Corps de l’article

1. Introduction et contexte de la recherche

Les données analysées dans cet article sont issues d’un projet de recherche portant sur la persévérance aux études d’étudiants résidents permanents, donc récemment immigrés pour la plupart au moment où ils ont partagé leur expérience universitaire avec l’équipe de recherche. Ces étudiants sont inscrits dans six établissements d’enseignement supérieur au Québec. Le projet dans son ensemble a recueilli le point de vue d’étudiants et d’enseignants (professeurs et chargés de cours). Cependant, dans cet article, nous ne partageons qu’une partie des résultats décryptant le processus d’acculturation des étudiants sous l’angle des défis d’intégration et d’adaptation rencontrés à la fois comme étudiant, parent et résident dans la société québécoise. Dans cette introduction, nous présentons le contexte de la recherche : des difficultés rencontrées par les personnes immigrantes à leur arrivée au Québec et les raisons qui mènent certaines d’entre elles au choix de s’inscrire à l’université.

1.1 Difficultés de faire valoir son capital humain et déqualification professionnelle

La diversité ethnoculturelle au Canada n’est pas juste le fait de l’immigration récente, mais cette dernière l’alimente et la façonne. Il est important de rappeler que le Canada et le Québec planifient l’immigration et sont dotés de ministères dédiés à cette fin. La catégorisation administrative concernant les immigrants à leur arrivée est la suivante : catégorie économique ; celle du regroupement familial ; celle des réfugiés et personnes en situation semblable. Le Québec sélectionne les immigrants de la catégorie économique, les réfugiés se trouvant à l’étranger et les personnes dont les demandes sont traitées pour des considérations humanitaires ou d’intérêt public. La catégorie économique, la plus grande, est composée en majorité de « travailleurs qualifiés », c’est-à-dire de personnes qui ont un profil qui devrait leur permettre d’intégrer sans trop de difficulté le marché du travail, dans un délai raisonnable. Le Québec délivre un certificat de sélection aux candidats qui satisfont aux critères de la grille gouvernementale de sélection. C’est le Canada qui octroie la résidence permanente aux personnes sélectionnées par le Québec puis la citoyenneté canadienne sous certaines conditions (Gouvernement du Canada, 2020). Le résident permanent a droit à la plupart des avantages octroyés au citoyen à l’exception de quelques-uns comme le droit de voter et de se faire élire lors d’élections.

Selon le ministère québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, en 2015, le Québec a accueilli 49 024 immigrants : 61,1 % relèvent de la catégorie économique ; 76 % ont le projet de s’établir dans la région de Montréal ; 31,8 % des immigrants adultes détiennent une scolarité de 17 années et plus. Ce niveau scolaire témoigne de la consistance du capital humain d’une bonne partie des immigrants adultes à leur arrivée. Le capital humain est fait d’un ensemble, acquis par la personne, de connaissances, savoirs, compétences, qualifications, aptitudes et diverses expériences, notamment lié au niveau de scolarité et aux activités professionnelles (Cappelletti, 2010 ; Kamanzi, Zhang, Deblois et Deniger, 2007 ; Namazi, 2014). Pour ces immigrants, leur profil prometteur à l’arrivée n’est pas toujours un facteur de protection lors du processus de recherche d’un emploi en raison de multiples facteurs dont la discrimination. Plusieurs écrits ont documenté les éléments qui influencent ce processus et expliqueraient le taux de chômage des immigrants récemment arrivés, taux qui est plus élevé que celui qui affecte les non-immigrants (Boudarbat et Cousineau, 2010 ; Chicha, 2009, 2013 ; Namazi, 2014).

Selon le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2015), il y a une diminution perceptible de l’écart entre le taux de chômage de la population en général et celui des immigrants ; cependant, selon Homsy et Scarfone (2016), cet écart reste préoccupant, notamment chez les nouveaux arrivants. En 2016, l’organisme Advanis Jolicoeur, qui propose des services professionnels en recherche, a fourni au Ministère un rapport (Advanis Jolicoeur, 2016) portant sur la situation en emploi des personnes immigrantes âgées de 18 ans et arrivées au Québec entre avril 2012 et juillet 2013 inclusivement (52 537 personnes). Sur la base d’un échantillonnage (29 426 personnes) rendu accessible par le Ministère et jumelé à des données administratives de la Régie de l’assurance maladie du Québec, l’organisme a pu rejoindre, en majorité par questionnaire (téléphonique et en ligne), 7437 personnes pour recueillir leurs points de vue sur leurs démarches d’insertion professionnelle. Selon ce rapport (Advanis Jolicoeur, 2016), les trois principales difficultés mentionnées dans la recherche d’un emploi sont : le manque d’expérience au Québec (66,4 %), la non-reconnaissance de l’expérience à l’étranger (46,9 %) et la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger (35,1 %).

Les statistiques et constats exposés précédemment rejoignent les tendances lourdes de la recension faite par l’équipe en 2010 lors de la soumission de notre projet de recherche : dans les flux migratoires, il y a un choix préférentiel pour Montréal comme lieu de résidence, une bonne présence de familles avec des enfants d’âge scolaire, de personnes avec un niveau élevé de scolarité complété et confrontées à une difficulté certaine de faire valoir leur capital humain à leur arrivée dans la société d’accueil. Selon Namazi (2014), « la reconnaissance du capital humain représente un des principaux obstacles dans l’intégration socioprofessionnelle des immigrants, surtout pour les plus qualifiés » (p. 103). Le manque de reconnaissance de ce capital peut mener à une situation de non-emploi ou de déqualification professionnelle (Chicha, 2013). Plusieurs chercheurs analysent les conséquences de ce manque de reconnaissance sous l’angle de la déqualification professionnelle étroitement reliée à des dynamiques discriminatoires (Boudarbat et Cousineau, 2010 ; Boulet, 2012 ; Chen, Smith et Mustard, 2010 ; Chicha, 2013). Selon Boulet (2012), le fait d’occuper un emploi qui requiert un niveau de scolarité inférieur à celui que possède l’individu place ce dernier en situation de déqualification professionnelle.

1.2 Aller à l’université pour se (re)qualifier

Au vu des constats documentés dans la section précédente sur les difficultés relatives au manque de reconnaissance du capital humain de personnes récemment immigrées et à la déqualification professionnelle subie, il n’est pas étonnant qu’elles entreprennent des études universitaires, dans une proportion plus importante que les natifs, pour des besoins de qualification ou de requalification (Gilmore et Le Petit, 2008). Les universités utilisent une catégorisation des étudiants selon le « statut » de résidence : citoyen canadien, résident permanent, détenteur de visa d’études, etc. Dans le cadre de l’élaboration du projet de recherche, nous avons eu accès en 2009 aux statistiques concernant l’inscription des étudiants résidents permanents dans six établissements d’enseignement supérieur (HEC Montréal, Polytechnique Montréal, Université de Montréal, Université du Québec à Montréal, Université Laval, Université Concordia) avec des taux variant de 19 % à 4,5 % de l’ensemble de la population étudiante. Entre 2000 et 2009, le nombre total d’inscriptions de ces étudiants à l’Université de Montréal a connu une hausse de 156 %.

Maintenant, qu’en est-il de la diplomation des étudiants résidents permanents qui, pour la plupart, s’inscrivent à l’université avec comme toile de fond une déception dans la recherche d’un emploi à la hauteur de leur qualification acquise au pays d’origine ou ailleurs ? Dans les six établissements mentionnés, plusieurs formats de compilation de données concernant le baccalauréat convergent vers des écarts entre le pourcentage de réussite de l’ensemble des étudiants et celui des étudiants résidents permanents, en défaveur de ces derniers, ces écarts allant de 2 % à 15 %. Ces constats suscitent toute une série de questions sur les facteurs qui pourraient expliquer cet écart : Soutien institutionnel ? Langue d’enseignement ? Conditions d’enseignement ? Profils linguistiques et socioculturels des étudiants résidents permanents dans chaque institution ? Situation générale de ces étudiants dans la société ?

Au Québec, différents paliers de gouvernance scolaire affirment une volonté d’intégration des élèves et étudiants immigrants afin de soutenir leur persévérance aux études. Selon Sauvé, Debeurme, Martel, Wright, Hanca, Fournier et Castonguay (2007), la persévérance pourrait être définie comme la poursuite d’un étudiant dans un programme, l’amenant à sa complétude et à l’obtention d’un diplôme. Ainsi, le ministère de l’Éducation du Québec de 1998 a été le maitre d’oeuvre de la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle dont la pertinence a été confirmée par une évaluation (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014). Cette politique a été adaptée en diverses versions par des commissions scolaires (de Montréal, de Laval, de Sherbrooke), des collèges (Rosemont, Vieux-Montréal) et des universités (Université de Montréal, Université du Québec à Montréal). Il semble ainsi que la persévérance aux études des immigrants, élèves et étudiants, soit liée, d’une certaine manière, à leurs conditions de vie dans la société et de cheminement dans les institutions scolaires. De manière générale, il est admis que pour mieux accompagner la personne apprenante, il y a lieu de comprendre son expérience de vie globale. C’est ainsi que l’on parle d’expérience socioscolaire des élèves, ce qui permet d’appréhender de manière large tout ce qu’ils vivent à l’école et en dehors (Dubet et Martucelli, 1996) et qui a un impact sur leur persévérance scolaire. Dans le même sens, plusieurs universités québécoises ont des Services aux étudiants avec une palette de soutien allant des ateliers d’écriture à des services de santé et de réseautage communautaire (Université du Québec à Montréal, Université de Montréal). Cette brève problématisation montre, à notre avis, la pertinence de proposer cet article dont l’objectif est de documenter la persévérance aux études et le processus général d’acculturation d’étudiants résidents permanents, sous l’angle des défis d’intégration et d’adaptation.

2. Contexte théorique

Nous avons puisé dans la conceptualisation globale du projet deux thèmes qui éclairent l’objectif de cet article : le premier porte sur la persévérance aux études et le deuxième sur l’acculturation. Ces deux thèmes permettent de s’intéresser à deux facettes de l’étudiant résident permanent : l’étudiant et le résident permanent.

2.1 Persévérance aux études et stress académique

En général, la persévérance réfère au cheminement complexe que fait l’étudiant jusqu’à terminer avec succès son programme d’études (Kamanzi, Deniger et Trottier, 2010). Aussi, la persévérance est souvent analysée de manière concomitante avec la non-persévérance ou l’abandon des études. S’intéressant à des étudiants inscrits en première année dans trois universités québécoises francophones, Sauvé et ses collaborateurs (2007) soulignent que les étudiants ayant abandonné les études manifestent un degré moindre de sociabilité et se déclarent moins outillés sur le plan de leurs stratégies d’apprentissage. Quant aux étudiants persévérants, ils visualisent plus facilement la finalité de leur investissement scolaire et sont nombreux à considérer la qualité de l’encadrement institutionnel comme facteur de motivation à persévérer. Divers autres aspects et leur impact sur la persévérance sont documentés par plusieurs études québécoises, notamment le financement des études (Cicchelli, 2001) et les communautés d’apprentissage (Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc, 2010). Aussi, la persévérance est influencée par les caractéristiques sociodémographiques de l’individu, mais aussi par diverses conjonctures (Kamanzi et coll., 2010) comme celles liées à l’expérience migratoire, notamment l’acculturation. Finalement, étudier à l’université génère, à des degrés variables, ce que l’on appelle un stress académique. La gestion efficace de ce stress, par les individus et par des conditions facilitantes de l’institution, contribue à la persévérance (Bouteyre, 2008). Il est cependant intéressant de noter des notions souvent rencontrées dans la recension des écrits et vues comme des facteurs qui favorisent la persévérance : adaptation dans le sens d’ajustement de l’étudiant aux réalités institutionnelles de l’université et intégration dans le sens d’affiliation de l’étudiant à l’institution, dans le sens d’un effort de sa part pour être partie prenante de l’ensemble qu’est l’institution (Duchesne et Larose, 2000). À notre avis, aborder ainsi ces deux notions met l’accent sur l’agir individuel, sur la proactivité de l’individu, mais n’ignore pas nécessairement la nécessité de conditions contextuelles facilitantes pour que l’adaptation et l’intégration adviennent véritablement (Armagnague-Roucher, 2010 ; de la Sablonière, Debrose et Benoit, 2010). Aussi, contrairement au concept de persévérance, les notions d’adaptation et d’intégration sont plus susceptibles de se retrouver dans un discours non expert sur les enjeux de formation universitaire, comme le discours que nous avons recueilli auprès des étudiants résidents permanents.

2.2 Stress d’acculturation et défis d’intégration et d’adaptation

Une recherche sur le cheminement universitaire des étudiants résidents permanents, en plus de tenir compte des connaissances générales sur la persévérance, doit intégrer la problématique de l’acculturation : processus global d’adaptation psychologique et socioculturelle d’un individu, au contact d’une ou de plusieurs cultures autres que sa culture de première socialisation (Berry, 2005 ; Hou, Schellenberg et Berry, 2016 ; Kanouté, 2002, 2007 ; Wang, Schwartz et Zamboanga, 2010).

Berry (2005) conceptualise le processus d’acculturation à travers quatre modalités : l’intégration, l’assimilation, la séparation et la marginalisation. Il explique l’intégration, comme une modalité d’acculturation reflétant à la fois un désir d’un certain maintien de la culture d’origine et une volonté de participer activement à la société d’accueil.

Pour ce qui est des modalités d’acculturation, il s’agit certes de choix faits par des individus ou des groupes ethnoculturels spécifiques. Cependant, l’impact du contexte sociétal sur ces modalités est bien présent dans la conceptualisation de Berry (2005) et de ceux qui s’en sont inspirés. Ainsi, selon Hou et ses collaborateurs (2016), un éventail d’attributs contextuels sont associés aux profils d’acculturation, certains relevant de diverses formes d’exclusion : « […] les immigrants ayant déclaré avoir été victimes de discrimination au Canada sont beaucoup plus susceptibles de présenter le profil d’appartenance au pays d’origine » (p. 25).

L’intégration est devenue une notion populaire, pour diverses raisons, au point de se substituer dans les discours au concept d’acculturation. On parle ainsi d’intégration d’individus et de groupes à la société, mais aussi de politique d’intégration promue par une institution ou un État. La notion d’intégration a tendance ainsi à éclipser d’autres modalités d’acculturation (séparation, marginalisation) en les reléguant à l’équivalent de « non-intégration ». Parfois, certains discours tendent à juxtaposer assimilation et intégration. La notion d’adaptation est aussi souvent mobilisée pour rendre compte du processus d’acculturation (Armagnague-Roucher, 2010) ou spécifiquement de la modalité d’intégration (de la Sablonière, Debrose et Benoit, 2010). Nous pensons donc que, dans l’analyse de verbatim de recherche, il est possible de saisir les défis d’acculturation des étudiants résidents permanents par le biais d’indicateurs comme « intégration » et « adaptation ».

Les défis d’acculturation sont pris en compte dans le modèle de Berry (2005) par la notion de stress d’acculturation. Certains changements et discontinuités vécus par l’immigrant génèrent un stress qui affecte ses conditions de vie et son cadre de référence identitaire. Ce stress peut aller d’un léger inconfort à une profonde détresse affectant la santé physique et mentale (Berry, 2005 ; Chen, Smith et Mustard, 2010 ; Kanouté, 2002). Ici aussi, le stress peut être influencé significativement par les choix de l’individu, mais aussi par les dispositions sociétales en lien avec l’accueil et l’intégration des immigrants (Hou et coll., 2016). L’intégration, comme choix individuel ou politique étatique, serait la modalité la moins productrice de stress (Berry, 2005).

Si nous revenons à la situation des étudiants résidents permanents, comment sont documentés le stress d’acculturation ou les défis d’intégration et d’adaptation ? Dans une étude s’intéressant à des étudiants issus de minorités ethnoculturelles, inscrits au premier cycle en sciences de l’éducation au Québec, ces derniers notent quelques difficultés concernant la maitrise de la langue d’enseignement, les attentes implicites liées à l’évaluation des apprentissages, la focalisation des pairs et des enseignants sur leur accent, les formules pédagogiques comme le travail en équipe quand la constitution des équipes est laissée à l’initiative des étudiants (Kanouté, Hohl et Chamlian, 2002). Une autre recherche (Duchesne, 2010) a analysé le point de vue de professeurs et de superviseurs de stage en Ontario sur leur expérience d’accompagnement d’étudiants immigrants stagiaires. Certains défis rencontrés par les stagiaires relèveraient principalement de deux causes : la méconnaissance de la structure et du fonctionnement des écoles francophones de l’Ontario ; le manque de soutien dans l’effort d’ajustement de leurs conceptions initiales de l’enseignement et de l’apprentissage à la réalité des pratiques éducatives canadiennes. Owen et Massey (2010) se sont penchés sur l’impact des stéréotypes sur la performance académique de certains groupes à l’université : la stigmatisation sociale affecte de manière significative la réussite des étudiants reliés à des groupes minoritaires racisés. Hung et Hyun (2010) ont analysé les expériences épistémologiques d’étudiants internationaux est-asiatiques inscrits aux cycles supérieurs aux États-Unis pour documenter, entre autres, ce qu’ils appellent les culture shock et academic shock, à travers le processus d’appropriation de l’anglais et les défis de performance dans leur discipline académique.

Les différentes facettes du stress d’acculturation peuvent impacter la persévérance aux études. Selon Boudarbat et Cousineau (2010), l’anticipation des embuches à l’obtention d’un emploi à la fin des études nourrit une incertitude qui amplifie ce stress. Finalement, d’autres défis dans l’établissement des familles récemment immigrées ont un impact sur le cheminement des étudiants résidents permanents, notamment l’exercice de la parentalité et le rapport à l’école des enfants (Kanouté et Lafortune, 2011, 2014), la conciliation travail-famille-études (Chicha, 2009), la participation citoyenne et politique (Bilodeau, 2016).

Ainsi, nous pensons que la problématisation et la conceptualisation faites dans les deux premières parties montrent qu’il y a un cumul, d’intensité variable, de stress académique et de stress d’acculturation chez les étudiants résidents permanents pouvant affecter leur persévérance aux études. Il nous a semblé scientifiquement pertinent de documenter et d’analyser ce cumul. Nous avons décidé de le faire à travers les défis tels que perçus par des étudiants résidents permanents inscrits dans des programmes universitaires de premier cycle et de maitrise professionnelle au Québec. Le projet initial a été formulé autour de cinq objectifs portant sur les thèmes suivants :

  1. Les facteurs personnels qui soutiennent ou freinent la persévérance des étudiants résidents permanents ;

  2. Les facteurs d’apprentissage, de formation et d’enseignement qui soutiennent ou freinent la persévérance des étudiants résidents permanents ;

  3. Les facteurs institutionnels qui soutiennent ou freinent la persévérance des étudiants résidents permanents ;

  4. Les facteurs relatifs au processus général d’acculturation à la société qui soutiennent ou freinent la persévérance des étudiants résidents permanents ;

  5. Les conditions optimales de gestion de la diversité culturelle en milieu universitaire pour soutenir la persévérance des étudiants.

Le projet initial a recueilli le point de vue d’étudiants résidents permanents et d’enseignants (professeurs et chargés de cours), mais les résultats qui sont présentés dans cet article se rapportent uniquement au discours des étudiants. Leurs défis d’intégration et d’adaptation sont liés de manière transversale à tous ces objectifs.

3. Méthodologie

La démarche globale de collecte de données est compréhensive, avec un usage mixte de méthodes (Briand et Larivière, 2014 ; Creswell, 2009) : questionnaire en ligne, entretiens individuels et de groupe auprès d’étudiants résidents permanents et d’enseignants. Cet article exploite uniquement les données recueillies auprès des étudiants (n = 1077) par le biais du questionnaire. Nous n’avons pas opté pour un échantillonnage probabiliste. Nous avons lancé une invitation aux étudiants dans les six établissements d’enseignement supérieur qui ont accepté de collaborer au terrain : Université de Montréal, Université du Québec à Montréal, Université Laval, Université Concordia, Polytechnique Montréal, HEC Montréal. Les étudiants résidents permanents sont inscrits au premier cycle et à certaines maitrises dites professionnelles. Un certificat d’éthique a été obtenu dans chacun des six établissements participants. Par la suite, chaque établissement nous a mis en contact avec des ressources pour que le questionnaire en ligne soit acheminé aux étudiants et pour que des relances soient effectuées. Cependant, seule l’équipe de recherche avait accès au contenu des réponses au questionnaire en ligne.

Le questionnaire en ligne destiné aux étudiants résidents permanents a été développé en français pour les cinq établissements francophones et en anglais pour l’établissement anglophone. Il a été soumis à une vérification de validité de la structure factorielle avant de le rendre accessible. Il comporte quatre sections couvrant les objectifs généraux du projet et totalisant 51 entrées de questions : Profil sociodémographique ; Expérience de vie institutionnelle ; Expérience d’apprentissage et de formation (cours et stages) ; Conditions générales de vie au Québec. Le tableau 1 présente une synthèse du profil sociodémographique des étudiants résidents permanents.

Tableau 1

Profil des étudiants résidents permanents (n = 1077) : quelques caractéristiques[1]

Profil des étudiants résidents permanents (n = 1077) : quelques caractéristiques1

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La conception du questionnaire a permis de générer des données quantitatives et qualitatives. En effet, deux questions ouvertes (A et B) invitent les étudiants résidents permanents à répondre sous forme de développement permettant de recueillir des données qualitatives. Cet article porte uniquement sur l’exploitation des réponses relatives à des données sociodémographiques et aux réponses à ces deux questions ouvertes :

  • Question A : « Pouvez-vous nommer un ou deux problèmes-défis spécifiques aux étudiants résidents permanents ? »

  • Question B : « Auriez-vous une ou deux idées à proposer afin de soutenir la persévérance des étudiants résidents permanents ? »

Les données qualitatives générées par les réponses aux deux questions ouvertes ont été soumises à une analyse de contenu thématique, en respectant les exigences de complétude et de validation inter-juges (Herreros, 2002 ; Paillé et Mucchielli, 2012). Le codage du corpus des réponses a été structuré d’abord autour de deux termes emblématiques des enjeux d’acculturation et de persévérance aux études : « intégration » et « adaptation ». La stratégie de codage a tenu compte des erreurs dans l’écriture de ces termes et d’autres mots qui en dérivent (formes conjuguées du verbe intégrer, par exemple). Pour ce qui est des défis liés au stress académique et à celui d’acculturation, nous avons repéré « défi » et d’autres termes dans le discours qui peuvent y référer comme « difficulté », mais aussi « racisme », « préjugé », « discrimination », « exclusion », « xénophobie ». Évidemment, le repérage d’un de ces termes dans le corpus est suivi d’une analyse du propos qui l’incorpore et permet d’en expliciter le sens. Et c’est à travers les phrases qui portent ces termes que nous retraçons, entre autres, les enjeux liés à la reconnaissance des acquis de formation et les pistes d’amélioration de la situation des étudiants résidents permanents. Nous avons exploité de manière qualitative les données issues des réponses aux questions ouvertes afin d’illustrer certains facteurs influençant la persévérance aux études des étudiants résidents permanents et leur dynamique d’acculturation.

4. Résultats

Les enjeux d’acculturation et de persévérance aux études sont présentés en deux sections sous forme de défis d’intégration et d’adaptation, ainsi que de pistes de solution, s’appuyant sur les données qualitatives issues des questions ouvertes A et B du questionnaire en ligne. Les étudiants résidents permanents ont répondu dans une proportion de 45 % à la question A (« Pouvez-vous nommer un ou deux problèmes-défis spécifiques aux étudiants résidents permanents ? ») et de 51 % à la question B (« Auriez-vous une ou deux idées à proposer afin de soutenir la persévérance des étudiants résidents permanents ? »).

4.1 Défis d’intégration et d’adaptation auxquels sont confrontés les étudiants résidents permanents en tant qu’individus, parents et étudiants

Selon le processus de codage expliqué dans la méthodologie, nous avons dénombré un total de 103 portions de discours contenant les termes « intégration » ou « adaptation », ainsi que 40 portions relatives aux termes « racisme », « préjugé », « discrimination » et « xénophobie ». Nous avons regroupé l’analyse de ces portions de discours en deux sous-sections abordant les contextes sociétal et universitaire. Les propos d’un étudiant résident permanent résument assez bien comment ces deux contextes structurent de manière imbriquée l’expérience de vie des étudiants récemment immigrés : Living integration/adaptation issues while studying to have skills recognized[2].

4.1.1 Les défis d’intégration et d’adaptation à la société québécoise

Tout d’abord, les étudiants résidents permanents sont préoccupés par l’installation, l’aménagement d’un chez-soi confortable dans une nouvelle société. Ce confort est en lien avec les ressources financières disponibles, mais aussi avec la responsabilité relative à des personnes pourvoyeuses notamment des enfants, 42,8 % déclarant en avoir au moins un. Les étudiants résidents permanents trouvent difficile de réunir les conditions optimales pour subvenir aux besoins de leur famille, mais aussi pour concilier famille-études-travail.

Juggling between job, paying mortgage, school and raising kids.

Y’a quelques activités qui se font, des activités sportives pour les enfants […], mais là encore, moyennant des sous, toujours de l’argent. Et alors là, moi je vais à l’école, j’ai qu’une petite bourse donc […] on ne peut pas trop se permettre.

Étant monoparentale, étudiante à temps plein, ayant comme seuls revenus les prêts et bourses, je suis obligée de prendre la session d’été à chaque fois pour avoir mes prêts et bourses.

L’intégration socioculturelle à la société est aussi abordée, dans ses multiples facettes, comme en témoignent ces propos d’un étudiant résident permanent : « intégration au système normatif/culturel de la société, incluant la maitrise de la langue/accent et expressions locales ». Quelques finalités de cette intégration sont soulignées : « s’imprégner » de la société d’accueil, « reconstruire un tissu social » et, de manière plus précise, se mobiliser pour « l’intégration au groupe ethnique majoritaire ». Certains étudiants nous semblent préoccupés par les défis dans la construction d’une relation harmonieuse avec la société d’accueil, souvent assimilée dans leurs propos au « groupe majoritaire ». Ils font allusion à la possibilité de faire face à des phénomènes d’exclusion dans les relations avec le groupe majoritaire, mais aussi abordent la nécessité d’une certaine proactivité de l’immigrant pour que cette harmonie advienne. Ils soulignent aussi la complexité du positionnement de l’étudiant résident permanent entre pays d’origine et société d’accueil.

L’intégration au sein du groupe majoritairement québécois est devenue plus compliquée de jour en jour. L’effort que je déployais pour m’intégrer est au point zéro aujourd’hui.

Les préjugés de l’autochtone envers l’immigrant et vice-versa.

Lack of social interaction/integration with non-immigrant groups.

Ce qui m’a motivée, c’est ma curiosité de comprendre la société, de comprendre comment les gens réfléchissent. Je me suis dit qu’en ne côtoyant que ma communauté, j’avais de très faibles chances de comprendre la société. Et dans une autre étape, c’était par passion de vouloir aider mes enfants dans leur cheminement scolaire.

[…] Nous avons cette équation supplémentaire que sont la nostalgie et l’effort quotidien d’adaptation à une autre culture. […] Cela peut engendrer une difficulté supplémentaire d’apprentissage, car l’esprit est préoccupé.

Les défis de l’intégration et de l’adaptation à la société revêtent aussi des dimensions liées à la reconnaissance des acquis de formation à l’arrivée et à l’accès à l’emploi. Selon les données sociodémographiques du tableau 1, 71,2 % des étudiants résidents permanents sont arrivés au Canada avec le statut d’immigrant économique, donc avec un profil positif à l’intégration au marché du travail, selon la catégorisation administrative des statuts d’immigration par le gouvernement ; 76,8 % travaillaient avant d’immigrer ; 46 % avaient complété un 1er cycle universitaire et 26,3 %, un 2e cycle universitaire. Les propos autour des termes que nous avons ciblés, pour coder les réponses à la question A, abordent clairement le problème du manque de reconnaissance des acquis de formation à l’arrivée de l’étudiant résident permanent dans la société d’accueil. Il y a une certaine inquiétude-frustration liée au fait que l’espoir d’avoir un emploi à la hauteur de leurs qualifications dans un délai raisonnable, grâce à un profil qui leur semble favorable, ne se concrétise pas toujours. Des difficultés sont soulignées dans la quête générale d’un emploi et l’hypothèse de la discrimination pour en expliquer certaines est avancée.

Ici, si le diplôme n’est pas québécois, c’est comme si on n’a jamais fait d’études. Au lieu de nous intégrer au marché du travail avec des programmes de monitorats efficaces et ciblés de courte durée (juste les mises à jour) et ce sous la supervision des professionnels compétents, on nous demande de tout reprendre de zéro. Alors comment faire faire pour un immigrant qui a de la famille et des responsabilités à assumer ?

[…] J’ai postulé pour des emplois étudiants et, malgré toute mon expérience antérieure, jamais un coup de fil, ne serait-ce que pour une entrevue.

I feel that disappointment from the job search results, potentially due to discrimination prejudice, leads to the declining of my self-esteem.

Les embuches rencontrées dans la reconnaissance de leurs acquis de formation semblent jouer dans la décision de retour aux études universitaires prise par plusieurs étudiants résidents permanents. Avec la charge de frustration qui l’accompagne, ce retour peut ainsi être vécu comme une situation imposée par le contexte et non voulue. Aussi, un autre type de défi se profile dans les propos des étudiants : le doute qu’un diplôme canadien puisse résoudre leur problème d’accès à un emploi à la hauteur de leurs qualifications.

Être résident permanent suppose avoir un emploi d’abord, et étudier éventuellement.

L’incertitude de ne pas savoir si à la fin des études on pourra déclencher une opportunité d’emploi ; ma conjointe a fini son certificat (marketing) dans la même école il y a deux mois et elle n’arrive pas à trouver d’emploi.

À mon avis, les futurs immigrants devraient être sensibilisés sur les réalités de l’intégration professionnelle pour qu’ils puissent faire un rapport avantages/couts adéquat.

4.1.2 Les défis d’intégration et d’adaptation relatifs aux conditions de formation

Les propos d’étudiants résidents permanents autour des défis abordent explicitement ceux qui sont en lien avec leur expérience de formation universitaire au Québec. Ils soulignent les efforts déployés pour décoder la culture et les pratiques institutionnelles universitaires, ainsi que pour mieux maitriser le français (sur les six établissements participants, un seul est anglophone). Parmi les défis mentionnés, certains tournent autour de la relation pédagogique avec les professeurs.

Comprendre le système scolaire/universitaire. Comprendre le cheminement. Comprendre le mode d’inscription, d’annulation de cours, etc., en un mot l’organisation des études. Comprendre l’aide financière aux études. Gérer la masse importante de nouvelles informations à apprendre.

La formation reçue dans mon pays d’origine est souvent plus théorique que celle dispensée à l’université. C’est un point positif, mais qui requiert un temps d’adaptation aux techniques pratiques.

I consider necessary at least one general introductory meeting with the new students. Many of us were used to a different methodology, grading system etc. In addition, we don’t now (sic) about many university aid services offered by the university.

S’habituer à la « culture » étudiante d’Amérique du Nord (le fait que certains étudiants tutoient le professeur, qu’ils portent une casquette en classe...).

Some teachers, one I can think of right on the top of my head, clearly showed signs of discrimination.

Les professeurs parfois agissent de manière condescendante, comme si être immigrant est un handicap aux études. L’utilisation inadéquate des certaines expressions, gestes ou commentaires qui pourraient être choquante aux communautés ethnoculturelles.

Nous, les immigrants, à travers notre filtre culturel, nous comprenons les consignes et les exigences des professeurs autrement en plus de ne pas bien connaitre le contexte dans la réalisation des travaux.

Pour finir avec les défis relatifs aux pratiques institutionnelles de formation, nous abordons les propos des étudiants résidents permanents en lien avec le travail en équipe-groupe. Au-delà de la place de cet outil dans les dispositifs pédagogiques à l’université, ces propos révèlent surtout les enjeux d’interactions sociales qu’il induit. Selon certains étudiants, le travail en équipe est révélateur de l’existence de clans qui ne favorise pas leur intégration sociale et académique au groupe d’étudiants dans un cours donné.

Déjà se trouver une équipe de travail pour chaque cours est difficile parce qu’on ne connait personne et que les autres se connaissent déjà et se reconnaissent entre eux.

Le rejet social manifesté par le regard et l’attitude de l’autre non immigrant. Par exemple, lors de la formation des équipes de travail ou dans la gestion des conflits au sein d’une équipe mixte à majorité de non-immigrants. Certains profs adhérents (sic) aux points de vue des non-immigrants sans aucune remise en question.

J’ai eu une très, très mauvaise expérience avec une équipe composée exclusivement d’étudiants québécois dits « pure laine ». Ils avaient clairement des préjugés sur mes origines, et refaisaient constamment ma partie du travail en affirmant que je ne savais pas de quoi je parlais, n’étant pas d’« ICI ».

Another issue is expressing oneself in different language, which make you reluctant to participate in discussion or group work, because of fear of failure.

4.2 Des pistes selon les étudiants résidents permanents pour relever les défis d’intégration et d’adaptation auxquels ils sont confrontés

Nous avons utilisé les stratégies de codage présentées à la méthodologie pour repérer des propos d’étudiants résidents permanents abordant des pistes de solution. Nous allons présenter ces dernières en deux parties : les pistes relatives aux conditions générales d’établissement dans la société et celles qui se rapportent au contexte de formation universitaire.

4.2.1 Améliorer les conditions générales d’établissement des immigrants dans la société

L’amélioration des conditions générales d’établissement des immigrants au Québec est très présente dans les propos des étudiants résidents permanents. Sans surprise, les propositions dans ce sens soulignent des initiatives pour améliorer le processus de reconnaissance des acquis de formation, pour mieux soutenir financièrement les immigrants récents, pour faciliter leur intégration socioculturelle.

Que le Québec mette en place une véritable structure d’accueil et d’orientation des immigrants en fonction de leurs compétences académiques et professionnelles. Que la volonté d’intégration des immigrants soit plus sincère. Que les mécanismes de mise à niveau soient mis en place afin d’ouvrir l’accès à la profession à certains immigrants.

La clé magique c’est l’emploi. Avec un espoir de trouver un emploi, la persévérance est à 100 %. Sans espoir de trouver un emploi, la persévérance est à 0 %.

Faire plus de petites réunions de sensibilisation pour expliquer comment fonctionnent la société et la mentalité québécoise, afin de pousser les gens à apprendre à se connaitre et ne pas chercher à s’isoler dans les communautés respectives. Ces réunions devraient aussi être adressées aux non-immigrants pour les aider à s’habituer aux changements sociaux auxquels ils doivent faire face afin d’éviter les malaises que peuvent provoquer certaines remarques ou situations provenant des deux côtés.

Des programmes réels pour lutter contre le racisme et les stéréotypes.

La majeure partie des propositions sur les conditions d’intégration à la société interpelle l’État, les institutions, le groupe majoritaire en général. Cependant, quelques-unes ciblent la proactivité des immigrants, les invitant à faire leur part, à ne pas être passifs, à se mettre en projet. Dans ce sens, il est suggéré aux étudiants résidents permanents de contribuer, d’une part, à dénoncer les barrières systémiques qui les empêchent de s’accomplir et, d’autre part, de faire circuler une certaine espérance de réussite dans leur communauté ethnoculturelle en évitant de ne parler que des problèmes rencontrés.

Les pratiques de socialisation, d’initiative personnelle et d’engagement social améliorent l’intégration sociale, l’estime personnelle et les chances de succès pour un projet d’intégration.

I think making a lot of friends helps the most. So, probably just let them know about current associations and services upon their arrival in Quebec (as early as possible, e.g. at airport?).

Ne s’isoler pas (sic) de la société, car ceci ne sert à rien. Demander vos droits en tant qu’Homme, peu importe le prix. Ne reculez pas suite à une situation de racisme... ceci arrive à tous les jours et presque à tous les immigrants, heureusement que les intimidants ne sont pas une majorité.

Le plus grand problème est la langue française ; donc bien étudier le français est important, et aussi le pratiquer en même temps.

L’important est de rester optimiste et de se dire que si un Canadien a réussi, moi aussi je suis capable de réussir. Un autre point important : il faut éviter d’avoir des commentaires négatifs lorsqu’on se retrouve entre compatriotes, car bien souvent ça peut dérouter les autres.

Démarrer une nouvelle vie, repartir à zéro, n’est pas une mince affaire. […] En tant qu’immigrant je n’ai jamais été victime de discrimination ou de racisme. […] Appliquez-vous à votre projet d’intégration et tout se passera bien. Une fois bien intégré, même le froid ne vous fait plus peur. ;-)

4.2.2 Améliorer les conditions de persévérance aux études

Dans cette section, nous présentons d’abord les propositions des étudiants résidents permanents en lien avec le choix du domaine-programme d’études puis celles qui concernent les relations avec les autres protagonistes de la vie universitaire et le déroulement des cours. Il ressort de cela que bien choisir ce que l’on veut étudier est déterminant pour la réussite du parcours universitaire, ce choix devant bien s’inscrire dans une trajectoire menant à l’emploi projeté.

Avoir la pugnacité et le courage de retourner aux études et bien évaluer le taux de placements (sic) et les perspectives d’avenir du choix de notre formation à entreprendre.

Toujours positiver les choses, faire le bon choix du programme, car cela influence sur votre persévérance de continuer. Pour toute information, il faut consulter plusieurs sources et bien réfléchir avant d’entreprendre des études, car cela implique un bon sens d’organisation (surtout si on a des enfants).

Éviter au maximum le prêt et bourse pour des longues études et bien réfléchir sur les choix du domaine d’étude.

On a besoin d’information par rapport au niveau d’employabilité dans chacune des carrières, pour prendre une décision plus éclairée de nos choix d’études.

Toujours y croire, ne jamais lâcher.

Pour ce qui est du déroulement comme tel de leur formation universitaire, des conseils sont adressés aux étudiants résidents permanents eux-mêmes, les invitant à une certaine proactivité.

Aimer le français et parler le plus possible en français, se faire des amis francophones pour améliorer la langue.

Il est bon de commencer avec le moins possible de cours pour s’adapter. Moi, j’en avais 6, j’ai tout réussi, mais on voit les conséquences dans la moyenne.

Après un retour aux études, il faut prendre les cours préalables nécessaires afin d’éviter les difficultés à comprendre les matières. Aussi, il faut habiter la (sic) plus proche possible de l’université pour réduire les dépenses.

Travailler régulièrement afin d’éviter d’accumuler les tâches. Ne pas reporter à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui. Travailler avec rigueur.

Toujours à la rubrique des propositions pour améliorer l’expérience de formation universitaire des étudiants résidents permanents, le professeur et le chargé de cours sont vus comme des témoins privilégiés de cette expérience et ils sont interpelés. Les étudiants résidents permanents demandent de la bienveillance et du professionnalisme de la part des enseignants, mais aussi de la proactivité pour mieux comprendre les phénomènes migratoires et aussi pour prévenir un certain regard stigmatisant.

Féliciter certains professeurs qui nous comprennent et qui nous encouragent à persévérer !

Sensibiliser davantage les professeurs pour qu’ils tiennent compte des difficultés d’adaptation que rencontrent ces étudiants.

Professors/Advisors need to be aware of the stress of moving to a new country, specially if you are on your own! My first visit with an advisor as a student was terrible!

Éducation du personnel administratif sur l’accueil aux étrangers.

Moins de discriminations et racisme provenant des enseignants et les élèves.

Il faudra aussi faire connaitre, aux professeurs, chargés de cours et étudiants nés ici, que le gouvernement du Québec et celui du Canada ont des programmes d’immigration sélective où ils cherchent des immigrants qualifiés pour venir travailler au Québec ; pour réussir le processus, ces immigrants doivent avoir au moins un diplôme de bac, de l’expérience de travail, ils doivent aussi payer des droits d’établissement, d’ouverture de dossier, etc., et avoir un bon compte en banque. Peut-être que, avec ces infos, nos collègues nationaux pourront avoir une attitude plus amicale ; car ce ne sont pas tous les immigrants qui cherchent seulement à pouvoir vivre avec l’aide sociale.

Pour terminer sur cette partie dédiée à l’expérience de formation des étudiants résidents permanents, nous abordons les pistes de solution concernant la problématique du travail en équipe-groupe, comme outil emblématique des dispositifs de formation. L’ensemble des propositions convergent vers une seule idée : que les enseignants ne laissent pas toujours la constitution des équipes à l’initiative des étudiants, ou du moins qu’ils soient sensibles aux enjeux d’interactions sociales que ce mode de travail induit et qu’ils l’abordent avec les étudiants.

Les étudiants immigrés rencontrent beaucoup de difficultés dans le cadre des travaux d’équipes. Les professeurs ou les chargés de cours ont l’air de s’en moquer pas mal ou ne veulent pas en parler. Je commencerais par proposer une solution : si les universités souhaitent réellement développer la capacité de travailler en équipe et ainsi permettre un meilleur développement social de leurs étudiants, il faudrait peut-être que les enseignants forment les équipes de travail eux-mêmes, en prenant le soin de mixer les origines des coéquipiers afin qu’on apprenne à se connaitre, à s’accepter et travailler à long terme dans un meilleur état d’esprit ; au lieu de laisser les groupes se former en fonction des origines de chacun ou des liens d’amitié. J’ai noté le comportement des étudiants québécois à l’égard de ceux qui viennent d’ailleurs. La formation des équipes de travail pour l’immigré s’avère une tâche difficile et extrêmement stressante parce que presque personne ne veut faire équipe avec lui. Celui-ci est rejeté subtilement de part et d’autre. Il n’est pas rare d’entendre des « non, nous sommes complets » ou « cherche ailleurs et reviens nous voir si jamais... ». Bref, s’il réussit à trouver une équipe qui veut bien de lui, personne ne veut lui donner des informations ou lui expliquer ou répondre à ses questions ou tenir compte de ses idées ou même de lui pendant les séances de travail.

5. Discussion des résultats et conclusion

Lors de la présentation des résultats, l’objectif de recherche était de documenter et analyser les défis et pistes d’intégration et d’adaptation, dans le cas d’étudiants résidents permanents inscrits dans des programmes universitaires de premier cycle et de maitrise professionnelle au Québec. Au chapitre des défis, nous pouvons dire que les étudiants résidents permanents conjuguent stress d’acculturation et stress académique. Deux aspects semblent emblématiques du stress d’acculturation (Berry, 2005) et impactent à notre avis l’expérience de vie générale de ces étudiants au début de leur établissement, période dans laquelle se situe leur inscription à l’université : le problème de la reconnaissance des acquis de formation et de l’expérience de travail, ainsi que le sentiment d’être discriminé dans le cadre de la recherche d’un emploi (Advanis Jolicoeur, 2016 ; Boudarbat et Cousineau, 2010 ; Chicha, 2009, 2013 ; Homsy et Scarfone, 2016 ; Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’inclusion, 2015). Rappelons qu’une large majorité des étudiants résidents permanents ayant rempli le questionnaire déclare relever de la catégorie économique et avoir été travailleur qualifié avant leur arrivée au Québec. Aussi, près de la moitié détient un diplôme de premier cycle ou de deuxième cycle universitaire acquis hors Québec. Chez certains étudiants résidents permanents, ce ressenti, qui nous semble légitime au vu de leur capital humain, peut avoir un effet plombant sur la persévérance aux études surtout s’il est alimenté par d’autres expériences difficiles générées par le contexte de formation. Nous pensons ainsi à la qualité des interactions sociales des étudiants résidents permanents avec les enseignants et avec les pairs, affectée de perceptions de préjugés et d’exclusion (Chen, Smith et Mustard, 2010 ; Owen et Massey, 2010). Ce ressenti s’est parfois exprimé de manière explicite sous l’angle d’un vécu de racisme. Au moins, 45 % des étudiants résidents permanents sont susceptibles de correspondre à des catégories vulnérables à l’assignation identitaire (Labelle, 2015), comme le fait d’appartenir à une minorité dite visible ou racisée. Le stress d’acculturation est aussi à analyser sous l’angle des défis que rencontre l’étudiant parent d’enfants d’âge scolaire. En effet, les étudiants résidents permanents ayant participé à notre recherche ont un profil un peu atypique par rapport à celui de l’étudiant type inscrit au premier cycle : ils sont plus âgés et plus souvent parents. Dès lors, le format du curriculum au baccalauréat[3] pèse sur la conciliation travail-études-famille, en combinaison avec les difficultés financières, un réseau social en construction et les défis d’accompagner l’intégration de leurs enfants à l’école (Chicha, 2009 ; Kanouté et Lafortune, 2011, 2014).

Pour ce qui est du stress académique, il s’illustre à travers les défis d’intégration et d’adaptation à la culture et aux pratiques institutionnelles, ainsi qu’à l’espace qu’est le cours dispensé par un enseignant et où les étudiants résidents permanents côtoient d’autres étudiants non immigrants. Les étudiants résidents permanents partagent les défis généraux que rencontrent les étudiants nouvellement arrivés à l’université québécoise, comme l’a documenté Sauvé et ses collaborateurs (2007) auprès d’étudiants de premier cycle. Cependant, chez les étudiants résidents permanents, ces défis généraux sont colorés par ce que Hung et Hyun (2010) appellent le culture shock et l’academic shock. Dans le discours de ces étudiants, nous sentons que le fonctionnement institutionnel reste plus ou moins opaque, surtout lorsque les manières d’opérer diffèrent de beaucoup par rapport à ce qu’ils ont connu dans le pays d’origine. Aussi, pour certains étudiants résidents permanents, la dernière expérience universitaire, surtout de premier cycle, est loin et le retour aux études serait déstabilisant même au pays d’origine. Pour ce qui est des cours, il en ressort clairement que les étudiants résidents permanents ont des attentes pour que les enseignants deviennent des médiateurs de leur intégration. Tout d’abord en étant bienveillants et efficaces, mais aussi en régulant d’une certaine manière les relations interindividus et intergroupes durant le cours. Les défis du travail en équipe ont accaparé une bonne partie du discours des étudiants résidents permanents et cristallisé les difficultés d’intégration sociale ressenties par eux (Kanouté, Hohl et Chamlian, 2002).

Quelles sont les pistes et solutions pour atténuer ces défis ? Les étudiants résidents permanents en ont eux-mêmes proposé. Malgré le ressenti de ne pas être intégré par différents contextes, à la hauteur de leurs attentes, les étudiants résidents permanents expriment clairement que toute solution devrait passer par une intégration sociale, à l’échelle de la société et de l’institution de formation. Dans ce sens, ils interpellent la responsabilité des contextes, mais aussi en appellent à la proactivité des étudiants résidents permanents eux-mêmes : faire l’effort de maitriser la langue d’enseignement, de s’approprier les ressources institutionnelles, de construire un réseau social diversifié. Mais l’intégration sociale n’est pas possible sans reconnaissance des ressources de l’étudiants, sans intégration professionnelle. Nous pensons donc qu’il faut accompagner la proactivité des étudiants résidents permanents dans leur processus d’acculturation et d’adaptation institutionnelle.

S’il peut sembler relever de l’ordre normal des choses que l’immigrant vive une certaine déstabilisation à son arrivée, il nous semble important qu’il y ait une plus grande mobilisation politique pour bonifier les mécanismes de reconnaissance des acquis de formation des immigrants, pour s’attaquer à la complexité des formes de discrimination dont certains immigrants sont victimes, pour travailler à une décrispation du rapport général à la diversité sociale et ethnoculturelle. Par exemple, il y a de plus en plus de programmes de mise à niveau de qualification destinés aux professionnels formés à l’étranger. À la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, il y a un microprogramme destiné aux enseignants qualifiés à l’étranger et détenteurs d’un avis d’admissibilité ou d’un permis d’enseigner du Québec. Il faut encourager ces initiatives, les doter de ressources pour une mise à niveau efficace des compétences, tout en évitant de les alourdir à cause d’une suspicion indue sur les prérequis des étudiants résidents permanents.

Tous les établissements d’enseignement supérieur participants au projet possèdent des services aux étudiants et améliorent continuellement l’accès à l’information sur l’admission aux différents programmes. Par exemple, à l’Université du Québec à Montréal, il y a des activités de jumelages interculturels organisées par l’École de langues (Faculté de communication). Le défi, c’est de rendre plus visible auprès des étudiants résidents permanents la palette de services de soutien et d’accompagnement. Il y a lieu de toute façon de baliser de manière générale le processus d’adaptation systémique des institutions à la diversité, au-delà du cas des étudiants résidents permanents, au bénéfice de tous ceux qui ont de la difficulté à s’approprier la culture et les pratiques universitaires (Sauvé et coll., 2007). Finalement, l’enseignant universitaire, même s’il s’adresse à des adultes, doit se voir comme un tuteur de résilience. Il serait pertinent de rendre disponible une formation à l’approche interculturelle et à la différenciation pédagogique afin d’encourager la construction d’un environnement pédagogique ouvert à la diversité dans le contexte universitaire.

La méthodologie générale du projet a rejoint des étudiants résidents permanents et des enseignants, même si cet article n’a traité que de données recueillies auprès des étudiants. Nous n’avons pas opté pour un échantillonnage probabiliste et ne pouvons donc prétendre à des résultats et conclusions généralisables à la situation de tous les étudiants résidents permanents. Dans cet article, la présentation des défis d’intégration et d’adaptation des étudiants résidents permanents, selon leur point de vue, aurait pu être complétée par le point de vue de protagonistes qui sont interpelés, notamment celui de leurs pairs « non immigrants ». Cela pourrait faire l’objet d’un prochain projet. Jusqu’ici, cinq publications scientifiques ont exploité les données du projet global (Arcand, Asselin et Kanouté, 2016 ; Bouchamma, Kanouté et Laroui, 2018 ; Bouchamma, Kanouté et Loiola, 2018 ; Kanouté, Guennouni Hassani, Arcand et Rachedi, 2017 ; Kanouté, Guennouni Hassani et Bouchamma, 2018). Il faut reconnaitre que les balises de publication d’article ne permettent pas toujours d’exposer en une fois les résultats principaux d’une étude pour permettre au lecteur d’en avoir une lecture systémique.