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Introduction

L’économie mondiale se caractérise aujourd’hui par la présence d’activités « à forte intensité de travail intellectuel » au lieu d’activités « à forte intensité de travail physique » (Nyhan, 2002, p. 19). Dans ce contexte où les connaissances évoluent de plus en plus rapidement, où la main-d’oeuvre se renouvelle de plus en plus en raison des changements démographiques et des nouveaux emplois, dits nomades (Tremblay, 2003a, 2015), et où l’innovation est au coeur de la concurrence, les communautés de pratique (CdP) peuvent être intéressantes, tant à l’échelle de l’organisation que de l’individu. Plusieurs chercheurs évoquent le développement des connaissances organisationnelles, la possibilité de former à faibles coûts les nouveaux employés, d’améliorer la performance organisationnelle, de résoudre des problèmes, d’éviter la fuite des connaissances, d’attirer les profils à fort potentiel et même de fidéliser les employés (Cohendet et al., 2006; Langelier, 2005; Tremblay, 2003b, 2005). Par contre, ils indiquent aussi que nombre de conditions ou préalables organisationnels doivent être assurés afin de pouvoir réellement tirer profit des communautés de pratique (Cohendet et al., 2016; Grandadam et al., 2010; Laferrière et al., 2004; Langelier, 2005; Tremblay, 2005; Wenger et al., 2002; Zouaoui & Hchich Hedhli, 2014). Avec les contrats de performance établis par le ministre de l’Éducation du Québec en 2000, les universités baignent dans un univers de compétition et cherchent à participer activement à l’économie du savoir. Toutefois, force est de constater que les universités ont tardé à mettre en place des initiatives de gestion des connaissances. Au Québec, selon Dagenais et Janosz (2008), les universités rencontreraient un certain nombre d’obstacles, dont la lourdeur de la charge de travail, le peu de crédibilité quant au transfert de connaissances ainsi que le manque de ressources financières, ce qui pourrait expliquer pourquoi les universités ont tardé à investir dans le développement du capital social et des connaissances, notamment par les communautés de pratique.

En nous appuyant sur les études portant sur les communautés de pratique, cet article tente de mieux comprendre les facteurs de succès, notamment en ce qui concerne l’apprentissage, ainsi que les sources de difficultés en milieu universitaire. Reposant sur des entrevues semi-dirigées auprès de membres de deux communautés de pratique universitaires, notre recherche nous a permis d’observer plusieurs avantages des CdP en milieu universitaire, soit l’amélioration des pratiques, la réduction du travail en silo, une meilleure gestion des connaissances et une efficacité accrue permettant à l’ensemble de l’organisation de progresser. Toutefois, malgré les apports de cette nouvelle modalité d’apprentissage, le potentiel semble ne pas avoir été pleinement exploité, notamment en raison des défis en ce qui concerne particulièrement l’organisation interne des groupes (orientation, gestion et composition du groupe), le manque de temps et de ressources, imputable notamment à l’absence de valorisation des communautés de pratique par les supérieurs et l’université.

1. Problématique et objectifs de la recherche

Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes intéressées à deux communautés de pratique différentes en milieu universitaire.

La première communauté regroupait 17 spécialistes en sciences de l’éducation et 11 spécialistes en communication écrite. Elle fut intentionnellement créée entre 2011 et 2012 par la direction de l’institution. Travaillant habituellement en silo puisque les spécialistes étaient répartis à l’époque dans divers départements, les objectifs étaient

d’initier une dynamique d’échange, de réfléchir de manière collective aux méthodes de travail [...] de revoir [les] pratiques [...] de manière à déboucher sur des démarches interdisciplinaires, et des relations plus fluides entre les différents intervenants et les compétences impliquées.[1]

L’approche ou l’orientation de cette communauté était opérationnelle puisqu’elle a été mise sur pied par la direction en vue d’optimiser les processus en place par l’échange de connaissances et de meilleures pratiques. La communauté de pratique semblait avoir été créée de manière temporaire. Il était prévu au terme du calendrier proposé par les dirigeants de créer des équipes de travail en lien avec les problématiques traitées et les séminaires de la communauté. Elle fut intentionnellement créée entre 2011 et 2012 par la Direction de l’institution. Cette communauté se distingue de la seconde, notamment par le fait que les membres étaient répartis dans deux établissements différents, à bonne distance l’un de l’autre, et de ce fait, cette communauté utilisait essentiellement la vidéoconférence et le travail en ligne.

Fondée officiellement autour de 2013, la seconde CdP regroupe 15 membres provenant de représentants du service de la recherche et de la création ainsi que des agents de recherche de toutes les facultés et écoles de l’université. La principale mission de ces praticiens est d’accompagner et de soutenir les professeurs dans leurs projets de recherche. Contrairement à la première communauté, désormais appelée CdP A, dont la création fut décidée par la hiérarchie, cette communauté, maintenant désignée comme la CdP B, a été créée spontanément par les membres. L’approche était donc bottom-up et elle visait un partage d’expériences et d’anecdotes dans un climat de confiance. Cette communauté tenait ses réunions essentiellement en face à face, en rotation dans les différentes facultés de l’université afin d’effectuer un partage des tâches associées aux planifications des rencontres. Elle fut créée au départ pour discuter des problématiques concernant le travail, développer de meilleures pratiques, favoriser l’entraide entre les collègues, partager les connaissances, épargner du temps dans la gestion des projets de recherche et éviter le travail en silo puisque les agents de recherche étaient répartis entre les différentes facultés et effectuaient souvent leurs fonctions en solo.

Enfin, soulignons qu’à l’époque où nous avons réalisé les entrevues (printemps 2016), les deux communautés vivaient un ralentissement et une période critique de remise en question de leurs activités. Bien que la gestion d’une communauté de pratique comporte son lot de difficultés, ce mode de collaboration peut se révéler un outil stratégique de gestion des connaissances et présenter des avantages importants, notamment pour l’apprentissage par les pairs au sujet des meilleures pratiques et méthodes de travail.

Notre question de recherche est la suivante : est-ce que les communautés de pratique peuvent présenter une nouvelle modalité d’apprentissage pour les établissements d’enseignement, plus particulièrement dans le milieu universitaire? Pour répondre à cette question, nous présenterons le cadre théorique. Nous présenterons ensuite notre méthodologie suivie de nos résultats. Nous nous intéresserons donc dans un premier temps aux apports et avantages des communautés, car leur mise en évidence peut permettre de dépasser les tensions ou obstacles. Nous proposons aussi de mieux comprendre la dynamique des deux CdP en vue d’identifier, dans un deuxième temps, les tensions ou défis qui peuvent freiner leur efficacité en termes de création et de gestion des connaissances. Dans un troisième et dernier temps, nous suggérons, en regard de la littérature, des initiatives de gestion susceptibles de surmonter ces obstacles afin d’accroître la performance des CdP et de mieux contribuer à l’apprentissage.

2. Le cadre théorique

Notre cadre théorique recouvre trois aspects. Dans un premier temps, l’angle théorique des communautés de pratiques, c’est-à-dire la définition, les types de communautés de pratique et les enjeux entourant leur gestion. Dans un deuxième temps, la gestion des connaissances en CdP, et enfin, les facteurs de succès. Cette revue des écrits nous permettra de mieux comprendre le succès ou les difficultés rencontrées dans les deux différentes CdP étudiées.

2.1 Les communautés de pratique

Voyons donc pour commencer la définition, les types de communautés de pratique et les enjeux entourant leur gestion.

2.1.1 Définition et caractéristiques des CdP

Plusieurs définitions ont été suggérées pour décrire les nouveaux modes de collaboration en organisation. La majorité d’entre elles mentionnent que la communauté de pratique est un groupe d’individus issus d’une même pratique et d’un domaine d’expertise commun qui se rencontrent, face à face ou virtuellement, pour partager des connaissances et apprendre les uns des autres (Bourhis & Tremblay, 2004; Wenger et al., 2002). Parfois appelées communautés de connaissances, communautés intensives, communautés de savoir ou communautés cognitives (Bootz, 2009), ces différentes dénominations sont justifiées par l’importance plus ou moins grande de certaines des propriétés structurelles des groupes, lesquelles varient d’une communauté à une autre (Benghozi, 2006). Dubé et al. (2003) ont relevé 21 caractéristiques structurantes, lesquelles sont regroupées en quatre principaux groupes, soit les caractéristiques démographiques (orientation, âge, maturité, etc.), les caractéristiques contextuelles (processus de création, environnement, leadership, etc.), les caractéristiques des membres (nombre, dispersion, diversité des membres, etc.) et les caractéristiques de l’environnement technologique (degré de dépendance et disponibilité).

De manière générale, les typologies tiennent compte des caractéristiques structurantes dans la classification des types de communautés. De fait, ces variables structurantes des CdP nous permettent de mieux comprendre le contexte de leur formation, leurs forces, leurs contraintes ou même leur stade d’évolution, et donc ouvrent la porte à une intervention plus ciblée sur les besoins de la communauté (Harvey, 2010). Voyons maintenant les principaux types de communautés.

2.1.2 Les types de CdP

La synthèse des travaux étudiés ici nous amène à distinguer deux grands ensembles (Bootz, 2013). D’un côté on trouve les communautés dites spontanées et de l’autre les communautés pilotées (stratégiques et opérationnelles). Toutes ces communautés peuvent être dites virtuelles (si les rencontres et échanges se font essentiellement à l’aide des technologies ou à distance) ou en réseau (si les technologies constituent un complément aux rencontres en face à face)[2].

2.1.2.1 Les communautés spontanées

Les communautés de pratique dites spontanées (Bootz, 2013), parfois aussi appelées « espaces sociaux et productifs » (Probst & Borzillo, 2008), sont créées et pilotées (gouvernées) par les membres. L’approche est dite bottom-up. Plus particulièrement, elles visent le partage d’expériences et l’amélioration continue de l’activité, donc une forme d’apprentissage. Selon Probst et Borzillo (2008), certaines limites peuvent être associées à ce type de communauté, dont le risque de s’éparpiller dans une multitude de thématiques différentes puis de perdre la cohésion.

2.1.2.2 Les communautés pilotées

Les communautés pilotées sont aussi appelées des communautés stratégiques d’exploration[3] ou des communautés opérationnelles d’exploitation. Elles se distinguent par leurs objectifs, leur pilotage et leur gouvernance. Ainsi, alors que les communautés stratégiques d’exploration sont mises en place par la direction de l’organisation et ont pour objectif la production d’idées innovantes par le partage de pratiques et de connaissances, les communautés opérationnelles d’exploitation sont organisées par des experts de l’entreprise et visent l’optimisation des opérations par « l’émergence et la diffusion des bonnes pratiques » (Bootz, 2013, p. 128). Aussi, dans les communautés spontanées, la gouvernance est assurée par les membres principalement. Dans les communautés pilotées, elle découle de gestionnaires (communautés opérationnelles), de leaders et de bailleurs de fonds qui veillent à fixer les objectifs et coordonnent les activités des membres.

2.1.3 Les niveaux de participation et profils d’utilisateurs

Dans les CdP, il est possible d’observer différents niveaux de participation; ceux-ci varient grandement d’un membre à un autre (Wenger et al., 2002). Ainsi, alors que certains membres participent de manière active, d’autres ont plutôt une participation dite périphérique. Selon Cohendet et al. (2006), il existe quatre formes de participation : active, périphérique, marginale et non participative. Ainsi, dans une communauté, il est possible d’avoir un noyau de personnes qui participent régulièrement aux événements tout en assurant la logistique et les efforts. Toutefois, il est possible que d’autres membres participent aussi régulièrement aux activités, mais de manière moins intense, en étant plutôt observateurs.

2.2 Les facteurs de succès

Selon Bourhis et Tremblay (2004), les facteurs de succès peuvent être regroupés autour de quatre dimensions liées à l’organisation, soit les caractéristiques structurantes de la communauté (les caractéristiques démographiques de la CdP, le contexte organisationnel, les caractéristiques des membres et l’environnement technologique), les caractéristiques démographiques des membres (l’âge, le sexe, le niveau de scolarité), les pratiques de gestion, les attitudes par rapport au travail (celles considérées essentielles au travail en communauté de pratique) ainsi que le contexte général de mise en oeuvre. Étudier ces dimensions conduit à identifier les forces et les défis des communautés.

Concernant les pratiques de gestion, Bourhis et Tremblay (2004), dans leur recension des écrits portant sur les CdP virtuelles, ont identifié trois types de pratiques qui sont susceptibles d’influencer le succès des communautés : les pratiques de gestion des ressources humaines, celles associées à la gouvernance de la communauté ainsi qu’à l’allocation des ressources. Par rapport à la gouvernance, certains auteurs suggèrent une autogestion progressive (Langelier, 2005) alors que d’autres suggèrent que les membres et la direction doivent gérer la gouvernance de la CdP (Bootz, 2013). Cette cogestion est particulièrement recommandée dans le cas des CdP pilotées puisque ces dernières sont instaurées par la direction et « ne créent pas nécessairement des mécanismes de partage des rôles et des responsabilités; elles sont initialement tributaires de la volonté de la haute direction qui, seule, a la légitimité et l’habileté pour mettre en place ces mécanismes » (Gosselin et al., 2010, p. 37). En fait, les communautés de pratique pilotées comportent à la fois une « dimension auto-organisée tout en étant articulée à l’organisation formelle » (Bootz, 2013, p. 117). Selon Bootz (2013), pour concilier ce paradoxe, la direction devrait soutenir la CdP tout en lui laissant une certaine autonomie. C’est dans ce contexte que le partage des rôles entre divers intervenants devient primordial à la légitimation de la communauté et à son bon fonctionnement. Fontaine (2001) affirme d’ailleurs qu’il est important dans les communautés intentionnellement créées de désigner dès le départ des rôles (animateur, parrain, coach, etc.) afin de développer au sein des membres la confiance, un sentiment d’appartenance et une participation active. Selon le chercheur, contrairement aux communautés spontanées qui émanent d’une passion commune, les membres des CdP pilotées ont plus de difficultés à se sentir connectés et, conséquemment, participent généralement moins activement. L’établissement de rôles se révèle donc crucial afin de contourner ces réactions naturelles et de développer plus rapidement l’engagement et un sentiment d’appartenance.

2.3 Les contraintes de la mise en oeuvre des CdP

L’étude de Gravel (2010) menée entre 2007 et 2008 dans une CdP en milieu policier (SPVM) a aussi permis d’identifier des pratiques clés facilitatrices, mais sous différents axes. En effet, ayant étudié le fonctionnement d’une CdP intentionnellement créée en contexte hautement hiérarchisé et fortement structuré, l’auteur a constaté l’existence de contraintes associées à leur mise en oeuvre et développement, tels un environnement peu favorable sur les plans structurels et culturels, une faible reconnaissance de la CdP dans l’organisation et un questionnement quant à l’intensité de l’animation dans la CdP.

2.4 Les stades de préoccupations

Selon Bareil (2004), il existe trois niveaux de préoccupations lors de la mise en oeuvre d’une CdP, soit le niveau stratégique, le niveau fonctionnel et le niveau opératoire. Au niveau fonctionnel, les préoccupations concernent la perception que temps et efforts investis dans la CdP sont valorisés par l’organisation. Quant au niveau opératoire, ce dernier concerne les préoccupations associées à l’efficacité au sein de la communauté. Ce type de préoccupations survient particulièrement à la phase 5 des étapes de préoccupations de Bareil (2004), soit les préoccupations centrées sur l’expérimentation. Les membres se demandent comment améliorer leur participation, quels bénéfices leur apporte la CdP et ils se questionnement sur leur niveau de satisfaction.

2.5 Les enjeux des communautés de pratique virtuelles

Plusieurs auteurs ont constaté que le travail collaboratif à distance comporte des défis accrus. D’ailleurs, les cas du télétravail et des communautés de pratiques virtuelles ont permis de constater que, dans ces contextes, les communications sont souvent plus impersonnelles, distantes, difficiles, formelles et plus rares (Brunelle, 2009). Ce faisant, les membres ressentent généralement une plus grande distance psychologique ou un moindre sentiment de proximité envers le groupe. Or, selon les écrits portant sur le travail à distance et le leadership, plus la distance psychologique est faible, meilleurs sont l’engagement, la cohésion et la satisfaction des membres (Brunelle, 2009). Conséquemment, l’établissement des liens de confiance, la résolution des conflits et l’établissement de la culture de collaboration se font plus rapidement et aisément. Enfin, Riverin et Stacey (2008) ont constaté que le manque de temps, le manque d’accessibilité, les difficultés techniques de même que le sentiment de surcharge cognitive peuvent constituer des barrières qui affectent la participation en ligne dans les communautés.

3. La gestion des connaissances dans les CdP

Les communautés de pratique sont considérées comme des dispositifs pouvant être performants pour partager (donc apprendre des membres) comparativement à d’autres structures plus formelles, telles que les formations (Cohendet et al., 2016). Or nombre de barrières peuvent se présenter en contexte de communauté de pratique et nuire au partage, à l’acquisition, à l’assimilation, à la transformation ainsi qu’à l’exploitation des connaissances. Réaliser des apprentissages en CdP nécessite des mécanismes efficaces de partage des connaissances.

3.1 Les mécanismes de partage des connaissances

Les processus permettant de partager, de préserver, de maintenir, de renouveler, de créer et de transmettre les savoirs constituent des enjeux stratégiques organisationnels dans le nouveau contexte socioéconomique. S’inspirant des travaux de Nonaka et Takeuchi (1997), Ballay (2002) propose quatre processus clés à la gestion des connaissances, soit la socialisation, la capitalisation, le transfert et le renouvellement.

3.1.1 La socialisation

À source de la gestion des connaissances, la socialisation se manifeste par les discussions et les échanges de collaborations. Afin que ce processus soit optimal, les actions d’une CdP doivent être orientées autour de trois types de pratiques clés, soit les pratiques dites stratégiques (par la promotion d’une culture de partage, l’énoncé d’une vision stratégique par la direction, la confrontation des idées), celles dites processuelles (par l’encouragement du travail en équipe par des discussions spontanées et organisées, le travail collaboratif en réseau), puis les pratiques dites informationnelles (par l’utilisation optimale des nouvelles technologies de l’information et de la communication).

3.1.2 La capitalisation

Un second processus important dans le modèle de Ballay est la capitalisation des savoirs. Il correspond aux activités qui permettent la création de bases de connaissances, comme assembler, évaluer, formaliser, classifier, codifier, synthétiser, etc. Ici encore, l’étude de Gravel (2010) a permis de constater que la création d’outils techniques et de coaching constitue des leviers majeurs aux processus de socialisation des savoirs. Toutefois, l’auteure note que la sursaturation d’informations et l’assemblage limité des savoirs processuels peuvent nuire aux processus de socialisation des savoirs.

3.1.3 Le transfert

Le transfert est considéré comme le processus par lequel les membres d’une CdP adaptent et transmettent le savoir afin que les gens s’approprient les connaissances et les intègrent à leur pratique. Par exemple, la diffusion, la dissémination, la transmission, la mobilisation des connaissances (adaptation, différenciation, intégration, combinaison, coordination) et l’utilisation sont considérées comme des modalités de transfert de connaissances (Faye et al., 2007; Gravel, 2010).

3.1.4 Le renouvellement

Le renouvellement des connaissances consiste en un processus critique où les participants apportent des rectifications aux connaissances apportées – des ajustements et des corrections – ou les remplacent par de nouvelles. Dans son étude portant sur la gestion pérenne des savoirs, Gravel (2010) a constaté certains freins qui peuvent entraver le renouvellement des savoirs en CdP. Par exemple, dans une communauté de policiers, les valeurs et les normes organisationnelles centrées sur la limitation des erreurs ont constitué des contraintes à l’action innovante.

3.2 Théorie de la capacité d’absorption

Selon une revue de la littérature réalisée par Noblet et Simon (2010), les études montrent que la capacité d’absorption est l’un des fondements de l’apprentissage et de l’innovation et qu’il existe une corrélation entre la capacité d’absorption et l’amélioration de la performance organisationnelle. On doit le concept de capacité d’absorption à Cohen et Levinthat (1990), pour qui la capacité d’absorption peut se définir comme l’aptitude à acquérir, assimiler, transformer et exploiter les connaissances. À ce propos, l’étude de Ziam (2010) relève des pratiques favorables à la capacité d’absorption d’une organisation, telles que la création de réseaux relationnels, la mise en place de routines organisationnelles qui encouragent la lecture et la consultation de résultats de recherche, ainsi que l’utilisation de courtiers en information.

4. Méthodologie

Nous avons retenu une méthode qualitative pour creuser les dimensions favorisant le succès – ou l’échec – d’une CdP, du point de vue de l’apprentissage notamment. En janvier 2015, nous avons contacté un membre clé de chacune des deux communautés afin de discuter du projet et d’obtenir une liste des participants. Puis, nous avons envoyé des courriels et fait des appels téléphoniques auprès des membres afin d’entrer en contact avec eux et de les inviter à participer volontairement à notre recherche. Nous avons réalisé 18 entrevues dans les deux CdP. Dans la CdP A, 8 membres sur 10 ont accepté de participer. Dans la CdP B, 10 des 13 membres ont acquiescé à notre demande.

La majorité des éléments du questionnaire d’entretien utilisé proviennent du questionnaire du CEFRIO (2000), et nous nous étions aussi inspirées de trois grilles d’analyse de communautés de pratique, celles de Dubé et al. (2003), de Probst et Borzillo (2008) et de Bourhis et Tremblay (2004). La grille d’entrevue et les données portaient sur les caractéristiques des organisations, les caractéristiques des répondants et de la communauté, le contexte de création de la CdP, la dynamique de fonctionnement, les pratiques de gestion observées dans la communauté, la satisfaction et les avantages perçus, les résultats perçus, les obstacles vécus ainsi que l’évaluation du succès.

Nous avons étudié les caractéristiques des deux communautés à la lumière des trois grilles évoquées plus haut afin de relever certaines pratiques de gestion pouvant être source de succès, par exemple le recrutement, la sélection des membres de la communauté, la formation, la reconnaissance, la gouvernance (l’animation, la formalité, les modes de fonctionnement) et l’allocation des ressources. Bien qu’il ne s’agît pas ici d’une étude quantitative, ces caractéristiques seraient donc considérées comme variables explicatives ou indépendantes qui pourraient permettre d’expliquer le succès ou l’échec des communautés dans l’atteinte de leurs objectifs d’apprentissage et d’échange de bonnes pratiques. Nous avons utilisé la grille du CEFRIO (Langelier, 2005) pour des dimensions associées à l’efficacité de la communauté, soit les résultats, l’apprentissage, la valeur pour l’organisation et la vitalité des échanges, les apports de la communauté et la satisfaction des membres. La grille de Bareil et al. (2004) a permis de comparer les préoccupations des deux communautés. Enfin, nous avons conçu une grille d’analyse pour étudier le potentiel d’échange et de transfert des connaissances des communautés (ou les capacités d’absorption des connaissances). Nous avons fait quelques adaptations mineures pour tenir compte du contexte particulier des universités, les recherches antérieures ayant surtout été menées dans des contextes de production ou de services, mais les questions étaient fondamentalement les mêmes.

L’analyse des données s’est faite sur la base des thèmes retenus dans le cadre théorique. Nous avons cherché des « phrases témoins » comme le suggère la méthode de Henri Savall et de l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (ISEOR; Buono et al., 2018). Les acteurs constituent les témoins de la matière première traitée par le chercheur (Buono et al., 2018).

5. Résultats

Dans cette section, nous nous intéressons à la valorisation par les dirigeants des contributions des communautés et à l’identification par le milieu des nouvelles connaissances à développer.

5.1 La valorisation par les dirigeants des contributions des individus et des équipes au développement des connaissances

En ce qui concerne la valorisation, les réponses furent fort similaires dans les deux communautés : certains membres soulignent que certains gestionnaires ou dirigeants valorisent la communauté alors que d’autres sont sceptiques et réclament des résultats concrets. La question de la culture est ici en cause :

De la part de collègues, j’ai senti que c’était moins valorisé par leurs gestionnaires... ça peut dépendre des départements...

A

Oui, ça dépend c’est qui les dirigeants. Il y a des vice-doyens dans les facultés qui sont moins convaincus, mais qui ont normé le temps de participation de leur adjoint. Ils ne voulaient pas qu’ils passent trop de temps à la communauté...

B

Ce fait se traduit pour les deux communautés par une participation réduite pour certains membres et une productivité moindre pour la communauté :

Je pense que ça pourrait être encore plus productif, on pourrait aller encore plus loin et ça mériterait d’être valorisé, car ce n’est pas toutes les directions qui valorisent cette activité-là, qui la considèrent et qui la comprennent.

B

Le défi qu’ils ont, c’est de démontrer la part qu’ils peuvent avoir et d’assumer le leadership qu’ils peuvent avoir aussi ces équipes-là... il y a toujours ce souci d’efficacité, de rentabilité. Une épée de Damoclès. Il y a toujours cette hésitation-là à dire : « Bon, on vous accorde du temps pour partager vos pratiques »... mais il n’y a pas vraiment de visées. Puis, en bout de compte, on dit : « Est-ce que ça a vraiment rapporté tout ce temps-là qu’on vous a accordé? » Puis, en même temps, les équipes n’ont pas démontré leur leadership... Il n’y a pas vraiment de suivi ou d’évaluations, sauf que « ça fait deux ans que vous pouvez vous assembler comme cela, vous n’avez pas démontré que c’était nécessairement une plus-value, donc on va arrêter cela là. »

A

5.2 L’identification par le milieu des nouvelles connaissances à développer

Pour certains membres de la CdP A, l’identification par le milieu des nouvelles connaissances à développer ne serait pas faite clairement, mais plutôt de manière informelle :

Je dirais, peut-être plus maintenant, mais ce n’est pas une organisation qui se remet beaucoup en question malheureusement. On a plutôt tendance à dire : « Bravo, c’est formidable ce qu’on fait. » Alors on ne cherche pas toujours à voir ce qui nous manque comme connaissances puis comment on pourrait améliorer ça. Je dirais que c’est en train de changer dernièrement, car le contexte des universités fait qu’on n’est plus les seuls sur le marché. J’ai pensé que pendant une bonne période, jusqu’en 2005, on était quasiment les seuls, on avait le monopole, donc on n’avait pas besoin de se remettre en question. Donc, je pense que ce questionnement-là (qu’est-ce qu’on fait de correct, qu’est-ce qu’on va continuer à faire et qu’est-ce qu’on ne fait pas de correct? Qu’est-ce qu’on devrait améliorer?)... ce questionnement-là, je ne le sens pas vraiment dans la culture, ce n’est pas si présent que cela.

A

Il y a ça qui manque le côté mettre de l’importance sur le transfert des connaissances quand quelqu’un part à la retraite. Il y a vraiment un laisser-aller à ce niveau-là. Il n’y a pas d’importance mise si la personne ne décide pas d’elle-même de faire un bon transfert des connaissances. Il n’y a rien qui est mis en place pour cela...

A

Pour la CdP B, l’identification des connaissances vient plutôt des employés et non de la direction : les dirigeants identifient rarement les connaissances à développer en fonction des besoins :

Il n’y a pas non plus d’analyses d’organisation du travail en tant que tel. C’est vraiment nous qui se mettons à jour, qui tentons d’aller plus loin dans les dossiers. Il n’y a pas vraiment d’analyses de la direction par rapport aux connaissances et expertises à avoir pour bien intervenir en recherche par exemple.

Ça va arriver des fois que ça va venir des dirigeants, mais plus souvent qu’autrement, c’est en discutant les employés ensemble qu’on se rend compte qu’il y a des manques à des endroits et que ça vaut la peine qu’on en apprenne plus là-dessus.

B

5.3 Les obstacles qui freinent ou favorisent le transfert des connaissances

Dans notre cadre théorique, nous avons vu que plusieurs facteurs et pratiques peuvent favoriser le transfert des connaissances ou lui nuire. Les données recueillies auprès des membres des CdP révèlent pour leur part ce qu’ils perçoivent comme des obstacles qui freinent le transfert des connaissances et ce qu’ils considèrent comme des éléments favorables à ce transfert.

5.3.1 Les obstacles au transfert des connaissances

Ici, les membres des deux CdP ont indiqué plusieurs sources d’obstacles similaires. D’abord, les deux ont mentionné que les établissements étaient en période de restriction budgétaire. Il fallait alors faire plus avec moins de ressources. Cette situation conjoncturelle a amené certains employeurs à limiter le temps consacré à la CdP par leurs employés. Les entrevues montrent que la vitalité et l’efficacité des CdP en furent probablement affectées parce que les membres ne pouvaient pas s’investir suffisamment dans tout le processus d’apprentissage visant à acquérir, à renouveler, à capitaliser et à transférer dans la pratique les nouvelles connaissances.

Il y a tout le temps la menace de la restriction de ressources… on est de plus en plus orienté pour centrer notre travail sur les cours. Donc, tout ce qui est à l’extérieur disons qu’il y a moins de temps. Il y a moins de professionnels également. Mais si les besoins étaient bien définis et qu’il y avait une volonté, je ne pense pas qu’on serait bloqué à ce niveau-là même s’il y a souvent des encouragements de certains gestionnaires pour qu’on puisse le faire.

A

On est en crise. On est plus sur réduire les effectifs et tout cela et moins dans l’analyse. Je trouve ici [que] le frein est plutôt macro au niveau de l’établissement.

B

La surcharge de tâches est peut-être le facteur qui nuit le plus. Moi je n’arrive plus à dégager du temps pour bien nourrir ça, sinon pour pouvoir avoir le recul pour mon propre travail, car sinon je suis toujours dans l’action...

B

D’autres membres des deux CdP soulignent le manque de valorisation de la communauté par les supérieurs, ce qui conduit les participants à limiter le temps de participation et par conséquent, le développement et le transfert de connaissances :

C’est la valorisation par la direction pour permettre aux personnes de la communauté de dédier ce temps-là. S’il n’y a pas de valorisation, et si la valorisation vient seulement à la tâche complétée, c’est évident qu’on n’investira pas le temps nécessaire à quelque chose qui ne sera pas valorisé par la suite.

A

Comme je disais le plus gros obstacle est la réticence de certains vice-doyens dans les facultés. Moi ce n’est pas mon cas. Je sais qu’il y a des collègues qui ont des difficultés.

B

Certains membres ont souligné que les écarts dans la nature du travail, des rôles et des responsabilités perçus peuvent constituer des freins au transfert des connaissances et aux apprentissages. Ainsi, un membre qui ne perçoit pas l’utilité de la pratique serait moins motivé à recevoir l’information ou à participer aux activités de la CdP :

Ce qui peut freiner dans certains cas ce sont les écarts entre chacun : comment chacun comprend son rôle et ses responsabilités. Donc, si je viens pour te partager quelque chose, que toi tu considères que ce n’est pas à toi de faire cela, tu sais que dans ton contexte de toute façon tu n’auras pas l’opportunité de mettre [ça] en pratique, ça se peut que tu sois moins intéressé à le recevoir du tout.

A

De mon milieu, je dirais plus la nature de mon travail. Dans le sens où moi j’étais plus avec les étudiants que les chercheurs. C’était peut-être ça qui freinait mon engouement pour cette communauté de pratique-là.

B

Enfin, soulignons que plusieurs autres obstacles ont été mentionnés. Pour la CdP A, le manque de plans de gestion des connaissances en était un. Plusieurs membres ont relaté des faits à ce sujet, dont le manque de mise à l’écrit des pratiques de chacun, la fuite des connaissances lors des départs et la méconnaissance de certaines informations indispensables au métier :

Le fait qu’on ne documente pas ce qu’on fait. C’est vraiment un frein, car on ne sait pas qui fait quoi et comment on le fait. Il n’y a pas moyen de savoir ce qu’on faisait avant et ce qu’on fait de bien maintenant, [de] mieux, [de] différent, [de] moins bon. Les gens qui partent à la retraite partent très rapidement. Il n’y a pas toujours de transfert officiel et de plus en plus de jeunes arrivent. Il y a justement de mes collègues avec plein d’expériences précieuses [qui ont quitté] sans qu’on ait pu retirer le maximum de leur expertise.

Pour la CdP B, les problèmes concernent d’une part les difficultés à transmettre les connaissances et d’autre part l’absence aux réunions. Les aide-mémoires ne sont pas suffisants pour acquérir les connaissances puisqu’on n’y trouve que les grandes lignes. Il importe d’appeler des collègues et de se renseigner auprès d’eux, mais ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise de le faire, donc le transfert ne se fait pas toujours :

Il y a d’autres compétences que certaines personnes n’ont pas, comme la capacité de vulgariser, disons. Peut-être effectivement ça peut être un frein au transfert des connaissances, autant vers les profs qu’à l’interne, mais en même temps ce n’est pas si grave que cela.

Dans le fond, quand on assiste aux réunions, quand on manque les réunions, les aide-mémoires ce n’est probablement pas suffisant. Si tu ne prends pas le téléphone et ne demandes pas à un collègue, tu auras les grandes lignes, mais peut-être que pour toi c’est suffisant, puis c’est correct aussi.

Enfin, certains ont mentionné la culture de collaboration peu développée au sein de l’institution :

Je crois que la culture de la collaboration dans une CdP n’est pas seulement une pratique dans le cadre d’une communauté de pratique, mais c’est aussi une culture qui doit être développée dans une communauté de pratique avant qu’on voie ce réflexe naturel de collaboration. Je pense qu’il y a de la place encore à l’évolution d’une culture institutionnelle face à c’est quoi la collaboration et l’ouverture

CdP A

5.3.2 Les facteurs favorables au transfert des connaissances

Dans la CdP A, certains membres ont soulevé le soutien à des initiatives comme le travail en équipe et la formation des nouveaux arrivés. Un membre souligne aussi la communication d’histoires de cas et les impacts sur la pratique :

J’ai déjà parlé du partage […] de certaines histoires de cas, donc la création aussi. […] D’après moi c’est des cas vécus qui vont nous amener à décrire ce qu’on fait et nous amener vers la recherche de solutions, puis l’amélioration continue si on se centre sur la description de ce qu’on fait réellement...

Dans la CdP B, la question des communications a été soulevée par plusieurs membres, notamment en ce qui a trait aux échanges et discussions entre patrons et collègues :

Je pense que souvent on peut discuter de ce qu’on apprend ou des évolutions avec nos patrons, ça c’est ce qu’on fait en transfert des connaissances, d’autres collègues aussi, ce qui fait que dès qu’on partage ce qu’on a appris ou nos difficultés, ça accroît le transfert des connaissances.

[...] le fait qu’on ait cette communauté de pratique ils [les doyens] viennent souvent me voir en disant : « Sais-tu ce qu’ils font dans les autres facultés? Ont-ils des outils pour faire telle ou telle chose? Ont-ils tel concours? » Ils viennent me voir justement en sachant que j’ai ces contacts-là dans les autres facultés. Ils sont intéressés à ce que je mette en commun ce que j’apprends là.

6. Discussion

Si on regarde les théories de la capacité d’absorption (entre autres selon Ziam, 2010), les activités des deux CdP ont certainement réussi à améliorer les capacités d’absorption des connaissances entre les praticiens; des apprentissages se sont donc certainement réalisés, notamment par le développement du capital relationnel. D’ailleurs, les entrevues ont révélé qu’à travers les activités de la CdP B des réseaux relationnels se sont créés entre membres et non-membres. Il y a même eu ouverture dans d’autres secteurs en vue d’instaurer des CdP comme modalité d’apprentissage puisque les avantages étaient perçus. Enfin, la culture du partage ou le réflexe de partager qui s’est développé davantage au sein des groupes constitue une autre avancée sur le plan des capacités d’absorption des connaissances sur le plan organisationnel puisque les groupes étudiés ont réussi à surmonter l’une des barrières reconnues au partage des connaissances dans les CdP (voir Harvey, 2010). Voyons maintenant les obstacles à l’apprentissage vécus par les deux communautés.

6.1 Les obstacles rencontrés pour la CdP A

Notre analyse nous permet de constater que plusieurs obstacles ont nui à l’apprentissage, notamment la faible mobilisation des membres ainsi que les difficultés d’absorption des connaissances. Par rapport à la socialisation des savoirs, à la base du partage des connaissances, certaines pratiques facilitatrices semblaient manquer (voir Gravel, 2010). Ainsi, l’énoncé d’une vision claire manquait, les objectifs étaient trop épars pour rassembler les membres et les thèmes n’ont pas tous réussi à mobiliser les acteurs concernés, sauf lorsque le partage des bonnes pratiques et d’histoires de cas avait lieu. Aussi, plusieurs barrières individuelles, organisationnelles et technologiques ont exercé un frein au partage, à la capitalisation ainsi qu’au transfert des connaissances. Par exemple, la faiblesse des réseaux relationnels existante au départ (en raison de la culture en silo, du dépassement des frontières et de l’exécution des tâches qui se font plutôt de manière séquentielles); le manque de reconnaissance de la part de certains gestionnaires pour accorder du temps à certains membres pour qu’ils puissent participer aux activités de la CdP; les craintes des individus à s’exposer (vulnérabilité, crainte); la culture de la collaboration qui émergeait à peine alors que les individus étaient habitués à travailler en silo; le manque de rôles stratégiques qui auraient assuré une meilleure valorisation de la communauté au plan organisationnel, une meilleure répartition des tâches ainsi qu’un leadership plus stable, gage de meilleures chances de pérennité pour la CdP.

6.2 Les obstacles rencontrés pour la CdPB

Pour la communauté B, les difficultés évoquées peuvent être associées essentiellement au stade 4 des phases de préoccupation du modèle de Bareil (2004). En effet, les difficultés ou sources de préoccupation concernaient davantage l’admission de nouveaux membres, le degré de transparence dans les échanges ainsi que le choix des thématiques. Au moment des entrevues, la communauté vivait une remise en question, sans toutefois remettre en cause sa pérennité. Sa vitalité et sa santé se portaient relativement bien et plusieurs facteurs expliquent que son contexte de mise en oeuvre fut plus favorable. Par exemple, le fait que la fondation elle-même de la communauté soit partie d’un désir des membres de se réunir. Ensuite, le temps investi était perçu comme bénéfique. Les membres ont affirmé manquer de temps pour participer aux activités de la communauté au cours de la dernière année, mais avaient toutefois l’impression de gagner du temps par rapport à l’exécution de certaines tâches. Aussi, la stabilité des rôles, la légitimation de la communauté, la vigie régulière (notamment par la rédaction de comptes rendus et de réunions annuelles auprès des supérieurs) ainsi que la nature du mandat (plus simple et mieux défini) ont sans doute collaboré à la motivation des membres à s’unir et à poursuivre les activités proposées par le groupe puisque des apprentissages ont tout de même été réalisés.

Conclusion

Notre recherche permet d’affirmer que les CdP peuvent présenter une nouvelle modalité d’apprentissage pour les établissements d’enseignement, plus particulièrement en milieu universitaire. Toutefois, plusieurs obstacles semblent être vécus de manière similaire dans le milieu universitaire et nuisent au potentiel d’apprentissage visé par la mise en place d’une communauté, dont le manque de temps et la faible culture de collaboration – du moins à l’époque où nous avons mené les entrevues. Il ressort aussi de l’analyse des données que les sources d’insatisfaction touchent essentiellement l’organisation interne des groupes, telles que la planification des activités, les discussions inefficaces ou le manque de répartition des tâches et responsabilités. Aussi, d’autres facteurs liés à l’organisation peuvent nuire à la vitalité de la communauté, dont l’insuffisance des ressources. Pour les deux communautés, nous l’avons vu, ces aspects ont exercé une force négative sur les capacités du groupe à se réunir de manière optimale.

Par ailleurs, il semble que la CdP A a vécu et ressenti de manière plus intense les difficultés, notamment en raison des caractéristiques de ses membres (par exemple, le manque de réflexe pour partager lorsque la communauté a été mise sur pied et le sentiment de vulnérabilité), du contexte organisationnel (manque de légitimation de la communauté auprès des supérieurs) et de l’organisation de la CdP (rôles cruciaux absents et instabilité dans la gouvernance du groupe, présence d’objectifs nombreux et épars). Ajoutons aussi la présence de réseaux relationnels faibles en raison de la distance géographique, de la structure organisationnelle ou de la segmentation du travail.

Plusieurs études, dont celle de Fontaine (2001), ont montré que les membres de communautés pilotées (comme la CdP A) peuvent avoir plus de difficultés que les communautés spontanées à se sentir connectées. Cela s’explique par le fait que ces communautés ne sont pas toujours créées à partir de réseaux relationnels existants et, ce faisant, les membres n’ont pas toujours établi un certain lien de confiance, crucial au partage des pratiques. Pour la CdP A, nous croyons que cela explique les difficultés vécues. D’ailleurs, au départ, les membres se connaissaient peu et échangeaient peu pour cette raison.

En lien avec les réseaux relationnels, nous avons aussi vu que la gestion des CdP virtuelles comporte certains défis. En effet, les organisations qui optent pour les communautés virtuelles sont souvent celles comportant un ou plusieurs établissements localisés dans des lieux éloignés. Puisque les membres sont éloignés, les technologies deviennent essentielles afin de mener à bien les activités de la CdP et maintenir les liens. Néanmoins, les études ont démontré que ces contextes engendrent une plus grande distance psychologique ou un moindre sentiment de proximité; les réseaux relationnels se tissent plus difficilement. Pour les dirigeants d’équipes virtuelles, gérer les distances constituerait le plus grand enjeu (Brunelle, 2009). Notons que ce phénomène se fait surtout sentir lorsque les membres ne se connaissent pas au préalable ou si les occasions de rencontre en personne se font rares. Pour la CdP A, la distance a joué dans le manque de mobilisation et de synergie ressenties, faute de confiance envers les membres.

Nous croyons toutefois, en regard de notre cadre théorique, que plusieurs pratiques de gestion peuvent améliorer la capacité des CdP par rapport au potentiel d’apprentissage visé, quelles que soient ses contraintes. Par exemple, nous constatons que les deux CdP évoluent dans un contexte hautement hiérarchisé peu favorable sur les plans structurels et culturels (travail en silo, culture de collaboration peu développée, différents paliers de décision, programmes politiques, etc.).

Or il est important d’assurer une composition plus homogène de la communauté, d’énoncer clairement un mandat et des objectifs concis, d’instaurer des normes et d’attribuer des rôles distincts. Il est nécessaire aussi de mettre en place diverses activités et pratiques permettant de contourner les défis associés à l’existence d’une CdP ainsi qu’aux défis de la distance. Il est de même essentiel de prévoir des systèmes d’évaluation, de récompense ou de valorisation de la communauté afin de susciter l’engagement et de porter attention aux résultats.

Bien que notre recherche s’appuie sur un nombre restreint de participants, elle a permis de mieux comprendre les facteurs et les pratiques de gestion qui sont favorables et défavorables à l’apprentissage en CdP. Nos observations pourraient être utiles pour d’autres établissements d’enseignement qui veulent profiter de l’apprentissage et des connaissances que peuvent offrir les CdP.

Hormis les travaux de Psyché et Tremblay (2011), lesquels ont permis d’approfondir nos connaissances concernant le processus de participation à la recherche partenariale en CdP, il serait intéressant aussi d’examiner davantage le lien entre les différentes activités de la communauté et le développement d’une posture et d’une pensée réflexive chez les praticiens comme source de développement professionnel. Présentement, les chercheurs dans le domaine de l’éducation semblent avoir traité davantage de cet aspect[4] alors que les spécialistes ayant étudié les communautés de pratique ne semblent pas avoir étudié en profondeur l’apport des CdP à cet égard. Mener des recherches dans différents domaines autres que l’éducation nous permettrait peut-être d’en apprendre davantage sur les effets de la CdP sur la pensée réflexive et la performance organisationnelle, notamment concernant la gestion des savoirs et des carrières.