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Introduction

Chez les jeunes enfants, les études épidémiologiques estiment la prévalence de troubles de santé mentale entre 7 et 16 % pour les 0-3 ans et entre 13 et 27 % pour les 3-5 ans (Dougherty et coll., 2015 ; Skovgaard, 2010). Les premières années de la vie constituent une période sensible du développement où des changements substantiels s’opèrent sur les plans neurocognitifs et socioémotionnels, lesquels auront un impact important sur la santé mentale et l’adaptation ultérieure de l’individu (Troller-Renfree et Fox, 2017). Cette sensibilité développementale joue sur 2 niveaux. D’une part, elle est susceptible de fragiliser des enfants à risque de développer des problèmes de santé mentale, mais, d’autre part elle constitue une fenêtre privilégiée pour intervenir (ou prévenir ces difficultés) auprès des clientèles à risque. Pour y arriver, il importe non seulement de répertorier la nature des difficultés présentes chez ces enfants, mais également d’évaluer les mécanismes intimement liés à ces difficultés et pouvant constituer des facteurs de risque et de protection. À cet égard, l’attachement et la mentalisation constituent des facteurs de choix puisqu’ils sont associés à plusieurs dimensions de l’adaptation de l’individu (Fonagy et coll., 2003). Malgré leur pertinence, très peu d’études à ce jour ont évalué l’attachement et la mentalisation auprès d’un échantillon de jeunes enfants référés en pédopsychiatrie.

Attachement, mentalisation et santé mentale. Attachement et santé mentale

Le concept d’attachement réfère à la capacité du jeune enfant à être sécurisé et rassuré par son parent lorsqu’il se sent en détresse et une fois la détresse résorbée, à retourner explorer son environnement (van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg, 2019). Selon la théorie de l’attachement, ce sont les comportements parentaux quotidiens, et plus particulièrement ceux produits dans les moments de détresse, qui sont à la base du développement des modèles d’attachement chez l’enfant (Fearon et Belsky, 2016). Lorsque le parent se montre sensible à la détresse de son enfant et qu’il y répond de manière rapide et efficace, il favorise le développement d’un modèle d’attachement « sécurisant » et permet à son enfant de développer de bonnes capacités de régulation émotionnelle. À l’inverse, lorsque le parent adopte des comportements intrusifs, rejetants ou inconstants, il ne permet pas à l’enfant d’obtenir le réconfort nécessaire et de résorber efficacement sa détresse, ce qui est associé au développement d’un modèle d’attachement « insécurisant » (évitant ou ambivalent). Certains parents manifestent de l’impuissance ou de l’hostilité face aux besoins affectifs de leur enfant. Ces comportements ont pour effet d’exacerber la détresse de l’enfant et de le maintenir dans un état de stress chronique qui est associé à des comportements d’attachement « désorganisé » ou « contrôlant » (Lyons-Ruth et Jacobvitz, 2016).

Des études empiriques ont confirmé les postulats de la théorie de l’attachement en montrant que :

  1. les comportements parentaux sont liés aux modèles d’attachement des enfants (Koehn et Kerns, 2018) ;

  2. l’attachement de l’enfant est lié à la morphologie cérébrale et aux habiletés neurocognitives (Bernier et coll., 2014 ; Hidalgo et coll., 2019), à des indicateurs de santé physique (Ehrlich et Cassidy, 2019), à la compréhension émotionnelle (Cooke et coll., 2016) et aux habiletés sociales (Fearon et coll., 2010) ;

  3. l’attachement médiatise le lien entre les comportements parentaux et la présence de psychopathologie chez l’enfant (McGoron et coll., 2012 ; Yan et coll., 2017).

Des études évaluant l’efficacité d’interventions parent-enfant axées sur la théorie de l’attachement ont par ailleurs permis de démontrer un effet de causalité des comportements de sensibilité parentale sur l’attachement et le développement des enfants (Dubois-Comtois et coll., 2017 ; Moss et coll., 2011). Des études longitudinales ont quant à elles montré que l’attachement en bas âge prédit le fonctionnement global de l’individu à l’âge adulte (Englund et coll., 2011).

Ainsi, les études empiriques soutiennent l’importance de la relation d’attachement et des comportements parentaux sur les capacités d’adaptation de l’enfant. Malgré cela, très peu d’études se sont intéressées à l’attachement d’enfants référés en pédopsychiatrie. L’attachement « désorganisé/contrôlant », considéré comme étant le plus problématique puisqu’il se caractérise par un effondrement des stratégies comportementales et émotionnelles de l’enfant en contexte de stress, a été observé dans plus de la moitié d’un échantillon québécois d’enfants de 1-5 ans référés en pédopsychiatrie (53 % : Mubarak et coll., 2017) et d’un échantillon clinique britannique d’enfants de 4-9 ans (58 % : Green et coll., 2007). Un pourcentage de désorganisation légèrement inférieur a été obtenu auprès d’un échantillon clinique d’enfants américains de 3-6 ans (40 % : Speltz et coll., 1990) alors qu’une étude australienne (1-7 ans) a observé un pourcentage similaire à celui d’échantillons tout-venant (16 % : Huber et coll., 2015). À l’exception de cette dernière étude, l’attachement désorganisé semble surreprésenté dans les populations d’enfants référés en pédopsychiatrie. Il est toutefois nécessaire de poursuivre la recherche en contexte pédopsychiatrique compte tenu du nombre très limité d’études réalisées à ce jour. Bien qu’un certain nombre de mécanismes agissant comme facteurs de transmission intergénérationnelle des capacités d’adaptation du parent à l’enfant tels que les comportements parentaux et la sensibilité parentale ont été observés, ceux-ci s’avèrent incomplets pour expliquer l’adaptation de l’enfant et certains chercheurs proposent de regarder du côté de la mentalisation du parent (van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg, 2019).

Mentalisation et santé mentale

La mentalisation fait référence à l’habilité de l’individu à reconnaître que son comportement et celui des autres sont motivés par des états mentaux (p. ex. sentiments, pensées, intentions) sous-jacents (Fonagy et Target, 2006). Une bonne capacité de mentalisation (CM) permet à l’individu non seulement de comprendre que ses états mentaux se distinguent de ceux d’autrui, mais également que ceux-ci sont propres à chacun et caractérisent leur expérience subjective (Allen et coll., 2008 ; Fonagy et coll., 2002). Une CM optimale ne se manifeste donc pas seulement par une interprétation relativement juste des états mentaux régissant les comportements, mais surtout par la reconnaissance que l’interprétation des états mentaux d’autrui demeure hypothétique et qu’elle doit être validée auprès de lui (Allen et coll., 2008 ; Fonagy et coll., 2002). Certains individus peuvent présenter des déficits sur le plan de leur CM. Ceux-ci peuvent prendre la forme d’un manque d’intérêt pour les états mentaux (hypomentalisation) ou encore d’une tendance à surinterpréter le sens que pourrait prendre un comportement en y attribuant à outrance, des états mentaux qui pourraient le motiver (hypermentalisation) (Sharp et Venta, 2013). Compte tenu du fait que les déficits de mentalisation sont liés à des difficultés quant à la reconnaissance des états mentaux (chez soi et chez l’autre) et qu’ils se manifestent notamment dans la capacité à être en relation avec l’autre, les individus qui ont de faibles CM seraient plus à risque de présenter des difficultés sur les plans émotionnel et social (Allen et coll., 2008 ; Lawson et coll., 2013 ; Slade, 2005).

Une bonne CM permet au parent de considérer son enfant comme un être habité par des états mentaux qui lui sont propres et qui guident ses actions. Elle lui permet également d’être sensible aux signaux qu’émet l’enfant, de s’intéresser aux états mentaux qu’ils pourraient traduire et de les refléter adéquatement à l’enfant, permettant à ce dernier de mieux les comprendre et, éventuellement, de les réguler par lui-même (Allen et coll., 2008 ; Ensink et coll., 2019 ; Slade, 2005). Ce faisant, le parent permet également à l’enfant de donner du sens à ses propres réactions émotionnelles et comportementales ainsi qu’à celles des autres, ce qui contribue à optimiser son fonctionnement relationnel (Allen et coll., 2008 ; Midgley et coll., 2017). À l’inverse, une faible CM peut compliquer les interactions sociales de l’enfant qui sera davantage à risque de vivre de la confusion et des malentendus dans ses relations en raison de sa difficulté à interpréter adéquatement ses réactions et celle des autres (Allen et coll., 2008 ; Lawson et coll., 2013).

À ce jour, très peu d’études se sont penchées sur les liens existant entre la CM des enfants et les difficultés qu’ils présentent. Les résultats des quelques études s’y étant intéressées suggèrent qu’une plus faible CM chez l’enfant est liée à davantage de problèmes de comportement et de psychopathologies alors qu’une bonne CM est associée à moins de difficultés comportementales et de trouble de santé mentale (Ensink et coll., 2016 ; Fonagy et coll., 2003). Certains avancent également qu’une pauvre CM serait un facteur de risque important pour le développement de plusieurs psychopathologies (Sharp et Venta, 2013). Selon Sharp (2006), les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ou un trouble des conduites sont plus susceptibles de présenter des déficits de mentalisation. De tels déficits chez les parents ont également été associés au développement de psychopathologies chez leur enfant (Ensink et coll., 2016). Ces résultats témoignent de la pertinence d’évaluer la CM d’enfants et de parents issus d’échantillons cliniques afin de mieux saisir cet aspect de leur fonctionnement psychologique et relationnel.

Attachement et mentalisation d’enfants et de parents référés en pédopsychiatrie : une étude transversale

Afin de contribuer à l’avancement des connaissances et de mieux comprendre la réalité québécoise, nous avons développé un projet de recherche dont l’objectif était d’évaluer si les construits d’attachement et de mentalisation sont liés à différentes caractéristiques individuelles et familiales de jeunes enfants consultant dans une clinique de pédopsychiatrie. Le projet de recherche a été approuvé par les comités éthiques du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NÎM), de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université de Sherbrooke.

La méthode

Participants. Tous les parents ayant fait une demande de consultation pour leur enfant âgé de 1 à 6 ans à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP) du CIUSSS-NÎM entre 2013 et 2017 ont été sollicités pour participer avec leur enfant à la recherche. Les enfants présentant des atteintes sévères au niveau de la communication (p. ex. présence d’un trouble du langage sévère compromettant la capacité à s’exprimer de façon claire) ou ceux pour lesquels l’équipe soignante identifiait une contre-indication clinique à participer n’ont pas été sollicités (p. ex. situation de crise, trouble mental aigu chez l’un ou l’autre des parents, évaluations ordonnées par la cour [DPJ] fragilisant l’alliance thérapeutique). Au total, 49 enfants et leurs parents constituent cet échantillon clinique, ce qui correspond à 50 % des familles qui ont été sollicitées pour participer au projet de recherche. Compte tenu du fait que les familles en situation de crise ou celles pour lesquelles l’alliance thérapeutique est fragile n’ont pas été sollicitées pour participer à la recherche et considérant les caractéristiques sociodémographiques des participants présentées dans la section résultat, nous estimons que les participants recrutés font partie de la clientèle suivie en pédopsychiatrie présentant le moins de facteurs de risque.

Déroulement. Les familles ont été informées par les cliniciens de l’existence de la recherche. Celles ayant accepté que leurs coordonnées soient transférées à un assistant de recherche ont été contactées pour recevoir plus d’informations sur les modalités de la recherche. Une fois le consentement des parents obtenu, ceux-ci ont été convoqués avec leur enfant pour une rencontre d’environ 2 h lors de laquelle ils ont réalisé différentes tâches (activités individuelles pour l’enfant et les parents ; activités dyadiques mère-enfant et père-enfant) afin d’évaluer la relation d’attachement mère-enfant, la CM des parents et plusieurs autres dimensions du fonctionnement psychologique des enfants et des parents. Les mesures retenues dans la recherche sont présentées au tableau 1.

Tableau 1

Résumé des principales variables évaluées dans la recherche

Résumé des principales variables évaluées dans la recherche

Tableau 1 (suite)

Résumé des principales variables évaluées dans la recherche

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Les résultats de la recherche

Les enfants participant à la recherche sont âgés en moyenne de 5,04 ans (É.T. = 1,23 ; Étendue = 2-6,9 ans) et 77 % d’entre eux sont des garçons. La proportion de garçons ayant recours à des services de santé en raison d’un problème de santé mentale au Canada en 2009-2010 était de 60 % (Agence de santé publique du Canada, 2015), ce qui est similaire à la proportion observée dans notre échantillon. Ils proviennent de familles biparentales dans 70 % des cas et le revenu familial médian se situe entre 60 000 $ et 80 000 $. Les enfants ont reçu en moyenne 2,2 diagnostics psychiatriques (É.T. = 1,86 ; Étendue = 0-7) ; 57,4 % d’entre eux ont plus d’un diagnostic. La fréquence des diagnostics est présentée au tableau 2. Lorsque questionnées sur la présence de psychopathologie actuelle ou passée dans la famille, les mères ont identifié ces problèmes chez au moins un parent de l’enfant dans 75,5 % des cas, chez les grands-parents dans 63,3 % des cas et dans la fratrie dans 34,7 % des cas.

Tableau 2

Fréquence des diagnostics des enfants de l’échantillon

Fréquence des diagnostics des enfants de l’échantillon

Note. Les évaluations diagnostiques sont disponibles pour 47 participants.

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Les résultats préliminaires obtenus à ce jour ont permis de faire un certain nombre de constats quant aux liens entre l’adaptation des enfants et des parents et les construits d’attachement et de mentalisation.

Attachement. Les enfants qui présentent davantage de comportements d’attachement sécurisant présentent moins de problèmes de comportement extériorisés (Cournoyer, 2017) ou de recherche de proximité envers un étranger (Delbarre et coll., 2020 a). Ils obtiennent aussi de meilleurs résultats à une tâche de fonctions exécutives (résultat marginal ; Cournoyer, 2017). La sécurité d’attachement chez l’enfant est également associée à moins de stress parental chez la mère (Delbarre et coll., 2020 b). À l’inverse, les enfants qui présentent davantage de comportements d’attachement désorganisé/contrôlant ont plus de comportements de recherche de proximité envers un étranger (Delbarre et coll., 2020 a) et plus de difficultés dans une tâche évaluant les fonctions exécutives (Cournoyer, 2017). Plus les comportements désorganisés/contrôlants sont présents, plus leur mère rapporte vivre du stress parental (Delbarre et coll., 2020 b). Quant aux comportements d’attachement insécurisants-organisés (évitant et ambivalent), ils ont été associés à plus de problèmes de comportement extériorisés chez l’enfant (marginal ; Cournoyer, 2017) et à plus de dépression (marginal) et d’anxiété chez la mère (Delbarre et coll., 2020 b).

Mentalisation. Les entrevues permettant d’évaluer la CM parentale (CMP) n’ont été que partiellement codifiées jusqu’à maintenant et l’analyse des entrevues a été complétée pour 10 mères et 3 pères de l’échantillon. La CMP de ces 13 participants se situe à un niveau inférieur à celui observé dans la population normative (Urfer et coll., 2015). Les résultats font ressortir chez les parents évalués une difficulté à élaborer leur expérience interne de manière à ce qu’ils puissent l’utiliser pour comprendre et réguler ce qui les habite, ce qui habite leurs enfants ainsi que les interactions parent-enfant. En effet, bien qu’ils soient généralement capables de reconnaître et d’identifier leurs propres états mentaux et ceux de leur enfant, ils ont plus de mal à réfléchir et à saisir les liens qui pourraient exister entre cette expérience subjective d’une part, qu’il s’agisse de la leur ou de celle de leur enfant, et les comportements que chacun adopte ainsi que la nature de leurs interactions d’autre part (Urfer et coll., 2015). En considérant les résultats obtenus par l’ensemble de l’échantillon au questionnaire évaluant la fonction réflexive parentale (ou CMP), des analyses corrélationnelles significatives nous ont permis de constater que plus les mères présentent des déficits sur le plan de leur CMP, plus elles rapportent des symptômes psychopathologiques (principalement de l’anxiété et de l’hostilité) et plus leur rôle parental occasionne de la détresse chez elles (Achim, 2019). Les mères ayant vécu davantage d’événements de vie stressants depuis la naissance de l’enfant ciblé par l’étude sont également plus susceptibles de présenter des déficits de mentalisation (Achim, 2019).

L’attachement et la mentalisation dans le travail clinique auprès des familles référées en pédopsychiatrie. Pertinence dans l’évaluation des enfants et des parents

La théorie de l’attachement et la notion de mentalisation, tout comme les travaux de recherche qui en découlent, montrent l’importance de l’observation pour comprendre les modèles relationnels parent-enfant. En contexte clinique, nous croyons qu’un regard devrait être posé sur la façon dont le parent porte attention aux besoins affectifs de son enfant et tente d’y répondre. Pour être sensible, la réponse du parent doit être suffisamment rapide et satisfaisante pour apaiser la détresse. Les cliniciens devraient également être vigilants face aux comportements atypiques et déstabilisants de certains parents à l’égard de leurs enfants. Des comportements d’impuissance (p. ex. figer, désengagement affectif) ou hostiles (p. ex. dénigrement, agressivité) peuvent être perturbants pour les enfants, exacerber leur insécurité et inhiber leur intérêt pour les états mentaux, craignant de se confronter à un univers mental apeurant (Lyons-Ruth et coll., 2013). Par ailleurs, la capacité de l’enfant à recourir à son parent lorsqu’il est en détresse et la façon dont il y parvient peuvent nous renseigner sur ses stratégies d’attachement. Le recours à des méthodes standardisées comme la « situation étrangère » (Ainsworth et al., 1978) est optimal pour observer le déploiement de ces stratégies, mais d’autres situations d’observation peuvent aussi être utiles aux cliniciens. Par exemple, les retrouvailles avec le parent quand l’enfant le rejoint dans la salle d’attente après avoir été éprouvé par une séance difficile peuvent être révélatrices de ses stratégies d’attachement.

Pour avoir accès à des observations valides en ayant recours à une méthode standardisée, l’équipe de la Clinique spécialisée d’évaluation et d’intervention pour les 0-5 ans en pédopsychiatrie à l’HSMAP a développé une tâche appelée « entrevue relationnelle » qui s’inspire du Trilogue de Lausanne (Fivaz-Depeursinge, 2003). Le clinicien propose à l’un des parents de jouer librement avec son enfant pendant quelques minutes en laissant l’enfant mener le jeu ; l’autre parent est incité à observer l’interaction. Les parents sont ensuite invités à inverser leurs rôles puis les deux parents sont invités à jouer ensemble avec l’enfant. Par la suite, le clinicien demande aux parents de partager leurs observations entre eux, en laissant l’enfant jouer seul. Ces différentes périodes d’interactions permettent aux cliniciens d’observer la qualité des interactions parent-enfant en contexte dyadique et triadique.

L’entrevue relationnelle est complétée par une discussion – inspirée de l’entrevue sur le fonctionnement réflexif du parent version mini (Ensink et coll., 2019) – où le clinicien et les parents partagent leurs observations des différents enjeux relationnels. Des questions sont posées aux parents pour accéder à leur perception de la personnalité de leur enfant, à leur compréhension de ses sentiments et des motifs sous-jacents à ses comportements, ainsi qu’à leur vision des implications de ces différents aspects sur la nature du lien parent-enfant. Cette discussion permet donc au clinicien d’observer la capacité des parents à considérer leurs états mentaux et ceux de leur enfant afin de mieux saisir le sens que prennent les comportements de chacun et la nature des enjeux qui se déploient au sein de leur relation.

D’autres outils d’évaluation, tels des questionnaires, tâches et entrevues standardisées peuvent être utilisés pour mieux comprendre la CM des enfants et de leurs parents (Luyten et coll., 2019). Le jeu de l’enfant ainsi que la narration qui en est faite s’avèrent également un outil précieux afin d’évaluer la CM de ce dernier (Midgley et coll., 2017 ; Terradas et Achim, 2013).

Pertinence dans l’intervention auprès des enfants et leur famille

Les interventions fondées sur la théorie de l’attachement ont généralement comme objectifs de favoriser la qualité de la relation parent-enfant et de soutenir l’émergence de comportements parentaux sensibles. Différentes interventions développées dans les dernières années ont montré leur efficacité à soutenir la relation parent-enfant et le développement de l’enfant (voir Steele et Steele, 2018). Un aperçu de certaines de ces interventions est présenté au tableau 3.

Tableau 3

Résumé des principales interventions fondées sur la théorie de l’attachement

Résumé des principales interventions fondées sur la théorie de l’attachement

Tableau 3 (suite)

Résumé des principales interventions fondées sur la théorie de l’attachement

Note. Ces informations sont tirées du Handbook of attachment-based intervention (Steele et Steele, 2018). Le livre contient également d’autres interventions pertinentes fondées sur l’attachement.

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Nous présentons plus en détail 2 de ces interventions pour lesquelles des cliniciens de l’HSMAP du CIUSSS-NÎM ont été formés ou en possèdent l’expertise. La première s’adresse à des groupes de parents alors que la seconde est offerte à la dyade parent-enfant.

Le cercle de sécurité (Circle of Security – COS ; Woodhouse et coll., 2018) est une intervention de groupe de parents « manualisée » d’une durée de 8 semaines (75 minutes chacune) qui vise à aider le parent à mieux comprendre les besoins de son enfant, à devenir un meilleur observateur et à développer de nouvelles façons d’interagir avec son enfant pour être plus sensible à ses besoins de proximité et d’autonomie et à réparer les interactions qui auraient été moins sensibles. Pour ce faire, l’intervention propose des discussions à la suite du visionnement de séquences vidéo d’interactions parent-enfant lorsque le système d’attachement de l’enfant est activé. Les parents sont invités à faire des liens entre leurs propres représentations d’attachement, la façon dont ils se comportent à l’égard de leur enfant et les besoins de sécurité de ce dernier.

L’Intervention relationnelle (Attachment Video-feedback Intervention – AVI ; Moss et coll., 2018) est une intervention dyadique « manualisée » d’une durée de 8 semaines (90 minutes chacune) où, en plus d’une discussion avec le parent sur différents thèmes en lien avec l’attachement, la dyade est invitée à réaliser une activité filmée d’une durée d’environ 5 à 10 minutes. Des consignes simples sont proposées au parent en début d’activité afin de l’aider à promouvoir des comportements sensibles à l’égard de son enfant. Une rétroaction vidéo est ensuite effectuée afin de permettre au parent de se voir avec son enfant et de réfléchir à ses comportements et à leur impact. Les comportements sensibles du parent et les moments de plaisirs partagés sont soulignés, permettant à la dyade d’entrevoir une nouvelle façon d’être en relation qui favorise le développement émotionnel de l’enfant.

Au cours des 10 dernières années, plusieurs des cliniciens de l’HSMAP du CIUSSS-NÎM ont développé un travail psychothérapeutique de groupe axé sur la mentalisation auprès des enfants (en sous-groupes d’âge de 4-5 ans, 6-9 ans ou 9-12 ans) et leurs parents (Dubois-Comtois et coll., 2020). La modalité de groupe est toute désignée pour soutenir le développement de la CM puisqu’elle implique la présence de plusieurs personnes qui échangent entre elles, multipliant in situ les occasions de mentaliser. Cette modalité thérapeutique permet de partager et d’entendre différents points de vue et de réfléchir à la façon dont les états mentaux de l’autre peuvent ne pas être perçus ou compris adéquatement. En pouvant côtoyer et échanger avec des individus qui éprouvent des difficultés similaires aux leurs et grâce à la validation de leur expérience affective, nous observons dans notre pratique clinique que les groupes de psychothérapie centrés sur la mentalisation favorisent la régulation émotionnelle et comportementale des enfants, mais aussi celle de leurs parents. Cette modalité d’intervention de groupe axée sur la mentalisation, très prometteuse, est testée dans plusieurs projets de recherche auprès d’adolescents, de parents et de futurs parents (Byrne et coll., 2019 ; Griffiths et coll., 2019 ; Kalland et coll., 2016). Les résultats de ces projets seront disponibles dans les prochaines années et permettront de vérifier empiriquement l’efficacité de ce type d’intervention. Notons qu’une intervention (individuelle et groupale), visant la réduction de la consommation chez de nouvelles mères toxicomanes et privilégiant pour ce faire des techniques axées sur la mentalisation, a montré son efficacité afin d’améliorer la CMP de ces mères (Suchman et coll., 2012).

Pour certains enfants, un travail psychothérapeutique individuel apparaît également souhaitable et important. En effet, une diversité de difficultés, lacunes et manifestations symptomatiques justifient l’entreprise d’une psychothérapie individuelle : faible capacité à reconnaître la présence d’états mentaux chez soi ou chez autrui, régulations attentionnelle et affective déficitaires, confiance épistémique lacunaire, difficulté à élaborer un jeu symbolique (Achim, Lebel, Ensink et Senécal, 2020). De façon générale, la mise en place d’un tel processus se fait dans un second temps, après que des interventions dyadiques, familiales ou groupales aient eu lieu. Depuis plus de dix ans, nous préconisons des interventions basées sur la mentalisation afin de mieux tenir compte des difficultés multiples et complexes que présentent les enfants consultant au sein de notre service. En effet, nous avons constaté que bon nombre d’entre eux peinent à profiter d’interventions thérapeutiques plus « traditionnelles », ne possédant pas un appareil psychique suffisamment développé pour s’intéresser à leur monde interne (Achim, Lebel et Ensink, 2020 ; Achim et Terradas, 2015). Il nous semble donc primordial de travailler leur CM. Par l’adoption d’une posture mentalisante, le thérapeute cherche à offrir à l’enfant les conditions optimales au développement de cette capacité, conditions s’apparentant à celles qu’offre le parent mentalisant à son enfant (Achim et coll., 2020). Étant donné la présence fréquente de difficultés similaires chez les parents, un travail thérapeutique auprès d’eux est généralement réalisé de façon concomitante.

Conclusion

Les études dans le domaine de l’attachement et de la mentalisation, incluant nos propres travaux de recherche, semblent soutenir la pertinence de ces construits sur les plans scientifiques et cliniques. Auprès d’une clientèle pédopsychiatrique, ces derniers sont particulièrement importants puisque les données préliminaires montrent que l’attachement tout comme la capacité de mentalisation peuvent être mis à l’épreuve chez les parents et les enfants fragilisés par des problèmes de santé mentale. Ainsi, il nous apparaît pertinent que ces construits soient considérés par les milieux cliniques dans leur offre de service en plus des modalités d’évaluation et d’intervention déjà disponibles dans ces milieux.

Le projet de recherche que nous avons développé dans les dernières années au Service de pédopsychiatrie de l’HSMAP nous a permis de constater que l’implantation de la recherche clinique en milieu pédopsychiatrique constitue un défi de taille. Elle se doit de trouver un juste équilibre, tenant compte à la fois de la rigueur scientifique nécessaire à l’obtention de résultats robustes et de la complexité des problématiques cliniques rencontrées. Au sein de notre équipe, la présence de chercheurs et de cliniciens nous a semblé essentielle pour y parvenir. Le fait que les chercheurs soient également cliniciens a facilité le dialogue et la compréhension des besoins sur le plan clinique de sorte que les exigences inhérentes à la recherche ne soient pas une source d’irritation importante pour le milieu clinique.

Malgré cela, la réalisation de recherche en pédopsychiatrie comporte son lot d’obstacles (Lebel, 2019). Un des obstacles rencontrés fut l’arrimage, pour les familles, entre les rencontres prévues par l’équipe clinique et l’équipe de recherche. La lourdeur du protocole scientifique a pu par moment être perçue par les familles comme un fardeau s’ajoutant aux visites cliniques, ce qui peut être lié au faible taux de participation. Ceci constitue d’ailleurs une limite de la recherche en ce qui concerne la représentativité de notre échantillon. Un autre défi fut pour les cliniciens d’avoir la recherche en tête au moment même où ils sont plutôt habités par un nombre important de considérations cliniques. Des rencontres régulières entre l’équipe de recherche et l’équipe clinique ont permis de résoudre ces difficultés et de faciliter le travail de collaboration.

Notre expérience nous a permis de constater que ce type d’initiative peut constituer un réel apport à l’amélioration des pratiques cliniques. Faire de la recherche en milieu clinique permet de bénéficier de l’expertise des cliniciens qui y travaillent pour enrichir le protocole de recherche. À leur tour, les données issues de la recherche peuvent inspirer les cliniciens à adopter de nouvelles pratiques cliniques à la fine pointe des connaissances scientifiques.