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Le Pavillon Albert-Prévost (PAP) a joué un rôle de premier plan dans le développement d’une psychiatrie moderne au Québec et il a également été, en milieu francophone, l’Institution de soins et d’enseignement qui a été la plus profondément marquée par la pensée freudienne. Étant considérée à une époque comme la Mecque de la psychanalyse au Québec, l’arrivée de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est initialement accueillie avec scepticisme, mais avec l’arrivée des cliniques spécialisées à la suite de la réforme du dispositif de soins du Pavillon Albert-Prévost en 1994, elle fait partie intégrante d’une programmation clinique basée sur les données probantes auxquelles des générations de résidents en psychiatrie et autres stagiaires sont exposées et formées dans les cliniques et à travers le Centre de Psychothérapie qui offre des formations spécialisées en psychothérapie aux étudiants et aux professionnels en pratique. Le présent article décrira l’évolution de la pratique, l’enseignement et la recherche en TCC dans un milieu de soins et d’enseignement psychiatrique spécialisés au cours de la dernière demi-décennie. En continuité avec la mission de transfert des connaissances du PAP, il sera accompagné de matériel complémentaire qui permettra d’appliquer certaines de ces approches dans différents contextes cliniques.

À partir des années 1970 : la TCC au service de médecine psychosomatique (Jacques Monday, Donald Bouthillier, Lyne Marchand)

En 1972-73, il y a fusion de l’Hôpital du Sacré-Coeur-de-Montréal (HSCM) avec l’Institut Albert-Prévost et on fonde le Service de psychosomatique dont les assises seront au 5e étage à l’Hôpital du Sacré-Coeur-de-Montréal. Dès l’ouverture, on y accueille deux résidents et le Service devient un centre d’enseignement et de recherches cliniques. Les trois patrons psychiatres, Henri-Paul Villard, Jean Lapierre et Claude Saint-Laurent font preuve d’un grand dynamisme.

On institue les Matinées psychosomatiques, lieux de rencontres et d’échanges scientifiques aux deux mois avec les autres professionnels intéressés à la psychosomatique. Y participent des psychiatres et des professionnels des réseaux hospitaliers des universités Montréal, McGill, Laval et Sherbrooke. C’est au cours de ces événements que les membres de l’équipe sont sensibilisés aux approches « autogènes » et de relaxation progressive, et font la rencontre de Wolfgang Luthe (1922-1985) qui oeuvre dans le réseau McGill et qui travaille intimement avec Johannes Heinrich Schultz (1884-1970). Ils sont tous deux créateurs de la thérapie autogène dite aussi d’autodécontraction concentrative. À l’époque, dans le service de psychosomatique, Jean Lapierre forme les deux résidents en stage (Pierre Morin et Jacques Monday) qui, eux, formeront tous les membres cliniciens du service : infirmières, psychologue, travailleuse sociale, ergothérapeute. L’approche par relaxation (thérapie autogène et relaxation progressive de Jacobson) ajoutera une flèche importante au carquois thérapeutique pour traiter le patient psychosomatique, souvent peu accessible à l’approche par anamnèse associative et à la thérapie d’inspiration psychanalytique nécessitant une capacité de verbalisation dont il est parfois plus ou moins bien pourvu. Dr Monday, un des protégés de Dr Luthe, traduit le premier volume de l’ouvrage en 6 volumes portant sur le training autogène (Shultz et Luthe, 1959). Il traite des cas selon l’organosynthèse et la méditation autogène (plutôt que seulement par les exercices standards).

Dr Monday avait déjà fait une présentation au Pavillon Albert-Prévost (PAP) sur la relaxation pendant sa résidence achevée en 1975. À l’époque, le PAP avait été critiqué par des résidents, car la vision des cliniciens qui y oeuvrait était exclusivement psychanalytique. Dans ce contexte, sa première présentation comme patron au PAP sur la relaxation progressive de Jacobson et sur la thérapie autogène de Schultz et Luthe est mal reçue, probablement parce que mal comprise, perçue comme menaçante, avec trop d’inconnus, voire peu sérieuse et frivole. Le présentateur est interrompu après 12 minutes, est chahuté et ne peut pas s’exprimer clairement. Il garde un souvenir amer de cette rencontre alors que son but était d’inviter à une ouverture d’esprit à quelque chose de nouveau, de présenter une approche différente, prometteuse. Son but n’était ni de convertir à une parole ou un ordre nouveau, mais de sensibiliser à une approche différente de celle exclusive d’inspiration analytique, difficilement accessible aux patients « alexithymiques ». L’alexithymie (a lexis thymos : une émotion sans mots) étant une caractéristique fréquemment rencontrée chez la clientèle psychosomatique. Le présentateur se voulait sensibilisant, éclairant : il s’est senti menaçant, bousculant un ordre établi, une vérité absolue… et rejeté. Ce fut une mauvaise expérience qui fut reprise plus tard après avoir été présentée avec plus de succès en d’autres milieux scientifiques que celui du PAP d’alors et différemment.

Soutenu par Dr Yvon Gauthier, directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, Dr Monday organise des présentations et des séminaires sur les approches cognitives et comportementales. Il achète une machine de biofeedback[1] qui sera utilisée par Dr Louis Chaloult à la Polyclinique Concorde et l’Hôpital Cité-de-la-Santé dans ses travaux de recherche et en clinique.

En 1999, Dr Donald Bouthillier, psychologue, se joint à la clinique externe du service de médecine psychosomatique afin d’offrir des psychothérapies d’approche cognitive comportementale aux patients souffrant de troubles somatoformes. Il est formé notamment à l’Unité de thérapie comportementale de l’Hôpital Douglas et au centre de recherche Fernand Seguin à plusieurs protocoles de traitement TCC dans le cadre d’études cliniques sur le traitement du trouble obsessionnel compulsif avec Dr Kieron O’Connor, psychologue. Les patients souffrants d’hypocondrie et de délire somatique se voient offrir une TCC issue des travaux de Salkovskis et des innovations de Kieron O’Connor. En 2006, les travaux d’Allen et Woolfolk (2006) ouvrent la porte sur un premier traitement TCC spécifique au trouble de somatisation ciblant spécifiquement des facteurs psychologiques à la somatisation tels que la sensibilité au stress, l’alexithymie, les conduites de maladie et l’amplification somatique. En 2014, Dre Lyne Marchand, psychologue en fonction depuis 2005, ajoutera à la palette de services, un groupe de gestion de la douleur basée sur les principes de l’ACT issu des travaux Dr Frédérick Dionne, psychologue.

À partir des années 1980 : la TCC au Centre de psychothérapie et à la Clinique des maladies affectives (Louis Chaloult, Jean Goulet et Thanh-Lan Ngô)

Ayant d’abord pratiqué comme médecin de famille dans les années 1960, Dr Louis Chaloult se spécialise en psychiatrie puis travaille au sein du programme de psychosomatique de l’Hôpital Cité-de-la-Santé de Laval (HCSL) et à la Polyclinique Concorde. Il y fait usage de la machine de biofeedback achetée par le Dr Monday lors de son passage à Cité-de-la-Santé. Il publie, avec Dr François Borgeat, sur le stress, le biofeedback et la relaxation (Chaloult, Borgeat et Elie, 1988), est coauteur d’une émission de télévision en 1984 intitulée Mieux vivre en douceur sur le stress et les techniques pour le contrôler (biofeedback, relaxation, musicothérapie) et produit des enregistrements de détente subliminale qui sont diffusés sur CIME-FM pendant 10 ans (1977-1987) (Borgeat et Chaloult, 1985).

Dr Louis Chaloult se forme en TCC d’abord à l’occasion d’un séminaire organisé au Pavillon Albert-Prévost par le Dr Jacques Monday en 1974 avec Dr Yves Lamontagne qui revient de son fellowship en thérapie comportementale au Maudsley Hospital avec Isaak Marks. La rigueur et la clarté de l’approche comportementale (exposition pour les troubles anxieux) plaisent à l’ancien omnipraticien qu’il est. Par la suite, ayant lu A New Guide to Rational Living de Albert Ellis et Robert Harper (1975), il se fait superviser par Dr Lucien Auger un des premiers auteurs en psychothérapie émotivo rationnelle (PER) au Québec. Il est séduit par le côté pratique et la facilité d’accès de cette approche qui contraste avec l’approche psychodynamique adoptée par la majorité à l’époque. Cet intérêt pour la PER le conduit à la thérapie cognitive de Aaron Beck démontrée efficace par un grand nombre d’études cliniques. Il assiste à un congrès à Oxford en 1983 où Ellis et Beck débattent, puis à des formations sur la TCC offertes par Olivier Chambon et Jean Cottraux à l’occasion de la Quinzaine scientifique organisée au PAP par Dr Arthur Amyot. Il organise ensuite un séminaire avec le Docteur Gilbert Pinard, formé au Beck Institute à l’HCSL en 1987.

Ayant appliqué cette thérapie de façon soutenue et répétée et ayant constaté son efficacité pour un grand nombre de pathologies, il l’enseigne aux médecins et aux autres professionnels de la santé. Il le fait d’abord de 1980 à 1990, comme responsable de l’enseignement de la psychiatrie aux résidents en médecine familiale de l’HCSL, puis de 1990 à 1998 aux résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal lorsque le Dr Jacques Monday lui demande d’animer un séminaire hebdomadaire combinant l’enseignement théorique et pratique de la TCC au Service de Psychosomatique de l’HSCM. En 1998, la Dre Christiane Bertelli, chef du PAP, lui propose d’assumer la responsabilité des cours théoriques sur la TCC à l’intention de l’ensemble des résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal. Il monte alors un bloc de cours de 45 h sur la TCC avec le Dr Jean Goulet reconnu pour l’excellence de sa pédagogie et son sens de l’organisation. Dr Goulet travaille avec Dr Chaloult à Cité-de-la-Santé depuis les années 1980 et s’initie à la TCC avec lui. Il donne une centaine de formations en TCC seul, parfois avec Dr Chaloult puis Dre Thanh-Lan Ngô, de retour de formation complémentaire en TCC en 2002 (ayant complété un fellowship au Oxford Cognitive Therapy Center et une maîtrise en TCC à King’s College à Londres), à la demande de plusieurs centres hospitaliers et cliniques médicales à travers la province. À partir de 1996, les Drs Chaloult puis Goulet supervisent, comme psychiatres répondants, des cliniciens intéressés à se former en TCC aux Centre local de services communautaires (CLSC) des Mille-Îles et Jean-Olivier-Chénier afin de leur permettre d’offrir cette approche aux patients en première ligne. Parmi, ceux-ci, on retrouve les Dres Marie-France Pannetier et Sanda Kaufman, omnipraticiennes. Dre Pannetier avec sa collègue Dre Danièle Pelletier, offrent un programme de thérapies de groupe de TCC au CLSC (gestion du stress, activation comportementale, thérapie cognitive, thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, thérapie d’acceptation et d’engagement, thérapie des schémas).

Ils élaborent ensemble, dès 2000, un programme de formation en TCC dans le cadre de l’offre de formation continue du Centre de psychothérapie du Pavillon Albert-Prévost. Ce programme s’adresse aux professionnels de la santé et aux médecins. C’est dans ce cadre que des centaines de cliniciens sont formés en TCC, dont Régine Denesle, psychothérapeute au Centre d’étude avancée en médecine du sommeil de l’HSCM qui y propose, par la suite, des groupes de TCC de l’insomnie. Ces groupes sont maintenant animés par Mélanie Vendette, psychologue.

Dr Chaloult enseigne aussi la TCC avec Dr François Borgeat à l’Université de Lausanne en Suisse dans les années 1990 lorsque celui-ci y devient directeur de Département de psychiatrie adulte.

Dr Chaloult avait, pour ces diverses formations, commencé à rédiger des notes de cours qui deviennent, en 2008, un livre de référence en TCC largement cité et utilisé au collégial et à l’université pour enseigner la TCC (Chaloult et coll., 2008). Ce livre, La thérapie cognitivo-comportementale est rédigé en collaboration avec les Drs Ngô et Goulet ainsi que Pierre Cousineau, un psychologue, qui avait longtemps travaillé à Cité-de-la-Santé. S’étant formé en thérapie des schémas avec Jeffrey Young, il est devenu l’un des seuls formateurs de cette approche au Québec. Le livre reçoit le prix de la réalisation de l’année décerné par l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) en 2009.

En 2013, les Drs Goulet et Chaloult, assistés par la Dre Ngô, créent un site internet dédié au transfert de connaissances en TCC : www.tccmontreal.com. Ce site propose, gratuitement, des guides de pratique de TCC que Dr Chaloult a élaborés depuis les années 1990, avec plusieurs collègues, principalement Dr Goulet. Ces guides offrent une information concise, pratique et à jour sur l’évaluation, le traitement pharmacologique et TCC de plusieurs troubles mentaux. Ce site reçoit lui aussi le prix de la réalisation de l’année par l’AMPQ et est largement consulté par les cliniciens et les patients de la francophonie (plus de 750 000 clics à date). Ces guides sont aussi utilisés dans des programmes de maîtrise et de doctorat partout dans la francophonie et sont cités dans des énoncés de pratique internationaux (Riemann et coll., 2017). Ils sont enseignés dans le programme de médecine familiale et de psychiatrie à l’Université de Montréal. Ils sont cités dans la presse populaire, entre autres, parce qu’on y trouve des guides d’autosoins pour les patients (Therrien, G., 2018).

Sur le plan organisationnel, Dr Chaloult participe à la fondation, en 1997, du Centre de psychothérapie du Pavillon Albert-Prévost qui se spécialise dans l’enseignement de la psychothérapie (analytique, cognitivo-comportementale, systémique et interpersonnelle) et dont la philosophie est le partage de connaissances entre les différents courants de psychothérapie et l’interdisciplinarité dans l’offre de service en psychothérapie. Ce centre accueille depuis ses débuts des résidents seniors, internes en psychologie et fellow qui souhaitent se spécialiser en psychothérapie.

Ayant quitté l’Hôpital Cité-de-la-Santé en 1999, Dr Chaloult travaille au Service de psychosomatique, à la Clinique des troubles anxieux puis à la Clinique des maladies affectives du PAP. Il y supervise jusqu’en 2010 des résidents, des médecins et autres professionnels de la santé et offre de la TCC en individuel aux patients souffrant de maladies affectives réfractaires.

Dre Thanh-Lan Ngô, en collaboration avec des médecins (Drs Bernard Gauthier, Léon-Maurice Larouche, Anne Sophie Boulanger, Ouanessa Younsi, François Trottier-Duclos), des infirmières (Line Roy, Manon Quesnel, Marie-France Turgeon, Elena Guzu), deux psychologues (Renée Leblanc et Dre Annie Latrémouille-Viau) et deux ergothérapeutes (Chantal Gruslin et France Bérubé), prennent la relève sur le plan clinique en offrant dès 2002 une programmation séquentielle de psychothérapie de groupe surtout de TCC de la 2e et 3e vague pour des maladies affectives réfractaires dont des protocoles sont disponibles en annexe à cet article (psychoéducation de la dépression et du trouble bipolaire, réACTtivation comportementale, TCC, thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, thérapie dialectique comportementale transdiagnostique et, à travers les années, thérapie centrée sur la compassion, thérapie des schémas et thérapie centrée sur les familles) et un séminaire de formation en TCC. Dre Ngô, au terme d’une formation en thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT) au Center for Mindfulness studies de Toronto devient mentor dans cette approche, forme les résidents et autres cliniciens qui souhaitent devenir accrédités dans cette approche et, entre autres, est rédactrice invitée d’un numéro spécial portant sur La Pleine conscience et la Psychiatrie de la revue Santé mentale au Québec en 2013. Cet ouvrage, un travail de collaboration avec d’autres cliniciens et chercheurs qui offrent des TCC dites de la troisième vague au Québec et ailleurs, obtient le prix de la réalisation de l’année de l’AMPQ en 2015. Par la suite, en 2019, pour célébrer les 100 ans du PAP, elle codirige avec les Drs Magalie Lussier-Valade et Jean Leblanc, une équipe de psychiatres du PAP qui lance un nouveau site web www.psychopap.com offrant des miniguides de pratique pour différents types de psychothérapie et des ressources d’autothérapie pour les patients.

Après le départ de Dr Chaloult du PAP en 2010, la responsabilité du module de TCC du Centre de psychothérapie est assumée tour à tour par les Drs Ngô, Mme Quesnel, infirmière clinicienne qui a été formée par Dr Chaloult, qui anime plusieurs groupes de TCC et qui offre plusieurs formations en TCC dans différents hôpitaux et à l’Association québécoise des infirmières et infirmiers en santé mentale, et Dre Anne-Sophie Boulanger de retour de fellowship en TCC à l’Université McGill en 2016. Celle-ci assume également la responsabilité, avec le Dr Goulet du bloc d’enseignement des troubles anxieux au sein de la résidence en psychiatrie et s’implique dans l’enseignement de la TCC au PAP ainsi que dans le transfert des connaissances en TCC via www.psychopap.com.

À partir des années 1990 : la TCC à la Clinique des troubles anxieux (Michel Dugas, Pascale Brillon, Pierre Savard et Julie Turcotte)

Après l’instauration du dispositif de soins en cliniques spécialisées en 1994, chacune de celles-ci s’est penchée, à partir de revues de littérature, sur ce que devraient être les soins à offrir à leur clientèle pour obtenir des résultats optimaux. C’est donc tout naturellement que la Clinique des troubles anxieux a orienté son approche vers la thérapie cognitivo-comportementale. Elle est fondée par les Drs Lucie Fortin et Léon Maurice Larouche. Dre Fortin avait complété pendant sa résidence une formation d’un an à la Clinique de thérapie béhaviorale sous la supervision des Drs Frédéric Grunberg, André Marchand et Jean-Marie Boisvert. Recrutée par Dr Camille Laurin, Dre Fortin menait des projets de recherche avec Réjean Fontaine à l’Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine et au Pavillon Albert-Prévost au début des années 1990. Le Dr Larouche, pour sa part, avait lors de sa formation de résidence dans les années 1970, été en contact avec le Dr Albert Ellis, fondateur de l’approche Émotivo-Rationnelle, proche cousine de la TCC. Il avait un intérêt particulier pour la TCC de l’état de stress posttraumatique (Larouche, 1999) et il est devenu par la suite, l’un des premiers cliniciens à enseigner et pratiquer le Système psychothérapie basé sur l’analyse cognitivo-comportementale (CBASP), la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience et l’autocompassion en pleine conscience au Québec. Ensemble, avec Nicole Roberge, infirmière, et Dre Chantal Cordeau, omnipraticienne, ils formèrent un groupe de cosupervision de TCC. Cette approche était de plus en plus acceptée au PAP même si certains psychanalystes en déploraient la simplicité, la comparant à un traitement que des omnipraticiens offriraient, plutôt que des psychiatres.

À la fin des années 1990, l’équipe recrute des psychiatres ayant une solide formation en TCC, et des psychologues spécialisés en TCC des troubles anxieux. Les Drs Louis Chaloult, Pierre Savard, Julie Turcotte et plus récemment la Dre Anne-Sophie Boulanger, se sont tous dévoués à superviser les résidents en psychiatrie désirant développer leurs aptitudes et connaissances en TCC tout en publiant plusieurs articles (Anderson et coll., 2012 ; Dugas et coll., 2007, 2010 ; Koerner et coll., 2004) et donnant maintes formations aux omnipraticiens et autres professionnels souhaitant maîtriser cette approche.

L’apport des psychologues travaillant à la Clinique des troubles anxieux au développement de la TCC à Montréal ne saurait être assez souligné. Les Dr Richard Fleet, psychologue, Julie Turcotte et Pierre Savard, psychiatres, ont contribué aux efforts de développement de la TCC pour les patients souffrant de trouble panique avec agoraphobie (Fleet et coll., 1996) ou encore pour aider ceux désirant se sevrer des benzodiazépines, en collaborant à des projets de recherche de l’Institut Fernand-Séguin (O’Connor et coll., 2003, 2004). Le Dr Michel Dugas, psychologue, récipiendaire en 2017 du prix Donald O’Hebb de la Société de psychologie canadienne pour son travail exceptionnel dans le domaine des troubles anxieux, a continué de développer des protocoles de traitement pour les patients souffrant de trouble d’anxiété généralisée (TAG) et d’étudier leur efficacité, en collaboration avec les Drs Julie Turcotte, Pierre Savard, Éric Bugeaud et Thu-Van Dao, tous psychiatres. Ces protocoles de traitement sont maintenant devenus la norme de soins dans ce domaine au niveau international (NICE, 2011). Nous ne saurions passer sous silence la grande contribution de la Dre Pascale Brillon, Ph. D. en psychologie, pour ce qui est de diffuser les dernières connaissances quant à l’évaluation et au traitement du trouble de stress posttraumatique (TSPT). En effet, en plus de rédiger 3 livres sur le TSPT qui font référence dans la francophonie : Se relever d’un traumatisme : réapprendre à vivre et à faire confiance (2010), Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique (2013), et Quand la mort est traumatique. Passer du choc à la sérénité (2012), la Dre Brillon a offert plus de 500 ateliers partout dans le monde sur le traitement du TSPT, tout en continuant d’avoir une pratique clinique et de superviser internes en psychologie et résidents en psychiatrie en stage à la Clinique. Les Dres Alisson Arbour-Poirier, Joanne Labrecque, Geneviève Gauthier et Annie Latrémouille-Viau, psychologues, continuent à présent la tradition d’excellence dans la TCC des troubles anxieux réfractaires. Plus récemment, des groupes basés sur ACT pour l’anxiété sociale et des groupes de gestion des émotions basés, entre autres, sur la thérapie comportementale dialectique en préparation à la thérapie individuelle pour les troubles anxieux sévères et réfractaires sont proposés.

À partir des années 1990 : la TCC dans le traitement et la réadaptation des premiers épisodes psychotiques chez les jeunes adultes, à la Clinique du Dr Jean-Pierre Mottard (Pierre Fortier)

Dans la foulée de la réorganisation du Département de psychiatrie de l’HSCH en cliniques spécialisées, une équipe dirigée par le Dr Jean-Pierre Mottard, fut chargée d’élaborer un programme d’interventions pour les jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans souffrant d’un premier épisode psychotique lié au spectre de la schizophrénie. Dr Mottard, Dr Jean-Pierre Rodriguez et Pierre Fortier s’inspirèrent alors des travaux du Dr McGorry (1997) en Australie ; de Falloon et coll. (1996) en Angleterre ; de Liberman, (1989) aux États-Unis ; de McGlashan et Johannessen, (1996) en Norvège et plusieurs autres, pour élaborer le programme selon les données probantes et les meilleures pratiques. Il s’ensuivit les principes suivants : 1) une prise en charge d’une durée de deux à cinq ans afin de traiter adéquatement les symptômes de la schizophrénie et les comorbidités associées ainsi que pour améliorer de façon optimale le fonctionnement social et occupationnel ; 2) un traitement aussi précoce que possible pour diminuer la durée de la psychose non traitée ; 3) une relation thérapeutique significative et durable ; 4) un suivi médical et pharmacologique continu et personnalisé ; 5) des interventions auprès des familles et des proches ; 6) des interventions individuelles et de groupe selon l’approche cognitivo-comportementale. Dans sa forme la plus achevée, le programme de thérapie d’approche cognitivo-comportementale (TCC) de la clinique externe se compose de trois volets relativement distincts (Fortier et Mottard, 2005).

Le premier est la TCC pour la psychose. L’approche et les techniques utilisées s’inspirent principalement des travaux de Kingdon et Turkington (2005) et de Chadwick, Birchwood et Tower (1996). Les séances individuelles hebdomadaires s’accompagnent d’exercices à réaliser dans l’environnement du client. Le plan d’intervention est personnalisé suite à l’analyse fonctionnelle. La psychothérapie se pratique en complémentarité avec les effets des neuroleptiques. Dans un premier temps, il s’agit d’amener le client à accepter l’idée que les hallucinations et les croyances interprétatives qui les accompagnent demeureront un certain temps. Le thérapeute l’aide à composer avec l’expérience psychotique tout en l’encourageant à s’engager dans son traitement et dans des actions simples lui permettant d’agir sur le contexte dans lequel les symptômes se manifestent. Il l’incite à collaborer avec lui et l’équipe pour réduire au maximum les symptômes psychotiques. Le thérapeute utilise des stratégies éducatives pour aider le client à comprendre les phénomènes hallucinatoires, les croyances interprétatives et les différentes options thérapeutiques. Par la suite, il enseigne au client les techniques d’autocontrôle regroupées en stratégies cognitives, comportementales, sensorielles ou physiologiques favorisant un meilleur contrôle sur ce qu’il perçoit et ressent, tout en facilitant son engagement dans des activités significatives malgré la présence des symptômes psychotiques. Des exercices de défusion cognitive et de distanciation peuvent également bonifier ces interventions. Lorsque les symptômes psychotiques diminuent, l’exposition à des techniques d’intervention plus exigeantes devient possible. Il s’agit de stratégies telles que l’analyse critique et la remise en cause du contenu des hallucinations et des idées délirantes visant à semer des doutes et à générer des idées et croyances alternatives ; ainsi que des séances planifiées d’exposition in vivo/épreuve de la réalité qui consistent à exposer le client à l’expérience psychotique sans fuir, jusqu’à une réduction significative de l’anxiété. Tout en permettant l’habituation, cette dernière stratégie facilite la prise de conscience que les conséquences redoutées et prédites par les voix et les croyances délirantes ne se produiront pas.

Le second volet du programme TCC s’adresse aux symptômes négatifs et plus particulièrement à l’avolition, l’anhédonie et l’asocialité qui conduisent à un appauvrissement des activités de la vie quotidienne et productive. Ce volet s’inspire de la thérapie par l’activation comportementale de Jacobson, Martell et Dimidjian, (2001) adaptée aux symptômes négatifs avec l’apport des modèles de Liberman et coll. (1989) et de Rector, Beck et Stolar, (2005). La TCC a pour objectif d’aider le client à modifier graduellement ses habitudes de vie par l’instauration de meilleures routines de vie avec l’ajout de tâches, d’activités sociales, d’exercices physiques et de loisirs, en dépit de son manque de motivation et de volonté. Les rencontres hebdomadaires qui s’étendent jusqu’à 6 mois consistent à définir avec lui quelques objectifs simples et à planifier les tâches ou les activités qu’il accepte de réaliser dans son milieu de vie. Un retour sur les devoirs est effectué à chaque séance. L’objectif ultime est que le client retrouve une vie active en s’engageant dans des activités significatives selon ses valeurs.

Le troisième volet est la TCC de groupe axée principalement sur le développement de compétences sociales. Chaque année, 32 clients du programme participent à la TCC de groupe. Il se divise en quatre sous-programmes définis selon un continuum de niveaux de fonctionnement cognitif et social allant de faible à élevé. Chaque groupe est constitué de 8 participants de même niveau fonctionnel. Cette structure permet d’adapter le processus thérapeutique et le contenu des séances à leurs besoins spécifiques. Les rencontres hebdomadaires de deux heures, qui sont dirigées par un psychothérapeute et un ergothérapeute, débutent en septembre et se terminent en juin. Le contenu du programme de chacun des groupes s’enchaîne selon une séquence déterminée. Les groupes comportent des séances éducatives ; d’exposition à l’anxiété sociale ; d’entraînement aux habiletés de communication et de développement de compétences sociales. La TCC est adaptée au processus de résolution du premier épisode psychotique et d’intégration sociale et aux activités productives. Les exercices à domicile sont élaborés par les deux thérapeutes pivots.

Comme une forte proportion des jeunes psychotiques présentent des troubles concomitants tels qu’un trouble anxieux, un trouble obsessionnel compulsif, un trouble dépressif majeur et autres, la clinique offre également de la TCC spécifique à ces problématiques.

L’équipe actuelle des Drs Jean-Gabriel Daneault et Chantal Sansfaçon, psychiatres, Edith Lefebvre, ergothérapeute et psychothérapeute, ainsi que Chantal Gruslin, ergothérapeute, prend la relève pour offrir ce programme intégré efficient et efficace.

À partir des années 1990 : le programme de réadaptation à la Clinique des troubles psychotiques sévères et persistants (France Bérubé et Jocelyne St-Onges)

Les difficultés vécues par cette clientèle sont multiples : idées de persécution, méfiance, hallucinations, trouble du jugement, difficulté à exprimer leur pensée, baisse de motivation, retrait social, difficulté de planification, d’organisation, de prise de décision, de concentration et de mémoire de travail. Des problèmes de comorbidité dont l’abus de substance, des symptômes dépressifs, de l’anxiété sociale, les attaques de panique et les troubles de personnalité associés. La majorité a également vécu plusieurs échecs tant à l’école qu’au travail. Considérant la recherche et les données probantes, de nombreuses interventions individuelles et de groupe de réadaptation en ergothérapie ont été implantées afin de répondre aux besoins spécifiques de la clientèle. On propose une offre de services variés dont :

  1. Le groupe IPT (Integrated psychological therapy-réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive) qui comporte plusieurs modules à complexité croissante. Les activités d’apprentissage incluent la psychoéducation, le jeu de rôle, la résolution de problèmes, la rétroaction et les exercices in vivo. Plusieurs études expérimentales ont vérifié l’efficacité du programme IPT au cours des 25 dernières années. Entre autres, Müller et coll. (2007) en ont fait un bilan dans une méta-analyse ;

  2. Un groupe abordant les cognitions sociales. Ce groupe d’entraînement des habiletés métacognitives a été élaboré par Morritz et Woodward (2007) et ses principaux objectifs sont d’améliorer la capacité à comprendre les intentions d’autrui, de comprendre les facteurs qui influencent la mémoire et d’arriver à formuler différentes hypothèses face à une situation ;

  3. Un groupe pour améliorer les capacités nécessaires pour vivre de façon autonome en appartement. Celui-ci aborde différents thèmes de la vie domestiques, la cuisine, le budget, les loisirs et les transports ;

  4. Un groupe portant sur les hallucinations auditives afin de rétablir une vie significative malgré la présence de symptômes de la maladie, partager l’expérience des voix et développer des stratégies cognitives d’adaptation.

À partir des années 2000 : la thérapie comportementale dialectique à la Clinique des troubles relationnels (Julie Jomphe)

Dre Julie Jomphe coanimait des groupes de thérapie comportementale dialectique (TCD) avec Mme Janie Guenette, ergothérapeute, depuis que celle-ci avait perdu sa cothérapeute dans une clinique externe de l’Hôpital Pierre-Legardeur au début des années 2000. Énergisée par la pratique de cette thérapie qui augmentait son efficacité comme thérapeute et le plaisir dans son travail, elle a ensuite contribué à développer des services pour les patientes et les patients présentant un trouble de personnalité limite, de même qu’à l’enseignement de cette thérapie recommandée par les énoncés de pratique (NICE, 2009) et basée sur des données probantes (Stoffers-Winterling et coll., 2015) pour une clientèle à haute utilisation de services, à haute comorbidité et à hauts besoins.

En 2009, à la suite de plusieurs discussions avec la Dre Christiane Bertelli, fondatrice de la première clinique externe francophone spécialisée dans le traitement des troubles de personnalité au Québec, elle accepte d’offrir des groupes de TCD au Pavillon Albert-Prévost afin de permettre à la population desservie par cet hôpital d’avoir accès à une psychothérapie basée sur des données probantes et à des résidents en psychiatrie et tout autre professionnel de la santé intéressé d’être initiés à cette approche. Elle forme, entre autres, les Dres Ngô, qui importe ensuite cette approche à la clinique des maladies affectives, et Florence Chanut, chef médical de la clinique, qui souhaite élargir ses compétences (ayant, entre autres, animé un groupe ciblant l’état de stress posttraumatique en comorbidité avec l’abus de substances basé sur le protocole « À la recherche de sécurité » de Lisa Najavits (Najavits, 2002), et augmenter l’offre de services temporairement, éviter des ruptures de services, de même que « connaître de l’intérieur » cette approche et la promouvoir. Des infirmières (Daricard Boudreau, Mélanie Dallaire), ergothérapeutes (Winnie Daniel, Caroline Patenaude) et résidents se succèdent comme cothérapeute dans ces groupes. Ceci permet à 2 groupes de TCD d’être offerts en parallèle par une très petite équipe de professionnels. L’équipe est renforcée cette année par une psychiatre, Dre Andréanne Filion-Quenneville, formée au terme d’un fellowship en Suisse dans une clinique spécialisée dans le traitement des troubles de personnalité en TCD et en thérapie basée sur la mentalisation.

Au congrès de l’International Society for the Study of Personality Disorders (ISSPD) en 2015, Dre Jomphe s’initie aux ateliers Connexions familiales qui enseignent les compétences TCD aux familles des personnes souffrant de TPL ce qui permet à des patients considérés comme réfractaires au traitement de devenir « répondeurs au traitement » (Hoffman et coll., 2005). Accompagnée des membres de son équipe de Le Gardeur, elle se forme auprès d’Alan Fruzzetti, un des concepteurs de cette approche innovante. Habituellement, seulement offerte aux bénévoles formés plutôt qu’à des professionnels de la santé, cette formation est maintenant offerte par l’organisation National Education Alliance for Borderline Personality Disorder (NEABPD) et Sashbear, qui chapeaute la formation au Canada aux autres professionnels de la santé qui pourront ensuite former des bénévoles. Avec Dre Chanut, elle contribue à la mise sur pied de ces ateliers au Pavillon Albert-Prévost en s’assurant que les bénévoles aient accès à des locaux au sein de l’hôpital. À date, 3 séries d’ateliers ont été offertes gratuitement à 45 familles.

Dre Jomphe développe actuellement des groupes de TCD-A à l’Hôpital Pierre-Legardeur pour agir de façon plus précoce, afin de diminuer la souffrance, les séquelles du TPL, les traumatismes et offrir une possibilité de changer la trajectoire de jeunes présentant un tel type de profil. Elle est formée par Alec Miller et Jill Rathus qui militent pour l’introduction de la TCD dans les écoles. Dans cette optique, elle offre ainsi, au Collège L’Assomption à l’automne 2019, des groupes de TCD-STEPS-A (enseignement des compétences comme matière scolaire) développés par James et Elizabeth Mazza (Mazza et coll., 2016). Des techniciennes en éducation spécialisées (TES) ciblent des élèves dans le besoin et assistent aux ateliers dans le but de pouvoir les redonner ensuite elles-mêmes. Les TES et les élèves témoignent beaucoup de reconnaissance, mentionnant la pertinence des outils et des ateliers. Elle fait un projet pilote au printemps 2019, dans une école primaire du secteur du PAP, l’Atelier, avec le concours d’un ergothérapeute, Pierre Thériault, et la directrice d’école, Kim Marleau. Elle offre aux parents de tous les élèves de même qu’aux élèves de maternelles, les bases des outils efficaces pour une saine gestion des émotions.

Pour son travail acharné et créatif au service des personnes souffrant de TPL, elle reçoit un prix de l’AMPQ pour l’excellence de son travail clinique au quotidien en 2018.

Conclusion

Initialement reconnu pour sa tradition d’excellence dans le traitement des pathologies psychiatriques graves par la psychanalyse dans les années 1950 et suivantes, le PAP devient, avec la transformation du dispositif de soins en programmes clientèle en 1994, un lieu où on développe, applique et enseigne des approches cognitivo-comportementales efficaces, efficientes et innovantes malgré une relative pauvreté des ressources en professionnels. Ces protocoles sont ensuite disséminés à travers le Québec et ailleurs par le biais d’ateliers de formation, de supervision et de publications offertes, entre autres, gratuitement sur des sites internet dont la portée dépasse largement les murs de l’institution.