliquent la souffrance ou l’humiliation de soi-même, de son partenaire, d’autres personnes non consentantes (par ex., le masochisme sexuel, le sadisme sexuel et le frotteurisme) (American Psychiatric Association, 2013). Les paraphilies sont considérées comme la manifestation physique et concrète des fantaisies sexuelles déviantes (Beauregard et Martineau, 2017a ; Healey, 2006). Pour être identifiée, une paraphilie nécessite un diagnostic clinique établi sur la base de critères stricts déterminés par le DSM. Le concept de comportement paraphilique quant à lui est moins encadré et peut être considéré comme une attitude qui renvoie à la manifestation d’une paraphilie sans pour autant qu’un diagnostic structuré et clinique ait été établi. Il est ainsi possible d’identifier des comportements paraphiliques à travers des données d’enquêtes policières et une description précise du comportement de l’auteur et des actes commis durant l’agression (Hazelwood et Burgess, 2016 ; Hazelwood et Warren, 2016 ; Holmstrom et Burgess, 1980) tandis que le diagnostic de paraphilie devra être fait par des psychologues cliniciens ou des psychiatres. Dans le cadre de cet article, toutes ces notions ne seront pas utilisées comme synonymes et feront référence aux définitions spécifiques présentées dans cette section.

Comportements paraphiliques et troubles de la personnalité

Peu de recherches se sont intéressées à la relation entre la personnalité et les comportements paraphiliques (Beauregard et Martineau, 2017a). Dans leur étude, Curnoe et Langevin (2002) mentionnent que les agresseurs sexuels ayant des fantaisies sexuelles ont une stabilité émotionnelle plus limitée que les autres agresseurs sexuels. Ils trouvent également que la présence de fantaisies sexuelles déviantes est associée avec une distorsion cognitive ainsi qu’une aliénation mentale suggérant une séparation psychique et psychologique du monde extérieur (Curnoe et Langevin, 2002). Les fantaisies sexuelles agissent ainsi comme une échappatoire pour des individus qui vivent une situation de discorde attribuable notamment à leurs traits de personnalité (Beauregard et Martineau, 2017a ; Curnoe et Langevin, 2002). Curnoe et Langevin (2002) trouvent également une association entre les traits de la personnalité antisociale ou psychopathique et les fantaisies sexuelles déviantes. Des études ont également montré une relation entre la schizophrénie d’une part et différents types de fantaisies sexuelles d’autre part (par ex., impersonnelles, sadomasochistes, exploratoires et intimes) (Lynn et Rhue, 1988 ; Merritt et Waldo, 2000 ; Rhue et Lynn, 1987b ; Sahota et Chesterman, 1998). D’autres études ont également mis en évidence un lien entre les fantaisies sexuelles, les comportements de solitude, l’isolement social (Proulx, McKibben et Lusignan, 1996 ; Rhue et Lynn, 1987a) ainsi que le sentiment de colère et d’humiliation (Proulx et al., 1996). La relation entre les fantaisies sexuelles et la présence de troubles psychotiques n’est pas clairement établie. Des travaux (Lynn et Rhue, 1988 ; Rhue et Lynn, 1987b) montrent que ces troubles sont plus souvent présents chez les agresseurs ayant des fantaisies sexuelles. Cependant, Merritt et Waldo (2000) ainsi que Curnoe et Langevin (2002) trouvent une prévalence anecdotique de ce trouble spécifique parmi les agresseurs sexuellement déviants. Il est important à ce stade de mentionner que la littérature sur le sujet fait l’objet de débats doctrinaux et fait l’objet de controverses, notamment avec la difficulté à obtenir de fortes associations, le manque de discrimination entre les populations délinquantes et non délinquantes et les problèmes de validité du construit psychologique.

Comportements paraphiliques et agressions sexuelles

Plusieurs études se sont intéressées à la relation entre les agressions sexuelles et les comportements paraphiliques, mais relativement peu d’entre elles ont étudié empiriquement les caractéristiques spécifiques du mode opératoire des agressions commises par les individus ayant des comportements paraphiliques (Tableau 1) (Abel, Becker, Cunningham-Rathner, Mittelman et Rouleau, 1988 ; Arrigo et Purcell, 2001 ; Beauregard et Martineau, 2017a ; Healey, 2006 ; MacCulloch, Snowden, Wood et Mills, 1983 ; Prentky et al., 1989 ; Schlesinger, 2007). Plusieurs recherches ont suggéré que les agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique étaient plus souvent classifiés comme des agresseurs organisés (Deu et Edelmann, 1997 ; Prentky et al., 1989 ; Ressler, Burgess, Douglas, Hartman et D’Agostino, 1986 ; Woodworth et al., 2013). La classification des crimes organisés/désorganisés a été pensée par Ressler, Burgess et Douglas (1988) pour les homicides sexuels, mais également pour les cas de viols (voir Shipley et Arrigo, 2008). Les agresseurs organisés sont caractérisés notamment par un important niveau de préparation, avec le ciblage de leur victime, le contrôle de la scène du crime (Ressler et al., 1988), la commission d’actes sexuels variés, d’actes sadiques, masochistes et la présence de sperme sur le corps de leur victime (Ressler et al., 1986). Finalement, ce groupe d’agresseurs a, de façon surprenante, une capacité limitée à mettre en place des stratégies pour éviter d’être identifié par la police (Beauregard et Martineau, 2016). Carabellese, Maniglio, Greco et Catanesi (2011) expliquent dans leur étude que les comportements paraphiliques se manifestent dans les agressions sexuelles de différentes manières et notamment par : la planification de l’agression, l’augmentation de l’activité sexuelle, la masturbation compulsive, la stimulation du sentiment de domination de l’agresseur. Plus concrètement, plusieurs auteurs ont avancé que le modus operandi utilisé par les agresseurs ayant des comportements paraphiliques suit un processus bien précis (par ex., le choix des victimes, le type d’activités sexuelles, le niveau de violence à utiliser) en fonction des fantaisies sexuelles déviantes qui les animent (Beauregard et Martineau, 2017a ; Brittain, 1970 ; MacCulloch et al., 1983 ; Ressler et al., 1988). Davies et Dale (1995) ainsi que Beauregard et Proulx (2017) mentionnent par ailleurs que les comportements paraphiliques sont souvent associés à un mode opératoire sophistiqué. Ceci implique de la préparation, un long processus de surveillance et de renseignements sur les activités routinières des victimes ciblées (Beauregard et Martineau, 2017a ; Beauregard et Proulx, 2017 ; Deu et Edelmann, 1997 ; Sjöstedt, Långström, Sturidsson et Grann, 2004). Sjöstedt et al. (2004) trouvent par ailleurs que les agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique ont un mode opératoire relativement stable et qui a tendance à se répéter en cas de délits sériels. Ces agresseurs ont besoin qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour que l’agression qu’ils commettent soit un succès à leurs yeux. Dans leur étude, Beauregard et Martineau (2017a) ont trouvé d’un point de vue général que les agresseurs sexuels physiquement violents étaient peu souvent associés à un comportement paraphilique, tandis que Woodworth et al. (2013) ont reconnu que les individus ayant des déviances sexuelles violentes (par ex., sadisme) commettent plus souvent des agressions sexuelles violentes. D’ailleurs, pour Prentky et al. (1989), les déviances sexuelles violentes se manifestent plus souvent parmi les agresseurs sériels que non sériels.

Tableau 1

Résumé des caractéristiques du mode opératoire associées à des agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique

Résumé des caractéristiques du mode opératoire associées à des agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique

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But de l’étude

La revue de littérature a montré que la recherche liant les comportements paraphiliques et les agressions sexuelles était relativement lacunaire. Plusieurs pistes d’association entre ces deux aspects ont été suggérées à travers les recherches, sans pour autant qu’elles aient formellement été testées empiriquement. Si la plupart du temps, la question des comportements paraphiliques a été traitée et discutée de façon binaire (c.-à-d. absence ou présence) (par ex., Beauregard et Martineau, 2017a), les études de cas présentées notamment par Hazelwood et Warren (2016) ainsi que plusieurs études (Abel et al., 1988 ; Baur et al., 2017 ; Hanson et Morton-Bourgon, 2005 ; Mann, Hanson et Thornton, 2010) soutiennent que les agresseurs avec plusieurs comportements paraphiliques pourraient avoir un comportement différent des autres. Finalement, le type de comportement paraphilique pourrait également avoir un impact sur le mode opératoire mis en place par l’agresseur (comme Prentky et al., 1989 ; Woodworth et al., 2013). Cette recherche a ainsi pour but de tester l’association entre d’une part les comportements paraphiliques des agresseurs sexuels et d’autre part le mode opératoire qu’ils ont suivi pour parvenir à leurs fins.

De type exploratoire, cette recherche va déterminer si 1) la présence, 2) le nombre et 3) le type de comportement paraphilique présent chez un agresseur a un impact sur son mode opératoire par rapport aux délinquants sexuels n’en ayant pas.

Méthodologie

Échantillon

L’échantillon utilisé dans cette étude provient d’une base de données opérationnelle de la police française qui contient des cas de crimes violents extrafamiliaux ayant eu lieu entre 1979 et 2018 sur le territoire français. Cet échantillon comprend 3253 cas de viols, dont 2513 ont été commis par des agresseurs sans comportements paraphiliques et 740 par des agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique. Les données proviennent de rapports réalisés par des enquêteurs de terrain ainsi que de rapports produits par différents experts (psychologues, médecins légistes, experts forensiques). Toutes ces informations sont recensées par une équipe d’analystes criminels, spécialisés dans le domaine des crimes violents, qui les compilent et les introduisent dans la base de données, assurant ainsi la fiabilité des données introduites. Les analystes criminels peuvent avoir recours dans l’interprétation de certaines données à une équipe de six psychologues cliniciens qui sont membres d’une unité spécialement affiliée à la Direction centrale de la police judiciaire.

Dans le cadre de cette étude, nous avons procédé à une sélection des cas présents dans la base de données afin d’avoir un groupe d’étude relativement homogène. Dans un premier temps, nous avons utilisé seulement les cas dans lesquels il y avait eu une pénétration sexuelle (vaginale et/ou anale). Dans un second temps, nous avons exclu les cas d’homicides sexuels. En effet, plusieurs travaux ont montré que les meurtriers sexuels suivent un mode opératoire spécifique en comparaison des agresseurs sexuels impliqués dans des agressions sexuelles non létales (Chopin et Beauregard, 2019b, 2019c, 2019d). Dans un troisième temps, nous avons exclu les cas impliquant des victimes de 16 ans et moins, car leurs agresseurs suivent un mode opératoire spécifique comparativement aux agresseurs de victimes adultes (Beauregard, Stone, Proulx et Michaud, 2008 ; Leclerc, Proulx et Beauregard, 2009). Dans un quatrième temps, nous avons sélectionné uniquement les cas considérés comme résolus par la police afin de pouvoir exploiter les informations concernant les agresseurs.

Participants

Les agresseurs sexuels n’ayant pas de comportements paraphiliques sont âgés en moyenne de 29,34 ans. Ils sont majoritairement en couple (60,10 %) et ne vivent pas seuls (89,50 %). Dans 22,70 % des cas, ils avaient consommé de l’alcool avant l’agression et dans 12,70 % de la drogue. Les agresseurs sexuels ayant au moins un comportement paraphilique sont âgés en moyenne de 33,03 ans, sont majoritairement célibataires (57,70 %) et vivent seuls pour 23,60 % d’entre eux. Un peu plus d’un quart d’entre eux (27,30 %) avaient consommé de l’alcool au moment des faits tandis que 12 % avaient consommé de la drogue.

Mesures

L’identification des comportements paraphiliques est effectuée par les analystes experts dans le domaine des agressions sexuelles ainsi que, le cas échéant, par des psychologues judiciaires qui sont intervenus sur une affaire.

Variables dépendantes. Dans cette étude, trois variables dépendantes relatives aux comportements paraphiliques ont été utilisées (voir Tableau 2). La première est une variable dichotomique (0-1) qui décrit la présence ou non d’au moins un comportement paraphilique. Les comportements paraphiliques utilisés dans le cadre de cette étude sont les suivantes : exhibitionnisme, voyeurisme, travestisme, sadisme, masochisme, fétichisme, bondage, bestialité, urophilie. Les comportements paraphiliques sont déterminés par les analystes criminels et les psychologues judiciaires sur la base des dossiers d’enquête et des interrogatoires effectués avec les agresseurs et des entretiens réalisés avec les victimes (Hazelwood et Burgess, 2016 ; Holmstrom et Burgess, 1980). Une analyse croisée des comportements sexuels lors du crime, des éléments de la scène de crime, des comportements physiques et verbaux permet d’identifier ou non la présence de comportements paraphiliques chez les agresseurs sexuels (Hazelwood et Warren, 2016).

La seconde variable en est une continue qui décrit le nombre de comportements paraphiliques reconnus pour chaque agresseur. Cette variable est codée de 0 à 7 pour cet échantillon. La troisième variable est une variable catégorique divisée en quatre groupes (0, 1, 2, 3). Le premier groupe inclut les cas commis par des individus sans comportements paraphiliques, le second groupe inclut les cas commis par des individus ayant exclusivement un ou des comportements paraphiliques de contact. Pour former ce groupe, nous avons considéré les comportements paraphiliques suivants : sadisme, masochisme, bondage, zoophilie, urophilie. Le troisième groupe inclus des cas commis par des individus ayant exclusivement des comportements paraphiliques sans contact, c’est-à-dire : exhibitionnisme, voyeurisme, travestisme, fétichisme. Le quatrième groupe inclut les cas impliquant des individus ayant un/des comportements paraphiliques de contact ainsi qu’un ou des comportements paraphiliques sans contact.

Variables indépendantes. Les variables indépendantes concernent exclusivement la description du mode opératoire suivi par les agresseurs. Le mode opératoire suit la division classique en trois phases : précrime, de crime puis postcrime. Un total de 19 variables dichotomiques (0-1) a été utilisé : 1) la victime a été ciblée par l’agresseur ; 2) stratégie d’approche utilisée par l’agresseur : ruse (s’est fait ami avec la victime, abus d’autorité, substance incapacitante, a offert de l’aide, etc.) ; 3) stratégie d’approche utilisée par l’agresseur : surprise (attendait la victime, la victime dormait, s’est approché brusquement, etc.) ; 4) stratégie d’approche utilisée par l’agresseur : violence (s’est saisi de la victime, a immédiatement frappé la victime, a étranglé la victime, etc.) ; 5) le lieu de rencontre de la victime, de l’agression et de fin de l’agression est le même ; 6) lieu désert (c.-à-d. absence de témoins ayant pu voir, entendre, interrompre) ; 7) intérieur ; 8) l’agresseur était familier avec le lieu de l’agression ; 9) pénétration vaginale ; 10) pénétration anale ; 11) actes de préliminaires sexuels (par ex., fellation, masturbation, pénétration digitale, cunnilingus) ; 12) attouchements ; 13) la victime a été frappée par l’agresseur ; 14) la victime a été relâchée intentionnellement ; 15) du sperme a été retrouvé sur la scène de crime ou sur le corps de la victime ; 16) l’agresseur a détruit des preuves ; 17) l’agresseur a protégé son identité (utilisation d’un préservatif, utilisation d’un masque/gants, etc.) ; 18) l’agresseur a agi directement sur la victime (menaces) ; 19) utilisation d’aucune stratégie pour éviter d’être détecté par la police.

Stratégie analytique

La stratégie analytique de cette recherche suit un processus en quatre étapes. Lors de la première étape, des analyses bivariées sont effectuées (c.-à-d. Chi2) afin d’opérer une première sélection des variables indépendantes qui ont un lien avec la présence ou non de comportements paraphiliques. Seules les variables présentant des différences significatives ont été conservées pour les modèles multivariés. À la seconde étape, une analyse de régression logistique binomiale a été réalisée afin d’inclure les variables indépendantes dans un modèle multivarié ayant pour variable dépendante la présence ou non de comportements paraphiliques. À la troisième étape, une analyse de régression binomiale négative a été réalisée afin de tester l’impact des variables indépendantes sur le nombre de comportements paraphiliques. Ce type de régression a été préféré à la régression multiple, car la variable dépendante ne suit pas une distribution normale. Finalement, à la quatrième et dernière étape, une régression multinomiale a été réalisée afin de tester les spécificités de chaque type de comportement paraphilique sur les caractéristiques du mode opératoire.

Résultats

Analyses descriptives

Le Tableau 2 décrit la manière dont sont distribués les comportements paraphiliques dans l’échantillon utilisé. Ainsi, 22,75 % des violeurs composant notre échantillon avaient au moins un comportement paraphilique. Plus particulièrement, 17,83 % en avaient un seul, 3,29 % en avaient deux et 1,63 % en avait entre trois et sept. Dans notre échantillon, 12,30 % des individus étaient concernés exclusivement par un ou des comportements paraphiliques impliquant un contact entre l’auteur et sa victime tandis que 7,56 % des individus sont concernés exclusivement par un/des comportements paraphiliques sans contact. Finalement, un petit nombre d’agresseurs (2,89 %) est concerné aussi bien par des comportements paraphiliques de contact que sans contact. Ces derniers représentent cependant un nombre non négligeable de 94 cas.

Analyses bivariées

Le Tableau 3 présente les résultats des analyses bivariées. Sur les 20 variables caractérisant le modus operandi testées, 16 présentent des différences significatives entre le groupe d’agresseurs présentant des comportements paraphiliques et celui de ceux n’en présentant pas. Les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique ciblent plus facilement leur victime (χ2 = 129,90, p < 0,001 ; Phi = 0,20). La relation entre les deux variables est moyenne. Les agresseurs avec des comportements paraphiliques utilisent plus souvent la ruse pour aborder leur victime (χ2 = 27,58, p < 0,001 ; Phi = 0,09) et utilisent plus souvent le même lieu pour rencontrer, agresser et relâcher leur victime (χ2 = 7,21, p < 0,05 ; Phi = 0,05). Ces deux variables indépendantes présentent toutes les deux une relation très faible avec la variable dépendante. Ils commettent par ailleurs plus souvent leurs agressions dans des lieux intérieurs (χ2 = 11,46, p < 0,001 ; Phi = 0,09) avec lesquels ils sont familiers (χ2 = 137,06, p < 0,001 ; Phi = 0,21). Ces deux variables présentent respectivement une relation faible et une relation moyenne avec la variable dépendante. Durant l’agression, les violeurs ayant au moins un comportement paraphilique commettent plus souvent une pénétration anale (χ2 = 33,03, p < 0,001 ; Phi = 0,10), des actes de préliminaires sexuels (χ2 = 26,99, p < 0,001 ; Phi = 0,09) et des attouchements (χ2 = 43,32, p < 0,001 ; Phi = 0,12). Ces deux variables présentent respectivement une relation très faible et une relation faible avec la variable dépendante. Finalement, lors de la phase postcrime, les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique relâchent plus souvent intentionnellement leur victime (χ2 = 4,90, p < 0,001 ; Phi = 0,04), laissent plus souvent du sperme sur le corps de leur victime ou sur la scène du crime (χ2 = 19,13, p < 0,001 ; Phi = 0,08) et utilisent plus souvent des stratégies pour éviter d’être détectés par la police, en agissant sur leur victime (χ2 = 13,40, p < 0,001 ; Phi = 0,06). Ces trois variables présentent une relation très faible avec la variable dépendante.

Tableau 2

Analyses descriptives des différentes variables dépendantes liées aux comportements paraphiliques (N = 3253)

Analyses descriptives des différentes variables dépendantes liées aux comportements paraphiliques (N = 3253)
  1. Les comportements paraphiliques inclus : exhibitionnisme, voyeurisme, travestisme, sadisme, masochisme, bondage, zoophilie, urophilie, fétichisme.

  2. Les comportements paraphiliques classifiés avec contact : sadisme, masochisme, bondage, zoophilie, urophilie.

  3. Les comportements paraphiliques classifiés sans contact : exhibitionnisme, voyeurisme, travestisme, fétichisme.

  4. Sont inclus dans la catégorie mixte les individus pour lesquels il y a au moins une déviance sans contact et une déviance avec contact.

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Tableau 3

Analyses bivariées du modus operandi des viols pour les individus avec et sans comportements paraphiliques (N = 3253)

Analyses bivariées du modus operandi des viols pour les individus avec et sans comportements paraphiliques (N = 3253)

Tableau 3 (suite)

Analyses bivariées du modus operandi des viols pour les individus avec et sans comportements paraphiliques (N = 3253)

*p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001.

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À l’inverse, les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique abordent moins souvent leur victime en utilisant la surprise (χ2 = 25,52, p < 0,001 ; Phi = 0,08), ils commettent moins souvent une pénétration vaginale (χ2 = 73,83, p < 0,001 ; Phi = 0,15). Ces deux variables présentent respectivement une relation très faible et une relation faible avec la variable dépendante. Les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique frappent moins souvent leur victime (χ2 = 10,38, p < 0,001 ; Phi = 0,06) et protègent moins souvent leur identité afin d’éviter d’être identifiés par la police (χ2 = 15,01, p < 0,001 ; Phi = 0,07). Ces deux variables présentent chacune une relation très faible avec la variable dépendante.

Analyses multivariées

Le Tableau 4 décrit les résultats de la régression logistique binomiale. Les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique sont plus susceptibles de cibler leur victime (ß = 0,64, p <0,001), sont également plus susceptibles d’utiliser le même lieu pour rencontrer, agresser et relâcher leur victime (ß = 0,34, p < 0,001) et sont plus susceptibles d’être familiers avec le lieu de l’agression (ß = 0,68, p < 0,001). Ils sont plus susceptibles de commettre des actes de préliminaires sexuels (ß = 0,26, p < 0,05) et des attouchements (ß = 0,46, p < 0,001). Ils sont également plus susceptibles de laisser du sperme sur le corps de leur victime ou sur la scène de crime (ß = 0,23, p < 0,01) et d’utiliser des stratégies consistant à agir directement sur la victime pour éviter d’être identifiés par la police (ß = 0,28, p <0,001). Au contraire, les agresseurs ayant au moins un comportement paraphilique sont moins susceptibles de commettre une pénétration vaginale (ß = -0,65, p < 0,001) et de protéger leur identité (ß = -0,36, p < 0,001).

Le Tableau 5 présente les résultats de l’analyse de régression binomiale négative. Les résultats indiquent que plus un individu va avoir des comportements paraphiliques, plus il va cibler sa victime (ß = 0,56, p < 0,001), plus il va utiliser le même lieu pour rencontrer, agresser et relâcher sa victime (ß = 0,31, p < 0,001) et plus il va être familier avec le lieu de l’agression (ß = 0,51, p < 0,001). Lors de la phase de commission du crime, plus l’agresseur va avoir de comportements paraphiliques, plus il risque de commettre une pénétration anale (ß = 0,22, p < 0,001), des actes de préliminaires sexuels (ß = -0,28, p < 0,01) et des attouchements (ß = -0,38, p < 0,001). Finalement, lors de la phase postcrime, plus un individu va avoir de comportements paraphiliques, plus il va laisser du sperme sur la scène de crime et sur le corps de la victime (ß = 0,17, p < 0,05) et plus il va agir sur la victime afin d’éviter d’être identifié par la police (ß = 0,19, p < 0,05). À l’opposé, moins un individu va avoir de comportements paraphiliques, plus il va utiliser la surprise comme stratégie d’approche (ß = -0,35, p < 0,01), plus il va commettre une pénétration vaginale (ß = -0,38, p < 0,001) et moins il va protéger son identité (ß = -0,36, p < 0,001).

Tableau 4

Régression binomiale du modus operandi des viols en fonction de la présence ou non de comportements paraphiliques (N = 3253)

Régression binomiale du modus operandi des viols en fonction de la présence ou non de comportements paraphiliques (N = 3253)

*p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001.

La catégorie de référence est la présence de comportements paraphiliques.

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Tableau 5

Régression binomiale négative du modus operandi des viols en fonction du nombre de comportements paraphiliques (N = 3253)

Régression binomiale négative du modus operandi des viols en fonction du nombre de comportements paraphiliques (N = 3253)

*p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001.

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Le Tableau 6 présente les trois modèles des analyses de régressions multinomiales. Le Modèle 1 compare les cas commis par la catégorie d’individus ayant des comportements paraphiliques mixtes avec ceux commis par des individus n’ayant pas de comportements paraphiliques. Les résultats indiquent que les individus ayant des déviances mixtes sont plus susceptibles de cibler leur victime (ß = 1,63, p < 0,001) et sont plus susceptibles de commettre leur crime dans un lieu situé en intérieur (ß = 0,11, p < 0,05). Ils sont également plus susceptibles de commettre des pénétrations anales (ß = 0,89, p < 0,001), des actes de préliminaires sexuels (ß = 0,99, p < 0,05) et des attouchements (ß = 0,74, p < 0,05). À l’opposé, ils sont moins susceptibles d’utiliser la surprise comme méthode d’approche (ß = -2,36, p < 0,05).

Le Modèle 2 compare les cas commis par la catégorie d’individus ayant des comportements paraphiliques mixtes avec ceux ayant des comportements paraphiliques uniquement de contact. Les résultats de la régression indiquent que les individus ayant des comportements paraphiliques mixtes sont plus susceptibles de cibler leur victime (ß = 0,97, p < 0,01). Au contraire, en comparaison des agresseurs ayant uniquement des comportements paraphiliques de contact, ils vont moins souvent utiliser la surprise comme moyen d’approche d’une victime (ß = -2,51, p < 0,05) et vont moins souvent agir directement sur leur victime pour éviter d’être identifiés par la police (ß = -0,65, p < 0,05).

Le Modèle 3 compare les cas commis par la catégorie d’individus ayant des comportements paraphiliques mixtes avec ceux ayant des comportements paraphiliques uniquement sans contact. Les résultats indiquent que les individus ayant des déviances mixtes sont plus susceptibles de cibler leur victime (ß = 1,43, p < 0,001). Ils sont également plus susceptibles de commettre des pénétrations anales (ß = 4,21, p < 0,01) et des actes de préliminaires sexuels (ß = 0,99, p < 0,05). À l’opposé, les agresseurs aux comportements paraphiliques avec des déviances mixtes sont moins susceptibles de suivre une méthode d’approche basée sur la surprise (ß = -2,71, p < 0,05).

Tableau 6

Régressions multinomiales du modus operandi des viols en fonction de la catégorie de comportements paraphiliques (N = 3253)

Régressions multinomiales du modus operandi des viols en fonction de la catégorie de comportements paraphiliques (N = 3253)

Tableau 6 (suite)

Régressions multinomiales du modus operandi des viols en fonction de la catégorie de comportements paraphiliques (N = 3253)

*p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,001.

a. Comportements paraphiliques mixtes (catégorie de référence) vs pas de comportements paraphiliques.

b. Comportements paraphiliques mixtes (catégorie de référence) vs comportements paraphiliques mixtes avec contact.

c. Comportements paraphiliques mixtes (catégorie de référence) vs comportements paraphiliques mixtes sans contact.

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Discussion

Dans cette recherche, nous étudions la relation entre la présence de comportements paraphiliques chez les agresseurs sexuels d’une part et le mode opératoire qu’ils suivent au cours de l’agression sexuelle d’autre part. Pour ce faire, nous avons utilisé différentes mesures pour décrire les comportements paraphiliques (par ex., présence ou absence, nombre et type) ainsi que des éléments de mode opératoire. Le mode opératoire a été divisé en trois phases : la phase de préparation du crime (précrime) ; la phase de commission du crime (de crime) ; et finalement la phase de sortie du crime (postcrime). Afin de capturer le plus fidèlement possible les différents aspects entourant les comportements paraphiliques, nous avons eu recours à trois différents modèles multivariés (par ex., régression binomiale, régression binomiale négative, régression multinomiale) afin d’avoir la vision la plus exhaustive possible des associations existantes. Nos résultats indiquent qu’un peu moins d’un quart des agresseurs faisant partie de notre échantillon présentent au moins un comportement paraphilique, ce qui est cohérent avec le niveau de prévalence déterminé dans l’étude de Gravier et al. (2010).

Un haut niveau de préparation et de contrôle

Les résultats de notre étude indiquent que les violeurs ayant un comportement paraphilique réalisent une meilleure préparation de leur crime que les individus n’en ayant aucune. Ce résultat suit ce qui avait été discuté dans les précédentes études (Beauregard et Martineau, 2017a ; Beauregard et Proulx, 2017 ; Deu et Edelmann, 1997 ; Sjöstedt et al., 2004). Cet aspect corrobore l’hypothèse selon laquelle les agresseurs sexuels avec un comportement paraphilique seraient ancrés dans un processus criminel organisé (Deu et Edelmann, 1997 ; Prentky et al., 1989 ; Ressler et al., 1986 ; Woodworth et al., 2013). La relation entre la présence de comportements paraphiliques et la préparation du crime peut s’interpréter de différentes manières.

Dans un premier temps, il semblerait que les agresseurs paraphiliques expriment à travers la commission d’un crime, de façon concrète et physique, les fantaisies sexuelles déviantes qui les animent (Beauregard et Martineau, 2017a). Il est alors nécessaire que des conditions spécifiques soient réunies. Celles-ci se présentent de différentes manières et notamment par la sélection de victimes spécifiques et le choix d’un lieu qui permettent aux agresseurs de garder le contrôle sur le déroulement de l’agression (Beauregard et Martineau, 2017a ; Brittain, 1970 ; MacCulloch et al., 1983 ; Ressler et al., 1988). Nos résultats indiquent que les agresseurs paraphiliques ciblent plus souvent leur victime que les autres agresseurs sexuels. Le type de victime ainsi que ses caractéristiques physiques et sociales font souvent partie des fantaisies sexuelles déviantes et sont donc bien souvent une condition nécessaire au succès du crime recherché par l’agresseur (Beauregard et Martineau, 2017a ; Brittain, 1970 ; MacCulloch et al., 1983 ; Ressler et al., 1988). Le ciblage d’un type de victime bien spécifique pourrait être perçu comme un choix rationnel de l’individu ayant un comportement paraphilique afin d’atteindre les bénéfices sexuels engendrés par la réalisation du crime. Dans certaines situations, ce choix pourrait faire partie intégrante du processus paraphilique, comme l’avancent Carabellese et al. (2011). Le fait qu’un agresseur ayant un comportement paraphilique cible sa victime lui permettrait d’anticiper l’action, d’en projeter le déroulement, ceci se traduisant par exemple sous la forme d’une activité sexuelle antérieure à la commission du crime (par ex., masturbation compulsive). Cette excitation constituerait le prodrome du crime. La littérature a également montré que les agresseurs paraphiliques sont plus souvent touchés par des problèmes de solitude et d’isolation sociale (Proulx et al., 1996 ; Rhue et Lynn, 1987a). Ainsi, le haut niveau de préparation du crime pourrait être perçu comme une stratégie pour limiter les aléas liés à la phase d’approche de leur victime qui peut s’avérer complexe à mettre en oeuvre pour des personnes ayant des difficultés à gérer les relations sociales. Nos résultats indiquent d’ailleurs que les individus avec plusieurs comportements paraphiliques vont souvent renoncer à aborder leur victime en utilisant la surprise. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les agresseurs paraphiliques essayeraient d’éviter de se retrouver devant une réaction négative (la résistance) de leur victime, les obligeant à réagir violemment (Beauregard et Martineau, 2017a) pour la maîtriser et mettre en péril le processus de commission du crime qu’ils avaient méticuleusement préparé. Nos résultats montrent également que les agresseurs paraphiliques commettent leur crime dans des lieux qu’ils ont choisis et qui leur sont familiers. Cet aspect renforce l’idée que leur crime aurait été anticipé et qu’il s’inscrirait dans un processus dans lequel le lieu de commission pourrait avoir son importance dans le cadre du processus déviant, mais également dans la conservation du contrôle du processus criminel. Nous constatons également que les agresseurs ayant des comportements paraphiliques sont plus susceptibles de commettre leur crime dans un même endroit, soit celui qui sert à rencontrer leur victime ainsi qu’à la relâcher. Cet aspect renforce l’hypothèse selon laquelle les agresseurs paraphiliques auraient des compétences sociales limitées (isolement social) (Proulx et al., 1996 ; Rhue et Lynn, 1987a) et ne souhaiteraient pas passer plus de temps que nécessaire avec leur victime une fois leur crime commis.

Des actes sexuels diversifiés

Nos résultats indiquent que les agresseurs paraphiliques ont des pratiques sexuelles plus diversifiées que les autres dans les actes commis durant le crime. La diversification des pratiques sexuelles traduit un certain degré de sophistication dans le mode opératoire, ce qui corrobore l’hypothèse suggérant que les agresseurs paraphiliques suivent un mode opératoire plus élaboré (Beauregard et Proulx, 2017 ; Davies et Dale, 1995). Dans la mesure où le processus criminel de ces individus est lié, au moins partiellement, à la réalisation de fantaisies sexuelles déviantes, la commission de différents actes sexuels sur les victimes s’avère en être la traduction concrète (Beauregard et Martineau, 2017a).

Nos résultats montrent que les individus déviants vont moins souvent commettre de pénétrations vaginales que les agresseurs non paraphiliques, mais vont plus souvent commettre des actes sexuels précopulatoire (par ex., masturbation) ou forcer la victime à en commettre (par ex., fellation). Ils vont également plus souvent commettre des attouchements sexuels sur leurs victimes. La diversification des actes sexuels commis par les individus paraphiliques renforce l’idée que le processus sexuel serait au coeur de l’agression sexuelle et que les comportements paraphiliques influenceraient clairement le script mis en place par l’agresseur. D’ailleurs, les analyses montrent que dépendamment du type de comportement paraphilique (avec contact, sans contact, mixte), les actes sexuels commis varient. Les agresseurs ayant des comportements paraphiliques sans contact sont ceux qui vont le plus se rapprocher des agresseurs sans comportement paraphilique dans les actes sexuels qu’ils vont commettre. Les agresseurs avec des comportements paraphiliques mixtes semblent être les individus avec les pratiques sexuelles les plus diversifiées. À la différence des agresseurs non paraphiliques, ils sont plus susceptibles de commettre notamment des actes de pénétration anale. La commission de cet acte sexuel dans une relation non consentie peut traduire le comportement d’un agresseur qui cherche à dominer, dégrader et humilier sa victime (voir par exemple Beauregard et Field, 2008 ; Gratzer et Bradford, 1995 ; Myers, Beauregard et Menard, 2019). Cela laisse supposer que les liens qui ont été établis entre les traits de personnalité antisociale, la psychopathie (Curnoe et Langevin, 2002), le sentiment de colère et d’humiliation d’une part (Proulx et al., 1996), et la présence de comportements paraphiliques d’autre part, pourraient être particulièrement exacerbés chez cette catégorie d’agresseurs.

Une capacité limitée à éviter d’être identifié par la police

Les résultats concernant le comportement des agresseurs dans la phase postcrime indiquent que les individus ayant des comportements paraphiliques ne font pas spécialement attention à la mise en place de stratégies pour éviter d’être identifiés par la police. Cet aspect rejoint les conclusions de Beauregard et Martineau (2016) qui trouvent que les agresseurs organisés ne sont pas spécialement impliqués dans la phase postcrime.

Les agresseurs ayant un comportement paraphilique vont plus souvent laisser du sperme sur la scène de crime et sur le corps de la victime et ne vont pas prendre de précautions particulières pour essayer de protéger leur identité (utilisation d’un masque, de gants, de préservatifs, etc.), tandis qu’ils vont plus souvent tenter d’avoir une influence sur leur victime (menaces). Il est possible que la présence de distorsions cognitives chez certains agresseurs paraphiliques (Curnoe et Langevin, 2002) ne leur permette pas de prendre conscience de la situation de contrainte exercée envers leurs victimes et des risques qu’ils encourent (Beauregard et Bouchard, 2010). Ces agresseurs auraient des fantasmes sexuels et focaliseraient leur charge cognitive sur ces derniers. Une fois leurs fantasmes satisfaits, ils sortiraient du mécanisme criminel ayant abouti à leurs actes. Ils n’en sont pas moins dangereux, car ils n’ont pas prévu la fin de leurs crimes, ce qui peut mener à des dérives meurtrières. Dans leur étude sur les cambriolages, Cromwell et Olson (2004) décrivent le phénomène de la courbe de performance en U inversé[4]. Ils laissent supposer que le niveau de sophistication d’un crime pourrait atteindre son apogée au moment même de la commission du crime et retomberait immédiatement après, négligeant ainsi la phase de sortie et les stratégies à utiliser pour complexifier la tâche des policiers (Beauregard et Bouchard, 2010 ; Chopin et Beauregard, 2020b). Il semblerait que les crimes commis par les agresseurs paraphiliques se trouvent dans cette situation. Le niveau de sophistication du processus criminel qu’ils suivent est important dans la phase de préparation et de commission du crime et semble s’arrêter soudainement une fois que la phase criminelle à proprement parler est terminée. Cela renforce l’idée selon laquelle les comportements paraphiliques influenceraient les décisions prises par l’agresseur dans la mesure où les efforts majeurs sont concentrés sur le processus nécessaire pour atteindre le plaisir sexuel que l’auteur exprimera à travers la réalisation concrète de ses fantaisies sexuelles déviantes. Une fois la gratification sexuelle obtenue, il semblerait que l’agression soit achevée du point de vue de l’agresseur. Nous avons constaté que les agresseurs paraphiliques vont tout au plus essayer d’agir sur la victime à l’issue du crime afin d’éviter d’être dénoncés. Cet aspect pourrait traduire un excès de confiance chez ces agresseurs sur l’issue du crime, croyant que l’influence et les menaces exercées sur leur victime seront suffisantes pour leur éviter d’être retracés. Dans leur étude, Chopin, Beauregard, Bitzer et Reale (2019) ont montré que l’utilisation de ces stratégies augmentait au contraire assez manifestement le risque pour les agresseurs sexuels d’être identifiés par la police.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons testé l’influence des comportements paraphiliques sur le mode opératoire des agresseurs sexuels. Nos analyses ont mis en avant trois aspects : un important niveau de préparation, la commission d’actes sexuels diversifiés et un faible niveau de compétences à mettre en place des stratégies pour éviter d’être identifié par la police. La présence de ces trois aspects converge assez nettement avec la littérature existante et nous amène à conclure que les agresseurs sexuels ayant un comportement paraphilique suivent un processus criminel organisé. Cette recherche est également originale dans le sens où elle a testé le concept de comportement paraphilique sous plusieurs dimensions : la présence, le nombre et le type. Bien qu’intéressants, les résultats se sont révélés limités. L’analyse de la présence et du nombre de comportements paraphiliques va dans le même sens et laisse entendre que ce sont deux dimensions intéressantes à considérer. L’analyse des différents types de comportements paraphiliques montre que les différences entre les catégories mixtes, sans contact et avec contact sont limitées. Il est intéressant d’observer toutefois que les différences observables montrent que les agresseurs avec des comportements paraphiliques mixtes ont un mode opératoire plus proche de ceux avec des comportements paraphiliques de contact. À l’inverse, les agresseurs avec des comportements paraphiliques sans contact ont un mode opératoire plus proche de ceux qui n’ont pas de comportement paraphilique.

Cette recherche présente plusieurs implications. Premièrement, cette étude est à notre connaissance la première à lier empiriquement la présence d’un comportement déviant chez les agresseurs sexuels et les éléments de mode opératoire des différentes phases du crime (phases précrime, crime, postcrime). Selon les résultats, la présence de fantaisies sexuelles déviantes, et par analogie de comportements paraphiliques, influe nettement sur le mode opératoire adopté par les agresseurs dans la préparation et la commission de leur crime. Si de nombreuses études ont souligné l’importance prépondérante des facteurs situationnels dans l’explication du mode opératoire des agresseurs n’ayant pas de comportements paraphiliques, il semble qu’au contraire ceux qui ont des comportements paraphiliques sont, au moins partiellement, conditionnés dans leurs décisions par ces derniers. Finalement, cette étude permet de classer empiriquement les agresseurs ayant un comportement paraphilique comme faisant partie des agresseurs organisés.

D’un point de vue pratique, cette étude permet d’améliorer la compréhension du processus criminel pour les enquêteurs lorsqu’il s’agit de reconstituer les faits et établir une logique entre les différentes phases. Elle donne également un certain nombre d’informations pour identifier les agresseurs ayant des comportements paraphiliques à partir des éléments du mode opératoire. Cette information pourrait permettre de faciliter la priorisation et l’identification de suspects. Plusieurs travaux ont établi un lien entre d’une part les éléments de la vie courante (voir par ex., James, Beauregard et Proulx, 2019), la vie sexuelle et le style de vie général (voir par ex., Proulx, Beauregard, Lussier et Leclerc, 2014) et d’autre part le comportement criminel ainsi que le mode opératoire. Le fait de savoir que le suspect a un comportement paraphilique pourrait permettre aux enquêteurs de cibler spécifiquement des éléments de sa vie quotidienne et sexuelle non criminelle (par ex., client de prostitués, consommateur de pornographie spécifique, détenteur de matériel destiné à des fins sexuelles) afin de faciliter ou de confirmer son identification.

Cette étude n’est pas sans limites méthodologiques. Tout d’abord, l’utilisation de données de police limite la validité des conclusions de cette étude (voir Aebi, 2006), et ce, à trois points de vue. Premièrement, les conclusions de cette étude ne peuvent s’appliquer qu’aux cas reportés à la police et qui restent relativement limités en regard de ceux dénoncés par les sondages de victimisation (Chopin, 2017). Deuxièmement, bien que les personnes qui codent ces données soient des experts dans le domaine, l’absence de mesure d’accord interjuge ne nous permet d’affirmer que, dans certains cas, les comportements paraphiliques ont été déterminés correctement et exhaustivement (Chopin et Aebi, 2017). Troisièmement, les cas présentés dans cette étude ne concernent que des cas d’agressions résolus et nous ne pouvons exclure que les crimes non résolus présentent des schémas criminels différents (Chopin et al., 2019). Finalement, le comportement paraphilique de fétichisme a été considéré comme un comportement paraphilique sans contact. Cependant, nous ne pouvons passer outre le fait que certains individus visent une partie non sexuelle du corps de leur victime et sont donc à inclure dans la catégorie des auteurs ayant des comportements paraphiliques avec contact.

Les études futures devraient répliquer cette étude à d’autres types de victimes spécifiques (par ex., enfants, personnes âgées), la littérature soulignant la présence de comportements paraphiliques spécifiques chez certains de leurs agresseurs. Des travaux devraient être menés également sur d’autres types de crimes sexuels tels que les homicides sexuels afin d’identifier si des schémas spécifiques de modes opératoires émergent chez les meurtriers avec un comportement paraphilique. Finalement, il serait intéressant de tester spécifiquement l’influence de chacun des comportements paraphiliques du mode opératoire suivi par les agresseurs afin d’avoir une idée plus spécifique de leurs effets.