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Introduction

Une difficulté souvent rencontrée lors de la mise en place de protocoles de recherches pour mesurer l’efficacité de différentes méthodes d’enseignement est celle de bien identifier, au-delà de l’étiquette, les caractéristiques précises d’une approche pédagogique particulière. Par exemple, dans ses recherches portant sur la méthode Montessori, Lillard (2017) a constaté que les pratiques qu’elle observait dans des classes dites Montessori n’étaient pas très fidèles à ce que préconisait la célèbre doctoresse. Cela contribuait évidemment à fausser l’interprétation des résultats obtenus. Elle a donc dû modifier son protocole de recherche pour distinguer la pédagogie Montessori d’origine d’une autre pédagogie étiquetée Montessori, mais aux caractéristiques plus diluées, deux approches qui en fin de compte ne renvoient pas aux mêmes réalités en dépit de leur appellation identique.

Le prétexte de cette entrée en matière est de faire le parallèle avec un sujet fort différent mais néanmoins rapproché sous certains aspects : la question de l’enseignement magistral au niveau universitaire. L’enseignement magistral est, la plupart du temps, assimilé à l’enseignement traditionnel, si bien qu’habituellement on emploie indifféremment l’un ou l’autre des deux termes (Gauthier & Tardif, 2017). Cette équivalence dévalorise une pratique, l’enseignement magistral, qui est pourtant largement utilisée en contexte universitaire (Lison et al., 2014). À cet effet, Lison et ses collaborateurs indiquent qu’« en ce qui concerne l’enseignement supérieur, différents auteurs, dont Béchard (2001), soulignent que l’innovation pédagogique concerne finalement tout ce qui ne relève pas de l’enseignement magistral ou frontal » (2014, p. 5). Par conséquent, il semble que pour innover en enseignement universitaire il faille s’éloigner de l’enseignement magistral.

Or, « d’après son étymologie, le terme innovation signifie “introduire du nouveau dans”, c’est-à-dire qu’il s’agit d’introduire une chose nouvelle dans un contexte existant » (Lison et al., 2014, p. 4). À partir de cette définition, nous croyons qu’il est possible d’innover en pédagogie universitaire en améliorant l’enseignement magistral à la lumière des recherches sur l’enseignement efficace[1] (Bissonnette & Tardif, 2014). C’est pourquoi nous nous demandons quels sont les éléments d’un enseignement efficace qui pourraient inspirer un professeur d’université désireux de faire un enseignement magistral amélioré.

Pour répondre à cette question, nous proposons d’entrée de jeu de définir ce que l’on entend par la tradition pédagogique afin de comprendre comment est apparu l’enseignement traditionnel et pourquoi celui-ci a été assimilé à l’enseignement magistral. Pour ce faire, nous résumons l’analyse de l’évolution de la pédagogie proposée par Gauthier et Tardif (2017). Par la suite, nous présentons quelques pratiques d’enseignement efficace, notamment l’enseignement explicite, issues de recherches menées principalement dans les écoles primaires et secondaires (Bocquillon et al., 2018), mais pouvant être des sources d’inspiration en vue d’améliorer l’enseignement magistral au niveau universitaire. Nous tenons à souligner que l’enseignement explicite a déjà été proposé aux enseignants de niveau collégial pour améliorer leurs pratiques pédagogiques (Bouffard & Boucher, 2015).

1. Évolution de la pédagogie (Gauthier & Tardif, 2017)

Gauthier (1993) a formulé l’hypothèse, il y a plusieurs années déjà, que la pédagogie était apparue en raison de l’augmentation du nombre d’élèves fréquentant les classes, ce qui aurait eu pour conséquence d’obliger les maîtres du XVIIe siècle à modifier leur façon d’enseigner. En effet, à cette époque, en milieu urbain particulièrement, le nombre grandissant d’élèves a obligé le maître à organiser autrement sa classe et son fonctionnement. Il ne pouvait plus enseigner comme il le faisait auparavant, en mode singulier, quand il n’avait que quelques élèves dans sa classe.

Les Frères des écoles chrétiennes représentaient alors l’exemple par excellence de cette réponse pédagogique aux nouvelles contraintes posées par des collectifs d’élèves plus importants. Ils ont formalisé, c’est-à-dire qu’ils ont donné une forme – ce que Vincent (1980) appelle la « forme scolaire » – à ce qui était jusqu’alors improvisé, plus ou moins organisé, diffus et pas encore institutionnalisé. Ordonner, au sens de mettre en ordre, était le principe actif de cette transformation pédagogique.

Trois espèces de formalisation y ont été déployées : 1) celle qui concerne le savoir; 2) celle qui a trait à sa transmission; 3) celle portant sur l’organisation de l’environnement de la classe pour que la transmission du savoir advienne. Nous les reprenons tour à tour.

1.1 La mise en forme du savoir

Comme le soulignent Vincent et ses collègues, « l’invention de la forme scolaire s[’est] accompli[e] dans la production des disciplines scolaires » (1994, p. 17). C’était la constitution des domaines des savoirs scolaires à proprement parler. Par exemple, à l’école on n’étudiait pas la religion dans la Bible, mais plutôt dans le catéchisme, qui devenait désormais le savoir scolaire de la religion. De même, les civilités étaient considérées comme le savoir scolaire de l’obéissance à des règles (travailler en silence, prendre les rangs, lever la main avant de poser une question, etc.). Il en allait aussi pour la mise en forme des syllabaires, des tableaux de lecture, d’écriture, d’arithmétique, etc. De plus, chaque domaine du savoir était découpé par degré; c’est ainsi qu’on retrouvait, par exemple chez les Frères des écoles chrétiennes, neuf ordres en lecture, six en écriture et six pour l’arithmétique.

1.2 La mise en forme de la transmission

À la mise en forme des savoirs à enseigner correspondait la codification du mode d’enseignement de ces savoirs. C’est ainsi que le savoir et sa transmission ont été consignés dans des écrits : « Une pédagogie du dessin, de la musique, de l’activité physique… ne se fait pas sans une écriture du dessin, une écriture musicale » (Vincent et al., 1994, p. 31). Ces écrits étaient pour ainsi dire les premiers traités de pédagogie qui détaillaient la manière d’enseigner ces savoirs scolaires.

De manière plus générale, on a également assisté au passage du mode d’enseignement individuel au mode simultané. Le fait d’avoir plus d’élèves dans les classes en milieu urbain empêchait d’avoir recours à la forme d’enseignement la plus usitée jusqu’alors, la pédagogie au singulier, c’est-à-dire celle où un maître travaille avec un élève à la fois pendant que les autres sont laissés à eux-mêmes. L’enseignement simultané permettait désormais au maître de s’adresser à tous les élèves en même temps et faisait en sorte qu’ils pouvaient faire les mêmes exercices au même moment. L’invention de l’imprimerie a aussi rendu possible cette transformation pédagogique.

1.3 La mise en forme de l’organisation de la classe

Des effectifs d’élèves plus importants exigeaient, outre la mise en forme du savoir et de sa transmission, une mise en forme de l’organisation de la classe. Celle-ci renvoie à plusieurs dimensions : l’espace, le temps, la conduite, le maître.

Par exemple, on recommandait que l’école soit située dans un espace plutôt tranquille, en retrait, coupé du monde. On valorisait également des fenêtres placées en hauteur hors de la portée du regard des élèves afin que ceux-ci ne soient pas tentés de regarder constamment ce qui se passait dans la rue. De plus, l’espace de la classe faisait l’objet d’une formalisation très cartésienne, il était quadrillé minutieusement. Les places des élèves étaient déterminées précisément : certaines pour les pauvres, d’autres étaient attribuées en fonction du niveau d’avancement des élèves, des places étaient liées à la mauvaise conduite ou à la non-réussite sur le plan scolaire (banc d’infamie), etc.

De même, les pédagogues d’autrefois ont senti l’obligation de remplir le temps. L’oisiveté étant la mère de tous les vices, comme le veut le proverbe, ils ont décidé qu’il n’y aurait pas de temps mort à l’école. On assistait à une véritable obsession de remplissage du temps : sans relâche, du matin au soir, de l’arrivée à leur sortie, les élèves étaient occupés en tout temps.

De plus, le comportement des élèves était contrôlé à la fois sur les plans du corps, des déplacements et de la conduite. Le corps était désormais soumis à un code des postures : posture pour la prière, posture pour s’asseoir, une pour rester debout, une autre pour tenir la plume d’oie, etc. Également, les déplacements des élèves devaient se faire de manière ordonnée, d’où l’institution des rangs. Enfin, les récompenses et les punitions ont été formalisées. Le vieux maître impulsif, qui frappait sans ménagement ses élèves indociles ou encore les étreignait sans retenue lorsqu’ils se comportaient correctement, a été remplacé par un autre maître, plus austère, grave, distant, qui administrait en plein contrôle de ses émotions les châtiments et les récompenses selon leur répartition sur une échelle graduée. Enfin, il ne faut pas oublier que le maître lui-même, tout comme les élèves, faisait aussi partie d’un système d’assujettissement caractérisé par l’obéissance à des règles impersonnelles, à un dispositif de contrôle anonyme dans lequel on n’obéissait plus à une personne spécifique, mais bien à des règles venues comme de l’au-delà, qui s’imposaient autant aux élèves qu’aux maîtres, et ce, dans toutes les écoles et tous les collèges de la communauté (Lahire, 2008).

Cette tradition pédagogique s’est perpétuée au fil des siècles. Du mode simultané au XVIIe siècle, on est passé au mode mutuel au XIXe siècle, puis à l’enseignement de masse qui a explosé au XXe siècle sous l’effet des lois scolaires prescrivant l’école obligatoire. Même si la tradition pédagogique a subi des transformations ici et là, cela n’a pas modifié sa nature profonde, et la forme scolaire demeure encore de nos jours.

2. La pédagogie nouvelle crée la pédagogie traditionnelle

Au cours du XXe siècle, plusieurs tentatives ont été menées dans divers pays pour modifier, voire renverser, la tradition pédagogique. On appelle « pédagogie nouvelle » cette idéologie pédagogique qui regroupe plusieurs auteurs fort différents les uns des autres (Freinet, Montessori, Neill, Freire, etc.) qui critiquent la tradition pédagogique en place et cherchent à la remplacer par d’autres façons de faire la classe.

Kessler (1964) a judicieusement fait remarquer, à la suite d’une analyse approfondie des discours des pionniers de la pédagogie nouvelle, que la dénonciation de la tradition pédagogique, appelée désormais « pédagogie traditionnelle », a pris une forme curieuse. En effet, malgré la présence constante de critiques à l’endroit de la pédagogie traditionnelle dans les ouvrages des partisans de la pédagogie nouvelle, on ne trouve, selon lui, aucune étude historique et systématique au sujet de la pédagogie traditionnelle. Il semble que tous se soient entendus pour la dénoncer, mais que personne n’ait vu la nécessité de soumettre son analyse à l’épreuve des faits et de la vérification rigoureuse. En fait, s’ils la dénoncent comme si c’était une doctrine vivante, comportant des arguments précis appartenant à un ou à des auteurs particuliers, située à une époque et dans un lieu déterminé, la réalité est tout autre. Tout se passe en effet comme si, n’ayant pas pu (ou su) découvrir précisément dans l’histoire l’origine de la pédagogie traditionnelle ni les arguments de ses représentants, les partisans de la pédagogie nouvelle s’étaient obstinés à pourfendre une tradition dont ils avaient eu l’expérience eux-mêmes comme élèves; comme si cette tradition était l’incarnation d’une volonté encore active de représentants toujours réels et engagés dans la lutte. Or la tradition finit par s’insinuer dans nos vies à notre insu. Elle est faite de prêt-à-penser et repose sur le fait que chacun la reproduit par répétition sans y penser. Les partisans de la pédagogie nouvelle ont ainsi cru voir un personnage réel là où il n’y avait qu’un spectre; ils ont pris les effets de la tradition pour une doctrine manifeste.

Comme ils critiquaient une tradition dont les auteurs étaient par définition absents, ils avaient beau jeu de lui composer le visage qu’ils voulaient. Ils ont ainsi créé une caricature à laquelle ils ont donné le nom de pédagogie traditionnelle. Et comme la tradition pédagogique comporte des dimensions qui touchent à la totalité de la vie de la classe (par la mise en forme du savoir, de la transmission et de l’organisation de la classe), on la dénonce de la même manière, c’est-à-dire en s’opposant systématiquement à cette approche pédagogique jugée foncièrement mauvaise. La pédagogie traditionnelle honnie, proscrite, diabolisée, porte en elle tous les péchés du monde. Ce travers manichéen a conduit Kessler (1964) à soutenir l’hypothèse que les partisans de l’école nouvelle ont inventé une sorte de caricature de la pédagogie traditionnelle dont ils se sont servis pour définir leur propre pédagogie et en faire la promotion. La tradition pédagogique que nous avons décrite précédemment devient donc, progressivement, dans la bouche de ses détracteurs, la pédagogie traditionnelle, expression péjorative connotée négativement encore de nos jours.

Il faut noter cependant que les critiques adressées à la pédagogie traditionnelle n’étaient pas sans fondements. La tradition n’évoluait pas assez vite pour faire face aux nouveaux contextes, et l’école traditionnelle méritait sa part du blâme. Toutefois, « prétendre qu’à toute innovation de l’École Nouvelle corresponde un défaut de l’école traditionnelle, c’est pousser la systématisation un peu loin » (Kessler, 1964, p. 33). En créant ainsi une sorte d’ennemi présentant tous les défauts, les partisans de la pédagogie nouvelle pouvaient faire valoir, dans une opposition presque terme à terme, les caractéristiques, c’est-à-dire les vertus, de leur propre pédagogie et en faire la promotion. C’est un jeu séduisant que d’opposer tous les défauts du monde au charme de la sirène qui nous fait fantasmer (Snyders, 1971), et les partisans de la pédagogie nouvelle ne s’en sont pas privés.

3. Enseignement traditionnel et enseignement magistral

L’enseignement traditionnel et l’enseignement magistral revêtent-ils des significations identiques?

Nous venons de voir que l’enseignement traditionnel est une sorte de caricature qui a servi de repoussoir aux partisans de la pédagogie nouvelle pour faire valoir leur approche d’enseignement émergente. En fait, l’enseignement traditionnel n’existe pas en réalité; il renvoie à un ensemble plutôt diffus et hétéroclite de pratiques que l’on ne veut plus voir en classe. Un auteur de la pédagogie nouvelle qui veut mettre en scène un dispositif particulier pourfendra une caractéristique de la pédagogie traditionnelle qui représenterait le contraire. À l’enfant, prétend-on, qui serait comme une cruche à remplir dans la pédagogie traditionnelle, on opposera les besoins et les intérêts de l’élève qui seraient comme l’étincelle de vie qui jaillit de son for intérieur. À l’enfant qui, suppose-t-on, serait supposément passif lorsqu’il écoute un maître, on lui proposera plutôt des projets le mettant en activité. La pédagogie nouvelle se drape de vertus à travers ce processus rhétorique de disqualification de la tradition pédagogique en pédagogie traditionnelle. Pour l’enseignement supérieur, une rhétorique de disqualification analogue semble également prévaloir : on associe habituellement l’enseignement magistral à l’enseignement traditionnel, et comme ce dernier est abominé, alors il en est de même pour l’enseignement magistral où l’élève est constamment réputé passif (Béchard, 2001). Assimilé à l’enseignement traditionnel, l’enseignement magistral passe ainsi à son tour à la trappe, comme ce fut le cas pour l’enseignement traditionnel lors de l’apparition de la pédagogie nouvelle.

Pourtant, l’enseignement magistral est fort différent de l’enseignement traditionnel. Il s’agit d’une modalité d’enseignement axée principalement sur la transmission du contenu sous la forme particulière d’un exposé, d’un monologue de l’enseignant, ce que les anglophones appellent « lecture[2] ». « L’exposé magistral est une présentation verbale et organisée de la matière, souvent complétée par des aides visuelles. Selon Bligh (1972), un exposé magistral est une forme de discours d’un professeur d’une durée plus ou moins ininterrompue »[3] [traduction libre] (Matiru et al., 1995, p. 1). Mais on associe cependant trop souvent, et de manière inexacte, le magistral au traditionnel. Ainsi, pour Duguet et Morlaix (2012), l’exposé magistral fait en effet référence à une forme plutôt traditionnelle d’enseignement où l’enseignant déploie son savoir, réalise une présentation, et où les étudiants écoutent, généralement en prenant des notes. Alors que, comme on l’a vu, l’enseignement traditionnel n’existe pas comme tel en réalité, l’enseignement magistral est bel et bien une formule pédagogique utilisée en classe. Cela correspond même à une des modalités les plus usitées en enseignement supérieur (Louvel, 2013). On pourrait presque dire que plus on s’élève dans l’échelle des ordres d’enseignement, plus l’exposé magistral occupe une place prépondérante dans le fonctionnement de la classe.

Cela ne surprend guère compte tenu de la longue tradition des universités qui ont utilisé abondamment cette modalité de communication depuis leur fondation au Moyen Âge. Si, de nos jours, l’enseignement magistral est encore utilisé en enseignement supérieur, c’est sans doute aussi parce qu’il permet de faire face aux effectifs pléthoriques d’étudiants, et ce, à moindre coût.

Cependant, l’enseignement magistral subit la compétition nouvelle des cours à distance, notamment avec l’arrivée de l’Internet, qui offre une solution de plus en plus utilisée dans les universités et leur permet, tout comme l’enseignement magistral, d’instruire à faibles coûts un grand nombre d’étudiants. Outre la formation à distance, on ne compte plus également les initiatives pédagogiques, les divers projets mis à l’essai en enseignement supérieur[4] qui sont le lot de professeurs dédiés à l’enseignement, le plus souvent habiles avec les TIC, bricoleurs imaginatifs comme le furent les partisans de la pédagogie nouvelle.

Or ces modalités offertes par les nouvelles technologies s’accompagnent souvent d’un discours dépréciatif de l’enseignement magistral. Tout comme on a eu tort de diaboliser la tradition pédagogique au profit des innovations de la pédagogie nouvelle – qui n’ont pas toujours donné de bons résultats (Bissonnette et al., 2005) –, de même on fait souvent la même chose en ce qui concerne l’enseignement magistral à l’université (Béchard, 2001). Les services de pédagogie universitaire offerts par les universités reprennent à l’unisson le discours de la pédagogie nouvelle, la centration sur l’étudiant, la différenciation, la pédagogie active, etc. (Bédard & Raucent, 2015; Lison et al., 2014). Curieusement, même si l’enseignement magistral est la forme d’enseignement la plus utilisée, c’est aussi celle qui est la plus ostracisée quand il vient le temps de discuter de pédagogie à l’université. Nous pensons toutefois que l’enseignement magistral peut être amélioré à la lumière des recherches sur l’enseignement efficace (Bocquillon et al., 2018).

Nous sommes pleinement conscients qu’il peut y avoir bien des formes d’enseignement magistral, comme nous l’avons illustré en introduction avec notre exemple de Montessori, et qu’on aurait tort de se limiter aux seules caractéristiques externes pour s’en faire une idée adéquate. En effet, un enseignement magistral peut se déployer avec beaucoup plus de finesse que le laisse croire l’image stéréotypée d’un professeur qui cause sans arrêt et des élèves qui prennent des notes.

Quel serait alors un enseignement magistral amélioré en contexte universitaire? Quelles sont les composantes qu’il revêt? Nous faisons l’hypothèse qu’un enseignement magistral de qualité doit prendre son inspiration dans des pratiques d’enseignement efficace. Or l’enseignement explicite (Rosenshine & Stevens, 1986) est précisément une approche d’enseignement dont l’efficacité a été montrée à de multiples reprises et dans divers contextes (Bissonnette et al., 2010; Hughes et al., 2017; McLeskey et al., 2017). Nous tenons à souligner que l’enseignement explicite a été proposé par Bouffard et Boucher (2015) aux enseignants oeuvrant au niveau collégial.

Par conséquent, quels sont alors les éléments de l’enseignement explicite qui pourraient inspirer un professeur d’université désireux de faire un enseignement magistral amélioré? Voilà la question qui nous habite et à laquelle nous tenterons de répondre.

Il faut cependant bien préciser que nous ne considérons aucunement l’enseignement magistral et l’enseignement explicite comme étant synonymes (Gauthier et al., 2013)[5]. Loin de nous cette idée. Le premier peut cependant s’inspirer de certaines caractéristiques du second pour devenir plus efficace en contexte universitaire.

4. Un enseignement magistral amélioré prenant appui sur des stratégies d’enseignement explicite

L’enseignement explicite est une forme d’enseignement très structuré, dont les contenus sont bien hiérarchisés et déployés en séquences du plus simple au plus complexe (Bocquillon et al., 2018; Gauthier et al., 2013). Il a été formalisé par Rosenshine et Stevens en 1986 dans un important article du Handbook of research on teaching. Gauthier et ses collaborateurs en font une description détaillée dans leur ouvrage de 2013. L’enseignement explicite est principalement utilisé aux niveaux primaire et secondaire, mais il peut se prêter assez aisément à des adaptations en enseignement supérieur (Boucher & Bouffard, 2015).

Grosso modo, on peut dire que l’enseignement explicite se déroule en trois grands moments : la préparation (P), l’interaction avec les étudiants (I) et la consolidation (C), ces trois étapes étant représentées par l’acronyme PIC (Gauthier et al., 2013). Nous cherchons à préciser, au cours de ces trois phases, des stratégies dont pourrait bénéficier un enseignement magistral amélioré. Ces stratégies sont présentées en détail dans l’ouvrage de Gauthier et ses collaborateurs (2013).

4.1 La préparation (P)

La préparation consiste à travailler le curriculum, à le mettre à sa main. Si tout enseignant du primaire ou du secondaire doit connaître son programme, il en va de même pour un enseignant à l’université qui doit élaborer un plan de cours en cohérence avec le programme de formation dans lequel il s’insère. Le plan de cours universitaire classique comporte des objectifs d’apprentissage, des activités et des travaux à réaliser, des modalités d’évaluation, une organisation séquencée des contenus, une bibliographie.

Outre le plan de cours, d’autres éléments particuliers doivent être pris en compte dans la préparation. Nous pensons notamment à l’identification des idées maîtresses, c’est-à-dire à une forme de hiérarchisation des éléments du contenu qui devront être appris. Tout n’est pas important au même degré dans un cours et l’accent doit être mis sur les idées maîtresses plutôt que sur des détails qui, lorsque trop nombreux, peuvent parfois embrouiller le message. À cet égard, Matiru et ses collaborateurs indiquent dans leur ouvrage sur l’enseignement magistral à l’université qu’« une façon de réduire le contenu à voir est de le classer dans une des catégories “essentiel de savoir”, “souhaitable de savoir” et “bon à savoir”, et d’utiliser uniquement celle “essentiel de savoir” »[6] [traduction libre] (1995, p. 13).

Il est important pour le professeur de définir des objectifs clairs et de bien vérifier l’adéquation entre les objectifs et les stratégies qu’il compte utiliser pour les atteindre. Si l’on vise l’apprentissage de connaissances procédurales – il s’agit des connaissances concernant la réalisation concrète d’une action, les procédures à suivre (Gauthier & Tardif, 2017) –, le cours devra mettre en scène des dispositifs favorisant l’apprentissage de ces habiletés. De même, si un cours est axé sur l’apprentissage de connaissances déclaratives, des connaissances liées aux faits, aux règles, aux lois, etc. (Gauthier & Tardif, 2017), il faut bien s’assurer que les connaissances préalables au contenu soient maîtrisées. L’alignement curriculaire qui consiste à établir une cohérence entre les objectifs poursuivis, les activités proposées et les évaluations prévues permet de bien articuler les grandes composantes d’un cours (Gauthier et al., 2013). Trop souvent à l’université, dans notre propre parcours scolaire, mais pas seulement le nôtre, on a pu voir ou entendre parler de professeurs qui évaluaient autre chose que ce qu’ils avaient enseigné.

L’utilisation de PowerPoint est maintenant quasi généralisée. Il présente des avantages certains, dont celui d’obliger le présentateur à schématiser le contenu plutôt que de lire un texte aux étudiants. Ce faisant, il doit choisir les éléments importants de sa présentation, les hiérarchiser et les ordonner en séquence. En précisant les objectifs de la leçon, la présentation se voit déjà donner une orientation qui permet de filtrer ce qui est essentiel et de maintenir le cap de la leçon. Ceci est particulièrement utile quand le présentateur est porté à s’écarter de son plan de match et à multiplier les anecdotes au point de perdre le fil de son propre discours. Le PowerPoint n’a pas non plus à être surchargé de texte ou d’animations. Moins est souvent mieux en ces matières, et trop d’informations, d’images, d’animations empêchent de centrer l’attention sur ce qui doit être retenu (Jobin & Gauthier, 2009).

4.2 L’interaction avec les étudiants (I)

Une fois la préparation terminée, on aborde la seconde phase, celle de l’interaction avec les étudiants. Pour s’en donner une idée plus précise, situons-nous dans le cadre d’une leçon. Une leçon peut être d’une durée de trois heures, comme c’est le format habituel dans nombre d’universités. Elle peut aussi s’étendre sur plusieurs semaines consécutives. Limitons-nous, à titre d’exemple, à une leçon magistrale d’une durée de trois heures.

Le professeur entre dans la classe avant le début du cours et vérifie si tout est en place et fonctionnel pour amorcer son cours qu’il commence à l’heure prévue. On peut diviser cette phase de l’interaction avec les étudiants en trois moments : l’ouverture, le corps de la leçon et la clôture.

L’ouverture est un moment important, car il s’agit d’abord d’obtenir l’attention des étudiants. Le professeur présente l’objectif d’apprentissage, le justifie au besoin, montre le lien avec la leçon précédente et celle qui suivra. Il présente aussi le plan de sa leçon et résume même l’essentiel du propos, ce qui lui permet de donner d’entrée de jeu une vue d’ensemble de ce qui devra être appris. Il en profite pour activer les connaissances préalables à la leçon. Ceci peut se faire en demandant à quelques étudiants de récapituler ce qui a été vu lors de la ou des semaines précédentes. Il s’agit ici de relier, d’attacher ce qui a été enseigné antérieurement aux besoins de la nouvelle leçon, autrement dit, de rappeler ce qui dans la mémoire à long terme a été appris antérieurement.

Rosenshine et Stevens (1986), de même qu’Archer et Hughes (2010), insistent beaucoup sur l’importance de l’ouverture. À cet égard, comme le souligne pertinemment Dehaene (2018), l’attention est le premier pilier de l’apprentissage. Les professeurs universitaires performants sont capables d’attirer l’attention non seulement en utilisant les stratégies mentionnées plus haut, mais aussi en faisant preuve de ce que Schonwetter (1993) nomme l’expressivité, cette capacité à utiliser le regard, le geste, l’inflexion de la voix, l’humour et l’enthousiasme pour capter l’attention.

Le corps de la leçon comprend trois éléments clés : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome. Rosenshine et Stevens (1986) indiquent que la durée de temps accordée au modelage, à la pratique guidée et à la pratique autonome peut varier en fonction de l’âge des étudiants, de leur maturité et de la nature du contenu à apprendre : « Avec des étudiants plus âgés, plus matures, plus rapides, et à mesure que le contenu devient plus familier, plus de temps est accordé à la présentation du nouveau matériel et moins à la pratique guidée »[7] [traduction libre] (p. 378).

Plus précisément, […] les ajustements suivants peuvent être faits :

  1. L’étendue de la présentation peut être plus importante (plus de matériel présenté à la fois);

  2. Le temps accordé à la pratique guidée peut être réduit;

  3. La quantité de pratique manifeste peut décroître au profit de répétitions plus discrètes, de reformulation et de révision[8] [traduction libre] (Rosenshine & Stevens, 1986, p. 379).

Le modelage correspond à l’étape au cours de laquelle l’enseignant présente un contenu, une procédure. Au cours du modelage, l’enseignant met un haut-parleur sur sa pensée, il démontre étape par étape une procédure, il fait appel à des exemples et à des contre-exemples. Il peut aussi utiliser un outil structurant (advance organizer) ou une carte conceptuelle qui lui permettent de présenter en un coup d’oeil aux étudiants l’essentiel de ce qui doit être compris. Le professeur s’assure également de maintenir un rythme soutenu et d’éviter les digressions. Schonwetter (1993), même s’il n’utilise pas expressément le terme modelage, illustre bien les stratégies de modelage utilisées par les professeurs habiles à faire de bons exposés magistraux. Ils sont capables d’éviter la confusion, le flou, en faisant preuve de clarté par l’emploi de plusieurs dispositifs :

Les formateurs exceptionnels présentent les idées et les concepts complexes, ainsi que les liens qui les unissent, de façon logique de telle sorte que ce soit à la fois clair et compréhensible pour les étudiants, et en particulier pour ceux qui en savent peu sur ce contenu. La clarté du contenu du cours est un indice que le formateur l’a bien maîtrisé. Les comportements dénotant de la clarté sont entre autres les suivants : « utiliser des exemples pertinents et concrets », « poser des questions », « synthétiser et résumer périodiquement le contenu », « répéter des idées ou des points difficiles », « insister sur des points importants », « écrire des termes clés au tableau », « suggérer une application pratique », « signaler les transitions d’un sujet à l’autre » et « suggérer des aides mnémoniques » (Hines, Cruickshank, & Kennedy, 1985; Murray, 1991).[9] [traduction libre]

Schonwetter, 1993, p. 11

Le modelage est en réalité la partie magistrale de l’enseignement, celle à laquelle les professeurs sont le plus habitués. Toutefois, cette partie magistrale de l’enseignement peut être bonifiée à la lumière des stratégies liées à l’étape du modelage d’un enseignement explicite. En enseignement supérieur, l’étape du modelage peut occuper, selon les contextes, une part plus ou moins grande de temps.

La pratique guidée est une phase au cours de laquelle le professeur supervise en classe le travail à faire dans le cadre d’activités ou de travaux en équipe. Il donne de la rétroaction, pose des questions et sollicite des réponses. Il est difficile de réaliser la pratique guidée en enseignement supérieur, particulièrement dans le contexte où le professeur intervient auprès de grands groupes dans des amphithéâtres.

En fait, le grand défi de l’enseignement magistral à l’université se pose particulièrement en ce qui a trait à la pratique guidée. On sait que celle-ci, notamment par les questionnements et les rétroactions fournies aux étudiants, comporte des effets très positifs sur l’apprentissage en contexte universitaire (Bissonnette & Tardif, 2014).

Les résultats de la présente revue de recherches montrent qu’il est possible d’enseigner efficacement en milieu universitaire. Les méthodes d’enseignement qui sont efficaces à ce niveau sont variées et celles-ci sont utilisables dans plusieurs disciplines. Toutefois, les méthodes efficaces sont celles qui semblent favoriser les interactions en classe et l’engagement actif des étudiants

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Comment alors est-il possible de prendre en compte cet élément fort important dans le cadre d’un enseignement magistral à l’université? Comment un professeur qui reconnaît l’importance de la pratique guidée, mais qui n’est pas toujours placé dans des conditions optimales pour la réaliser, peut-il rendre son enseignement le plus interactif possible? Plusieurs cas de figure sont possibles. Dans le cas sans doute le plus simple à réaliser, il peut, par exemple, simuler un dialogue entre lui-même et un élève fictif qui le questionne. Le professeur se pose alors des questions à lui-même comme si c’était celles d’étudiants et y répond devant eux. Nous pensons que c’est, entre autres, par le jeu des questions et des réponses que l’enseignant peut en arriver à une certaine approximation de la pratique guidée. C’est par une sorte de chassé-croisé de questions et de réponses qu’il simule en quelque sorte la pratique guidée. Ce n’est certes pas la formule idéale pour vérifier la compréhension de l’élève, car il s’agit d’une simulation et l’on ne sait pas si, en réalité, l’étudiant réel de la classe comprend vraiment. Toutefois, elle permet de donner une rétroaction à une question qui a déjà été posée antérieurement dans le même cours sur le même sujet par d’autres étudiants.

Le professeur peut aussi poser une question, donner aux étudiants un court temps de réflexion (cinq secondes) et en choisir un au hasard, écouter sa réponse et donner une rétroaction. Lorsque les étudiants voient qu’on leur laisse du temps pour réfléchir, ils se concentrent sur la question, et ce, même dans un contexte d’amphithéâtre.

Comme le signalent avec pertinence Knott et Mutunga (1995) :

Bien que l’exposé magistral consiste pour une bonne part en une communication à sens unique du professeur, cela ne signifie pas qu’il ne peut y avoir de discussion ou de dialogue entre lui et ses étudiants. Souvent, cette communication réciproque est limitée au professeur qui pose des questions pour vérifier si la matière a été assimilée, mais de nombreux conférenciers habiles sont en mesure de rendre leurs cours plus stimulants et interactifs, de manière à permettre un apprentissage plus en profondeur[10] [traduction libre]

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Si le contexte le lui permet, le professeur peut également demander aux étudiants de discuter de la question posée en équipes de deux, puis il choisit une équipe au hasard, il écoute leur réponse et donne une rétroaction. Par ailleurs, certains outils informatiques[11] sont désormais accessibles et permettent de vérifier la compréhension dans de vastes auditoires d’étudiants. Il est notamment possible de projeter une question à laquelle chaque étudiant répond via son ordinateur ou son appareil mobile. Les résultats s’affichent ensuite et le professeur peut donner de la rétroaction au groupe en entier (par exemple s’il voit qu’une majorité d’étudiants n’a pas su répondre correctement à l’une des questions).

Enfin, au cours de la pratique autonome, le professeur donne des consignes claires et explique les procédures pour l’exécution des travaux ou d’activités. En enseignement universitaire, cette étape est le plus souvent réalisée en dehors de la classe dans le cadre de travaux à effectuer seul ou en équipes. Si le professeur exerce dans le cadre d’un enseignement en grand groupe, il peut avoir, selon les politiques institutionnelles, droit à des ressources humaines pour l’aider à superviser. Il est cependant fréquent que cette étape soit réalisée en l’absence de supervision.

Tout comme une leçon s’ouvre, on doit s’assurer également de bien la fermer, de faire une bonne clôture. Le professeur doit « fermer son cours » en faisant ressortir les éléments essentiels qui méritent d’être retenus. Il s’agit d’un moment au cours duquel l’enseignant revient sur ce qu’il a enseigné. Il résume la démarche afin de bien s’assurer que les grandes idées qui ont été présentées soient objectivées et, enfin, il annonce le thème du prochain cours.

Schonwetter résume l’importance de bien organiser le contenu d’une leçon justement pour faciliter l’acquisition de schémas qui seront réutilisés par la suite :

[…] l’organisation de la matière présentée sous forme de plans présente une manière d’organiser les connaissances. Cette structure, à son tour, fournit une stratégie de « regroupement », une méthode rapide et logique de structuration du contenu du cours (Perry, 1991), qui influence la compréhension (Meyer, 1975; 1977) et facilite l’encodage et la récupération en mémoire (Glynn et Di Vesta, 1977)[12] [traduction libre]

1993, p. 12

4.3 La consolidation (C)

La troisième et dernière étape du modèle PIC, celle de la consolidation, peut être réalisée dans le cadre de la préparation aux examens. Ceux-ci doivent porter sur la matière vue en classe. Certains professeurs peuvent fournir, à la suite de chaque cours de trois heures, une banque de questions dans laquelle ils puiseront. De plus, selon le principe de l’alignement curriculaire, la consolidation sera mieux assurée si les questions à voir chaque semaine sont en lien direct avec la matière vue. Ces questions permettent aux étudiants de retravailler (seuls, deux par deux ou en équipes) ce qu’ils ont lu dans les textes fournis préalablement aux cours et de vérifier leur compréhension à la suite de l’exposé proprement dit. Hughes et Lee (2019) soulignent la différence entre une pratique intense au stade de la pratique autonome qui favorise un apprentissage à court terme et une pratique distribuée dans le temps dont les effets se font ressentir à plus long terme. Par exemple, étudier des questions nouvelles chaque semaine est une pratique intense, mais, à mesure que les semaines passent, revoir les questions déjà étudiées auxquelles on en ajoute de nouvelles constitue une pratique distribuée qui assure alors une meilleure rétention à long terme. La pratique distribuée permet alors de raviver dans la conscience ce qui était su lors de la pratique intense, mais qui a été plus ou moins oublié par la suite. Comme le souligne Hattie (2015), « Henk et Stahl (1985) ont conduit une méta-analyse qui a montré que les étudiants qui prenaient des notes de cours amélioraient modestement leur apprentissage (d = 0,34), alors que l’étude de ces mêmes notes l’augmentait considérablement (d = 1,56) »[13] [traduction libre] (p. 84).

5. Discussion

Le contexte de l’enseignement supérieur, à l’intérieur duquel généralement les groupes sont pléthoriques, où l’enseignement a lieu dans des amphithéâtres et où l’aide à la supervision est donnée au compte-gouttes par les institutions, est propice à l’enseignement magistral. De plus, dans l’université contemporaine, la tâche des professeurs est dominée par la recherche qui nécessite un investissement en temps et en énergie toujours plus considérable en raison de la compétition féroce qui prévaut entre les chercheurs et aussi des exigences bureaucratiques qui se sont accrues considérablement au fil des années. La composante « enseignement » de leur tâche devient malheureusement, par la force des choses, la part congrue du temps disponible des professeurs qui doivent s’investir en recherche. Ces contraintes étant posées, elles limitent beaucoup les expérimentations pédagogiques des professeurs[14]. Toutefois, ces derniers peuvent s’appuyer sur les stratégies du modèle PIC pour améliorer leur enseignement magistral (Gauthier et al., 2013). Nous tenons à souligner que l’enseignement explicite a démontré son efficacité auprès de tout groupe d’étudiants (Bocquillon et al., 2018; Rosenshine, 1986).

Il est clair que l’enseignement magistral peut être monotone, déstructuré, inintéressant et rendre l’étudiant passif. C’est souvent à partir de cet exemple qu’il est disqualifié (Béchard, 2001). Mais ce n’est pas une fatalité. Un professeur peut réussir à faire un bon enseignement magistral tout en ne consacrant pas la majorité de son temps à cette composante de sa tâche. Et l’activité de l’étudiant ne se limite pas à ce qui est visible comme la prise de notes, comme le posent de manière un peu caricaturale Freeman et al. (2014). Assister à une pièce de théâtre ne fait pas du spectateur un être passif, inerte, déconnecté, qui ne réfléchit pas. Il peut être secoué par ce qu’il entend, bouleversé par les idées véhiculées, et pourtant il ne bouge pas de son fauteuil.

Un bon exposé magistral est un travail difficile, car il s’agit d’une performance unique. Comme au théâtre plutôt qu’au cinéma, toutes les personnes présentes contribuent au succès ou à l’échec, tout le monde est impliqué. Lorsque cela fonctionne, c’est une expérience dont on se souvient pour toujours. Les vrais exposés magistraux sont irremplaçables de la même manière que le théâtre ou les performances musicales le sont aussi. […] Il est regrettable que si peu d’étudiants modernes expérimentent de telles expériences[15] [traduction libre]

Charlton, 2015

On confond trop souvent l’activité et l’agitation.

Actif ne veut pas dire que l’organisme doit bouger. C’est dans la tête, et non dans les pieds, que l’engagement actif fait son oeuvre. Le cerveau n’apprend bien que s’il est attentif, concentré et en pleine activité de génération de modèles mentaux. Pour mieux digérer les faits à apprendre, un étudiant actif les reformule sans cesse en mots ou en pensées qui font sens pour lui

Dehaene, 2018, p. 243

L’activité peut donc être silencieuse et impliquer une profonde réflexion chez l’étudiant, et ce, même dans un enseignement magistral. Nous avons tous eu dans notre passé scolaire des professeurs qui nous ont mis en mouvement, qui nous ont intéressés, qui nous ont fortement influencés, rendus actifs intellectuellement, et ce, par le simple travail des mots, de la parole, du discours. Mais pas par n’importe quel discours, pas par n’importe quelles idées, ni n’importe quelle organisation des propos. Matiru et ses collaborateurs (1995) mentionnent que Brown, un expert britannique sur l’enseignement, préfère utiliser le terme explication pour remplacer le mot lecture.

Il décrit l’explication comme étant le fait de « donner de la compréhension aux autres », car elle consiste en une série de courtes phrases énonçant des principes, des exemples, des définitions et des caractéristiques, qui sont toutes bien organisées et clairement énoncées. Il s’ensuit que l’explication doit être appropriée pour chaque apprenant et prendre en compte le temps disponible[16] [traduction libre]

1995, p. 6

Ce processus d’explication, qui correspond à de l’enseignement magistral, comporte de nombreuses stratégies. Brown et Atkins (1988) en mentionnent plusieurs qui ressemblent en tous points aux stratégies d’enseignement explicite que nous avons décrites auparavant[17].

Clarté. Elle est favorisée en utilisant un langage explicite et fluide et en évitant le flou. Cela implique de définir les nouveaux termes, de clarifier les points clés, de paraphraser, de préciser les tâches d’apprentissage à réaliser, ainsi que de parler clairement, de manière audible et pas trop rapidement.

Organisation. Elle nécessite une solide structure et une approche logique dans laquelle les points essentiels sont traités de manière concise, les liens importants sont soulignés et le temps utile est employé à bon escient. Une explication bien structurée est un signe d’une bonne préparation et ne vise pas à tout couvrir.

Accentuation. Cela concerne la mise en évidence des éléments et des détails importants. L’accent mis sur la voix, le ton, la hauteur, le volume et les pauses, ainsi que sur les gestes, le contact visuel et le pointage, sont des moyens de souligner des points importants d’une explication. Ceux-ci peuvent être complétés par des aides visuelles et des documents d’appoint.

Orientation. L’apprentissage est facilité de plusieurs manières en présentant, par exemple, l’organisation globale d’un contenu lors de l’ouverture du cours, en donnant des indications sur le contenu qui sera abordé, ou en soulignant les passages clés pendant le déroulement de la conférence.

Exemplification. Les exemples sont essentiels dans toute explication, mais ils doivent être pertinents et intéressants, s’adapter aux étudiants et être présentés selon une fréquence et une variété suffisantes. Un exemple typique, des comparaisons et des exemples de « problèmes » devraient également être fournis pour faciliter la compréhension.

Rétroaction. La supervision continue accompagne les explications, car sans elle, il ne peut y avoir de certitude que la « compréhension » est acquise. La rétroaction est initiée par le professeur qui pose des questions, invite les remarques, suscite des interprétations et demande des éclaircissements[18] [traduction libre]

Matiru et al., 1995, p. 6

Conclusion

On aurait tort de réduire l’enseignement magistral à une étiquette péjorative comme celle de l’enseignement traditionnel qui le disqualifie d’entrée de jeu sans chercher à lever le voile sur ce que cet enseignement peut contenir de dispositifs qui permettent de soutenir l’apprentissage des étudiants. Bien enseigner de manière magistrale implique, nous l’avons vu, une mise en scène de plusieurs stratégies qui peuvent avantageusement s’inspirer de l’enseignement explicite (Gauthier et al., 2013). C’est pourquoi avant de songer à se débarrasser de l’enseignement magistral en brandissant l’argument fallacieux et superficiel du traditionnel (Béchard, 2001), il faut plutôt prendre le temps d’en améliorer le fonctionnement par le déploiement de stratégies simples inspirées de l’enseignement explicite (Bocquillon et al., 2018).

Si l’enseignement magistral peut être défini de manière extérieure comme étant une modalité de transmission d’un savoir à un public dans une visée d’instruction, il reste que c’est passer sous silence tout ce qui est interne et concerne la préparation, l’interaction avec les étudiants et la consolidation de ce qui a été appris. En fait, on aurait tort de se débarrasser de l’enseignement magistral sous prétexte que l’étudiant est supposé passif et que ce type d’enseignement est forcément ennuyeux. Nous pensons qu’il s’agit là de jugements hâtifs et superficiels. Pour innover, c’est-à-dire « introduire une chose nouvelle dans un contexte existant » (Lison et al., 2014, p. 4), en pédagogie universitaire et dans l’université contemporaine axée sur la recherche, nous croyons qu’il est possible, d’une manière toute simple, d’améliorer l’enseignement magistral à la lumière de stratégies provenant de l’enseignement explicite et ainsi contribuer à la réussite des étudiants au niveau supérieur.