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INTRODUCTION

Le vieillissement de la population a des implications importantes pour les systèmes de soutien de la famille, les finances publiques, la santé et le bien-être des populations à travers le monde (Issahaku et Neysmith, 2013 ; ONU, 2013). Si la proportion de personnes âgées demeure faible en Afrique subsaharienne, son effectif augmente rapidement (Antoine et Golaz, 2010 ; Issahaku et Neysmith, 2013). Ces individus font partie des personnes les plus vulnérables à cause de l’absence de système de sécurité sociale publique généralisé (Golaz et collab. 2017 ; Guilmoto et de Loenzien, 2015). Celles qui nécessitent une prise en charge particulière doivent le plus souvent s’en remettre exclusivement à leur descendance ou encore à leurs réseaux familiaux ou sociaux (Golaz et Antoine, 2011 ; Zimmer et Das, 2013 ; Zimmer et Dayton, 2005). Or, les systèmes traditionnels de soutien à base familiale ou communautaire s’affaiblissent (Bougma, 2014 ; Kuate-Defo, 2005 ; Mba, 2013), ce qui mène un nombre croissant de personnes âgées à vivre dans des conditions précaires et vulnérables (Golaz et Antoine, 2011 ; Ouattara et collab. 1997). Selon Golaz et Antoine (2011) et Ouattara et collaborateurs (1997), une personne peut être définie comme vulnérable lorsque, en l’absence de système de sécurité sociale accessible à tous, l’assistance de son ménage et de la communauté lui fait défaut. En cas de difficultés comme des problèmes de santé, la perte de revenus, la famine, les conflits ou encore la perte d’un proche, la personne sans soutien social ou familial est tout simplement livrée à elle-même. La prise en charge des personnes vulnérables représente donc un des véritables défis pour les pays africains au sud du Sahara, et une meilleure connaissance de leurs conditions de vie permettrait l’élaboration d’interventions publiques efficaces à cet égard.

Dans les pays occidentaux, de même qu’en Asie et en Amérique latine, de nombreuses études ont porté sur les personnes âgées et il a été largement documenté que leurs arrangements résidentiels étaient corrélés à leurs états de santé (Li et collab. 2009 ; Martikainen et collab. 2008 ; Sun et collab. 2011). En Afrique subsaharienne, les chercheurs et les acteurs de la scène politique continuent en revanche à se préoccuper surtout de la santé de la mère et de l’enfant, principalement à cause d’une fécondité toujours élevée (Duthé et collab. 2010) et de la présence de maladies infectieuses qui continuent de les affecter. Les recherches sur les personnes âgées sont quant à elles plutôt récentes et peu nombreuses, et celles portant sur la relation entre leur santé et leur arrangement résidentiel sont encore plus récentes et moins nombreuses (Briaud, 2015). À notre connaissance, il n’existe aucune étude sur l’association entre les arrangements résidentiels des personnes âgées et leur mortalité dans cette partie du monde. Les quelques études existantes sur les relations entre les arrangements résidentiels et l’état de santé perçu d’une part, et entre les arrangements résidentiels et la morbidité d’autre part, sont plutôt descriptives (Angeli, 2015 ; Ezeh et collab. 2006) et font usage de grandes catégories d’arrangements résidentiels pouvant cacher des disparités importantes (Wilunda et collab. 2015).

La cohabitation des personnes âgées avec d’autres adultes (conjoints ou autres) et parfois aussi avec les enfants, peut représenter un soutien matériel, émotionnel et sanitaire important. Des études menées dans des régions autres que l’Afrique révèlent que les personnes âgées vivant seules ont les pires indicateurs de santé. Elles se caractérisent en effet par une plus grande mortalité (Li et collab. 2009 ; Lund et collab. 2002), une plus grande morbidité (Li et collab. 2009 ; Sun et collab. 2011 ; Vassilev et collab. 2011), une plus forte propension à la dépression et au déclin cognitif (Clausen et collab. 2007 ; Cornwell et Waite, 2009 ; De Belvis et collab. 2008 ; Sun et collab. 2011), ainsi que par un mauvais état de santé perçu en général (Li et collab. 2009). Cependant, ces études suggérant un désavantage pour les personnes âgées vivant seules sont tempérées, voire contredites, par d’autres, qui laissent entrevoir toute la complexité du rapport entre la corésidence et la santé. Ainsi, l’étude de Li et collaborateurs (2009) montre qu’en Chine les personnes âgées vivant seules ont moins de handicaps que celles vivant avec leurs enfants ; les personnes vivant seules seraient plus autonomes et donc auraient moins besoin de soutien. Des études menées aux États-Unis (Michael et collab. 2001) et en Chine (Sun et collab. 2011) ont aussi révélé que les femmes âgées qui vivent seules ont moins de problèmes de santé mentale que celles qui vivent en couple. Enfin, une étude en Israël a mis en évidence que les personnes âgées vivant seules avaient un risque de décès plus faible que celles qui vivaient avec leurs enfants, mais sans conjoint(e) (Walter-Ginzburg et collab. 2002).

Pour en revenir à l’Afrique, dans une étude descriptive portant sur les personnes âgées de 60 ans et plus de l’observatoire de population de Nairobi au Kenya, celles vivant seules déclaraient plus de morbidité que celles qui vivaient avec leur(s) époux(ses), avec leur(s) enfant(s) seulement ou avec d’autres adultes (Ezeh et collab. 2006). Chez les femmes vivant seules, 37 % déclaraient avoir souffert d’une maladie au cours des deux semaines ayant précédé l’enquête contre 23 % pour celles qui vivaient avec d’autres adultes. Ces résultats étaient similaires chez les hommes : parmi ceux qui vivaient seuls, 28 % ont déclaré avoir été malades au cours de la même période contre 13 % pour ceux qui vivent avec d’autres adultes. En revanche, dans la même zone d’étude, Wilunda et collaborateurs (2015) n’ont pas relevé, dans la population de 50 ans et plus, de différence significative entre la santé fonctionnelle des personnes vivant seules et celles vivant avec d’autres personnes.

Plusieurs facteurs pourraient expliquer les divergences dans la littérature. D’abord, les arrangements résidentiels diffèrent à travers les sociétés, influençant les choix des personnes âgées quant à la corésidence avec les membres de la famille et la disponibilité d’autres sources de soutien familial et communautaire. Il y a aussi la façon avec laquelle les arrangements résidentiels ont été catégorisés dans les études et les différences culturelles dans la perception de l’état de santé. Il est par exemple reconnu qu’à une richesse plus grande est associée en général une meilleure santé. Or, la perception de la mauvaise santé est plus faible dans certains pays en développement que dans les pays développés (Subramanian et collab. 2010). Par ailleurs, l’association entre la santé et l’arrangement résidentiel pourrait être en partie due à une causalité inverse. Il a été démontré que le besoin de soins consécutifs à la dégradation de l’état de santé contraint les individus à solliciter plus de soutien physique, émotionnel et sanitaire (Brown et collab. 2002 ; Alter, 2013) et que l’une des façons les plus fréquentes d’obtenir ce soutien est d’habiter avec d’autres personnes non dépendantes, apparentées ou non, plutôt que de vivre seul ou avec des personnes dépendantes (une personne est dite dépendante lorsqu’elle a besoin de l’assistance des autres aux plans matériel, psychologique et social ; voir Ylieff et collab. 2005). Ainsi, l’arrangement résidentiel peut à la fois influencer les risques de mauvaise santé des personnes âgées et être la conséquence d’une détérioration de leur état de santé. En d’autres mots, l’analyse des effets des arrangements résidentiels sur la santé de personnes âgées est sujette à des biais d’endogénéité, ce qui complique l’interprétation de ses effets causaux. Seules des données longitudinales fines contenant à la fois des indicateurs d’arrangement résidentiel et de santé permettraient d’en savoir un peu plus sur la direction de la causalité à cet égard. Malheureusement, les données de Nouna ne permettent pas cet exercice, car celles concernant la santé n’existent qu’en un seul point dans le temps.

À l’instar de la relation entre l’arrangement résidentiel et la santé, les différences de genre en matière de santé sont complexes. Plusieurs études ont mis en lumière le rôle contrasté du genre dans les différences de santé des personnes âgées. Ces recherches ont révélé le désavantage des femmes pour les mesures de l’état de santé telles que les conditions débilitantes chroniques (mesures objectives), les incapacités et la dépression (Blomstedt et collab. 2012 ; Li et collab. 2009 ; Lund et collab. 2002 ; Onadja et collab. 2013) alors qu’elles bénéficient, comme ailleurs, d’un avantage sur les hommes en termes d’espérance de vie (Read et Gorman, 2011 ; Baya et collab. 2009).

Croisant le genre et l’arrangement résidentiel dans une étude qualitative sur les comportements de fécondité au Sénégal et au Zimbabwe, LeGrand et collaborateurs (2003) ont trouvé que les femmes âgées manquaient de soutien dans les activités ménagères quotidiennes lorsque leurs fils (et par ricochet leurs belles-filles) vivaient loin d’elles. En effet, dans les familles en Afrique subsaharienne, on s’attend à ce qu’un fils soit en mesure d’épouser une femme qui puisse aider sa mère âgée. Dans la même étude, les femmes ont déclaré qu’elles continuaient à prendre soin de leurs conjoints malgré leur âge avancé. La vie en couple semble donc offrir plus de protection pour les hommes âgés que pour les femmes âgées (Mahamane, 2010), comme beaucoup d’études précédentes sur d’autres populations l’ont montré (Thierry, 1999 ; Johnson et collab. 2000 ; Mostafa et Van Ginneken, 2000 ; Hemström, 1996). En contrepartie, la femme recevrait une meilleure protection du réseau social en cas de veuvage (Shye et collab. 1995 ; Williams, 2014 ; Williams et collab. 2012). Dans le contexte rural du Burkina Faso, on peut s’attendre à ce que la pratique traditionnelle de la polygamie ait un rôle sur les arrangements résidentiels et le soutien familial selon le genre de la personne âgée, avec des conséquences potentielles pour la santé[1].

Les autres facteurs que nous pouvons considérer associés à la santé des personnes âgées sont, entre autres, le niveau d’éducation, l’occupation et le statut matrimonial. Les individus dont le niveau d’éducation est le plus élevé sont également ceux aussi qui ont la meilleure santé dans presque toutes les régions du monde, y compris dans les pays d’Afrique subsaharienne comme le Cameroun et le Burkina Faso (Furnee et collab. 2008 ; Kuate-Defo, 2005 ; Mirowsky et Ross, 2003 ; Onadja et collab. 2013). Notons toutefois que cette relation entre l’éducation et la santé peut être, comme avancé plus haut pour le cas de la relation entre la cohabitation et la santé, en partie due à un effet de sélection ou de causalité inverse, car des individus malades durant l’enfance et l’adolescence sont souvent moins aptes à faire des études (Vallin et collab. 2002). De même, les personnes en emploi déclarent avoir un bon état de santé (Kuate-Defo, 2005 ; Lahelma, 2004 ; Onadja et collab. 2013 ; Zimmer et Amornsirisomboon, 2001), mais la direction de la causalité pourrait encore être considérée comme ambiguë puisque des individus malades auront souvent des difficultés à se trouver ou à préserver un emploi (Ross et Mirowsky, 1995).

L’objectif de la présente étude est d’analyser les liens entre l’état de santé des personnes âgées de 50 ans et plus dans une population rurale africaine et leurs arrangements résidentiels entre 1992 et 2014. Plus précisément, nous voulons répondre aux deux questions suivantes : 1) Dans un contexte largement rural et traditionnel, où les familles sont généralement élargies et où le système de parenté et de solidarité familiale semble satisfaire les besoins des personnes âgées (De Jong et collab. 2005), est-ce que l’état de santé de ces dernières, mesuré à partir de l’état de santé perçu, la morbidité chronique et la mortalité, diffère selon les arrangements résidentiels ? et 2) Cette relation entre arrangement résidentiel et santé varie-t-elle selon le genre de la personne âgée ?

Pour répondre à ces deux questions, nous recourons aux données transversales et longitudinales de l’observatoire de population de Nouna (Burkina Faso). Nous utilisons les données longitudinales pour l’analyse de la mortalité, en ayant recours aux modèles de risque et de durée, en l’occurrence, le modèle de Kaplan-Meier, ainsi que le modèle paramétrique de Gompertz. Pour pallier l’absence de certaines variables de santé (morbidité chronique et état de santé perçu) dans les données longitudinales, nous utilisons également les informations d’une enquête réalisée en 2011 (passage unique). Des régressions logistiques sont utilisées pour l’analyse de ces données transversales. En plus des deux principales sources de données, nous avons réalisé (Niamba, 2017) une enquête qualitative informelle qui nous permet aujourd’hui de guider l’interprétation des résultats.

DONNÉES ET MÉTHODES

Données

Nous utilisons principalement deux sources de données complémentaires (longitudinales et transversales) dans cette étude. La première source de données est celle de l’observatoire de population de Nouna qui est décrite en détail ailleurs (Becher et Kouyaté, 2005 ; Sie et collab. 2010). La zone de Nouna est située à environ 300 km au sud-ouest de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. L’observatoire de Nouna se situe dans une zone de savane arborée peuplée. Le climat y est de type sud-soudanien et l’activité principale est l’agriculture de subsistance, qui occupe plus de 80 % de la population active (CRSN, 2016). La principale langue parlée dans la zone est le dioula, la religion musulmane est dominante et concerne environ 62 % de la population (CRSN, 2016). Avec un taux d’immigration de 48,5 ‰ et d’émigration de 54,1 ‰, la zone avait un taux net de migration de -5,6 ‰ en 2012 (CRSN, 2016). Sur le plan économique, les cultures de rente comme le coton et le sésame ont entrainé ces dernières années une transformation sociale. En effet, à une monétarisation de plus en plus grande de l’économie est associée une croissance de la proportion des ménages nucléaires. Cette zone est sous surveillance démographique et sanitaire depuis 1992.

Depuis 1992, il y a un passage des enquêteurs tous les quatre mois pour la mise à jour des informations sur les ménages. Dans l’observatoire de population de Nouna, le « ménage » est défini comme l’unité socio-économique de base au sein de laquelle les différents membres sont apparentés ou non. En général, les membres d’un ménage vivent ensemble, partagent leurs ressources et satisfont en commun leurs besoins alimentaires et autres besoins vitaux, sous l’autorité d’une seule et même personne appelée « chef de ménage » (Sie et collab. 2010).

Cette définition du ménage comporte plusieurs limites qui apparaissent dès lors qu’il s’agit de comprendre les relations entre les arrangements résidentiels et la vulnérabilité des personnes âgées. En effet, la définition du « ménage » telle qu’adoptée pourrait donner l’impression que tous les ménages ont en quelque sorte des frontières hermétiques. Pourtant, la majorité des ménages en Afrique sont « ouverts » (Randall et Coast, 2015). Ainsi, pour déterminer la vulnérabilité d’une personne, qu’elle vive seule ou pas, il faut tenir compte, dans la mesure du possible, des échanges qu’elle a avec l’extérieur. Dans le cas présent, il n’était pas possible de tenir compte de ces échanges, ce qui constitue une limite importante à notre étude. Nous croyons tout de même que la définition du ménage adoptée permet de capter une bonne partie de ce qui entoure en général le soutien (ou le manque de soutien) à la personne âgée. Au regard des mutations socio-économiques des dernières décennies, les personnes âgées qui nécessitent une prise en charge s’appuient de plus en plus exclusivement sur leurs proches, qui sont généralement du même ménage, et nous pouvons convenir, avec Zimmer et Dayton (2005), que la corésidence apporte un soutien physique et émotionnel supérieur à la simple proximité spatiale sans corésidence.

Lors de leurs passages, les enquêteurs notent tout changement relatif au ménage, notamment tout évènement démographique survenu depuis le passage précédent. Il peut s’agir de naissances, d’un changement de statut matrimonial, de décès ou de migrations. Pour chaque individu, on dispose du statut de résidence, du sexe, de la date de naissance, de l’ethnie, de la religion, du lien de parenté, etc. Dans cette étude, le lien de parenté se définit comme la relation de consanguinité ou d’alliance familiale entre deux personnes habitant le même ménage. Le lien de parenté est défini soit en relation avec le chef de ménage, soit en relation avec tout autre membre du ménage. De façon pratique, les épouses sont reliées à leurs époux, les enfants à leurs mères et les autres membres du ménage au chef de ménage. La collecte prospective dans les observatoires de populations fournit généralement des données de meilleure qualité qui se prêtent mieux à nos objectifs que la collecte rétrospective. En effet, la datation des évènements y est plus précise du fait du rapprochement des passages dans les ménages. De plus, avec la fréquence élevée des passages, l’ampleur des biais de mémoire et la fréquence des omissions d’évènements sont minimisées. La quantité de déclarations erronées peut en outre être réduite de manière appréciable par des vérifications sur le terrain lors d›un passage ultérieur dans les ménages, ce que ne permet pas l’enquête rétrospective (à passage unique).

La population recensée en date du 31 décembre 2013 dans l’observatoire de Nouna était de 96 931 habitants. Notre analyse de la mortalité porte sur 17 566 personnes de 50 ans et plus (55,6 % d’entre elles sont des femmes), dont 4 699 décédées entre 1992 et 2014. Au cours du suivi entre 1992 et 2014, dès qu’un ménage a, en son sein, au moins une personne âgée de 50 ans ou plus, il intègre notre base d’analyse. Au Burkina Faso, a été reconnue comme personne âgée, toute personne ayant 50 ans et plus (DSF, 2008). Ce seuil de 50 ans s’explique notamment par le fait que l’espérance de vie est assez faible dans le pays, c’est-à-dire 56,7 ans selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2006. D’autres études sur le même sujet dans les pays subsahariens ont retenu le même seuil pour les mêmes raisons (Randall et collab. 2012).

Pour mettre en évidence les associations entre les arrangements résidentiels et les indicateurs de santé (état de santé perçu et morbidité chronique) chez les personnes âgées, nous recourons à une deuxième source de données, une enquête réalisée en 2011 sur un échantillon de 990 ménages tirés au sort parmi l’ensemble des ménages de l’observatoire de Nouna. Au total, 769 personnes âgées de 50 ans et plus (53,6 % d’entre elles sont des femmes) font partie de cet échantillon. Contrairement à la source de données précédente, cette enquête contient des informations sanitaires (morbidité, état de santé perçu, consultations dans les services de santé) et socio-économiques (occupation et niveau d’éducation).

Mesure des variables utilisées dans l’analyse

Nos analyses portent sur trois variables dépendantes dichotomiques : état de santé perçu, morbidité chronique et mortalité. L’état de santé perçu a été évalué à l’aide de la question suivante : « Comment a été votre état de santé durant les 12 derniers mois : très bon, bon, moyen, mauvais, très mauvais ? ». Étant donné la faiblesse des effectifs, nous avons créé une variable dépendante dichotomique (moyen, mauvais, très mauvais = 1 ; très bon, bon = 0). Notons que l’état de santé perçu est souvent considéré comme une mesure globale de la santé. Il reflète la santé physique et mentale, ainsi que le bien-être. Malgré son caractère éminemment subjectif, cet indicateur de santé est fréquemment utilisé dans les recherches épidémiologiques à base populationnelle à cause de sa disponibilité et de sa fiabilité dans la prédiction de la morbidité et de la mortalité (Idler et collab. 1999 ; Kuate-Defo, 2005 ; Manderbacka et collab. 1999).

La question sur la maladie chronique, notre deuxième indicateur, était formulée de la manière suivante : « Avez-vous ou pas une maladie qui dure depuis au moins trois mois ? ». Comme le laisse sous-entendre la question, la maladie chronique fait référence aux maladies qui durent depuis au moins trois mois et qui sont appelées à durer encore (Perrin et collab. 1993). Les pathologies chroniques comprennent entre autres le diabète, le cancer, l’asthme, les scléroses en plaques, en plus de maladies rares comme la mucoviscidose ou des maladies transmissibles persistantes comme le sida et des troubles mentaux de longue durée (Robieux et collab. 2017). Le choix de cet indicateur est guidé par le fait que notre étude porte sur les personnes âgées et il est reconnu que plus l’âge augmente, plus la part des maladies chroniques augmente parmi les causes de morbidité (Horiuchi, 2007).

L’arrangement résidentiel constitue notre variable explicative principale. Parmi les informations consignées pour chaque individu, nous avons le statut matrimonial, la localité de résidence, ainsi que son lien de parenté, soit avec le chef de ménage, soit avec un autre membre du ménage. Ces informations nous ont permis de catégoriser chaque personne selon trois arrangements résidentiels mutuellement exclusifs :

  • 1) « Vivant en couple » : Ce groupe inclut les personnes âgées qui vivent avec leur(s) époux(ses) seulement (3,1 % des personnes âgées) ou des personnes âgées qui vivent avec leur(s) époux(ses) et d’autres personnes quel que soit le lien de parenté (69,6 %). Il s’agit donc d’une catégorie résidentielle regroupant des individus qui en principe présentent le moins de vulnérabilité sur le plan de la santé.

  • 2) « Vivant avec des enfants non dépendants » : Cette catégorie comprend les personnes veuves, vivant avec au moins un de leurs enfants de 12 ans ou plus (y compris leurs enfants adultes) ou avec d’autres jeunes personnes de 12 ans ou plus ou adultes (non-apparentés ou autres apparentés). Les personnes âgées de 50 ans ou plus qui vivent seulement avec des non-apparentés ou autres apparentés ne constituent que 2,5 % des effectifs totaux ; nous les avons donc regroupées avec celles qui vivent avec leurs enfants non dépendants (17,2 % des effectifs). Les personnes âgées vivant avec leurs enfants de plus de 12 ans (y compris leurs enfants adultes) ou avec des non-apparentés/autres apparentés sont en présence d’autres adultes et pourraient être rapidement prises en charge en cas de besoin. Il faut néanmoins reconnaître que lorsque la personne âgée vit dans le ménage d’autres personnes, et non dans le sien, on peut s’attendre à ce qu’elle soit plus vulnérable comparativement aux autres membres du ménage. Par ailleurs, il faut admettre qu’on ne peut pas qualifier de non dépendants tous les 12 ans et plus et de dépendants tous les moins de 12 ans. Il peut arriver que des personnes âgées de 12 ans et plus puissent dépendre de personnes âgées de 50 ans et plus ou de personnes âgées de moins de 12 ans. Cependant à Nouna, zone agricole, où la force physique est généralement nécessaire, qu’une personne âgée de 50 ans et plus ou une personne de moins de 12 ans vienne à prendre en charge une personne de 12 ans et plus, n’arrive que si cette dernière est malade.

  • 3) « Vivant seul ou avec de jeunes dépendants ». : Toute personne âgée qui est seule dans son ménage (2,4 %) ou qui vit avec une ou plusieurs jeunes personnes de moins de 12 ans (5,3 %). Nous avons regroupé ces deux situations (personne seule ou avec des jeunes dépendants) parce que les effectifs pour chacune de ces catégories étaient très réduits. Nous pouvons présumer que les personnes âgées vivant avec des jeunes enfants ont une vulnérabilité semblable à celles vivant seules, puisqu’elles vivent toutes en l’absence d’autres adultes, mais des différences importantes subsistent. Dans le cas de confiage d’un jeune dépendant, par exemple, la personne âgée pourrait être moins vulnérable, car cette tradition permet à la personne âgée d’être en interaction avec les autres membres de sa fratrie et peut être rapidement prise en charge en cas de nécessité (Golaz et Antoine, 2011). En revanche, une personne âgée forcée d’accueillir dans son ménage plusieurs enfants dont les parents biologiques sont décédés voit sans doute sa vulnérabilité augmenter.

En ce qui concerne la limite adoptée pour définir le seuil de l’enfance (qui a servi à définir les catégories 2 et 3 ci-haut), nous avons considéré qu’avoir au moins 12 ans dans une localité rurale et agricole comme Nouna est suffisant pour être d’un soutien appréciable à une personne âgée, même si on s’attend bien sûr à ce que le soutien soit plus important ou efficace pour un jeune adulte ou un adolescent un peu plus âgé. De plus, dans le contexte de l’Afrique rurale, il n’est pas rare qu’un(e) adolescent(e) de 12-14 ans (plus souvent les filles) aille vivre chez des parents âgés afin de maintenir les relations familiales, mais également pour aider dans les tâches domestiques et même agricoles.

Les autres variables prises en compte dans notre analyse sont le sexe, l’âge, le niveau d’éducation (avoir fréquenté l’école ou pas dans le passé), l’activité (avoir travaillé ou pas pendant au moins 3 jours durant la semaine précédant l’enquête), le nombre d’enfants encore en vie (nombre exact d’enfants de 12 ans ou plus de chaque personne âgée, quel que soit leur lieu de résidence), la période de l’étude (six périodes de 3 ans, de 1992 à 2014), l’ethnie (Bwaba, Dafing, Mossi et autres), la religion (musulmane, chrétienne et traditionnelle), la résidence (rural et semi-urbain)[2]. Ces variables explicatives ont été retenues dans l’analyse pour l’effet qu’elles pourraient avoir sur l’arrangement résidentiel, d’une part et sur l’état de santé des personnes âgées d’autre part. Précisons que les facteurs « arrangement résidentiel », « nombre d’enfants encore en vie » et « localité de résidence » ont été introduits dans les modèles comme des variables qui varient dans le temps.

Description des échantillons

Le tableau 1 présente les caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus dans l’observatoire de population de Nouna. Dans la région, comme dans la plupart des régions du Burkina Faso, les personnes âgées vivent en majorité avec d’autres personnes, principalement en couple ou chez leurs enfants. Il ressort du tableau 1 que 56,5 % des femmes et environ 89,0 % des hommes vivaient avec leur(s) époux(ses) dans la période à l’étude. Une très faible proportion (7,7 %) d’hommes et de femmes âgés vivaient seul(e)s ou avec des jeunes dépendants. Les personnes âgées vivaient avec des jeunes dépendants dans les circonstances comme le confiage des enfants et la mortalité des adultes. Le rôle des grands-parents, en particulier des grands-mères dans la prise en charge des petits-enfants est reconnu (Zimmer et Dayton, 2005). Par ailleurs, les ravages dus à la pandémie du VIH/Sida et à d’autres causes de mortalité, les conflits armés et l’urbanisation rapide en Afrique subsaharienne, avec son corolaire d’exode rural des jeunes adultes, ont conduit à l’apparition de ménages où les personnes âgées vivent avec des jeunes dépendants. Toujours dans le tableau 1, nous trouvons plus de femmes (34,4 %) que d’hommes (5,0 %) qui vivent avec des enfants non dépendants. Du fait de la polygamie, le nombre moyen d’enfants encore en vie est plus élevé pour les hommes que pour les femmes (3,7 enfants contre 2,7 enfants pour les femmes). La mortalité (environ 24 % chez les femmes et 30 % chez les hommes sur toute la période à l’étude) est la principale cause de sortie d’observation, les autres cas de sortie d’observation comme l’émigration à ces âges étant négligeables dans la région.

Tableau 1

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014[3][4][5]

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014345

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014345
Source : Observatoire de population de Nouna, 1992-2014

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Le tableau 2 décrit les arrangements résidentiels des personnes âgées selon le sexe et les groupes d’âge sur l’ensemble de la période. Comme attendu, les résultats indiquent que plus on vieillit, moins on a de chances de vivre en couple. Dans le groupe d’âge de 50-59 ans, 71,7 % des femmes sont en couple pendant la durée de l’observation, alors qu’à 60 ans et plus, 41,3 % des femmes demeurent en couple, soit une baisse de 42,0 %. Comparativement aux femmes, les proportions des hommes en couple diminuent moins entre les groupes d’âge 50-59 ans et 60 ans et plus (–4,1 %). Les proportions des personnes âgées vivant avec des enfants non dépendants augmentent en revanche avec l’âge pour les deux sexes (les proportions sont respectivement 2,3 et 1,3 fois plus élevées pour les femmes et pour les hommes chez les 60 ans et plus que chez les 50-59 ans). Les proportions des personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants augmentent également avec l’âge (57,0 % et 37,0 % d’augmentation, respectivement pour les femmes et les hommes, entre les 50-59 ans et les 60 ans et plus).

Tableau 2

Arrangements résidentiels par sexe et par groupes d’âge des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014[6]

Arrangements résidentiels par sexe et par groupes d’âge des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-20146
Source : Observatoire de population de Nouna, 1992-2014

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Le tableau 3 présente enfin quelques caractéristiques de la population des personnes âgées de 50 ans et plus issues de l’enquête ménage de 2011. Plus de neuf personnes sur dix (96,4 %) vivaient alors avec d’autres personnes (apparentées ou non). Près de 42,0 % perçoivent que leur santé est mauvaise et plus de la moitié (53,7 %) de l’ensemble de notre population déclare souffrir d’une maladie chronique. De plus, parmi celles qui ont déclaré avoir une maladie chronique, moins d’une personne âgée sur trois (31,5 %) a déclaré également être en mauvaise santé. Il apparaît ainsi que certaines personnes âgées souffrent de maladies chroniques, mais ne perçoivent pas leur santé comme mauvaise. De plus, quel que soit l’indicateur de santé, les femmes ont une propension moins élevée que les hommes à se déclarer en bonne ou très bonne santé (54,6 % d’entre elles le font, comparativement à 62,2 % chez les hommes). Cela tient en partie au fait que les femmes sont plus âgées en moyenne que les hommes chez les 50 ans et plus, bien que, comme nous le verrons plus loin, la propension de ces dernières à déclarer des états de santé moins bons à mesure qu’elles avancent en âge n’augmente pas de manière importante.

Tableau 3

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus dans l’enquête ménage de 2011[7]

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus dans l’enquête ménage de 20117

Tableau 3 (suite)

Caractéristiques des personnes âgées de 50 ans et plus dans l’enquête ménage de 20117
Source : Enquête ménage de l’observatoire population de Nouna, 2011

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Analyse statistique

Disposant de deux types de données (transversale et longitudinale), nous sommes conduits à utiliser des méthodes d’analyse différentes qui sont appropriées à chacune. Pour l’analyse des données transversales sur l’état de santé perçu et la morbidité chronique, nous utilisons des régressions logistiques. Pour mieux apprécier l’association entre les variables explicatives et les indicateurs de santé et faciliter la comparaison avec les analyses de la mortalité, des risques relatifs (RR) prédits sont calculés à partir des probabilités prédites issues de ces modèles. Nous examinons également la variation, selon le sexe, de l’association entre les variables dépendantes et les variables explicatives, en particulier l’arrangement résidentiel. Pour ce faire, nous avons effectué des interactions entre le sexe et toutes les autres variables indépendantes dans la régression logistique. Les coefficients estimés pour les termes d’interaction nous ont permis de calculer des probabilités prédites qui ont été représentées sur un graphique (exemple en Annexe 1) afin d’explorer l’ampleur et la significativité des différences entre hommes et femmes.

Pour l’analyse des données longitudinales, qui met en relation l’arrangement résidentiel et la mortalité au cours du temps, nous recourons d’abord à la méthode de Kaplan-Meier afin d’estimer et de comparer les fonctions de survie des arrangements résidentiels. Ensuite, pour l’analyse multivariée, nous utilisons le modèle paramétrique de Gompertz qui s’ajuste bien aux données de mortalité entre 50 et 100 ans (Thatcher et collab. 1998). L’hypothèse de proportionnalité des risques de mortalité dans le temps pour l’arrangement résidentiel n’est pas vérifiée (Annexes 2 et 3) et nous avons donc introduit un facteur d’interaction avec le temps dans nos modèles. Pour mettre en évidence la significativité des différences entre les hommes et les femmes pour les différentes variables explicatives, nous avons effectué des interactions entre le sexe et toutes les autres variables et ajouté le niveau de significativité de ces différences dans nos tableaux de résultats (sans toutefois rapporter les estimations des paramètres d’interaction correspondants pour éviter de surcharger les tableaux de résultats).

RÉSULTATS

Résultats descriptifs

La figure 1 présente les courbes de survie selon les arrangements résidentiels et le sexe. On observe une différence évidente de mortalité selon les arrangements résidentiels. Chez les deux sexes, la part des survivants parmi les personnes âgées vivant seules ou avec de jeunes dépendants baisse plus rapidement dans le temps que parmi les personnes des deux autres catégories d’arrangements résidentiels (vivant avec époux(ses) et vivant avec enfants non dépendants). Chez les hommes, la corésidence avec une épouse est associée à une probabilité plus grande de survie que la résidence avec des enfants non dépendants. Au contraire, chez les femmes, il ne ressort aucune différence de mortalité entre ces deux catégories résidentielles. Les tests statistiques (Log-Rank) montrent des différences significatives de mortalité entre les trois catégories résidentielles chez les hommes. En revanche, chez les femmes, les tests statistiques n’ont montré aucune différence significative de mortalité entre celles vivant en couple et celles vivant avec des enfants non dépendants.

Figure 1

Courbes de survie selon les arrangements résidentiels et le sexe des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014

Courbes de survie selon les arrangements résidentiels et le sexe des personnes âgées de 50 ans et plus de l’observatoire de population de Nouna, 1992-2014
Source : Observatoire de population de Nouna, 1992-2014

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Relation entre l’arrangement résidentiel et la santé

Le tableau 4 présente les risques relatifs (RR) de décéder, de morbidité chronique et de se percevoir en mauvaise santé pour des modèles prenant en compte l’ensemble des variables explicatives. Nous avons également introduit, dans le tableau 4, le niveau de significativité de la différence femmes-hommes pour les trois indicateurs de santé, avec Sign_C pour la morbidité chronique, Sign_P pour l’état de santé perçu et Sign_M pour la mortalité. Les coefficients des termes d’interactions ne sont pas présentés ici. Pour mieux détailler l’association entre les variables explicatives et les indicateurs de santé, des analyses multivariées emboitées sont présentées aux Annexes 7 à 11.

Les résultats attestent de l’association entre l’arrangement résidentiel et le risque de décéder. Chez les hommes, la corésidence avec l’épouse est associée à un risque de décéder plus faible à 50 ans que dans les deux autres arrangements résidentiels. En comparaison, les risques sont alors 2,3 fois plus élevés pour les hommes vivant seuls ou avec des jeunes dépendants et 1,4 fois plus élevés pour les hommes vivant avec des non dépendants. Cependant, le risque relatif de décéder chez les hommes vivant avec des enfants non dépendants baisse de 1,0 % pour chaque année d’âge supplémentaire. Il y a en effet une interaction significative avec le temps pour cette catégorie résidentielle (RR = 0,99).

Pour les femmes, vivre seule ou avec des jeunes dépendants comporte également un risque de décéder plus élevé (RR = 2,44) en début d’observation par rapport à la vie en couple. Toutefois, ce désavantage baisse significativement de 3,0 % par année. Toujours chez les femmes et en conformité avec ce que nous avions constaté à la figure 1, nous n’observons aucune différence significative de risque de décéder entre celles qui sont en couple et celles qui vivent avec des enfants non dépendants. Néanmoins, certains modèles multivariés, présentés à l’Annexe 7, indiquent des différences significatives entre ces deux arrangements, à l’avantage des femmes en couple (par exemple le modèle 1 de l’Annexe 7). Cet avantage disparaît toutefois lorsque le nombre d’enfants encore en vie est pris en compte (modèle 2 de l’Annexe 7). Ainsi, chez les femmes âgées de Nouna, les différences dans le nombre d’enfants encore en vie semblent prendre le pas sur les différences dues à l’arrangement résidentiel.

Le nombre d’enfants encore en vie a d’ailleurs été associé aux chances de survie. Avoir un enfant supplémentaire encore en vie est associé à une diminution du risque relatif de décéder d’au moins 5 % (RR = 0,95 pour les hommes et 0,90 pour les femmes). Le nombre d’enfants encore en vie et l’arrangement résidentiel sont en partie colinéaires, mais captent tout de même leurs parts respectives de la variation. Pour mieux connaître ces parts, nous avons fait des régressions supplémentaires (Annexes 5 et 6), l’une en omettant l’arrangement résidentiel de notre modèle et l’autre omettant le nombre d’enfants encore en vie. En effectuant le modèle de régression sans le nombre d’enfants encore en vie (Annexe 5), l’association avec l’arrangement résidentiel augmente. La plus grande augmentation est perçue dans le groupe des personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants. Comparativement aux résultats du modèle contenant le nombre d’enfants encore en vie, les personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants ont une augmentation de risque relatif de décéder (12 % de plus chez les femmes et 26 % chez les hommes).

En ce qui a trait aux différences entre les hommes et les femmes, les Sign_M indiquent que les hommes avec des enfants non dépendants ont un risque de décéder significativement plus élevé que les femmes de la même catégorie. Toutefois, il n’y a pas de différences entre les sexes quant à la catégorie « seul ou avec de jeunes dépendants », les femmes comme les hommes ayant des risques de décéder plus élevés que leurs homologues vivants en union.

Comme pour la mortalité, la corésidence avec l’épouse chez les hommes est associée à un meilleur état de santé lorsque mesuré par la morbidité chronique. Comparativement aux hommes qui corésident avec leur(s) épouse(s), les risques de déclarer une maladie chronique, estimés par les probabilités prédites de la régression logit, sont en effet 1,89 fois plus élevés pour les hommes vivant seuls ou avec des jeunes dépendants et 1,49 fois plus élevés pour les hommes vivant avec des enfants non dépendants.

Bien que les risques relatifs aillent dans le même sens que pour les hommes, on observe aucune différence statistiquement significative dans les déclarations de morbidité chronique pour les trois arrangements résidentiels chez les femmes. Les résultats de l’analyse multivariée emboitée, présentés à l’Annexe 8, montrent que la différence n’est pas significative non plus lorsque cette variable est considérée seule, même si l’ajout de variables de contrôle conduit à une diminution de la taille des effets (Annexe 8). Résultat très surprenant : la morbidité chronique n’augmente pas avec l’âge chez les femmes, ce qui contredit toutes les études basées sur cette variable. Encore une fois, l’ajout ou le retrait de variables de contrôle (Annexe 7) n’y change rien ; nous y reviendrons dans la discussion.

Tableau 4

Risques relatifs (RR) à partir de régressions logit et de Gompertz de morbidité chronique, de l’état de santé perçu et de décéder chez les personnes de 50 ans et plus dans l’observatoire de population de Nouna, Burkina Faso, 1992-2014

Risques relatifs (RR) à partir de régressions logit et de Gompertz de morbidité chronique, de l’état de santé perçu et de décéder chez les personnes de 50 ans et plus dans l’observatoire de population de Nouna, Burkina Faso, 1992-2014

Tableau 4 (suite)

Risques relatifs (RR) à partir de régressions logit et de Gompertz de morbidité chronique, de l’état de santé perçu et de décéder chez les personnes de 50 ans et plus dans l’observatoire de population de Nouna, Burkina Faso, 1992-2014

a Le groupe « vivant avec des enfants non dépendants » n’est pas strictement composé de personnes âgées vivant avec des enfants non dépendants, les personnes âgées qui vivent seulement avec des non-apparentés ou autres apparentés constituent environ 13  % de ce groupe dans l’échantillon utilisé dans l’analyse de la mortalité et 4,5 % dans les échantillons utilisés pour les analyses de la morbidité chronique et du mauvais état de santé perçu.

Notes : * p<0,10 ; ** p<0,05 ; *** p<0,01 et ns = non significatif. Le signe entre parenthèses indique chez qui le coefficient est le plus fort (risque plus ou moins élevé chez les femmes par rapport aux hommes) ; RR = Risque relatif ; ce dernier a été calculé à partir des probabilités prédites dans les modèles logistiques (qui fournissent normalement des rapports de cote).

Sign_C = Significativité de la différence de morbidité chronique femmes-hommes

Sign_P = Significativité de la différence de santé perçue femmes-hommes

Sign_M = Significativité de la différence de mortalité femmes-hommes

Source : Enquête ménage de l’observatoire population de Nouna, 2011 et Observatoire de population de Nouna, 1992-2014

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Les résultats de l’analyse des différences de probabilités de déclarer un mal chronique selon le genre indiquent que les hommes vivant seuls ou avec des jeunes dépendants et les hommes vivant avec des enfants non dépendants déclarent plus de maladies chroniques que les femmes des mêmes groupes. Cependant, la différence n’est statistiquement significative que pour le groupe des personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants. Au contraire, les hommes en couple déclarent moins de morbidité chronique que les femmes du même groupe (mais les différences ne sont pas statistiquement significatives).

Sans surprise, les résultats portant sur la santé perçue sont très similaires à ceux portant sur la morbidité chronique, jusque dans la taille des risques relatifs. On constate donc que pour les hommes comme pour les femmes, la résidence en couple apparaît comme un facteur de protection, par rapport aux deux autres catégories d’arrangement résidentiel. Cette fois en revanche, aucune différence hommes-femmes n’est significative (alors qu’elle l’était précédemment pour la catégorie « seul ou avec jeunes dépendants »).

Ainsi, chez les femmes, nous observons, comme dans le cas de la maladie chronique, une convergence dans la perception de l’état de santé pour les trois types d’arrangement résidentiel. Pourtant, les résultats du modèle 1 de l’Annexe 10 montrent bien que les femmes vivant seules ou avec de jeunes enfants déclarent être plus en mauvaise santé que les femmes qui sont en couple. La prise en compte de l’âge (modèle 2 de l’Annexe 10) laisse apparaitre cette différence de perception de santé selon l’arrangement résidentiel et elle est significative. En revanche, l’ajout de la variable « ethnie » (modèle 4 de l’Annexe 10) fait disparaître la significativité de la différence de perception de santé entre les femmes en couple et celles vivant seules ou avec de jeunes enfants. Nous reviendrons sur ce résultat dans la discussion.

Au-delà de l’association entre l’arrangement résidentiel et la santé des personnes âgées, cette étude a mis en évidence que, dans l’ensemble, la santé perçue, la morbidité chronique et la mortalité des personnes âgées sont influencées par l’âge, le niveau d’éducation, l’occupation et les caractéristiques culturelles (ethnie et religion). Comme attendu, être instruit, avoir du travail, et être moins âgé sont associés à moins de problèmes de santé.

DISCUSSION

Deux questions sous-tendaient ce travail à l’endroit d’une population rurale africaine : 1) La santé des personnes âgées, mesurée à travers l’état de santé perçu, la morbidité chronique et la mortalité, diffère-t-elle selon les arrangements résidentiels ? et 2) Cette relation entre l’arrangement résidentiel et la santé varie-t-elle selon le genre ?

Dans l’ensemble, nous avons constaté que l’état de santé des personnes âgées variait bel et bien à Nouna selon leur arrangement résidentiel. Chez les hommes, la corésidence avec épouse(s) paraît systématiquement conférer un effet protecteur, tout au moins par comparaison aux situations de veuvage impliquant ou non la corésidence avec des enfants, dépendants ou non. Pour les femmes, si la corésidence avec l’époux est associée à un faible risque de décéder comparativement aux deux autres arrangements résidentiels considérés, nous observons toutefois une convergence dans les déclarations de santé (état de santé perçu et morbidité chronique) pour les trois types d’arrangement résidentiel, voire dans certains cas, une absence de différences significatives.

Que les personnes âgées vivant en couple soient (ou se déclarent) en meilleure santé que les autres n’est pas surprenant et nos résultats corroborent d’ailleurs ceux publiés par Onadja et collaborateurs (2013) et Kuate-Defo (2005) sur des populations du Burkina Faso et du Cameroun. La sous-mortalité et la sous-morbidité observées chez les personnes mariées, comparativement aux non mariées (veuves, divorcées/séparées et célibataires), pourraient s’expliquer par les effets protecteurs bien connus de la vie en couple constatés dans d’autres études (voir la revue des études en introduction). Les personnes âgées vivant avec d’autres personnes sont souvent mieux prises en charge en cas de besoin que celles vivant seules ou avec des jeunes dépendants. Les difficultés de ces dernières sont d’autant plus grandes dans un contexte où il n’y a pas de sécurité sociale publique généralisée et où l’agriculture traditionnelle (qui nécessite encore de nos jours une force physique appréciable) constitue la principale source de revenus. En cas de problèmes de santé, les personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants sont tout simplement livrées à elles-mêmes. Elles n’ont souvent pas la possibilité de recourir aux services de santé modernes, faute de moyens financiers suffisants. Mudege et Ezeh (2009) ont ainsi trouvé qu’à Nairobi au Kenya, les personnes âgées qui vivaient avec au moins un autre adulte étaient plus sujettes à utiliser les services de santé que celles vivant seules. Robyn et collaborateurs (2012) ont également montré que l’adhésion à l’assurance maladie à base communautaire (AMBC), dans le district sanitaire de Nouna, était positivement corrélée à la taille des ménages.

De manière surprenante, nous n’avons pas constaté chez les femmes de différence dans les déclarations de santé (morbidité chronique et état de santé perçu) selon l’arrangement résidentiel. Nos conclusions rejoignent, en partie, celles de Wilunda et collaborateurs (2015) qui ont trouvé, sur la population de 50 ans et plus à Nairobi (Kenya), qu’il n’y avait pas de différence significative entre la santé fonctionnelle des personnes vivant seules et celles vivant avec d’autres personnes, mais contredisent celles de Kuate Defo (2005) et Onadja et collaborateurs (2013), qui trouvent que les personnes âgées en couple, femmes comprises, ont une meilleure perception de leur état de santé que les autres.

Chez les femmes âgées de Nouna, l’âge et l’ethnie dans les déclarations de santé semblent prendre le pas sur les différences dues à l’arrangement résidentiel. En effet, lorsque les variables « âge » et « ethnie » sont ajoutées au modèle de l’Annexe 10 prédisant la santé perçue (modèle 2 et modèle 4), l’effet estimé portant sur l’arrangement résidentiel « seul ou avec jeunes dépendants » tombe, au point de perdre sa significativité. Cela pourrait vouloir dire que les arrangements résidentiels sont conditionnés par l’âge et le groupe ethnique qui, agissant chacun de leur côté ou conjointement, influenceraient au premier chef la santé perçue. Ainsi, nous suspectons la présence de femmes un peu plus âgées (de 70 ans et plus) vivant plus souvent seules ou avec de jeunes dépendants (leurs petits-enfants, orphelins ou pas) que leurs homologues plus jeunes, ce qui leur confèrerait une plus grande susceptibilité à se déclarer en mauvaise santé. S’agissant du rôle de l’appartenance à un groupe ethnique, nous pourrions supposer que les Bwaba, qui déclarent être en moins bonne santé, ont davantage tendance à vivre seuls ou avec des jeunes dépendants que les représentantes des autres groupes ethniques. Soulignons malgré tout encore une fois le caractère subjectif des déclarations de santé. En effet, la prise en compte de la variable « ethnie » dans l’analyse de la mortalité n’influence pas les risques relatifs mesurés pour l’arrangement résidentiel. Ainsi, des femmes âgées d’ethnies différentes ayant le même arrangement résidentiel et le même risque de décéder pourraient avoir des perceptions différentes de leur état de santé.

Nous avons également constaté dans cette étude que le nombre d’enfants en vie était associé positivement à la santé. Ce résultat pourrait s’expliquer par deux facteurs : 1) les personnes ayant plus d’enfants encore en vie seraient, pour des raisons non mesurées dans cette étude, plus robustes que les autres (effet de sélection) et 2) avoir un enfant encore en vie dans le ménage ou hors du ménage serait un élément important dans le soutien à la personne âgée (effet direct de l’aide des enfants). Nous ne pouvons confirmer la première possibilité (il nous faudrait pour cela avoir accès à des données qui ne sont pas en notre possession) mais nous pouvons explorer la deuxième.

Si les filles aident leurs mères dans leurs tâches domestiques, elles s’activent aussi dans de petites activités extra-domestiques génératrices de revenus. Ces formes de soutien s’installent progressivement au fur et à mesure de l’avancée en âge de la femme et des changements dans les cycles de vie des plus jeunes. Les hommes assurent quant à eux le travail agricole et donc la plupart des revenus. L’hypothèse du soutien direct trouve tout son sens dans le contexte où les ressources du ménage viennent en grande partie de l’agriculture, une activité qui demande une force de travail physique appréciable. Pour une femme, la clé reste d’avoir un nombre suffisant d’enfants pour assurer ses vieux jours, si possible des fils qui vont se marier et intégrer leur(s) épouse(s) au foyer parental ; à charge pour celles-ci d’assister leurs belles-mères. En contrepartie, le veuvage rendrait les hommes plus vulnérables même si ces derniers vivent avec leur(s) enfant(s). L’observation sur le terrain par le premier auteur de cet article révèle d’ailleurs que les enfants adultes sont plus susceptibles de prendre en charge leurs mères que leurs pères. Cette prise en charge différentielle des parents par leur progéniture s’accentuerait même avec la pratique de la polygamie dans la zone.

Poursuivant sur la variation de l’effet de l’arrangement résidentiel selon le genre, nous avons constaté que les hommes vivant seuls ou avec des jeunes dépendants avaient le même état de santé perçu que les femmes vivant seules ou avec des jeunes dépendants (les différences entre les paramètres estimés pour chaque groupe n’étaient pas significatives). Pourtant, les hommes de ce groupe signalent plus de maladies chroniques que leurs homologues féminines. Cette convergence dans l’état de santé perçu malgré la morbidité chronique plus élevée chez les hommes suggère que, par rapport aux femmes, les hommes ont une meilleure perception de leur état de santé, malgré la présence de maladies. Des conclusions semblables ont été proposées par beaucoup d’études sur le sujet dont celles, rapportées plus haut, de Kuate-Defo (2005) au Cameroun et de Onadja et collaborateurs (2013) au Burkina Faso. De même, les hommes en couple ont une meilleure perception de leur santé que les femmes en couple. Ce résultat montre que, dans la zone de Nouna, comme ailleurs en Afrique subsaharienne, le mariage semble plus protecteur pour l’homme que pour la femme (Mahamane, 2010), à tout le moins en ce qui a trait à la perception de la santé. Ces conclusions convergent également avec celles de LeGrand et collaborateurs (2003) qui trouvent que même âgées, les femmes continuent à prendre soin de leurs conjoints. Pour reprendre une expression maintenant en vogue, les femmes mariées sont souvent des « aidantes naturelles » de leurs maris. En l’absence de belles-filles dans le ménage, les femmes âgées sont généralement les seules à exécuter les travaux ménagers. Elles sont néanmoins souvent aidées dans ces tâches par leurs petits-enfants et les enfants accueillis dans le ménage.

Nos résultats pour l’éducation, l’occupation et l’âge vont dans le sens des études antérieures, à savoir qu’être instruit, avoir du travail, et être moins âgé sont associés à moins de problèmes de santé (Akoto, 2004 ; Kuate-Defo, 2005 ; Onadja et collab. 2013 ; Zimmer et Amornsirisomboon, 2001). En revanche, nous n’observons pas d’association positive entre l’âge et la morbidité chronique chez les femmes, contrairement à ce qui était attendu. L’âge pourrait avoir un rôle dans la perception de la maladie chronique et les personnes âgées, moins éduquées que les autres en général pourraient avoir moins bien compris les questions qu’on leur pose à ce sujet. Les personnes âgées pourraient par ailleurs être beaucoup moins susceptibles de rapporter une maladie chronique parce qu’elles seraient moins dépistées ou parce qu’il ne serait pas bien vu ou de bon aloi, pour les représentantes des générations plus anciennes, de se « plaindre » face à la présence, pourtant bien réelle, de problèmes de santé importants. Il se pourrait enfin que le fardeau de la maladie chronique soit effectivement plus facile à supporter aux âges plus avancés, le rendant ainsi moins perceptible, car en principe, plus une femme prend de l’âge, plus elle est aidée et moins l’on attend d’elle, donc déchargée de toutes ses tâches domestiques, en particulier si elle peut compter sur ses enfants non dépendants.

Enfin, cette étude révèle une mortalité plus élevée chez les hommes de religion traditionnelle que chez leurs homologues de religion chrétienne et, plus particulièrement, musulmane. Il se pourrait que les personnes âgées musulmanes aient plus de soutien que les autres à cause d’un réseau social plus large. Les habitudes de vie pourraient également expliquer les différences de mortalité entre les musulmans et les autres. Par exemple, la consommation d’alcool, permise dans le christianisme et la religion traditionnelle est un facteur de risque notable chez les personnes âgées (Duthé et Pison, 2008) mais touche moins les musulmans. De plus, cette différence de mortalité selon la religion pourrait être le reflet d’une différence de classe socio-économique. À Nouna, les musulmans sont plus nombreux dans le secteur du commerce que les chrétiens et les adeptes de la religion traditionnelle. La plupart des boutiques, des logements en location, des sociétés de transports, etc. sont tenus par des musulmans. Cette activité pourrait améliorer leur statut socio-économique par rapport aux autres, variable très importante qui n’a pas été prise en compte dans cette étude. Les mêmes explications pourraient être valables pour ce qui est de la différence de mortalité selon l’ethnie, où ce sont les Mossi qui ont le risque de décès le plus faible.

Malgré son intérêt, notre étude comporte des limites importantes qui méritent d’être rappelées ou relevées. Outre les limites inhérentes à la définition du ménage (discutées dans la section des données), au regroupement des modalités des arrangements résidentiels et de l’état de santé perçu (voir la section sur la mesure des variables utilisées dans l’analyse) ou encore au caractère éminemment subjectif de certaines mesures (pouvant expliquer l’absence de relation entre l’âge et la mauvaise santé déclarée chez les femmes), il nous faut rappeler, entre autres, ne pas avoir pris en compte la polygamie dans nos modèles. En effet, dans la zone de Nouna comme dans de nombreuses autres localités rurales d’Afrique subsaharienne, celle-ci représente une assurance pour les hommes, les femmes constituant souvent une main-d’oeuvre importante pour les travaux champêtres. Pour les femmes, la polygamie peut avoir des conséquences néfastes si elle est associée à des tensions entre coépouses ou bénéfiques, par exemple chez celles qui sont sans enfants survivants, et qui sont généralement prises en charge par les enfants de leurs coépouses au moment du décès de l’époux.

D’autres limites propres à toutes les données d’observation, qu’elles soient transversales ou longitudinales, ont pu affecter la validité de nos résultats. Nous avons par exemple constaté que l’état de santé des personnes âgées variait selon leur arrangement résidentiel, et ce de manière significative. Mais nous avons sans doute sous-estimé le bénéfice associé à la vie en commun ; on pourrait en effet s’attendre à ce que la dégradation de l’état de santé contraigne les personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants à cohabiter avec des enfants non dépendants pour plus de soutien (physique, émotionnel et sanitaire). Ainsi, plutôt que d’aller de l’arrangement résidentiel vers la santé, la causalité pourrait très bien dans plusieurs situations aller dans l’autre sens, quand des personnes en mauvaise santé chercheraient à rejoindre les ménages des autres pour solliciter de l’assistance. Nous pouvons tout de même en déduire que l’avantage mesuré pour la vie en commun constitue un plancher et que nos estimations sont fortes et donc, à cet égard, probablement conservatrices.

CONCLUSION

Cette étude a montré entre autres que, dans le contexte du Burkina Faso rural et traditionnel, où le système de solidarité familiale semble satisfaire les besoins de la plupart des aînés, les arrangements résidentiels sont un facteur non négligeable dans le bien-être de ces personnes. Dans l’ensemble, les personnes âgées vivant avec leur(s) époux(ses) ont une meilleure santé, ensuite viennent celles qui vivent avec des enfants non dépendants et enfin celles qui vivent seules ou avec des jeunes dépendants. Notre recherche a également permis de renforcer la validité de l’état de santé perçu, comme un outil de prévision de la morbidité et de la mortalité dans le contexte d’étude. Ce résultat sur les liens assez serrés entre l’état de santé perçu, la morbidité chronique et la mortalité, suggère la collecte d’informations sur l’état de santé perçu dans des contextes à faibles ressources sanitaires et économiques, car elle est facile à administrer et peu coûteuse (Blomstedt et collab. 2012). Des études qualitatives plus approfondies sur les relations entre modes de vie et santé sont néanmoins nécessaires pour une meilleure formulation des politiques sanitaires qui découleraient de ces études.

Au-delà des personnes âgées vivant seules ou avec des jeunes dépendants, la quasi-totalité des personnes âgées est confrontée à des problèmes de santé de tous genres. Dans une société sans sécurité sociale formelle pour tous, la prise en charge des personnes âgées devient un problème social de plus en plus important que doivent affronter les sociétés africaines. Face à l’ampleur des changements socio-économiques et démographiques en cours, les solidarités familiales qui s’affaiblissent de plus en plus doivent être appuyées par des politiques sociales efficaces pour un meilleur accompagnement des personnes âgées.

Au vu et au su du nombre très limité de personnes âgées affiliées au système formel de sécurité sociale, il faudrait d’abord une politique volontariste des autorités permettant une subvention des soins de santé et, si possible, l’octroi de subventions d’aide sociale modestes aux personnes âgées. Ensuite, dans un contexte où le système de santé a été longtemps dirigé vers les maladies transmissibles, il faudrait rendre disponibles les services de gériatrie capables de répondre efficacement aux besoins de santé des personnes âgées, pour lesquelles les maladies chroniques sont appelées à prendre une importance grandissante, en Afrique comme ailleurs.