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Introduction

Un seul conseil diffère des autres : « ne soyez pas un parent hélicoptère ». Celui-ci implique la question de l’hyperparentalité — avoir les enfants sous surveillance constante, avec une tendance à ne pas leur donner de responsabilités... Il s’agit du seul conseil formulé à la négative

Assarsson and Aarsand, 2011 : 84

L’extrait ci-dessus est tiré de l’article « "How to be good": media representations of parenting ». Les auteurs ont analysé deux médias : un magazine américain, L.A. Parent, et une émission de télévision suédoise. Leur analyse a révélé que la parentalité y est « décrite comme une activité à multiples facettes, où les parents sont tenus de s’occuper de la santé, du bien-être, du développement mental et physique, des activités scolaires, des activités extrascolaires et des vacances de leurs enfants » (2011 : 83). Toutefois, leur analyse des messages de L.A. Parent a démontré que, dans un contexte nord-américain, les directives données aux parents pour qu’ils fassent plusieurs choses dans le cadre de « cette activité à multiples facettes » coexistaient avec une autre consigne d’une chose à ne pas faire. Ainsi, l’instruction « Ne soyez pas un parent hélicoptère » a pris sa place aux côtés d’impératifs comme « Éduquez », « Essayez, essayez, essayez » et « Surveillez ». Cette étude des conseils prodigués aux parents illustre bien l’objet du présent article, qui concerne l’utilisation croissante de l’expression « parent hélicoptère » pour décrire un parent considéré en difficulté, à qui l’on conseille de « ne pas faire », et ce, au sein même d’une culture qui fait au contraire la promotion de la parentalité intensive.

Assarsson et Aarsand présentent cette préoccupation à l’égard des parents hélicoptères comme étant spécifique aux États-Unis, mais le terme est également bien établi dans les médias britanniques, comme nous le verrons plus loin. En fait, cette expression est très répandue dans les médias de langue anglaise : des commentateurs de tous les horizons attirent l’attention sur les erreurs que les parents dits « hélicoptères » commettent et ils alertent le public sur les dommages causés par ces erreurs. Le terme « parent hélicoptère » est désormais suffisamment commun pour être entré dans le dictionnaire. Dictionary.com le définit comme un parent qui s’intéresse de manière excessive ou surprotectrice à la vie de son ou ses enfants (« a parent who takes an overprotective or excessive interest in the life of their child or children »). Un ensemble d’autres termes associés à la « parentalité surprotectrice » ou « excessivement investie » est apparu ces dernières années. On dira que les parents manifestent inadéquatement leur intérêt à l’égard de leurs enfants par le biais de l’hyperparentalité (hyperparenting) ou encore de la parentalité chasse-neige (snowplough parenting), alpha, curling, tondeuse à gazon (lawnmower parenting), bulldozer et, dans le monde anglophone uniquement, on parlera de cossetter parenting. La parentalité hélicoptère est elle-même maintenant subdivisée en sous-catégories, appelées, en anglais, reconnaissance, low altitude et guerrilla warfare.

Le développement de cette terminologie est lié à des affirmations concernant la relation entre la parentalité, et des dysfonctionnements individuels et sociaux. Par conséquent, un nombre croissant de voix associent les pathologies dont souffrent les jeunes non seulement à la « négligence » ou au « désintérêt » des parents, mais aussi à un comportement parental opposé. On estime de plus en plus que les enfants élevés par des parents trop impliqués ou trop protecteurs courent plus de risques de développer une dépression, de l’anxiété, de l’automutilation, des troubles alimentaires et du narcissisme. On considère que les parents hélicoptères posent à leur tour des défis aux institutions qui accueillent les jeunes hors de la famille : les écoles, les universités et le lieu de travail (Bristow, 2019).

Bien que l’étiquette « parent hélicoptère » soit devenue très visible, son émergence et sa diffusion ont fait l’objet de relativement peu de recherches en sociologie. Toutefois, Assarsson et Aarsand ont eu la perspicacité de remarquer que les mises en garde énoncées contre la parentalité hélicoptère attirent l’attention des parents sur le fait qu’ils peuvent « être la source du problème de leurs enfants ». Les parents sont ainsi présentés comme des personnes qui doivent « travailler sur leur compétence parentale » et « reconnaître le moment où ils franchissent la frontière de la surimplication » (2011 : 86). En d’autres mots, cette recherche montre que la construction du parent hélicoptère comme un parent à problèmes s’élabore à partir des mêmes ressources culturelles que les autres types de parents à problèmes. Ce parent, tout comme le parent « négligent » ou « insuffisamment impliqué », est responsable des difficultés de son enfant. Il doit lui aussi faire son autocritique et son auto-évaluation, et prendre note des avis d’experts concernant la « frontière » de son implication auprès de son enfant. Il doit être en mesure de percevoir les dangers à franchir cette frontière, et non plus seulement les dangers posés par des comportements de négligence ou de désinvestissement parental.

Dans le présent article, nous nous appuyons sur ces observations pour analyser la préoccupation manifestement paradoxale que suscitent la surimplication des parents ou les efforts dits excessifs qu’ils déploient pour protéger leur enfant ou s’y intéresser, au sein même d’une culture qui fait, au contraire, la promotion de la parentalité intensive. Nous étudions la signification socioculturelle du parent hélicoptère de deux façons. En premier lieu, nous discutons la manière dont la préoccupation liée à la notion de proximité entre les parents et leurs enfants constitue une ressource culturelle de longue date, sur laquelle s’appuient les constructions actuelles du parent hélicoptère. Nous passons en revue les travaux universitaires sur l’histoire des « mauvaises mères » (Ladd-Taylor et Umansky, 1998) pour montrer que les termes désignant un engagement « excessif » des parents auprès des enfants et, plus particulièrement, des mères ont souvent été présentés comme une cause de pathologie individuelle et sociale au cours du XXe siècle. Certaines des expressions utilisées aujourd’hui dans le cadre du discours sur les parents hélicoptères, comme overparenting (surparentalité), smothering (parent-poule ou parent qui couve) ou coddling (dorlotement), proviennent de cette période et peuvent, à notre avis, être considérées comme les antécédents discursifs des étiquettes actuelles.

Deuxièmement, en effectuant une analyse des discours relatifs au terme « parent hélicoptère » dans les médias britanniques, nous examinons comment les préoccupations actuelles concernant la proximité sont construites. L’intensification des enjeux de la parentalité au cours des dernières décennies, également appelée déterminisme parental (Furedi, 2008 ; Lee et al., 2014), a été reconnue comme étant principalement le résultat d’une redéfinition du rôle parental en relation avec le développement émotionnel et avec l’éducation des enfants (Furedi, 2008). Les tensions entre les demandes faites aux parents concernant ces deux aspects de l’enfance sont abordées par d’autres travaux (Bach, 2016 ; Bach et Christensen, 2017) et les thèmes les plus importants de notre analyse mènent à un constat général similaire. L’amour parental, la pression parentale et la classe sociale du parent hélicoptère sont les thèmes principaux et nous soutenons que la critique de l’éducation donnée par le parent hélicoptère qui est exprimée à travers ces thèmes peut être comprise comme une forme de recul par rapport aux résultats perçus des composantes clés de la parentalité intensive, tout en laissant néanmoins leurs prémisses inchangées. Nous suggérons également que, pour les sociologues, une caractéristique importante du parent hélicoptère identifié comme un parent à problèmes est qu’il est associé à un membre de la classe moyenne, et que cela devrait être un aspect à prendre en compte pour une étude plus approfondie du développement de la culture de la parentalité.

Le contexte historique du parent hélicoptère

L’utilisation de l’adjectif « intensif » pour refléter les hypothèses normatives de la parentalité de la fin du XXe siècle a été initialement associée à la sociologue américaine Sharon Hays[1]. Dans son livre The Cultural Contradictions of Motherhood, Hays propose le résumé désormais largement cité de « l’éducation appropriée des enfants » comme une éducation « centrée sur l’enfant, guidée par des experts, exigeante sur le plan émotionnel, laborieuse et financièrement coûteuse » (1998 : 8). Dans l’ensemble, Hays se montre préoccupée par la contradiction flagrante entre le travail très exigeant et « intensif » des mères, et une société axée sur la maximisation du profit, qui a amené un nombre croissant de femmes à rejoindre le marché du travail.

Le maternage intensif, selon Hays, constitue un ensemble d’idées puissantes — une idéologie — qui n’est « ni naturel en soi, ni, dans un sens absolu, nécessaire ; c’est une construction sociale » (1998 : 4). La contribution de Hays nous encourage ainsi à considérer les caractéristiques associées à « la bonne mère » comme des produits dérivés des contradictions au sein des structures sociales, idées qui subliment ces mêmes contradictions en tentant d’y remédier en ce qui touche à l’éducation des enfants. Toutefois, bien que la société tente d’expliquer et de résoudre ses problèmes par ce moyen, elle ne parvient pas à le faire. Comme Hays l’indique clairement, le maternage intensif ne peut pas « fonctionner », dans le sens où il est à la source des contradictions qui lui donnent naissance.

Une littérature abondante traite de la reformulation des problèmes de reproduction sociale et de développement social en tant que problèmes à gérer dans le cadre de la « parentalité », et de la façon de surmonter les inévitables échecs et conséquences négatives de cet effort. Ce travail explore l’idée de plus en plus insistante du déterminisme parental, idée selon laquelle les parents ont le pouvoir de façonner l’avenir de leurs enfants grâce à leur façon de les élever. Un thème associé est la recrudescence des programmes et des politiques qui prétendent traiter les pathologies individuelles et sociales en remédiant aux lacunes parentales. Certains travaux portant principalement sur le mother blaming en Amérique du Nord au XXe siècle suggèrent que nous devrions situer le problème actuel de la parentalité dans une histoire plus longue. Nous allons maintenant voir de quelle manière l’histoire peut également nous aider à situer la montée des préoccupations concernant la parentalité hélicoptère.

Dans la littérature sur le sujet, un des thèmes importants est la préoccupation de longue date des spécialistes de l’enfance à propos de l’« hyperparentalité », qui constitue un élément central des hypothèses à l’origine de l’idéologie de la parentalité intensive. On a reconnu que l’émergence de la notion de « maternité scientifique » (de l’anglais scientific motherhood) au début du XXe siècle avait entraîné dans son sillage l’idée que le maternage en général produisait des effets négatifs : « les mères étaient considérées comme la source d’une mauvaise éducation généralisée qui nuisait à un développement sain et, par conséquent, à notre démocratie », expliquent Johnson et Johnston (2015 : 252-253). La maternité scientifique comporte de multiples composantes, mais son point central est la critique de l’idée de « sagesse naturelle » de la mère et, plus précisément, une suspicion croissante envers l’amour maternel spontané et non cadré par l’éducation (Lee, 2014). L’accent a été mis au contraire sur les effets néfastes de cet amour maternel, sans limite et non cadré. Le « surinvestissement » maternel et les « démonstrations excessives d’affection » ont été identifiés comme des pathologies du point de vue de diverses théories psychologiques, dont celles de G. Stanley Hall et, plus tard, de John Watson. Dans son ouvrage Psychological Care of Infant and Child, Watson conseille aux mères de ne jamais étreindre ni embrasser leurs enfants, et de ne jamais les laisser s’asseoir sur leurs genoux (Johnson et Johnston, 2015 : 259). Les effets du « dorlotement » sont vus comme particulièrement dangereux pour les garçons : il ferait d’eux des « mauviettes » trop dépendantes de l’affection de leur mère et incapables de répondre aux besoins de la société de l’époque.

Les craintes concernant le fait de « gâter » et de « surprotéger » les enfants « refont surface avec encore plus de force dans les années 1940 », explique Grant. On établit alors une relation entre « les conséquences pathologiques de la tendresse maternelle sur les enfants », et « l’homosexualité et la psychologie des soldats incapables de résister aux rigueurs de la guerre » (Grant, 2004 : 831). En effet, Grant explique qu’un des thèmes clés de la littérature de l’entre-deux-guerres est l’influence pathologique de la « famille moyenne » avec, au centre, le problème de « l’amour maternel excessif » et de la « surprotection maternelle », considérés comme « responsables de la création d’une génération "chouchoutée" d’enfants nerveux et sans caractère » (2004 : 837). En plus des références aux actions de « chouchouter » et de « surprotéger », Garner et Slattery notent également l’utilisation à cette époque du terme « amour étouffant » (smother love), les experts nord-américains en éducation des enfants de l’entre-deux-guerres affirmant que les mères qui se livrent à l’amour « étouffant » courent le risque d’élever des enfants accaparants et dépendants, qui seraient « retardés émotionnellement » et aussi « peu attirants pour les autres » (Garner et Slattery, 2010 : 146).

Selon Hays (1996), la période de l’après-guerre témoigne toujours des préoccupations antérieures concernant l’amour maternel excessif, auquel s’ajoute le thème plus récent de la distance maternelle, qui s’exprime plus clairement dans les théories de l’attachement et de la « privation maternelle ». L’autrice souligne ainsi « l’accent simultané et paradoxal » qui a été mis sur « la nécessité absolue du soin affectueux d’une mère et la peur de l’excès et de la surprotection maternelle » (nous soulignons). Hartwell, se référant aux travaux de Chelser et Chodorow, précise également qu’il était attendu des mères qu’elles agissent de façon responsable et qu’elles évitent de « donner trop de soins (modèle de "la mère étouffante et surprotectrice") ou trop peu de soins (modèle de "la mère froide, hostile et distante") » (Hartwell, 1996 : 280). Dans son compte rendu des conseils prodigués aux mères canadiennes de l’époque, Gleason explique également que « les mères étaient mises en garde contre le fait de donner à leurs enfants trop d’amour et d’attention, ou pas assez », ce qui les plaçait devant une « double contrainte complexe (double-bind) » (Gleason, 2012 : 189).

La littérature met en lumière la gravité des problèmes considérés comme découlant de l’« étouffement » et de la « surprotection », ainsi que de la distance et du désintérêt maternels. Tandis que les mères distantes et « froides », y compris la « mère réfrigérateur », étaient réputées jouer un rôle dans le développement de l’autisme, des troubles de la parole et de la psychose, les pathologies liées à la « surprotection maternelle » demeuraient également très présentes (Caplan et Hall-McCorquodale, 1985 ; Gleason, 2012 ; Hartwell, 1996). Hays résume ainsi l’ambiguïté :

[L]es théoriciens de l’attachement maternel et de l’hostilité maternelle semblaient avancer que, si l’affection maternelle était absolument nécessaire et naturelle, elle pouvait facilement glisser vers des formes dangereusement malsaines. La toute-puissance maternelle était soulignée, et les femmes étaient soit tenues responsables de tout ce qui était bon chez les enfants et moralement souhaitable dans la société, soit blâmées pour les troubles psychologiques individuels de leurs enfants et les maux sociaux plus généraux qui en résultaient. Étant donné la centralité du rôle maternel, il était sous-entendu que les mères devaient être soigneusement guidées afin de négocier la route tortueuse entre négligence/rejet et surprotection/indulgence excessive

1996 : 47-48

Ce survol suggère que les préoccupations contemporaines relatives au fait d’en « faire trop » peuvent être replacées dans un contexte historique plus large de « surprotection », de « dorlotement » et d’« étouffement » parental, et en particulier maternel, associé à la nécessité de « guider soigneusement » les mères sur la « route tortueuse » d’un encadrement approprié de leur enfant. Le terme « parent hélicoptère » et la discussion entourant les pathologies qui lui sont associées se sont propagés à partir du début des années 1990, mais nous pensons qu’il serait erroné de considérer comme entièrement nouvelle cette construction du parent à problèmes. Au contraire, le parent (la mère en particulier) a toujours été considéré comme trop ou pas assez impliqué.

Dans sa discussion sur la parentalité intensive, Furedi oppose les préoccupations du passé et les normes culturelles du début du XXIe siècle, soulignant que « les manuels d’éducation des enfants d’avant la Seconde Guerre mondiale étaient souvent destinés aux parents surprotecteurs et aux parents culpabilisés qui craignaient d’"étouffer" leurs enfants ». Il poursuit en suggérant que ces préoccupations étaient devenues beaucoup moins visibles à la fin du XXe siècle (2008 : 24). Pourtant, comme nous l’avons suggéré, des comptes rendus portant sur la parentalité au XXIe siècle désignent la « parentalité hélicoptère » comme un problème. La littérature traitant de cette notion en identifie une première occurrence dans le livre de conseils Between Parent and Teenager, écrit par le psychothérapeute Haim Ginott et publié en 1969. On peut y lire :

La mère de Léonard dit : « Je m’inquiète pour mon fils. Il ne prend pas soin de lui. Il a toujours été un enfant malade. »

Léonard, seize ans, dit : « Ma mère aime jouer à la docteure et elle me rend malade. Aussi fatiguée soit-elle, si elle m’entend tousser ou me moucher, elle se transforme en coureuse de fond. Si j’éternue à la cave, elle sort en courant du grenier : "Dieu te bénisse, mon fils." "Qu’est-ce qu’il y a, tu as pris froid ?" "Tu ne prends pas soin de toi." "Tu ne devrais pas rester dehors si tard." Maman me survole comme un hélicoptère et je ne supporte plus le bruit et le vent qu’elle fait. Je pense que j’ai le droit d’éternuer sans explication. »

1969 : 18

Cette idée exprimée par l’adolescent irrité par l’incapacité de sa mère à lui donner la liberté dont il a besoin en raison de ses « inquiétudes » amène Ginott à conseiller à celle-ci de le materner différemment et de mettre ses propres sentiments de côté. Il faudra cependant attendre encore vingt ans avant que n’apparaisse ce qu’on considère comme la première occurrence du terme « parent hélicoptère ». Certains attribuent la création de ce terme à Foster Cline et Jim Fay, dans leur livre de conseils aux parents, Parenting With Love and Logic, publié pour la première fois en 1990 (Bristow, 2014 et 2019). Ce livre porte sur « l’enseignement de la responsabilité aux enfants », en fusionnant références bibliques concernant les besoins des enfants et théories psychologiques. Il classe la « parentalité hélicoptère » comme un « style de parentalité » inefficace, le comparant à la « consultant parenting » :

Certains parents pensent qu’aimer signifie faire tourner leur vie autour de leurs enfants. Ce sont des parents hélicoptères... Alors qu’aujourd’hui ces parents « aimants » peuvent avoir l’impression de faciliter le chemin de leurs enfants vers l’âge adulte, demain, ces mêmes enfants quitteront la maison et gaspilleront les dix-huit premiers mois de leur vie d’adulte en échouant à l’université ou en cherchant à « se ressaisir ». Ces enfants ne sont pas équipés pour relever les défis de la vie. On leur a volé d’importantes capacités d’apprentissage au nom de l’amour

Cline et Fay, 1990 : 23

Les comptes rendus détaillés de l’évolution des usages de cette expression et des significations qui lui sont données par la suite demeurent limités. En particulier, peu d’écrits ont été consacrés aux préjudices causés par l’« amour qui a mal tourné ». Les contributions de Bristow (2014 et 2019) partagent cependant d’importantes observations.

Elle décrit le terme « parent hélicoptère » comme une forme métaphorique (« trope ») reflétant une « anxiété culturelle plus large » concernant le développement des jeunes (2019). Elle note également que les témoignages sur la parentalité hélicoptère « ont tendance à porter sur le problème de l’anxiété parentale » et affirme qu’en conséquence, ils « ne font qu’alimenter la tendance à blâmer les parents, plutôt que d’amener une remise en question de la source culturelle du problème », ce problème étant la manière dont la société adulte perçoit le développement de l’indépendance chez les jeunes (2014 : 200).

Dans la mesure où la discussion va à l’encontre de l’intensification de la parentalité, l’autrice suggère que celle-ci est au mieux « limitée » (2014 : 210). Elle note également que la littérature qui utilise ce terme est « pleine de contradictions et de simplifications » (2019). Bien que celle-ci semble présenter un compte rendu critique de « l’orthodoxie de la parentalité intensive », elle laisse de côté les questions fondamentales :

En se concentrant sur l’anxiété et le comportement des parents comme principales menaces pour l’indépendance et la résilience des enfants, [les discussions] tendent à éluder les causes sociales et culturelles plus profondes des idées contemporaines sur la parentalité, et à ne pas aborder d’autres pistes de solutions culturelles et institutionnelles en réponse aux besoins et aux attentes (présumés) des jeunes qui s’engagent sur le chemin de l’âge adulte

2019

Les propos évoqués par Bristow se retrouvent principalement dans la recherche en psychologie. Ils s’articulent autour d’évaluations de la parentalité hélicoptère en tant que « style parental », et tentent de mesurer le lien entre cette parentalité et l’existence d’états pathologiques chez les jeunes adultes. Cette approche prend pour point de départ les pathologies apparentes des jeunes, dont elle cherche les origines dans l’éducation donnée par les parents. Bristow utilise l’expression « double contrainte », mentionnée précédemment en référence aux travaux de Gleason, pour indiquer que les parents se trouvent, selon cette logique, à la fois incités à s’impliquer intensivement auprès de leurs enfants pour maximiser leur développement et critiqués pour les empêcher de se développer de manière indépendante. Dans les deux cas, les difficultés des enfants et des jeunes adultes sont liées à un problème d’implication parentale (Bristow, 2014).

Cette analyse de la mobilisation du terme « parentalité hélicoptère » comme étant, au mieux, une réponse limitée à la parentalité intensive est étayée par la reconnaissance du degré assez remarquable d’accroissement des responsabilités attribuées au parent au cours des dernières décennies. Cette évolution est clairement exposée par Furedi dans sa discussion sur la « parentalité sur demande », qu’il a qualifiée de « nouveau concept d’éducation des enfants » (2008). Furedi évoque l’émergence d’une approche de la parentalité qui exige des parents qu’ils soient « en amour à temps plein avec leurs enfants », « thérapeutes et enseignants », mais aussi « éducateurs ». Son analyse montre clairement à quel point les connaissances antérieures ont cédé la place, à la fin des années 1990, à la parentalité sur demande. L’amour, comme il l’explique, en est venu à être formulé comme « une fonction ou une compétence parentale — la principale compétence parentale » —, et les experts contemporains de la parentalité l’ont redéfini comme une « attention » dont l’enfant a un besoin illimité. Ainsi, affirme-t-il, « l’amour sur demande encourage les adultes à s’organiser autour de la demande d’attention de leurs enfants » (2008 : 77), ce qui conduit la routine d’éducation des enfants à être dominée par des activités avec et pour les enfants, et ce, afin d’exprimer l’amour de manière adéquate.

Cette extension de ce que l’on entend par « en faire assez » pour un enfant se retrouve également, selon Furedi, dans la redéfinition du rôle éducatif des parents. Comme ce dernier le fait remarquer, il existe désormais une croyance populaire voulant que les parents soient une composante essentielle de la réussite scolaire d’un enfant. Ainsi, alors que l’on affirmait autrefois que « l’école était pour les enfants et les enfants seulement », il est désormais devenu évident qu’« une manipulation de l’intérêt des parents pour leurs enfants a lieu pour faire de ces parents des enseignants non rémunérés. Ce faisant, l’école est devenue un instrument informel de contrôle du comportement parental » (2008 : 88). Comme nous le verrons ci-dessous, le terme « parent hélicoptère », qui prend de l’importance dans les rapports publics sur la parentalité en Grande-Bretagne, tire sa signification de ces composantes de la parentalité sur demande.

Les parents hélicoptères dans les médias britanniques

Les articles utilisés pour notre analyse parviennent de la base de données de presse écrite LexisNexis. Nous avons seulement eu recours au mot-clé « Helicopter Parent » pour effectuer notre recherche. La période visée se terminait le 31 décembre 2018 et aucune date de début n’a été spécifiée. L’objectif était de commencer avec la première occurrence du terme, puis d’examiner son évolution au fil du temps. Après retrait des éléments non pertinents, l’échantillon comprenait 225 articles. Nous avons fait la distinction entre les articles dont le coeur du sujet était le parent hélicoptère et ceux qui mentionnaient le terme dans le cadre d’une discussion portant principalement sur un autre sujet. Dans ce dernier cas, la mention a été codée comme « figure culturelle » (n=141) et, dans le premier cas, comme « type de parent » (n=84). Une analyse plus approfondie a été menée à partir de ce stade. Les thèmes figurant dans les articles sur le « type de parent » ont été codés en tenant compte des mots utilisés pour décrire les lacunes du parent et leurs répercussions sur les enfants. De plus amples détails sur l’échantillon et l’analyse, y compris les références bibliographiques complètes des articles de journaux cités ci-dessous, peuvent être consultés ici (voir la note 1).

Si nous examinons les résultats concernant le « type de parent », nous notons tout d’abord que notre analyse du parent hélicoptère en tant que figure culturelle révèle un changement notable entre la fin du XXe siècle et la deuxième décennie du XXIe siècle. Au début, le terme « parent hélicoptère » n’apparaissait que très rarement, et seulement comme une curiosité venant d’un langage vernaculaire que les journalistes devaient expliquer au lecteur. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1992 dans le cadre d’un article sur l’argot contemporain qui portait sur la publication d’un nouveau dictionnaire de termes argotiques. L’article mentionnait : « Le magazine Newsweek a même rapporté une récente apparition d’argot, les parents hélicoptères (qui bourdonnent sans arrêt) et, pire encore, l’ARP (Another Repulsive Parent) » (Sampson, 1992). Cette utilisation de l’expression « parent hélicoptère » pour critiquer la manière dont les parents se comportent avec les enseignants et les écoles préfigure des discussions ultérieures. Toutefois, il faudra attendre 2003 avant que ce terme soit de nouveau mentionné.

L’unique référence faite cette année-là concernait à nouveau une question linguistique : elle se trouvait cette fois dans un article explorant la « nouvelle pensée » et le jargon qui l’exprime. Le « parent hélicoptère », décrit comme ce parent qui « pense qu’il sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire, mais qui devrait peut-être changer d’avis », a fait l’objet d’une présentation aux côtés des termes « neuromarketing », « no frills cruising » et « notschooling » (Dean et al., 2003). Cette mention était accompagnée de commentaires du sociologue britannique Frank Furedi, qui soulignait la « pression » sociétale inculquant aux parents que « les choses sont plus compliquées qu’ils ne le pensent » et que « tout ce qui arrive à votre enfant est la conséquence directe de ce que vous faites en tant que parents ». Les discussions ultérieures dans les médias se concentrent toutefois sur des thèmes autres que les messages aux parents, qui constituent le contexte culturel plus large du déterminisme parental. En effet, dans la plupart des couvertures médiatiques qui suivent, le terme a tendance à être utilisé de manière métaphorique et acerbe. Au XXIe siècle, le volume de reportages utilisant cette expression augmente régulièrement, et le « parent hélicoptère » passe du statut de curiosité argotique venant de la langue américaine à celui de figure culturelle britannique problématique (généralement féminine).

Dans de nombreux articles de journaux, l’expression « parent hélicoptère » apparaît seule, sans qu’il soit nécessaire d’en dire plus. Le parent hélicoptère — généralement une mère — se présente souvent comme une figure culturelle au sens propre, le terme étant utilisé dans les critiques de film, de musique, d’art, de théâtre et de roman. Par exemple, dans une critique de roman, le personnage principal est décrit comme « l’incarnation de la mère hélicoptère qui a consacré sa vie à façonner un brillant avenir pour sa fille » (Tyler, 2006). Le terme « parent hélicoptère » est également utilisé de manière métaphorique pour attribuer des caractéristiques négatives à des personnalités publiques, généralement des hommes. En 2007, le premier ministre britannique, Gordon Brown, a été décrit comme « faible, flappy et trop réactif » (Turner, 2007). Un journaliste, traitant des présidents américains, écrit : « Obama est attaché à l’idée d’un État nourricier, peu importe à quel point il est un parent hélicoptère, en réalité » (Cox, 2012). La métaphore est utilisée pour parler de football : « Un parent hélicoptère est toujours prêt à descendre en piqué et à prendre le contrôle. Et David Bernstein, de la Fédération anglaise de football, est un président qui fait du vol stationnaire » (Samuel, 2012). Au cricket, l’entraînement a été comparé à « l’éducation des enfants » : certains entraîneurs sont comparés à des « parents très impliqués », « des parents hélicoptères en d’autres termes », et « d’autres sont plus distants, reconnaissant qu’une telle approche est étouffante et, à long terme, nuisible, futile et autodestructrice » (Atherton, 2016). L’expression a également été utilisée pour discuter d’une mission spatiale vers Mars. Les personnes impliquées « ont regardé [la scène] avec toute l’anxiété de parents hélicoptères attendant un message de leur fils de 12 ans lors de ses premières vacances en camping » (Moody, 2016).

Les utilisations du terme « parent hélicoptère » au XXIe siècle révèlent ainsi l’attribution de caractéristiques majoritairement négatives et supposent un public familier de ces dernières. Cette familiarité repose sur les récits d’un « type de parent », dans lesquels certains thèmes dominent, comme nous le verrons plus loin.

À la fois exigeants et trop préoccupés : des parents pathogènes et un amour qui tourne mal

Comme nous l’avons déjà noté, la figure du parent hélicoptère (comme tous les parents à problèmes) se construit à partir de revendications concernant un dysfonctionnement individuel et social. Le terme est utilisé dans des articles qui traitent des problèmes de développement des enfants en lien avec les problèmes sociétaux. La couverture médiatique contient de nombreux témoignages d’experts déplorant que des enfants aient été « vidés » et « brisés en morceaux sur le plan émotionnel ». Les problèmes de dépression, de stress, d’anorexie, de boulimie, d’automutilation et de suicide chez les enfants sont souvent abordés.

Au fil des ans, les mots « exigeants », « insistants » (« pushy ») et « pression » (« pressure ») apparaissent plus fréquemment dans les articles qui abordent la question du parent hélicoptère pathogène. On les retrouve dans environ un cinquième des titres. Parmi ceux-ci : « Pushed too far » (Midgley, 2006) ; « Does having pushy parents make you happy and healthy? » (Clark, 2006) ; « Boarding helps children escape pushy families » (Woolcock, 2007) ; « Pushy parents giving children years of stress » (Clark, 2007). À partir du milieu de la première décennie du XXIe siècle, la notion d’être « prêt à tout pour la réussite » (« pushiness ») s’étend au comportement des parents qui interviennent dans les universités, les lieux de travail et les écoles de leurs enfants. On nous dit : « Pushy parents graduate to the office » (Monaghan, 2008) ; « les mères hélicoptères » sont « les parents insistants qui survolent chaque aspect de [la vie de leurs enfants] en assistant à des entretiens d’embauche, en piratant leurs comptes bancaires et en choisissant leurs amants » (Smith Squire, 2008) ; ou encore « Now Helicopter Parents land at Freshers’ Week » (Clark, 2012) et les universités « demandent » que « ces parents s’abstiennent » (Harris, 2016).

Cependant, en parallèle à cette caractérisation des parents hélicoptères comme « arrivistes et insistants », « voulant le meilleur pour [leur] enfant », se développe aussi un discours qui peut sembler en être l’exact opposé. On dit que les parents poussent l’enfant, sans prendre en compte les effets néfastes sur ses émotions et ses préoccupations (et qu’ils exigent trop des écoles, des universités et des lieux de travail). Mais on leur reproche également d’être trop préoccupés par les sentiments de leur enfant, et trop désireux de le protéger de la pression et de l’inconfort. Ces deux aspects, qui concernent les émotions des enfants, se révèlent être des variantes de la parentalité hélicoptère. Les parents hélicoptères amènent ainsi l’enfant à être trop organisé et à avoir un horaire surchargé, parce qu’ils sont trop soucieux de ses sentiments, trop attentifs aux pressions et aux défis qu’implique le fait de grandir. Ce sont des « dorlotteurs » qui veulent le protéger des exigences émotionnelles et physiques.

Par exemple, un rapport de 2007 cite la conseillère en relations humaines Susie Hayman, qui « désespère des parents hélicoptères » et du terme « play date[2] ». Le rapport conclut que l’expérience d’un « comportement rude » loin de la surveillance d’un adulte est préférable à « deux ans de leçons d’escrime privées » (Blinkhorn, 2007). Les parents à problèmes sont également « attentifs et prévenants », « bien intentionnés, mais irritables ». Des auteurs de livres de conseils sur le sujet sont cités dans les médias : ils affirment que le problème vient du fait que les parents veulent trop se sentir aimés de leurs enfants et « qu’ils aiment trop » leurs enfants, plutôt que pas assez. Les parents, affirment-ils, « doivent cesser d’essayer d’être aussi populaires ». Un tel « encadrement [...] risque d’étouffer l’autonomie » des enfants, et le message doit être : « arrêtez de les dorloter » (O’Brien, 2007). L’idée de moins exiger des enfants (plutôt que de trop exiger d’eux au détriment de leurs émotions) apparaît de façon récurrente. Les difficultés des adolescents et des jeunes adultes sont imputées au comportement de parents qui veulent trop les protéger, les aimer, et qui en prennent soin de la mauvaise manière. Les mères sont des « esclaves » qui « étouffent » (Mills, 2014) ; elles sont « trop protectrices » (Lambert, 2015). On les décrit comme des « parents de la classe moyenne » qui « ne sont jamais satisfaits » et, donc, « font de la vie de leur petit chéri un enfer » (Gummer, 2017).

Ces contradictions apparentes ont une base commune, qui se trouve dans les affirmations sur l’amour et l’attention. D’une manière ou d’une autre, les critiques de la parentalité hélicoptère considèrent généralement l’amour des parents hélicoptères comme un amour qui a mal tourné. La question est de savoir comment y répondre : s’il faut chercher à maîtriser et à modérer ses effets négatifs, ou s’il faut simplement s’en désespérer. La question de la « pression » fait l’objet d’évaluations divergentes, le débat sur la question de savoir si la « pression » est bonne ou mauvaise se concentrant surtout sur les « mamans exigeantes ». Les « mamans exigeantes » sont décrites comme les « meilleures amies de leurs filles » (MacRae, 2008). Les « parents exigeants » donnent le meilleur exemple (Ellen, 2009) et les « mamans exigeantes » sont « de retour » et « cette fois, elles sont bonnes » (Hardy, 2009). Depuis 2011, les mérites et les lacunes de la « pression » se combinent avec le discours sur la « mère tigre », à la suite de la publication du livre d’Amy Chua qui utilise ce terme pour vanter les mérites d’une éducation « chinoise » stricte, au détriment d’une éducation axée sur l’amélioration de l’estime de soi. Certains, nous dit-on, voient cela comme de la « barbarie parentale » tandis que d’autres pensent que cela « pourrait aider nos enfants trop choyés » (Woods, 2011).

Pour certains, cependant, l’amour des parents hélicoptères n’est qu’une mascarade. Un commentaire fait dans un langage particulièrement fleuri, faisant référence à une thèse sur les effets pathologiques du « privilège », décrit « les enfants les plus riches » comme des « escarboucles décorant l’ego hypertrophié de leurs parents ». « Ce n’est pas de l’amour », conclut la thèse, c’est du « narcissisme » (Hari, 2008). Les parents dont les propres émotions sont trop rabougries pour leur permettre d’aimer correctement leurs enfants se tournent vers ces derniers pour qu’ils soient leurs amis. Le psychothérapeute Philip Hodson (2012) qualifie le phénomène d’« abus ». « Je crois qu’un enfant surprotégé est un enfant démuni et que s’il se trouve dans une situation de retard de développement, il doit déposer une plainte pour abus psychologique », affirme-t-il. Selon son rapport sur la parentalité hélicoptère, le problème sous-jacent est l’absence de « frontières entre les générations », qui conduit certains parents à prétendre être les « meilleurs amis de leurs enfants ». L’échec parental consiste à « s’accrocher à un enfant comme à un canot de sauvetage ». Il y a « attention et attention », maintient-il, et le mauvais type d’« attention » qui découle du retard émotionnel des parents crée des dommages qui devraient être considérés comme des « abus ». Le terme « parent hélicoptère » apparaît alors comme un descriptif des profondes lacunes des parents à aimer et à s’occuper de leurs enfants de la bonne manière.

Classe moyenne

Comment explique-t-on que « l’amour ait mal tourné » ? Le motif qui domine les tentatives d’explication de ce problème parental est la classe sociale et, plus précisément, la « classe moyenne » à laquelle appartient le parent hélicoptère. Cette position sociétale est associée à des attitudes et à des comportements parentaux néfastes qui font mal tourner l’amour parental. L’association de la figure du parent hélicoptère à un membre de la classe moyenne se retrouve dans la majorité de la couverture médiatique sur le sujet. La discussion sur cette question se déroule presque entièrement dans les journaux dont le lectorat est aussi issu de cette classe sociale. De manière plus évidente, le terme « classe moyenne » apparaît même directement dans les titres de certains articles ou dans les textes.

Les observations à propos des parents hélicoptères commencent véritablement en 2005, alors que les journalistes décrivent la découverte du problème. Les articles de cette période sont intitulés « Comment la "mère hélicoptère" prend son envol » (Goswami, 2005) et « L’ascension du parent hélicoptère » (Tait, 2006). Dans le cadre de cette découverte, le problème parents-enfants est explicitement présenté comme étant un problème d’« enfants aisés » qui sont « si malheureux » (Campbell, 2006) et de « parents exigeants de la classe moyenne » qui « croient qu’ils font le mieux pour leurs enfants », mais « peuvent les marquer à vie » (Meakins, 2006). La plupart des commentateurs, dont les propos constituent les points de référence pour la couverture médiatique, mettent clairement l’accent sur ce groupe démographique particulier de parents. Les observations fondées sur l’expérience américaine centrent leur argumentation sur l’argent et les privilèges comme principal sujet de réflexion.

Des commentaires sur les livres de la psychologue clinicienne américaine Madeleine Levine, par exemple, apparaissent dans les articles à partir de 2006. Son livre, The Price of Privilege, est sous-titré Comment la pression parentale et les avantages matériels créent une génération d’enfants déconnectés et malheureux. Cet ouvrage « accuse les parents de la classe moyenne [...] de ne pas préparer correctement leur progéniture au monde adulte parce qu’ils sont obsédés par l’idée qu’ils doivent veiller à ce que leurs fils et leurs filles excellent dans tout ce qu’ils font ». L’argument de Levine est que ce type de parentalité de classe moyenne et la détermination à faire en sorte que les enfants « excellent » provoquent des pathologies chez les enfants américains, notamment la dépression, la toxicomanie et l’automutilation. Ce problème a été relayé par des psychologues cliniciens en Grande-Bretagne. Les parents des jeunes souffrant de troubles alimentaires, de dépression et d’exclusion du système scolaire sont « des dentistes, des médecins, des avocats, des juristes et des gens d’affaires » (Campbell, 2006). D’autres écrits à propos du livre de Levine soutiennent que « l’angoisse de la concurrence » est « profondément ancrée dans les classes moyennes » (Meakins, 2006), et qu’« il n’est pas nécessaire de chercher très loin en Grande-Bretagne pour voir des parents se livrer à un comportement obsessionnel similaire » (Midgley, 2006).

La question est posée : « Serais-je vraiment une meilleure mère si je lui permettais simplement d’échouer ? » (Shilling, 2006). Elle laisse entendre qu’il y aurait peut-être lieu de réfléchir avant d’alléguer que « les Britanniques sont des chefs de file internationaux lorsqu’il s’agit de l’éducation des enfants » (Blacker, 2006). Certaines recherches affirment en revanche que « les enfants qui participent à des activités organisées en tirent un bénéfice sur le plan du développement » (Clark, 2006). Plus fréquemment cependant, le problème de la parentalité de classe moyenne réapparaît sous de nouvelles formes. Elle est décrite comme infligeant « une sorte de souffrance » équivalant à celle d’un orphelin ou d’un enfant qui grandit dans une pauvreté extrême. « Trop de pression, trop de protection » conduisent à « des niveaux élevés de dépression et d’automutilation chez les enfants de parents trop compétitifs » (Midgley, 2007). Ceux qui ont plus d’argent vont forcément faire plus de mal aux enfants, car ils ont la possibilité de « toujours planer au-dessus d’eux » (Humphrys, 2008).

L’économiste Will Hutton relie ce problème à des enjeux sociaux plus larges. Il présente la parentalité hélicoptère comme un type d’égoïsme social, selon lequel « les parents d’aujourd’hui sont devenus obsédés par leurs enfants, leur achetant sans relâche tous les avantages qu’ils peuvent, et les couronnant de la promesse d’un héritage maximal ». Il estime que cela fait partie d’un « conservatisme sirupeux qui célèbre les liens du sang, la tribu et la nation ; nous ne sommes pas une société qui essaie d’avancer ensemble, mais un réseau d’anneaux sanguins concentriques qui nous pousse à nous occuper du rayonnement de notre famille ». Un lien est ainsi établi entre l’éducation des enfants de la classe moyenne et la dégradation du bien commun : ce que font les parents dans leur vie personnelle est l’affaire de tous (Hutton, 2008).

Ce thème est toujours d’actualité, comme en témoigne le grand nombre de livres destinés aux parents américains pour les mettre en garde contre la « surparentalité » (overparenting) et ses effets néfastes. En 2012, un livre, qui a fait la une de l’actualité, visait les habitants de l’Upper West Side, un quartier cossu de New York, et recommandait la « sous-parentalité » (underparenting) (Teeman, 2012). La même année, les propos de Levine ont à nouveau fait parler d’eux avec la publication de son nouveau livre Teach Your Children Well. Encore une fois, Levine visait la classe moyenne et affirmait que le succès découlait du développement de compétences qui étaient altérées lorsque les parents exerçaient une trop grande pression sur les enfants pour que ces derniers réussissent et excellent. Les comptes rendus de cet ouvrage dans la presse concluaient sur la pertinence du livre pour le contexte britannique, avec notamment des commentaires de spécialistes et d’experts de différentes branches de la psychologie en Grande-Bretagne qui attestaient de la nécessité de mettre moins l’accent sur le « survol des enfants » et sur les devoirs (Cooper, 2012).

Le milieu éducatif met également l’accent sur la question de la classe sociale lorsqu’il s’exprime publiquement sur le sujet. Apparaissant dans la couverture médiatique à partir de 2007, ces commentaires proviennent presque exclusivement de personnes travaillant dans des écoles britanniques privées ou publiques. Le Times a rapporté en 2007 un discours de Vicky Tuck, la directrice du Cheltenham Ladies College. On y trouve ce commentaire, souligné par le quotidien : « Il y a une expression, "parentalité hélicoptère", qui fait référence aux parents qui survolent sans cesse leurs enfants, s’assurant qu’ils peuvent jouer d’un instrument de musique, qu’ils sont bons en sport, qu’ils peuvent faire ceci et cela ». La directrice affirme que « les enfants de milieux privilégiés qui vont au pensionnat bénéficient souvent d’un peu d’espace ». Cet article établit un lien entre l’argument de Tuck et celui de Levine, indiquant (à tort) que Levine a inventé l’expression « parentalité hélicoptère » (Woolcock, 2007).

D’autres directeurs d’écoles privées et publiques affirment que « les parents hélicoptères modernes représentent une menace plutôt qu’un avantage pour leurs enfants » (Macnaughton, 2008), qu’ils « démotivent [les enfants] et freinent leur développement » (McNally, 2012), qu’ils doivent « laisser les enfants partir » en les envoyant au pensionnat (Paton, 2012), qu’ils ont une « influence négative » (Paton, 2014) et que « les mères aisées nuisent à leurs filles » (Wilkinson, 2015). Cependant, les écoliers ne sont pas les seuls à être la source des inquiétudes. Les jeunes adultes sont aussi au centre des déclarations sur l’impact possible de ce type d’éducation. En effet, les parents de jeunes adultes — étudiants et diplômés — sont évoqués dans près de la moitié des articles consacrés au type parental.

Les propos portent essentiellement sur l’université, le lieu de travail et l’école. En 2008, les observations du responsable de l’unité des carrières de l’université de Liverpool, le docteur Paul Redmond, ont été reprises dans plusieurs publications. Expliquant les changements dans le secteur universitaire, ce dernier avait alors affirmé que : « les parents, en particulier ceux issus des classes moyennes, se comportent de plus en plus comme des consommateurs : ils paient et ils s’attendent à voir les résultats » (Smith Squire, 2008). En 2012, un reportage a mis en lumière les déclarations de l’intendant d’un des collèges d’Oxford, à propos des « parents de classe moyenne qui ont payé pour le certificat général d’études secondaires du premier cycle (GCSE) et les résultats du niveau A » (Clark, 2012). En 2016, il a été rapporté que « les parents de classe moyenne ont été priés par le responsable du service d’admission des universités britanniques de ne pas participer aux journées portes ouvertes de leurs enfants » (Harris, 2016).

À partir de 2015, les déclarations reprennent de plus belle aux États-Unis, avec le témoignage de Julie Lythcott-Haims dans son livre How to Raise an Adult, écrit sur la base de « dix ans de service en tant que doyenne des étudiants de première année à l’université de Stanford ». À partir de cette expérience professionnelle dans une université d’élite, elle raconte qu’elle est devenue de plus en plus attentive à ces « jeunes adultes qui renoncent à leur indépendance et semblent incapables de prendre adéquatement soin d’eux-mêmes. Elle a acquis la conviction que les parents étaient responsables » (Carey, 2015). En 2018, ce problème observé dans les universités d’élite américaines est de nouveau soulevé, cette fois dans le livre The Coddling of the American Mind de Greg Lukianoff et Jonathan Haidt (Glancy, 2018), qui désignent la parentalité hélicoptère comme un facteur déterminant d’échec des jeunes adultes. Les discussions portant sur le problème des universités s’étendent aux foires de l’emploi et aux démarches professionnelles des étudiants diplômés, où il a été rapporté que les parents hélicoptères « passaient à l’offensive pour guider la carrière de leurs enfants », la « génération du baby-boom s’interposant désormais directement » en assistant aux salons de l’emploi, en écrivant des lettres et en « tentant même de négocier le salaire de leur progéniture » (Macleod, 2008).

Ainsi, tous les parents ne sont pas des parents hélicoptères. Ces derniers appartiennent, selon les médias britanniques, à une seule strate de la société. À peine quelques articles se sont intéressés à la relation entre ces parents et les autres, c’est-à-dire à ceux qui sont issus des classes sociales « ouvrières » ou « inférieures ». On croise l’idée récurrente que le succès viendrait d’une éducation « à la dure » plutôt que d’une parentalité hélicoptère. « Le prochain Soros sera probablement un réfugié », a déclaré un journaliste, affirmant que « la capacité à comprendre pourquoi les perceptions des autres sont fausses est au coeur du succès de Soros ». Selon l’auteur, cette capacité découle d’expériences précoces difficiles. « Les Soros du futur ne seront pas les enfants de parents hélicoptères, protégés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 contre tout obstacle au-delà d’une mauvaise note dans leur université de l’Ivy League » (Skyloes, 2015).

L’autre thème abordé, toutefois, concerne plutôt l’importance de la participation des parents à la mobilité sociale. Un article intitulé « Breaking the cycle: poor white boys from the north of England are failing badly » fait valoir :

Le défi consiste à combler le fossé entre les enfants de foyers où l’éducation n’est pas valorisée et ceux dont le moindre des mouvements est scruté par des parents hélicoptères. L’analyse de la base de données nationale britannique, qui comprend les résultats de tests effectués à l’âge de sept et onze ans, ainsi que les résultats au certificat général d’études secondaires du premier cycle (GCSE), montre que l’écart de réussite se manifeste tôt. Les garçons blancs des régions les plus pauvres commencent à accuser un retard à partir de l’âge de sept ans

Driscoll et Angeleini, 2011

La solution, présentée dans le sous-titre de l’article, est de les « soutenir alors qu’ils sont encore jeunes », par le biais de programmes publics et caritatifs qui encouragent la participation des parents. De même, un article reprenant la sagesse populaire selon laquelle « de bons parents font plus pour un enfant qu’une bonne école » a montré comment « l’amélioration de la mobilité sociale ne peut être obtenue uniquement en corrigeant le système scolaire », et a conclu que :

Les parents fortement impliqués dans l’éducation de leurs enfants sont souvent appelés « parents hélicoptères », parce qu’ils les survolent constamment, ou « mères tigres », parce qu’elles les poussent à atteindre des objectifs universitaires élevés. La recherche suggère que ces approches sont, au moins en partie, validées

Clark, 2012

Conclusion : les détours de la culture parentale

L’argument avancé dans la littérature est que la parentalité « intensive » s’est imposée comme la parentalité appropriée à partir des années 1970, cette conception véhiculant l’idée que la distance entre le parent et l’enfant, qu’elle soit physique ou émotionnelle, était liée à des pathologies du développement individuel et social. La certitude voulant que les parents, et surtout les mères, devaient accorder plus d’attention à leurs enfants et s’impliquer davantage auprès d’eux était considérée comme un fait. À la fin du XXe siècle, on la présente comme ayant acquis un statut normatif. Dans la culture anglo-américaine, elle serait devenue une idéologie et on considère qu’elle se serait aujourd’hui diffusée dans le monde entier. La parentalité intensive a été analysée comme la réponse à une demande déterministe pour une forme d’éducation des enfants pouvant améliorer la société. Par le fait même, toutefois, elle a incité à considérer les parents, en particulier les plus défavorisés socialement, comme déficients et ayant besoin des conseils et de l’avis d’experts.

Nous avons fait valoir le fait que l’émergence et le développement du terme « parent hélicoptère » peuvent être compris comme une réponse élaborée en réaction à l’échec de ce projet d’amélioration sociale, qui maintient toutefois l’idée d’un déficit parental. Nous avons suggéré que le terme et les préoccupations associées au dysfonctionnement individuel et social s’inspirent d’une terminologie et de concepts antérieurs déjà présents dans les reproches faits aux mères tout au long du XXe siècle. Nous avons démontré que le débat public dans les journaux britanniques continue de structurer la notion de parentalité problématique autour des insuffisances de l’amour parental, mais de manière particulière.

Dans la lignée de l’analyse proposée par Beauvais (2017) de la désignation de « parent exigeant » (« pushy parent »), nous avons relevé les connotations péjoratives de ce terme, et notre analyse a effectivement montré que les désignations « parent hélicoptère » et « parent exigeant » coexistent et se chevauchent. Beauvais (2017) a décrit l’expression « parent exigeant » comme conceptuellement vague, et nous avons suggéré que cette imprécision est amplifiée dans le débat public portant sur les parents hélicoptères. Le terme comporte des connotations contradictoires. Une interprétation moins courante met en relief les effets problématiques de la culture de la parentalité intensive elle-même, mais le terme est plus fréquemment utilisé pour désigner un amour parental hors de contrôle. Comme nous l’avons montré, cela s’exprime à la fois dans les réflexions portant sur les effets pathologiques de la « pression », et dans celles portant sur le « dorlotement » et sur la préoccupation surprotectrice par rapport aux émotions des enfants. Nous suggérons que cette contradiction apparente peut être interprétée comme le résultat de l’opposition entre deux aspects clés de la « parentalité sur demande », selon laquelle on attend des parents qu’ils agissent en tant qu’éducateurs de leurs enfants et qu’ils consacrent une attention infinie à leur bien-être émotionnel. La désignation de « parent hélicoptère » condamne les parents pour les résultats de ces demandes simultanées.

Le thème le plus important qui est ressorti de notre enquête est vraisemblablement celui de la classe sociale. Il a été avancé ailleurs que la parentalité de « classe moyenne » a souvent été valorisée, par exemple dans les normes en matière de politiques publiques. Il est largement reconnu que les décideurs politiques considèrent les pratiques parentales caractéristiques de la classe moyenne, telles que l’engagement des parents dans l’éducation des enfants et dans la vie scolaire, comme étant d’une importance capitale pour, par exemple, l’amélioration de la mobilité sociale et la lutte contre les inégalités sociales. Nous avons relevé que l’importance accordée à une implication accrue des parents auprès des enfants « pauvres » était bien présente dans la couverture médiatique que nous avons analysée. Pourtant, plutôt que d’être respectée et valorisée, la parentalité de « classe moyenne » est présentée comme une pratique indésirable, voire méprisable. Assarsson et Aarsand affirment que les parents hélicoptères sont « dépeints comme ayant de bonnes intentions, même lorsque les choses tournent mal ». Les parents sont ainsi présentés comme des personnes qui ont à travailler sur leurs compétences parentales pour mieux reconnaître « quand ils dépassent les bornes en matière d’implication » (2011 : 86). Notre analyse des débats au sein des médias britanniques suggère que, parallèlement aux représentations de parents bien intentionnés, on trouve des récits beaucoup plus cinglants qui tendent à élargir la définition de maltraitance, présentent les parents de classe moyenne comme étant incapables d’aimer véritablement leurs enfants, et considèrent leur « exigence » nuisible à la fois aux enfants et à la société.

Dès le départ, nous avons noté que Hays a contextualisé la maternité intensive comme une idéologie élaborée en réponse aux difficultés créées par des structures sociales plus larges, mais qui s’avère incapable de les résoudre. On peut conclure que la construction du parent hélicoptère, telle qu’elle a été exposée ici, peut être envisagée de la même manière, comme une forme de réponse à l’impossibilité d’améliorer véritablement la société dans son ensemble par le truchement de la « parentalité ». Toutefois, plutôt que de corriger cette vision erronée, on attribue l’incapacité de créer une société meilleure à partir de la parentalité aux caractéristiques et aux attributs psychologiques de ceux qui rendent manifestes les limites de cette vision. Les attentes jugées excessives des parents de la classe moyenne et leur désir de contrôler le parcours de vie de leurs enfants deviennent une source d’hostilité qui accompagne l’échec patent de ce type de parentalité à créer de jeunes adultes socialement mobiles, flexibles et qui réussissent. Il conviendrait d’approfondir les recherches pour mieux comprendre ce mépris apparent de la classe moyenne.