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« Le succès de la recherche sur les performances des immigrants sur le marché du travail pour la prochaine génération d’économistes va dépendre en grande partie des développements dans le domaine des données. »

Green et Worswick, 2017

INTRODUCTION

Il existe une longue tradition de recherches sur l’impact économique de l’immigration, particulièrement dans les pays anglophones comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, les États-Unis ou le Canada. L’importance sociale et politique de ce champ d’études est évidente, car une grande partie des débats sur l’immigration porte sur ses impacts sur les sociétés d’accueil.

Pour étudier la question de l’impact économique de l’immigration, les cadres analytiques réfèrent généralement à deux types de questions qui font appel à des niveaux d’analyses spécifiques.

Le premier ensemble de questions examine le rôle des caractéristiques individuelles : comment les immigrants réussissent-ils à s’intégrer au marché du travail ? Ont-ils les mêmes chances que les populations non immigrantes ou font-ils face à des obstacles spécifiques qui les désavantagent sur le marché du travail ? Ces questions ont longtemps dominé les recherches sur l’immigration, car elles ont été associées historiquement aux discours anti-immigration qui véhiculaient l’idée selon laquelle l’immigration avait un effet négatif sur les revenus des natifs. Jusqu’à maintenant, les réponses à cette question ont parfois été contradictoires, comme en font foi les échanges entre les deux économistes américains les plus cités sur les aspects économiques de l’immigration, Georges Borjas et David Card (1)[2]. Nous y reviendrons plus loin.

Le deuxième cadre analytique va au-delà du niveau individuel et porte le regard sur l’ensemble de l’économie. Au-delà des individus, on se demande quels sont les effets de l’immigration sur un ensemble d’indicateurs comme la productivité, les échanges commerciaux, les profits et les taux de chômage.

En octobre 2018, le Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS) organisait une conférence internationale intitulée Impact de l’immigration, conséquences pour les immigrants : nouveaux résultats utilisant des données d’entreprises et sociales. Nous examinons ici dans quelle mesure la conférence a permis de sortir des sentiers battus et de proposer des résultats nouveaux.

Même si l’ensemble des communications avaient pour but de mieux comprendre les facteurs liés à l’intégration des immigrants ou à leur contribution économique, un des conférenciers, Richard Alba, avait été invité à présenter une réflexion sur la notion de groupes minoritaires et majoritaires dans une société où la mixité des unions rend de moins en moins pertinente la classification officielle des origines raciales et ethniques des immigrants. Étant donné que les études présentées ici font référence à la notion des origines nationales, il nous a paru important de présenter les grandes lignes de cette réflexion.

LE RÔLE DES CARACTÉRISTIQUES INDIVIDUELLES DANS L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE DES IMMIGRANTS

Dans son allocution à titre de conférencier d’honneur, David Card (1) fait allusion au débat maintenant classique de l’effet de l’immigration sur les salaires des natifs. Cette question a été, et est toujours au coeur des débats sur les effets de l’immigration. Les résultats des travaux dans ce domaine ont un contenu hautement politique. Sur une base purement économique, si les immigrants avaient un effet réellement dépressif sur les salaires des natifs, les pressions pour réduire, voire arrêter l’immigration, se trouveraient confortées.

L’effet de substitution

De façon globale, la vaste littérature sur cette question est assez unanime : l’arrivée d’immigrants sur le marché du travail ne crée pas de pressions à la baisse sur les salaires des natifs (Green et Worswick, 2017 ; Piché, 2013). Les résultats sont plus nuancés lorsqu’on examine des sous-groupes de travailleurs non immigrants. Par exemple, des effets négatifs ont été notés pour les travailleurs moins qualifiés et les immigrants récents. Cela est particulièrement vrai dans les pays où l’immigration de main-d’oeuvre non qualifiée est importante.

Ces travaux ont donné lieu à un débat fort spécialisé entre les deux grands économistes de l’immigration aux États-Unis que sont George Borjas et David Card. Leurs divergences portent essentiellement sur les hypothèses de base de leurs modèles économétriques. Borjas postule que les immigrants et les natifs sont parfaitement substituables, c’est-à-dire qu’ils ont des compétences comparables alors que Card (1) postule que la substitution est imparfaite, les immigrants ayant des compétences différentes des natifs.

Card obtient ainsi des impacts négligeables de l’immigration sur les salaires des natifs. Selon lui, ces effets resteraient faibles même en supposant une substitution parfaite comme le fait Borjas.

Le cas particulier de l’immigration qualifiée

Les travaux qui tentent de mesurer l’impact de l’immigration sur les salaires des natifs s’intéressent de plus en plus à des catégories spécifiques de travailleurs. C’est le cas de Jie Ma (16) qui étudie l’impact de l’immigration de travailleurs très qualifiés sur les travailleurs natifs aux États-Unis. Il s’agit d’une approche originale, car la plupart des travaux américains sur cette question ont ciblé l’immigration des personnes moins qualifiées. La variable explicative privilégiée concerne les choix occupationnels reliés aux occupations hautement qualifiées dans les domaines des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM). L’objectif central de la recherche est de quantifier les effets de l’immigration qualifiée sur les occupations dans les domaines des STIM. Il s’agit de voir dans quelle mesure les travailleurs natifs s’ajustent à la compétition de la main-d’oeuvre étrangère en modifiant leurs choix occupationnels pour investir de nouvelles professions ou nouveaux métiers.

Les données américaines utilisées par les auteurs pour tester cette hypothèse proviennent de trois sources : le Current Population Survey (CPS), l’American Community Survey (ACS) et le Panel Study of Income Dynamics (PSID).

Les immigrants qualifiés entrent aux États-Unis surtout via le programme pour les travailleurs temporaires établi par la Loi d’immigration de 1990. Malgré certaines inquiétudes du public, les résultats montrent que l’arrivée d’un flux important d’immigrants qualifiés n’a qu’un impact limité sur les natifs ayant les mêmes qualifications et travaillant dans les mêmes professions. Dans certains cas, il y aurait même une certaine complémentarité de sorte que l’offre de travail des personnes immigrantes a des effets positifs sur le bien-être des natifs. Ces effets positifs découleraient notamment d’une optimisation des choix professionnels, la mobilité professionnelle agissant comme soupape qui atténue l’impact de l’immigration qualifiée.

L’impact de la littératie

Le travail de Vézina et Bélanger (3) aborde une question cruciale : comment mieux mesurer les qualifications et compétences des travailleurs, c’est-à-dire leur capital humain ? Traditionnellement, c’est la variable « niveau d’éducation » qui sert d’indicateur pour mesurer le capital humain. Grâce au caractère novateur des données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), il est possible de tenir compte d’une composante clé de l’insertion sur le marché du travail, soit les compétences de base en traitement de l’information — ou littératie — qui sont requises pour participer à la vie économique et sociale des économies avancées au xxie siècle. Le PEICA est une enquête pilotée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui porte entre autres sur les compétences en littératie des adultes âgés de 16 à 65 ans de plus de 40 pays et régions infranationales, y compris l’ensemble des provinces et des territoires du Canada.

En s’appuyant sur certains travaux, Vézina et Bélanger (3) partent du constat que le plus haut diplôme obtenu des immigrants n’est pas un indicateur aussi efficace du niveau de compétences que pour les natifs. Les projections des besoins en main-d’oeuvre fondées seulement sur le niveau d’éducation donneraient lieu à une surestimation de l’offre de travailleurs qualifiés. À diplôme égal, le niveau de littératie varie grandement d’un individu à l’autre. Les auteurs proposent alors des projections d’offre de main-d’oeuvre basées sur les compétences en littératie et ce faisant, montrent que les projections officielles du gouvernement canadien de l’offre de main-d’oeuvre surestiment en effet les effectifs de population active de demain, surtout pour les emplois qualifiés.

L’introduction des compétences de base en littératie est certainement un pas en avant dans l’analyse du rôle du capital humain. Il est vrai que le niveau d’éducation (par exemple le plus haut diplôme obtenu) ne permet pas de mesurer les éléments plus qualitatifs de la formation scolaire. Le fait qu’il existe une corrélation entre le type d’emploi occupé et le niveau de littératie, indépendamment de l’éducation, est un argument suffisamment puissant pour en tenir compte dans les analyses des performances des immigrants sur le marché du travail.

Les implications de ce type de recherches soulèvent certaines questions méthodologiques. D’abord, et comme le reconnaissent les auteurs, il existe des problèmes d’endogénéité due en grande partie à l’utilisation de données transversales qui ne permettent pas d’établir le sens de la causalité. Ensuite, le fait de ne pas tenir compte des catégories d’immigration limite quelque peu la portée des corrélations entre le niveau de littératie et le type d’emploi occupé. En effet, selon le rapport de 2015 de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) (Desrosiers et collab. 2015), les écarts de compétence entre les immigrants et les natifs du Canada concernent seulement les immigrants des catégories « réfugiés » et « regroupement familial ». L’analyse descriptive de l’ISQ indique que les immigrants économiques présentent des compétences en littératie globalement comparables à celles des personnes nées au Canada.

Les auteurs inscrivent leurs résultats dans la littérature voulant que la moins bonne performance des immigrants sur le marché du travail tel qu’observé récemment dans les sociétés occidentales serait attribuable à la qualité inférieure de l’éducation reçue dans leur pays d’origine. Selon les travaux synthétisés par Green et Worswick (2017), cette interprétation ne serait valable que pour la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger.

Impact de la citoyenneté

L’impact positif de l’acquisition de la citoyenneté sur l’intégration économique des immigrants constitue une hypothèse très répandue dans la littérature. Pourtant, peu d’études ont intégré cet élément dans leurs analyses, faute de données. He et Zanoni (9) profitent de ce qu’ils appellent une « expérience naturelle » permise par les changements dans la loi canadienne sur la citoyenneté, introduits en 2014, qui ont étendu la période de présence requise au Canada de 3 à 4 ans pour être admissible à une demande de citoyenneté. Ils testent l’impact de ce changement sur les performances économiques des immigrants.

L’étude utilise deux bases de données : l’Enquête sur la population active (EPA) de 2013-2014 (immigrants de sexe masculin entre 20 et 65 ans seulement), jumelée au fichier administratif des statistiques d’immigration (entre 2003 et 2013). La performance des immigrants sur le marché du travail est mesurée par une série de variables regroupées en quatre catégories d’indicateurs mesurant (i) le caractère extensif de la main-d’oeuvre (actif/non-actif, statut d’emploi), (ii) le caractère intensif (nombre d’heures travaillées), (iii) les caractéristiques de l’emploi (emploi dans le secteur public, travail autonome) et (iv) les revenus.

Les résultats démontrent que le fait de retarder la période d’admissibilité diminue les heures travaillées, mais n’a aucun effet sur les autres variables comme la décision de participer ou non au marché du travail. De plus, l’accès à la citoyenneté pourrait fournir un « bonus » et améliorer les performances sur le marché du travail. L’obtention de la citoyenneté permettrait également d’ouvrir des opportunités d’emploi dans le secteur public.

Impact du statut migratoire

Comme plusieurs auteurs avant eux, Bélanger, Fleury et Haemmerli (15) utilisent les données du recensement pour examiner les expériences des immigrants sur le marché du travail. L’originalité de leurs analyses réside dans le fait qu’ils utilisent une nouvelle variable introduite dans le Recensement de 2016 qui permet de distinguer le statut temporaire ou permanent des immigrants. Ce genre d’étude est devenu extrêmement crucial compte tenu de l’augmentation significative des travailleurs temporaires depuis une vingtaine d’années. Cette filière migratoire est particulièrement prisée par les employeurs et les gouvernements qui y voient une opportunité d’employer une force de travail étrangère flexible, voire malléable.

L’étude présentée ici permet pour une première fois de comparer les performances économiques des immigrants temporaires avec celles des immigrants permanents. L’indicateur économique retenu est le revenu d’emploi. Trois groupes sont analysés : les résidents temporaires, les résidents permanents récents (moins de 5 ans) et les résidents établis (plus de 5 ans). Comme il s’agit des résidents non permanents en emploi, les étudiants sont exclus de l’analyse.

Les variables de contrôle incluent d’une part, les caractéristiques usuelles (âge, sexe, état civil, connaissance des langues officielles, lieu de naissance et lieu de résidence au Canada), et d’autre part, les caractéristiques de l’emploi.

En général, les résultats vont dans le sens attendu. En effet, les travailleurs temporaires ont des revenus d’emploi plus faibles comparativement aux deux autres groupes de travailleurs permanents, qu’il s’agisse de travailleurs permanents récents ou moins récents. Les auteurs mentionnent la possibilité d’un biais de sélection pour les plus qualifiés, en particulier pour ceux qui étaient présents en 2011 et qui ont toujours un statut temporaire en 2016. Il s’agirait d’une sous-catégorie de l’ensemble des qualifiés : ceux qui ont obtenu leur résidence permanente et ne sont donc plus dans l’échantillon. Cela suggère du même coup que la résidence permanente est un facteur crucial pour l’accès à un meilleur revenu. Les auteurs mentionnent qu’il pourrait exister également un effet de sélection pour les moins qualifiés dans la mesure où ceux qui performent mieux sur le marché du travail seraient plus susceptibles de rester au Canada, ce qui entraînerait des revenus plus élevés avec le temps. Mais on pourrait aussi poser l’hypothèse inverse selon laquelle les plus qualifiés sont plus mobiles géographiquement que les autres, hypothèse à mon avis plus plausible, car davantage en lien avec les travaux économiques sur la question.

LES IMPACTS DU MILIEU DE TRAVAIL, DES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DU MILIEU DE VIE

Jusqu’ici, nous avons abordé les études qui ont privilégié des variables explicatives de niveau individuel. Grâce à la disponibilité de nouvelles bases de données, d’autres variables peuvent maintenant être ajoutées comme facteurs explicatifs des écarts de revenus entre immigrants et natifs. La disponibilité de nouvelles sources de données permet de faire avancer les connaissances concernant la question de l’intégration économique des immigrants au-delà des caractéristiques individuelles, en examinant un ensemble de facteurs comme le milieu de travail ou les pratiques organisationnelles et pratiques d’embauche des employeurs.

Concentration sur le marché du travail

Il existe quelques travaux qui montrent que le fait de choisir des milieux de travail où il y a une forte concentration d’immigrants explique une partie importante des différences entre les revenus des immigrants et des non-immigrants.

L’étude de Yuri Ostrovsky (10) tire profit de la richesse des données de la Base de données sur la dynamique canadienne entre employeurs et employés (BDDCEE) appariée aux données du Recensement de 2016. La BDDCEE incorpore des données de diverses bases de données administratives, y compris celles provenant des déclarations de revenus individuelles (T1), les relevés de rémunération (T4) soumis par les employeurs, les données sur les employeurs à partir du fichier de microdonnées longitudinales des comptes nationaux (FMLCN) ainsi que les données de la Base de données longitudinales sur les immigrants (BDIM)[3].

L’étude montre que les travailleurs immigrants qui oeuvrent dans des milieux de travail où il y a relativement peu d’immigrants gagnent davantage que ceux dont les milieux de travail ont une forte concentration de travailleurs immigrants. Un résultat intéressant : la corrélation entre la concentration d’immigrants en milieu de travail et les revenus de travail serait négative pour les immigrants, surtout pour les immigrants plus scolarisés, mais positive pour les personnes nées au Canada. C’est la concentration résidentielle qui semble être le facteur le plus important pour expliquer la concentration dans les lieux de travail. Ces résultats sont valables tant au niveau de la firme individuelle que pour toutes les firmes prises globalement.

L’auteur ne spécifie pas ce qui serait à la base de la corrélation entre une forte concentration d’immigrants dans les entreprises et des revenus d’emploi plus faibles. Dans sa discussion théorique, l’auteur mentionne les mécanismes qui pourraient être à la base d’un effet d’appariement (ou sorting) expliquant que les immigrants ont tendance à se concentrer dans certains milieux. Il cite par exemple la préférence des travailleurs à se retrouver avec des compatriotes, le fait de partager des compétences linguistiques limitées ou encore l’orientation par les réseaux. La relation négative entre les concentrations d’immigrants sur les lieux de travail et les revenus serait plus une question de sélection que de causalité. Le rôle des pratiques d’embauche des employeurs et les pratiques de rémunération sont également mentionnés comme hypothèses explicatives. Le fait que les résultats montrent une corrélation positive pour les travailleurs natifs pointerait vers des différences dans les capacités de négociation des conditions de travail entre les immigrants et les natifs.

Impact des pratiques de rémunération au niveau de la firme

Il est important de pouvoir suivre l’évolution du statut économique des immigrants depuis leur arrivée jusqu’à l’insertion sur le marché du travail. Cela nous informerait sur les cheminements spécifiques qui conduisent à une amélioration de leur intégration au marché du travail. Jusqu’à présent, et selon Card, Dostie, Li et Parent (8), les travaux sur ce sujet reposaient sur des données individuelles de type recensement, faute de mieux, alors qu’il faut plutôt utiliser des données longitudinales. Leur étude utilise les données longitudinales de la BDDCEE, présentée plus haut, qui jumelle des informations administratives sur les employeurs et les employés aux données d’impôt et aux données de la BDIM. Il devient alors possible d’étudier le processus de recherche d’emploi qui permet aux individus de transiter des entreprises offrant des salaires moins élevés vers des entreprises à plus hautes rémunérations. Elle permet aussi d’estimer la croissance des revenus dans le temps et les changements dans les caractéristiques des emplois comme la proportion de travailleurs natifs dans les entreprises en fonction de la taille des entreprises.

Les résultats portant sur la période 2008-2013 suggèrent que près de la moitié des écarts de revenus entre les immigrants et les natifs sont attribuables à des facteurs reliés aux pratiques de rémunération spécifiques à la firme et fixes dans le temps. Ces résultats préliminaires montrent de plus que c’est l’appariement (sorting) différentiel entre les immigrants et les natifs dans différents types d’entreprises qui explique en grande partie les différences de rémunération entre les firmes. Les auteurs excluent ainsi un autre mécanisme parfois soulevé dans la littérature, à savoir le pouvoir de négociation différentiel entre les immigrants et les natifs qui expliquerait que les immigrants obtiendraient une plus petite portion des profits générés par l’entreprise comparés aux natifs.

Impact de la formation

La formation constitue un des mécanismes les plus puissants pour améliorer les compétences des travailleurs et en particulier des immigrants. Cette question est rarement étudiée dans les approches transversales. Grâce aux données longitudinales de l’Enquête sur le milieu de travail et les employés produite par Statistique Canada et couvrant la période 1999 à 2006, il est possible d’étudier l’impact de la formation sur les performances économiques. C’est ce que font Dostie et Javdani (7), en ajoutant un facteur de différenciation peu étudié jusqu’à maintenant qui permet d’expliquer les écarts de revenus entre les immigrants et les natifs.

Les résultats de leurs analyses montrent clairement que l’accès différentiel aux possibilités de formation, que ce soit en classe ou en milieu de travail, joue au détriment des minorités visibles, qu’elles soient qualifiées ou non qualifiées. La durée de séjour au Canada n’améliore pas les résultats. Les auteurs n’évoquent pas la discrimination, mais il s’agit d’une hypothèse fort plausible.

Impact du type de parrainage

Une autre variable clé dans l’étude de l’intégration économique des immigrants est la catégorie d’immigration. Toutes les études montrent que les immigrants économiques sont plus avantagés que les autres types d’immigrants, soit les parrainés et les réfugiés. Par contre, on ne sait rien de l’impact du type de parrainage sur les bénéfices économiques des réfugiés.

Kaida, Hou et Stick (12) cherchent à savoir si les réfugiés parrainés par des particuliers ont de meilleurs résultats sur le marché du travail que les réfugiés parrainés par le gouvernement. Dans une perspective longitudinale et en utilisant les données de la BDIM, les auteurs suivent des cohortes de réfugiés entre 1980 et 2009 afin de voir quel a été l’impact du type de parrainage sur les revenus mesurés en 2015.

Les résultats indiquent que les réfugiés entrés par parrainage privé maintiennent de plus hauts taux d’emploi et ont de plus hauts salaires que les réfugiés parrainés par le gouvernement. L’avantage du parrainage privé est particulièrement notable pour les réfugiés moins éduqués, ce qui suggère que les déficiences en capital humain peuvent être compensées par le capital social développé au contact des parrains locaux. De plus, il se pourrait que les parrains privés s’impliquent davantage dans la recherche d’emploi. Même si les auteurs n’abordent pas la question, il se pourrait aussi que les parrainés par des particuliers se sentent davantage pressés de devenir autonomes.

Un résultat important concerne l’hypothèse selon laquelle les avantages du parrainage privé seraient plus grands pour les personnes avec des connaissances limitées de la langue du pays hôte comparativement à celles qui auraient des connaissances plus élevées. Cette hypothèse ne s’est toutefois pas vérifiée ni pour les hommes ni pour les femmes.

Impact du milieu de vie

Comme l’affirment Marie Connolly et Catherine Haeck (13), la réussite des enfants d’immigrants sur le marché du travail est primordiale à la santé économique future du Canada. On peut alors se demander si les enfants d’immigrants réussissent à accéder à des niveaux socioéconomiques plus élevés que leurs parents.

L’étude se base sur les informations fournies par la Base de données sur la mobilité intergénérationnelle du revenu (BDMIR) de Statistique Canada. Cette dernière porte sur presque 6 millions d’individus nés entre 1963 et 1985, et leurs parents. Elle permet d’examiner la mobilité intergénérationnelle des individus, et ce, au niveau des subdivisions du recensement. Le degré de mobilité intergénérationnelle dans des régions à forte concentration d’immigrants peut être comparé à celui des régions à faible concentration d’immigrants. Comme le mentionnent les auteures, cette analyse n’est bien évidemment pas causale, mais elle pourra fournir des informations utiles.

Dans la plupart des subdivisions de recensement à forte concentration d’immigrants, les parents se situent de manière disproportionnée au bas de l’échelle de revenus. Leurs enfants, quant à eux, sont répartis plus équitablement. Néanmoins, les enfants de parents vivant dans des régions à forte concentration d’immigrants sont plus susceptibles de se retrouver au bas de la distribution de revenus. Il s’agit bien de corrélation et non de causalité. Il est difficile avec ces données de décortiquer les processus à l’oeuvre, comme c’est souvent le cas avec ce type de données.

Impact de la structure industrielle

Les études présentées jusqu’ici examinent la performance économique des immigrants telle que mesurée par les revenus d’emploi. Peu d’études s’intéressent à l’apprentissage de la langue. La question de la langue dans les modèles explicatifs de nature transversale pose des problèmes de circularité : est-ce la langue qui influe sur la performance économique ou est-ce le fait de travailler dans un milieu spécifique qui influe sur l’apprentissage de la langue ? Avec des données transversales, il est difficile de conclure s’il s’agit de causalité ou de corrélation (Green et Worswick, 2017).

L’étude de Delia Furtado et Haiyang Kong (2) réussit à décortiquer la causalité puisqu’elle met en relation l’évolution de l’apprentissage de la langue anglaise avec l’évolution de la structure industrielle entre 1980 et 2010 aux États-Unis. L’analyse porte uniquement sur les immigrants peu qualifiés. Les données proviennent des recensements de 1980, 1990 et 2000 et de l’ACS. L’impact de la structure industrielle est mesuré ici par la taille du secteur manufacturier dans la structure industrielle des régions métropolitaines.

Les résultats montrent qu’une diminution de l’importance relative du secteur manufacturier dans la structure industrielle des régions métropolitaines améliore les compétences linguistiques en anglais chez les immigrants non qualifiés. Les auteurs suggèrent trois mécanismes à l’oeuvre. D’abord, la menace de perte d’emploi dans le secteur manufacturier peut amener certains immigrants à investir activement dans leurs compétences linguistiques en s’inscrivant par exemple à des cours formels de langue. Ensuite, les immigrants peu qualifiés qui perdent leur emploi dans le secteur manufacturier peuvent être incités à se diriger vers des emplois dans le secteur des services où l’usage de l’anglais est plus important ; l’exposition à la langue va donc améliorer leurs compétences linguistiques. Enfin, même les immigrants qui ne sont pas directement touchés par les changements dans le secteur manufacturier peuvent améliorer leurs capacités linguistiques dans la mesure où plus de personnes dans leur environnement commencent à parler davantage l’anglais, et à le parler mieux.

Ce genre de recherche implique clairement que l’on ne peut pas considérer la langue comme variable purement exogène et invariable dans le temps. Les connaissances à l’arrivée par exemple peuvent être améliorées avec le temps par l’expérience concrète du milieu de travail. Les recherches futures doivent donc mesurer l’évolution des compétences linguistiques dans le temps et les mettre en relation avec d’autres changements dans le milieu du travail, comme cela est fait ici.

Impact des enclaves linguistiques

L’étude de Jean-William P. Laliberté (4) aborde la question de la concentration des immigrants dans une région donnée en lien avec l’apprentissage de la langue anglaise en Australie. Encore une fois, la seule façon de décortiquer les liens de causalité entre la concentration linguistique et les compétences linguistiques est d’avoir recours à des données longitudinales. L’étude tire profit des données du Longitudinal Survey of Immigrants in Australia (LSIA).

Les résultats montrent que le fait de vivre dans une enclave linguistique nuit à l’apprentissage d’une langue, bien que l’effet soit plus faible que ne le suggèrent les modèles transversaux. Les analyses plus poussées démontrent d’ailleurs que la compétence linguistique pré-immigration gonfle considérablement les estimations transversales.

Les résultats indiquent aussi que c’est l’interaction sociale avec les amis et les collègues plutôt que la formation formelle qui affecte l’apprentissage linguistique. Notons que dans cette enquête, la compétence linguistique est mesurée par des données autodéclarées et à partir d’entrevues qui se sont déroulées en anglais ou dans une autre langue.

Enfin, étant donné qu’il y a un avantage économique élevé à la compétence linguistique (comme démontré plus haut s’agissant de littératie), l’effet négatif des enclaves linguistiques contribue à ralentir l’intégration économique des immigrants.

Impact de la politique d’immigration

L’étude de Van Haren (14) est la seule étude présentée dans le cadre de la conférence qui s’intéresse à la notion de genre en lien avec la politique d’immigration. C’est également la seule étude à tenir compte de facteurs liés aux pays d’origine tels que l’accès à l’éducation et la liberté d’émigrer. Cette étude s’intéresse à la composition de la migration économique au Canada entre 2003 et 2013 et examine dans quelle mesure la proportion des migrantes économiques a changé et quels sont les facteurs qui expliquent les changements.

À partir des données administratives d’immigration de 2003 à 2013, les pays d’origine sont regroupés en fonction de certaines caractéristiques. Il en ressort qu’une plus grande égalité entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’éducation et de meilleures possibilités d’emploi pour les femmes dans les pays d’origine augmentent les chances d’émigration féminine vers le Canada. C’est l’éducation qui est le facteur le plus important. Par contre, une augmentation de l’indicateur de développement humain (IDH)[4] diminue la proportion de femmes qui quittent le pays.

LES IMPACTS DE L’IMMIGRATION SUR L’ÉCONOMIE

Dans les études qui suivent, nous quittons l’univers individuel pour nous concentrer sur l’impact de l’immigration sur l’économie de façon plus globale.

Entrepreneuriat

Le thème de l’entrepreneuriat chez les immigrants retient l’attention d’un nombre croissant de chercheurs. Plusieurs études ont montré que les immigrants auraient davantage la « fibre entrepreneuriale » que les natifs. Dans leur étude, Green, Liu, Ostrovsky et Picot (5) se demandent si le processus selon lequel les immigrants choisissent de devenir entrepreneurs reflète une plus grande propension à l’innovation et à la création d’emploi (facteur « d’attraction ») ou découlent plutôt de leurs succès mitigés sur le marché du travail qui les poussent à choisir le travail autonome (facteur de « répulsion »). Leur étude est rendue possible par l’accès à un ensemble de données novatrices tirées de la BDDCEE que nous avons présentée précédemment. Suivant les études antérieures, les auteurs font une distinction entre les entreprises non incorporées (travail autonome) et les entreprises incorporées.

Leurs résultats indiquent que si les immigrants sont davantage entrepreneurs que les natifs, c’est principalement parce qu’ils se retrouvent davantage dans des entreprises non incorporées et sont donc plus du type travailleurs autonomes. De plus, les caractéristiques associées à la création de ce type d’entreprises suggèrent des facteurs de répulsion plutôt que des facteurs d’attraction.

Un autre résultat de l’étude indique que les immigrants de la classe économique sont plus susceptibles de créer des entreprises que ceux issus d’autres catégories. Enfin, les analyses suggèrent que la création d’entreprises par les immigrants n’est pas associée à plus d’innovation et de création d’emplois ; la relation serait plutôt négative.

Productivité

Jusqu’ici, les études sur l’impact de l’immigration sur la productivité sont demeurées peu concluantes. Effectivement, ces études demeuraient au niveau agrégé et ne tenaient pas compte des effets de l’immigration au niveau de l’entreprise. Selon Hou, Gu et Picot (6), outre la nécessité de situer les analyses au niveau de la firme, il faut également tenir compte de la période d’observation. Ils citent une étude qui a montré une relation positive entre immigration et productivité à long terme, mais non à court terme.

Comme l’étude précédente (5), celle-ci utilise les données de la BDDCEE. Elle examine l’impact de la proportion d’immigrants dans les entreprises sur la productivité au sein de la firme. Les analyses tiennent compte de la durée de résidence, la connaissance des langues officielles, les catégories d’immigration, le niveau de qualification, l’intention de travailler dans la catégorie des occupations liées aux STIM et finalement l’éducation.

Le résultat le plus important est que les liens entre l’augmentation de la productivité et la proportion des travailleurs immigrants varient selon la durée de la période étudiée. Sur une période d’un an, la relation est faible. Par contre, sur cinq ou dix ans, la relation positive devient plus forte, tout en demeurant limitée. Ce sont les changements dans la proportion des immigrants sans diplôme universitaire qui sont associés à de plus grandes augmentations de la productivité. Cela suggère que les immigrants peuvent aider les firmes à améliorer leur productivité lorsqu’ils ont des compétences complémentaires aux qualifications et aux spécialisations des travailleurs natifs.

Commerce international

L’étude de Fung, Grekou et Liu (19) examine l’impact de l’entrepreneuriat immigrant sur le commerce international. Faute de données pertinentes, les recherches dans ce domaine se limitaient à des analyses au niveau agrégé. Mais encore une fois, grâce aux données de la BDDCEE, les auteurs peuvent situer leurs analyses au niveau de l’entreprise. De plus, ces nouvelles données permettent de mieux distinguer l’effet de la présence d’immigrants sur la diminution des coûts d’information d’une part, et sur la demande liée au produit d’autre part.

Les résultats montrent que les entreprises appartenant aux immigrants, comparées aux entreprises appartenant à des Canadiens de naissance, stimulent les échanges commerciaux du Canada avec les régions d’origine des propriétaires immigrants. L’effet est positif et significatif. Cela est vrai pour le secteur manufacturier, mais encore davantage pour le secteur du commerce en gros, ce qui soulignerait le rôle des immigrants comme intermédiaires commerciaux. Enfin, les effets positifs touchent la probabilité d’importer et d’exporter, le nombre de produits importés et exportés de même que la valeur des importations et des exportations par produit.

Exportations

Une dernière étude, celle de Cardoso et Ramanarayanan (17), utilise les données de la BDDCEE pour examiner l’impact de l’immigration sur les exportations au Canada. Comme pour les autres études présentées ci-haut, ces données permettent de passer du niveau agrégé à celui de l’entreprise.

La conclusion principale de l’étude est l’impact positif élevé de la présence d’immigrants dans l’entreprise. Plus une entreprise embauche d’immigrants provenant d’un pays particulier, plus elle est susceptible d’exporter dans ce pays.

Les résultats basés sur des données canadiennes semblent être confirmés par les données françaises. Marcha et Nedoncelle (18) utilisent des données dans le secteur manufacturier français entre 1997 et 2008 pour examiner l’impact de la présence de travailleurs immigrants sur les exportations au niveau de l’entreprise. Ces données sont similaires aux données canadiennes de la BDDCEE.

Comme pour le Canada, les résultats montrent que les immigrants, autant dans des emplois hautement qualifiés que moins qualifiés, favorisent les exportations de l’entreprise. L’impact positif touche la valeur et le volume des exportations de même que le nombre de produits exportés. Les auteurs concluent que dans le contexte européen actuel, les décideurs politiques devraient garder à l’esprit que le resserrement des politiques migratoires aura un effet négatif sur les performances des entreprises en matière d’exportation.

REGARD CRITIQUE D’UN SOCIOLOGUE SUR LES CATÉGORIES « OFFICIELLES » D’IMMIGRANTS

La conférence internationale du CIQSS fait état de travaux qui utilisent des données « officielles » collectées et produites par des instituts de statistiques gouvernementaux. Les catégories « officielles » font rarement l’objet de critiques. Plusieurs travaux récents suggèrent que les catégories officielles sont des constructions sociales et qu’il est important de les remettre dans leur contexte historique (Simon et collab. 2015). La présentation de Richard Alba (11) constitue une incursion importante dans un domaine clé des travaux sur l’immigration qui utilisent des concepts officiels reliés aux origines raciales et ethniques des immigrants.

Dans son allocution à titre de conférencier d’honneur, Richard Alba avance l’idée selon laquelle les projections de population aux États-Unis basées sur la race nourrissent l’anxiété produite par l’émergence projetée d’une société où la majorité deviendrait minoritaire et où plus de la moitié des Américains appartiendraient à des groupes minoritaires d’ici 2045. Il mentionne que plusieurs analystes de la campagne présidentielle de 2016 expliquent les résultats de l’élection par l’anxiété de plusieurs Blancs devant les changements démographiques. Il ajoute que les groupes d’extrême droite recrutent sur la prémisse que la « domination blanche » est menacée aux États-Unis. À l’opposé, la gauche multiculturelle voit d’un bon oeil la fin de « l’Amérique blanche ».

Un des problèmes avec les catégories raciales aux États-Unis est que les personnes d’origines mixtes ou faisant partie de familles mixtes, souvent issues d’unions interethniques, sont classées comme appartenant aux minorités. Pourtant — et c’est son argument principal —, les enfants mixtes sont plus proches des enfants « blancs » que ceux ayant le même héritage minoritaire, que ce soit en matière de revenus ou de milieu de vie. Il en va de même pour les adultes d’origines mixtes qui se sentent plus proches des personnes classées comme blanches. Une exception notoire : les enfants issus d’unions entre une personne de race noire et une autre de race blanche.

L’implication de ce constat, selon Alba, est que les projections selon lesquelles la catégorie des « blancs » deviendrait minoritaire constituent un problème dans la mesure où l’exclusion des catégories mixtes (issues d’unions interethniques dont l’un des parents est blanc) exagère la diminution de l’importance relative des « blancs » dans la société américaine.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

Dans une synthèse récente, Green et Worswick affirment que le succès de la prochaine génération de recherches sur les performances des immigrants sur le marché du travail dépendra en grande partie du développement de nouvelles bases de données (2017 : 1285). La conférence organisée par le CIQSS en octobre 2018 s’était donné comme objectif d’examiner dans quelles mesures les nouvelles bases de données pouvaient produire des résultats nouveaux et faire avancer les discussions sur les performances des immigrants sur le marché du travail de même que sur l’impact économique de l’immigration.

Les lacunes méthodologiques des recherches antérieures sur l’impact de l’immigration ont souvent été soulevées.[5] La lacune la plus importante est la nature transversale des données. L’intégration économique des immigrants est un processus qui se déroule dans la durée et qui implique nécessairement des approches longitudinales. Depuis quelques années, de nombreuses bases de données longitudinales permettent de s’attaquer à cette lacune de fond. Une autre lacune importante était liée à l’impossibilité de faire des analyses au niveau de l’entreprise lorsqu’on s’intéresse à l’impact de l’immigration sur l’économie et donc la nécessité d’utiliser des données agrégées. Ici aussi, il faut noter l’accès à de nouvelles bases de données longitudinales liant les informations des employés à celles des employeurs. L’avancée la plus spectaculaire, à mon avis, est le jumelage de différentes sources de données. Enfin, une autre grande avancée dont il a été question lors de la conférence du CIQSS concerne l’introduction de nouvelles questions dans les recensements.

Les recherches antérieures sur l’intégration économique des immigrants qui se sont concentrées sur les facteurs pouvant expliquer les écarts de revenus entre les immigrants et les natifs font appel à des caractéristiques individuelles de nature démographique (âge, sexe), géographique (origine nationale) et surtout économique (capital humain). Cette tradition de recherche demeure importante, car elle permet d’aborder la question de la discrimination « résiduelle » (Piché et Renaud, 2018). Deux études présentées à la conférence ont pu profiter des nouvelles questions pour approfondir les facteurs d’intégration économique : l’une sur l’accès à la citoyenneté (9) et l’autre sur l’accès à la résidence permanente (15). Les résultats ont montré les effets positifs de ces deux variables sur l’intégration économique des immigrants. Les nouvelles données ont également permis de comparer les travailleurs temporaires et les immigrants permanents (15). Le caractère novateur des données du PEICA a permis d’introduire une composante clé du capital humain, la littératie (3), facteur qui joue de façon significative sur la performance des immigrants sur le marché du travail.

Une grande avancée favorisée par les nouvelles bases de données est la possibilité d’introduire dans les modèles statistiques des variables qui vont au-delà des caractéristiques propres aux individus pour expliquer les écarts de revenus entre les immigrants et les natifs. Ainsi, on a pu examiner le rôle de la concentration des immigrants sur le marché du travail (10), des pratiques de rémunération au niveau de la firme (8), de la formation (7), du type de parrainage (12), de la concentration des immigrants dans une région donnée (13), de la structure industrielle (2), des enclaves linguistiques (4) et de la politique d’immigration (14). Ce sont tous des facteurs importants qui jouent sur les performances sur le marché du travail.

Les travaux sur l’impact de l’immigration sur les indicateurs économiques donnaient jusqu’à maintenant des résultats mitigés, parfois contradictoires. Le jumelage de plusieurs sources d’informations dans de nouvelles bases de données longitudinales a permis d’aller beaucoup plus loin et d’apporter un éclairage nouveau sur une question fortement débattue.[6] Les études présentées lors de la conférence portant sur l’entrepreneuriat (5), la productivité (6), le commerce international (19) et les exportations (17 et 18) ont utilisé la BDDCEE qui jumelle des informations administratives sur les employeurs et les employés aux données d’impôt (individus et entreprises) et aux données administratives sur les immigrants. Dans tous les cas, les résultats montrent un impact positif de l’immigration.

Même si on peut parler d’avancées significatives grâce aux nouvelles bases de données, il reste encore de sérieuses lacunes pour bien comprendre le processus d’intégration économique et pour bien mesurer les impacts de l’immigration sur l’économie. À partir du cadre conceptuel que j’ai proposé (Piché 2013, 2006), voici un certain nombre de facteurs qu’il faudrait intégrer dans les modèles d’analyses et qui n’ont pas été vraiment discutés à la conférence du CIQSS. D’abord, en partant du principe que seules les données longitudinales sont appropriées pour étudier les processus d’intégration économique, il est impératif (i) de différencier les origines nationales des immigrants et cesser de traiter ceux-ci comme des groupes homogènes, (ii) de tenir compte des catégories d’immigration et de l’âge à la migration, (iii) d’inclure les préoccupations de genre, au-delà de la stricte approche du « sexe » comme variable de contrôle et enfin (iv) de décortiquer davantage les mécanismes de la discrimination (Green et Worswick, 2017). En ce qui concerne les déterminants structurels de l’intégration économique, outre les facteurs déjà analysés dans les études présentées ci-haut, il est important de tenir compte des facteurs reliés à l’évolution du marché du travail. Sur cette question, plusieurs études ont montré que ces facteurs affectent tous les nouveaux entrants sur le marché du travail, immigrants comme natifs. C’est la définition du groupe de natifs comparables aux immigrants dont il est question ici (Piché et Renaud, 2018). Green et Worswick insistent sur la nécessité de trouver un groupe de comparaison de natifs dont les choix en matière d’investissements en capital humain sont similaires à ceux des immigrants (2017 : 1280).

Quant aux études de l’impact de l’immigration sur l’ensemble de l’économie, deux principes méthodologiques doivent être respectés. Premièrement, les études d’impact doivent se faire sur une longue durée. C’est à long terme que les effets se font sentir.[7] Deuxièmement, il faut réfléchir à ce que signifient des effets « faibles ». L’argument démographique est important : au niveau global, lorsqu’on examine l’importance relative des immigrants mesurée comme le ratio des immigrants sur la population nationale, le dénominateur (population nationale) est très élevé de telle sorte que l’ajout d’immigrants au numérateur ne peut que donner des résultats faibles, voire nuls. C’est pourquoi les analyses au niveau des entreprises, maintenant possibles grâce aux nouvelles bases données comme on l’a vu dans les études présentées à la conférence, donnent de meilleurs résultats. Compte tenu de cet argument démographique, on pourrait même trouver surprenant de trouver des effets significatifs.

Ceci dit, on pourrait invoquer un autre type d’argument pour mieux comprendre et surtout contextualiser les résultats plutôt modestes du point de vue statistique. J’utilise ici l’analogie des « coûts marginaux » pour l’appliquer aux « effets marginaux ». Prenons l’exemple d’une entreprise de 20 employés qui embauche deux travailleurs immigrants. Le résultat usuel (voir les études présentées ici) prédirait que ces deux travailleurs (10 % de la main d’oeuvre) auraient un effet positif, mais faible sur les indicateurs de performance de l’entreprise (productivité, profits, etc.). Ce que véhicule l’idée d’effet marginal, dans le sens économique du terme, c’est que l’embauche de ces deux travailleurs pourrait permettre à l’entreprise de survivre et/ou d’éviter la décroissance. Les méthodologies actuelles ne permettent pas de mesurer ce type d’effet. Bref, dans ce contexte, l’idée d’un « effet statistique faible » perd tout son sens et pourrait constituer au contraire un résultat  « fort ».

En fait, c’est la question inverse qu’il faudrait poser : qu’est-ce qui arriverait si l’on retranchait les travailleurs immigrants des entreprises (le passé) ou si les entreprises n’arrivaient pas à recruter les travailleurs requis (le futur) ? Il n’existe pas véritablement de méthodologie pour mesurer cet effet marginal. Pour le moment, une approche possible serait de poser la question aux employeurs de travailleurs immigrants, en leur demandant ce qui serait arrivé sans l’apport de ces travailleurs. Mais au-delà de l’entreprise, d’autres effets non mesurés pourraient affecter par ricochet les emplois des travailleurs natifs (pertes d’emploi) et les autres entreprises de service (transports, produits intermédiaires, etc.).

La table est mise pour d’autres études novatrices.