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Cet article réflexif porte sur les deux ancrages de mon projet doctoral, que je viens de commencer : d’abord, une ethnographie de l’expérience de l’agoraphobie à Oslo, en Norvège, le pays européen ayant la plus grande prévalence de ce trouble. À la suite d’une recherche de maîtrise basée sur des récits d’agoraphobes francophones, je porte maintenant attention sur mon terrain à de nouvelles dimensions de ce trouble comme la matérialité et la sensorialité de cette expérience de souffrance. En deuxième lieu, je développe ma démarche en anthropologie de la poésie qui convoque à la fois mon écriture ethnographique et la mise en forme de poèmes sur l’agoraphobie et la panique. Ma thèse convoque également la figure du peintre Edvard Munch, un célèbre agoraphobe norvégien qui s’est isolé durant trente ans dans son atelier situé à Oslo, terrassé par la panique. Je suis présentement sur le terrain tout près de son atelier et de manière poétique je vous propose d’ouvrir plusieurs fenêtres pour vous présenter comment j’aborde ma recherche.

Ouvrir la fenêtre de ma chambre : introduction

Quand je commence ce texte, je suis chez moi, à Montréal, et j’écris devant la fenêtre. C’est le lieu d’où j’écris. Je regarde l’écran et je regarde parfois dehors. La porte est entrouverte. J’ouvre la fenêtre. Je viens d’acheter un billet « ouvert » pour Oslo : je pars réaliser mon terrain ethnographique pour ma thèse de doctorat durant un an. Haute logistique : entreposer les meubles de mon appartement à Montréal, établir des contacts, obtenir le visa, le certificat d’éthique, mémoriser les nombres en norvégien. L’excitation du terrain : j’en rêve depuis des années, maintenant il se concrétise. Dans quelques semaines, je vais devenir une « vraie » anthropologue. Cette figure de l’explorateur qui tente de comprendre de nouveaux territoires en allant vers les autres m’habite depuis longtemps.

La fenêtre me fait penser à celle de ma chambre quand j’avais quatorze ans. Je grandissais dans cette chambre, enfermée sur moi-même, au milieu de piles de livres, de lettres, de peluches de mon enfance, objets-réconfort rescapés du passé, une ménagerie textile dans laquelle je pouvais régresser et sublimer caresses et douceurs. J’avais reçu un diagnostic d’agoraphobie et pendant deux ans j’ai habité cette chambre en ne sortant presque jamais de la maison, terrassée par des crises de panique dès que je franchissais le pas de la porte. Je préférais écrire devant la fenêtre. J’ai grandi dans l’angoisse. Il y avait des pays exotiques dans mes rêves alimentés par les lettres et les cartes postales que j’échangeais alors avec plusieurs correspondants étrangers. Quelques années plus tard, j’avais grandi et je pouvais sortir de chez moi. J’avais commencé une longue thérapie psychodynamique et j’ai fait mon premier voyage d’études à dix-huit ans : je suis allée en Amazonie rencontrer des Shuars. J’étais fascinée par l’Autre ; j’ai alors commencé à voyager souvent. Je cherchais des contextes exotiques pour me perdre. En entrant à l’université, j’ai choisi l’anthropologie : j’y mettais tout mon coeur et j’essayais d’appréhender la différence culturelle de gens très différents de moi. Mais je revenais sans cesse à mes questions sur l’agoraphobie : comment comprendre cet enfermement ? Comment rendre compte avec des mots et du texte de ce qui nous « habite » lors d’une crise de panique et que tout le sens, toute notre rationalité s’enfuit dans un grand étourdissement ? Qu’est-ce qui pousse à s’enfermer dans un refuge, à s’isoler, à se terrer pour éviter la panique ? Est-ce que c’était aussi une expérience sociale ? Est-ce que cet isolement avait une signification culturelle ?

J’écris maintenant devant la fenêtre de ma nouvelle chambre à Grünerløkka, un ancien quartier ouvrier d’Oslo. Je m’y suis installée en juillet 2019. Je tente maintenant d’apprendre les rudiments du norvégien durant mon année de terrain ethnographique. Je trouve les personnes se disant agoraphobes par le biais de forums sur Internet et en contactant des groupes d’entraide et des professionnels de la santé à Oslo. Je leur propose de les rencontrer ou de se parler virtuellement (Skype, vidéoconférences, courriels, etc.) si cela est impossible pour elles de me voir en personne en raison de leur état de panique. J’utilise un ensemble d’outils méthodologiques pour documenter leurs expériences et leurs sensations : entrevues semi-dirigées, correspondances écrites, technique de la Walking Ethnography (Irving 2016) quand cela est possible pour ces personnes de se déplacer, cartes mentales des lieux qu’elles peuvent fréquenter ou qu’elles évitent. Je leur demande également de porter attention aux objets avec lesquels elles entrent en interaction et de m’en parler. Parallèlement à ma recherche avec ces agoraphobes, j’écris un journal de terrain qui est une composition de poèmes, de vers libres, de notes et d’essais sur ma propre relation avec mon terrain et avec l’agoraphobie. Ayant vécu cette expérience de manière aiguë à l’adolescence, je revisite également mon itinéraire de maladie et je tente de voir en quoi ma propre réflexivité affecte ou affine ma compréhension de l’agoraphobie à la lumière de leurs expériences. J’analyserai les deux trames — leurs expériences et la mienne — dans ma thèse.

Fig. 1

Terrain de recherche, Oslo

Terrain de recherche, Oslo
Source : Roseline Lambert (2019).

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Avant d’entrer dans cette expérience de l’enfermement, je vous propose d’ouvrir une autre fenêtre dans cette introduction ; c’est la fenêtre blanche où j’habite : le poème. J’ai écrit un premier livre de poésie en 2016 intitulé Clinique qui portait sur l’expérience de l’enfermement et de la panique. Mon deuxième livre, Les couleurs accidentelles (2018), est une exploration poétique « ethnographique » de la matérialité des couleurs. J’ai cherché dans ce livre à convoquer les sens du toucher et de la vue du lecteur qui est invité à toucher les mots en braille dans ce livre en couleurs. J’y discute plusieurs couleurs ; par exemple, à la page 72, je me questionne sur mon attrait pour la couleur blanche que je lie à mon besoin d’abstraction et à mon espace domestique :

Sitten, le 25 mai 2017

La porte de ma chambre est ouverte sur les sommets de neige. Je sens le vide du vent. Je n’aime pas les choses. Depuis des années, je me déleste des choses lourdes. L’impression que, pour penser et que mes idées soient claires, je doive habiter un espace blanc et aéré. Les lignes autour de moi doivent être droites et symétriques : voir la découpe des montagnes, marcher dans la neige. Les objets désordonnés m’angoissent. Je pensais que c’était un goût esthétique ou un simple caprice, moi en lutte perpétuelle contre l’accumulation. Parfois je justifiais le tout par une position politique anticonsumériste alors qu’entrant dans mon espace liminaire on me soupçonnait d’être de passage : étais-je en train de déménager ? Alors que je cherche à isoler mes concepts abstraits de leurs contextes, blanchissant à grands traits, essayant d’échapper à une matérialité dans laquelle ma pensée pourrait rester prise :

What I find most repulsive about philosophers is their evacuating thought process. [...] They are like barbarians in a spacious, high house, full of wondrous works. They stand there and methodically throw everything they can out the window: armchairs, paintings, plates, pets and animals, until only naked walls remain. [...] A naked house remains[1]. (Canetti, cité par Nowak 2013.)

Lambert 2018 : 72

De me projeter sur cette page avec Elias Canetti dans cette « maison nue », une image poétique, une métaphore, me permet de toucher concrètement le blanc et les lignes épurées de mon espace domestique. Ailleurs dans ce livre, j’élargis cette image blanche dans un poème en vers :

et tout le monde qui te regarde

aucune cohérence des milliards de neurones

paralysés par tes couleurs dans un long bruit

blanc

blanc du blanc du blanc du blanc

je ne veux plus voir d’objets

une toile infinie pour penser sans fond

et m’engloutir dedans

me recouvrir du tableau fondre au centre

Ibid. : 42

Je tente donc ici, dans ce texte, et sur mon terrain qui débute de faire converger mon écriture ethnographique et la mise en forme de poèmes sur l’agoraphobie et la panique tout en m’inscrivant dans une anthropologie médicale des sensations. Ouvrons les fenêtres.

La fenêtre urbaine : espace public, architecture et agoraphobie

L’agoraphobie est souvent présentée comme une « peur de l’espace public » et sa définition en sciences sociales fait appel à un concept central : l’« espace » (Tuan 1979 ; da Costa-Meyer 1995 ; Davidson 2000, 2003 ; Vidler 2000 ; Carter 2002 ; Jacobson 2004). Deux médecins ont fait les premières descriptions cliniques du trouble panique et de l’agoraphobie : l’Américain Jacob Mendes Da Costa, en 1871, identifie le syndrome du coeur irritable ou syndrome de Da Costa en remarquant chez certains soldats ayant participé à la guerre civile américaine des symptômes psychiques et somatiques du trouble panique (Lalonde et al. 1999) ; au même moment, en Allemagne, Carl Westphal invente le terme agoraphobie pour nommer un syndrome autonome, alors qu’il observe chez plusieurs de ses patients des symptômes exacerbés par la dimension de l’espace public (Vidler 2000). Ces premières définitions basées sur la peur de l’espace public sont influentes encore aujourd’hui comme nous pouvons le voir par exemple dans le dictionnaire Le Robert puisque, à l’entrée « agoraphobie », nous retrouvons : « Phobie des espaces libres et des lieux publics ». C’est la névrose d’angoisse aiguë proposée par Sigmund Freud en 1895 qui demeurera le modèle de référence pour établir les critères diagnostiques d’une attaque de panique tels qu’introduits en 1980 dans le DSM-III (Lalonde et al. 1999).

Les théories sur l’agoraphobie opposent un discours biomédical à un discours environnemental et spatial : le discours biomédical (Fava et al. 1988 ; Lalonde et al. 1999 ; American Psychiatric Association 2000, 2013) et une partie du discours psychanalytique (Fenichel 1945 ; Freud 1966 ; Michels et al. 1985 ; Busch 1995 ; Compton 1997 ; Milrod 1998) considèrent que la cause de l’agoraphobie serait un dysfonctionnement interne de l’individu atteint d’anxiété. Le discours environnemental et spatial, porté principalement par des théoriciens en géographie et en architecture (Tuan 1974, 1979 ; Chaguiboff 1991 ; Davidson 2000, 2003 ; Vidler 2000 ; Carter 2002 ; Holmes 2008), affirme plutôt que l’espace serait une cause centrale de l’agoraphobie. Selon l’architecte Paul Carter (2002 : 8-9), la définition de l’agoraphobie doit être replacée dans l’histoire de la mobilité urbaine et de ses discontinuités depuis la fin du XIXe siècle. L’agoraphobie est au coeur du débat qui oppose les architectes modernistes et contre-modernistes en Allemagne à la fin du XIXe siècle. Les contre-modernistes insistent sur le fait que, dans les villes traditionnelles où les espaces sont intimes et à échelle humaine, l’agoraphobie n’existe pas. Quant aux modernistes, ils défendent leurs espaces modernes en affirmant que les « régressions psychologiques primitives » comme les symptômes de l’agoraphobie doivent être surmontées par les individus (Vidler 2000 : 28) et que l’architecture n’a pas à s’adapter aux dysfonctionnements de ces derniers. Ceci illustre bien comment l’agoraphobie et l’anxiété ont joué un rôle fondamental dans le façonnement de l’espace urbain et architectural, en servant de base à une idéologie moderniste et à une théorie esthétique. Anthony Vidler souligne que l’usage métaphorique des pathologies de la ville était répandu dans la littérature romantique, réaliste et naturaliste, entre autres chez Honoré de Balzac, Victor Hugo et Émile Zola, témoignant de la rapide croissance des grandes villes européennes à la fin du XIXe siècle. À cette époque, la metropolis, inspirée par les idées de Georg Simmel (Williams 2001), apparaît comme la principale cause du surmenage mental de la civilisation moderne : « Si l’agoraphobie était par définition une maladie essentiellement spatiale, de nombreux psychologues ont insisté sur le fait qu’elle était également une maladie urbaine, l’effet de la vie dans la ville moderne[2] » (Vidler 2000 : 29).

La fenêtre de l’écran : les mots et l’agoraphobie

En 2004, avant la déferlante des médias sociaux et du développement des digital humanities (humanités numériques ou sciences humaines numériques), je réalisais mon premier terrain de recherche ethnographique dans une communauté virtuelle d’agoraphobes sous la direction de Gilles Bibeau à l’Université de Montréal. Je m’intéressais aux récits, aux mots, à la circulation des discours sur la maladie. J’ai demandé à ces agoraphobes de me décrire et de me raconter les différents espaces qu’ils fréquentaient. Je m’inscrivais dans le courant de l’anthropologie médicale interprétative développée dans les années 1980 et 1990 à l’École de Harvard, alors que — tenant de la phénoménologie et de l’embodiment — Arthur Kleinman (1988) en appelait à des approches ethnographique, biographique, historique et psychothérapeutique pour faire émerger des récits de maladie qui donnent accès aux significations de la souffrance du point de vue du patient. Byron J. Good et Mary-Jo DelVecchio Good (1993) proposaient alors le concept de « syndrome de l’expérience », qui cherche à comprendre la maladie non pas comme une simple condition biologique ou psychique reflétée dans les croyances locales, mais plutôt comme une réalité « construite, autorisée et contestée dans les biographies personnelles et dans les institutions » (ibid.). Laurence Kirmayer (1992 et 1993), quant à lui, a développé une théorie de la métaphore en anthropologie psychiatrique qui propose que les métaphores donnent sens à l’expérience de la maladie et la structurent afin de rendre possible une guérison symbolique. Mon projet s’inscrivait donc en faux contre un des dogmes essentiels de la biomédecine souligné par Good (1994 : 247), à savoir que « la connaissance objective du corps humain et de la maladie est possible hors du vécu subjectif ». Je m’attardais justement sur ce vécu subjectif de la maladie de ces agoraphobes. J’ai été fascinée par leurs récits et ils m’ont grandement aidée à comprendre des dimensions de ce trouble qui m’échappaient. J’ai été profondément marquée par les récits de Paul, un Français dans la soixantaine qui s’est retrouvé subitement terrassé et isolé par la panique et qui s’est mis à analyser ses crises de panique dans leur profond ancrage historique dominé par un grand-père ayant souffert de la guerre et par l’intégration de tout un modèle de masculinité basé sur la défense de soi et sur la survie (Lambert 2006). J’étais admirative de la profonde transformation que vivait Paul durant mon terrain en mettant en récit son histoire de panique. J’ai aussi été fascinée par la manière dont Allison analysait le fait que l’autoroute qu’elle ne pouvait pas dépasser sans paniquer lui renvoyait l’image, comme dans un miroir, de l’enfermement qu’elle ressentait avec son père anxieux qu’elle protégeait dans son appartement. Dans mes analyses de leurs mises en récit je trouvais des significations, des explications. Mais j’avais l’impression que diverses « choses » se défilaient et m’empêchaient de comprendre ce trouble plus en profondeur. J’avais expérimenté lors de mes propres crises de panique à l’adolescence que les sensations ressenties étaient concrètes, réelles, envahissantes : elles prenaient tout le corps et toute la tête et elles se déployaient dans différents espaces. Ces sensations pouvaient être réduites ou esquivées dans la narration de l’expérience et je me demandais comment je pouvais mieux en rendre compte comme anthropologue. Comment capter la matérialité de cette expérience ? Comment replacer la personne souffrante dans sa relation sensorielle et matérielle avec les différents espaces qu’elle fréquente ou évite ?

Une fenêtre est une chose : matérialité et agoraphobie

Depuis quinze ans, les fenêtres grandes ouvertes, il a venté dans nos livres et dans nos idées. L’anthropologie se déploie dans des mouvements circulaires comme ceux du tournant émotionnel, du tournant sensoriel, du tournant néo-matérialiste. Dans mon projet de thèse sur l’agoraphobie, je centre maintenant ma réflexion sur cette question : je déplace mon regard pour comprendre l’agoraphobie en portant mon attention sur les choses que contiennent les espaces. Il devient ainsi plus aisé d’examiner l’expérience de l’agoraphobie en considérant à la fois l’individu, les objets et l’environnement dans une même unité d’analyse, dans un « assemblage hybride », comme le propose Bruno Latour (2010), et non pas dans une dichotomie qui oppose l’individu et l’espace. Je m’interroge également sur la question de la représentation de l’espace, qui est centrale dans la compréhension d’un trouble comme l’agoraphobie. En prolongeant ma réflexion sur la matérialité de l’espace et les théories de la non-représentation (Lorimer 2005 ; McWatters 2013) et en critiquant les théories sur la représentation ou la métaphore de l’espace, dans un contexte où l’agoraphobie est souvent définie comme une expérience dans laquelle les agoraphobes sont troublés par la représentation « pathologique » qu’ils ont de l’espace plutôt que par la concrétude de l’espace lui-même, je cherche à comprendre l’expérience de l’agoraphobie dans sa dimension matérielle et, j’ajouterais, sensorielle.

Sentir le vent entrer par la fenêtre : les sens et l’agoraphobie

L’espace est une dimension incontournable de l’expérience de l’agoraphobie. Ce trouble provoque une hypersensibilité à la dimension de l’espace physique et cela me semble être un point de départ pertinent pour interroger l’interrelation entre le corps, l’esprit et l’environnement. David Howes (2003, 2004), mon directeur de thèse, en appelle à l’importance des approches sensorielles en sciences humaines et sociales pour dépasser une approche foucaldienne basée sur le discours et tenir compte de l’expérience sensorielle. Il soutient que le rôle de l’anthropologue est d’apprendre comment les sens et les sensations se distinguent, s’évaluent et se combinent dans une conception individuelle, sociale et cosmologique puisque « [c]haque culture incorpore un mélange différent de nos sens dans ce domaine[3] » (id. 2016 : 186). L’anthropologie, en s’intéressant aux sens, met en lumière la manière dont nous percevons les stimuli externes, lesquels varient selon nos propres conceptions culturelles sur nos états corporels et mentaux et sur leurs causes et leurs significations :

La sensibilité à un stimulus externe (par exemple, les odeurs, les lumières vives, une scène visuelle, la chaleur, la pluie) varie en fonction des idées culturelles sur la manière dont certains états corporels et mentaux accroissent la sensibilité aux stimulus, sur le type de dérèglement corporel que des stimuli spécifiques peuvent provoquer, sur ce que la réactivité à un certain stimulus indique sur l’état du corps et sur la signification du stimulus lui-même. [...] Des exemples de ces processus incluent [...] l’« agoraphobie » au XIXe siècle en France et en Allemagne[4] (Hinton 2002 ; Hinton, Nathan, Bird et Park 2002).

Hinton, Howes et Kirmayer 2008 : 149

En proposant une anthropologie médicale des sensations, Devon Hinton, David Howes et Laurence Kirmayer (2008 : 155) expliquent que les sensations sont au centre d’une sémiose qui ne peut être extraite de son contexte. La maladie et les sensations qui en découlent doivent se comprendre dans un ensemble complexe de schémas, d’idées, de scripts et de souvenirs qui sont culturellement enracinés en chacun.

Alors qu’en 2004 je me concentrais sur les mots des agoraphobes que je rencontrais, mon approche sur le terrain s’est maintenant transformée. Je suis « sensible » à ce que nos diverses sensations et les choses qui nous entourent peuvent nous apprendre sur l’agoraphobie. Mais, également, je me guéris, je quitte ma communauté virtuelle et mon écran et je choisis de sortir de chez moi, je m’installe en Norvège pour rencontrer d’autres agoraphobes. Quittant l’univers essentiellement visuel et textuel de l’ordinateur, je plonge réellement avec tous mes sens dans un nouveau terrain. Je pourrais étudier l’agoraphobie presque n’importe où dans le monde et même chez moi, mais en me déplaçant au loin, je fais le mouvement d’ouverture contraire à l’enfermement agoraphobique.

J’ouvre donc tous mes sens sur mon nouveau terrain de recherche. Je note presque systématiquement chaque jour, dans mon journal de terrain, mes idées et mes émotions, mais également comment tous mes sens sont affectés par mon nouveau milieu ; ce que je vois et ce que j’entends, mais également les odeurs qui m’atteignent, les sensations que provoquent les changements de lumière, mes diverses sensations lors de mes déambulations dans Oslo. Je tente de capter quelles sont mes réactions sensorielles sur mon terrain. Également, j’invite les participants à ma recherche à me décrire en détail leurs sensations pendant leurs difficiles déplacements. J’ai volontairement fait parler deux agoraphobes de leurs sensations reliées à la lumière dans la ville. En leur demandant s’ils étaient plus à l’aise de circuler en ville quand il fait noir, ils se sont ouverts au sujet de toute une dimension que je ne pouvais pas soupçonner et que je vais analyser plus profondément par rapport à leurs sensations liées au fait d’être vus ou d’être cachés, mais ils m’ont également fait part de leur besoin physique de luminosité, qu’ils relient symboliquement à un besoin de reconnaissance.

La lumière entre par la fenêtre : l’atmosphère d’Oslo

Je suis deux pistes sur mon terrain : d’abord, la Norvège est le pays européen qui enregistre le plus haut taux de prévalence du diagnostic d’agoraphobie (Goodwin et al. 2005 ; NIPH 2016). Puis, je m’installe dans le quartier Skøyen à Oslo, où Edvard Munch (1863-1944), l’un des agoraphobes les plus célèbres du monde, a vécu les dernières décennies de sa vie reclus dans son atelier, terrassé par la panique, jusqu’à sa mort. Je fais donc un saut historique : partant du passé agoraphobique de Munch, j’évoque sa figure lors de mes rencontres avec des agoraphobes vivant actuellement à Oslo.

Je me concentre sur les choses tangibles et intangibles qui affectent directement la matière de mon corps, mes sens et mes émotions, et je porte attention à l’atmosphère et à la lumière sur mon terrain de recherche. Je reviens tout juste d’une première exploration à Oslo. L’élément le plus marquant de mon voyage était de me sentir continuellement happée par les couleurs de la lumière. Les courtes journées de soleil en hiver font que des reflets colorés sur le paysage changent continuellement et rapidement. Peut-être que j’étais simplement captive de cette métaphore : « La lumière est une métaphore de la vérité, de la pureté, de la révélation et de la connaissance[5] » (Bille 2007 : 272), alors que je cherchais à savoir si Oslo pourrait me révéler quelque chose pour mon projet ethnographique ! Je m’appuie sur les travaux de Mikkel Bille (2007, 2013) et sur ceux de Ben Anderson (2009) sur les « atmosphères affectives » (« affective atmospheres »). Je tente donc dans ce projet de lier émotions, sens et matière en portant attention aux paysages sensoriels (« sensescapes ») et plus spécifiquement aux paysages de lumière (« lightscapes »), ainsi qu’à la manière dont la lumière et, plus largement, les « atmosphères affectives » influencent les itinéraires des agoraphobes :

On prétend que la lumière peut être utilisée comme un outil pour exercer l’intimité et l’inclusion sociales, pour façonner les espaces moraux et l’hospitalité, et orchestrer le mouvement, tout en travaillant comme une métaphore aussi bien que comme agent matériel dans ces négociations sociales. La compréhension sociale de la lumière est un moyen de comprendre les positions sociales de manières qui peuvent être réelles ou imaginées, mais qui sont liées aux associations sociales et culturelles de certains paysages de lumière[6].

Bille 2007 : 263

Fig. 2

Terrain de recherche, Oslo

Terrain de recherche, Oslo
Source : Roseline Lambert (2019).

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Fig. 3

Terrain de recherche, Oslo

Terrain de recherche, Oslo
Source : Roseline Lambert (2019).

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Je porte attention aux lumières et aux ombres comme à des techniques pour révéler le social et pour révéler les frontières entre le privé et le public :

La lumière est un indicateur du bien-être social, et donc de la socialité, et elle fait aussi partie d’une technique sociale de révélation. Ainsi, la lumière et les ombres peuvent être un moyen d’infiltrer la frontière entre le public et le privé[7].

Ibid. : 273

Comme les murs, les portes, les voitures, les ascenseurs, les bâtiments affectent les agoraphobes, la lumière et l’atmosphère sont également des éléments qui viennent donner forme à l’expérience de leur trouble. Le concept d’« atmosphère affective » de Anderson (2009) me permet de lier la matérialité de notre environnement à sa dimension affective :

Peut-être que le fait de penser l’affect par le biais de l’éphémérité et de l’instabilité des météores nous rappelle que les intensités peuvent rester indéfinies alors même qu’elles affectent. Curieusement, le terme atmosphère semble exprimer quelque chose de vague. Quelque chose, une chose indéfinie mal définie, qui dépasse l’explication rationnelle et la figuration claire. Quelque chose qui hésite à la frontière de l’indicible[8]

Ibid. : 78

Je tente donc de capturer quelque chose de vague et des états quasi impossibles à nommer dans cette atmosphère sur mon terrain à Oslo. J’ouvre tous mes sens en essayant de percevoir attentivement mon environnement et les choses qu’il contient. J’entame tout juste mon dialogue avec les agoraphobes sur nos diverses impressions des espaces et des atmosphères qui nous entourent et sur les manières dont ils nous affectent.

À la fenêtre de l’atelier de Edvard Munch, figure norvégienne de l’agoraphobie

Edvard Munch ne cherchait pas, dans sa peinture, à réaliser du grand art : il cherchait à saisir l’essence d’une scène qu’il voulait peindre et à nous faire accéder en quelque sorte à la réalité du moment. Dans une analyse de son oeuvre, l’écrivain norvégien Karl Ove Knausgård[9] (2017) propose de voir la peinture de Munch comme une réelle exploration de la vie intérieure. Pour lui, Munch brisait les conventions en art pour plutôt chercher à exprimer directement ce qu’il ressentait, comme en témoignent ses célèbres oeuvres Le cri, Mélancolie et Jalousie. Plus tard dans sa vie, Munch s’isolera dans son atelier à Ekely : « Munch s’est donné beaucoup de mal pour vider les tableaux de leur sens lorsqu’il a peint les ormes de sa propriété d’Ekely, où il a vécu et peint pendant les trente dernières années de sa vie[10] » (ibid. : 37). Knausgård rapporte que Munch était fermé au monde, mais que la peinture lui permettait de le rejoindre et de s’y ouvrir : « Munch était également fermé au monde, peut-être plus que la plupart, mais quelque chose se produisait lorsqu’il peignait, puis il s’ouvrait à lui[11]. » (ibid. : 47.)

Anne McElroy Bowen (1988 : 23) discute également de l’agoraphobie de Munch :

C’est à sa maladie que Munch attribuait son talent créateur, son oeuvre se voulant l’illustration de son propre monde intérieur. […] Sa thématique reflète sa vision déformée de son environnement : décors asphyxiants et menaçants, peuplés de personnages amorphes au regard ébahi.

Je questionne les agoraphobes norvégiens que j’approche sur Munch en tant que figure importante de l’art et de la culture norvégienne, mais également sur la manière dont ils se réfèrent à l’agoraphobie du peintre. Dans ma démarche de recherche, je fixe donc comme lieu de départ de mon terrain Ekely, l’atelier de Munch, dans Skøyen. C’est l’endroit où je tente de capter l’atmosphère et d’écrire des poèmes sur ce que je vis dans ce quartier.

Mon terrain vient à peine de débuter, mais déjà une informatrice que j’ai contactée sur un groupe Facebook sur l’anxiété en norvégien m’a donné rendez-vous à la maison d’été de Munch à Åsgårdstrand ; elle me parle ensuite de ses crises de panique au café Munch, lieu touristique de cette petite ville qui borde le fjord, près d’Oslo. Je note la scène et le paysage alors qu’elle prend l’épaule de son amie avec qui elle se déplace plus facilement pour traverser la rue et se promener sur le terrain qui s’ouvre sur la mer. Je passe tout l’après-midi avec elles. Son amie a grandi dans ce village qui s’est radicalement transformé depuis les années 1980, devenant un lieu culte et touristique pour les artistes. Même si la figure de Munch est partout dans leur paysage, c’est moi qui leur ai appris au téléphone, au début de la semaine, que Munch était agoraphobe. Évidemment, convoquer Munch sur mon terrain ne me mène pas exactement où je pensais que cela allait me mener.

Un poème est une fenêtre : poésie et anthropologie

Je tenterai maintenant d’exposer pourquoi je pense que le recours à la poésie sur un terrain ethnographique en anthropologie médicale des sensations me permettra de documenter des dimensions plus sensorielles, matérielles et émotionnelles de l’expérience de l’agoraphobie. Mais même si je m’intéresse aux choses et aux atmosphères, cela ne veut pas dire que je tente de réduire ce terrain au silence et de reléguer les mots ou la narrativité à l’arrière-plan. Pour le deuxième ancrage de mon projet que je présente ici, je souhaite montrer comment je transforme mon analyse des mots, du texte et de l’écriture ethnographique afin de reconquérir une matérialité du texte. Pour ce faire, je me concentre sur la matérialité du poème parce que le poème implique plus naturellement le son, le rythme, la voix, la mise en page graphique, la construction sonore et les autres sens que le texte scientifique. Ici, sur mon terrain, j’écris également des poèmes pour rendre compte de mon expérience ethnographique.

Je situe donc d’abord théoriquement dans ma recherche le lieu où l’anthropologie et la poésie se rencontrent. Je me demande, comme l’anthropologue et poète Dell Hymes l’a fait en 1986 (p. 407) : « Les anthropologues deviennent poètes, les poètes deviennent anthropologues — mais y a-t-il un lien nécessaire entre ces deux activités[12]? » John Leavitt (2010) analyse l’origine de l’intérêt des anthropologues pour la poésie à partir d’une première ethnopoétique qu’il situe au début du romantisme européen en passant par les anthropologues-poètes de l’école de Boas (Edward Sapir, Margaret Mead, Ruth Benedict, Zora Neale Hurston) ; il trace ensuite les contours de la nouvelle ethnopoétique qui se situe principalement dans une anthropologie américaine depuis les années 1960 et ce que Stephen A. Tyler (1982) nomme le « tournant poétique » (« Poetic Turn ») de l’anthropologie postmoderne. J’observe également comment, actuellement, de nouvelles approches méthodologiques se développent pour intégrer la poésie dans un terrain anthropologique (« méthodes de recherche basées sur l’art et la poésie[13] », voir par exemple Faulkner 2018). Plusieurs anthropologues (Rosaldo 2001 ; Maynard 2009) réfléchissent actuellement sur la position de l’anthropologue qui écrit de la poésie convoquant le « je », l’ego, voire un narcissisme d’écrivain : c’est que le poète fait appel à sa propre expérience, recourt à son propre rapport au monde dans le poème, tandis que l’anthropologue cherche traditionnellement à parler de l’autre, à objectiver, à écrire de façon distanciée sur l’autre. Se pose la question de savoir comment l’anthropologue, qui fait de l’art, de la littérature ou de la poésie pour étudier l’autre, peut poser son « je » dans un texte poétique qui demeure « ethnographique ». Également, je me demande quelles sont les nouvelles formes d’écriture comme les formes de « nouvelles écritures créatives » (« new creative writing ») ou de « poésies collaboratives » (« collaborative poetics ») (Johnson et al. 2017) et quelles sont les nouvelles possibilités que ces méthodes d’écriture ouvrent pour la recherche ethnographique (Schneider et Wright 2010 ; Elliott et Culhane 2017). Je m’inspire ici de manière expérimentale et exploratoire de ces nouvelles pistes méthodologiques.

Donc, j’écris et je cherche des motifs poétiques à partir de mes rencontres avec des agoraphobes. J’envisage le poème comme une voie d’accès privilégiée à leur vie intérieure. C’est que de plus en plus de voix d’anthropologues s’élèvent en faveur d’un recours à de nouvelles formes d’écriture ethnographiques, plus créatives (Ellis 2004 ; Pandian et McLean 2017). Jenny Ingridsdotter et Kim Silow Kallenberg (2018 : 57) expliquent bien comment toute ethnographie comporte une part de fantaisie et comment cela peut être perçu comme une force de la recherche scientifique et non comme un biais ou une faiblesse scientifique : « la fiction ethnographique devrait être utilisée comme un genre scientifique créatif afin de mettre en évidence les complexités sociales qui sont exclues ou simplifiées dans les textes savants plus traditionnels[14] ». Andrew Irving (2016 : 59) nous rappelle également la centralité du discours intérieur ou de la vie intérieure dans l’expérience humaine et comment il considère que les anthropologues ont échoué à rendre compte de cette vie intérieure de l’autre, alors que les romanciers modernistes, citant James Joyce et Léon Tolstoï, réussissent à nous la transmettre :

les anthropologues devraient essayer d’écrire avec l’introspection et la perspicacité associées au roman moderniste — je dirais que nous pourrions nous tourner plus systématiquement vers la littérature pour nous confronter aux réflexions que les auteurs ont formulées sur le dialogue intérieur, les débats existentiels et les pensées amorphes que les anthropologues négligent régulièrement, soit parce qu’ils ne sont pas préparés méthodologiquement à traiter de tels phénomènes, soit parce qu’ils ne sont pas disposés à s’aventurer dans les domaines de la conscience dans lesquels les écrivains s’engagent lorsqu’ils essaient de comprendre la vie sociale et la condition humaine[15] […].

Ibid. : 61

La poésie me semble une forme littéraire tout indiquée pour percevoir la vie intérieure des agoraphobes dans ce qu’elle comporte d’intensité, d’intimité et également de discontinuités. Le poème, par la possibilité qu’il ouvre d’inventer de nouvelles formes libres (par exemple un texte non linéaire ou un texte uniquement basé sur le rythme et non sur sa signification) me permet de faire résonner le texte dans sa matérialité : écrire le poème en tant que matière. La poésie, par son intensification, suscite le transport des sens et Leavitt (1997) note comment, en France, Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud recherchent l’illumination poétique dans les sens et dans le recours au divin, définissant la poésie comme le chant des transports de l’esprit et des sens. N’oublions pas également la puissance du surréalisme et du dadaïsme qui ouvrent la porte au rêve, au fantastique, à l’écriture automatique et à l’inconscient visionnaire, des formes littéraires auxquelles les poètes contemporains ont recours encore aujourd’hui (ibid. : 22) et qui ont mené à d’autres fantastiques voyages littéraires ; je pense par exemple au courant du réalisme magique. Je capte ces dimensions poétiques dans le contexte très spécifique de l’expérience de la panique et de l’agoraphobie. Parce que la poésie est une forme de texte qui fait également appel à d’autres sens — comme l’ouïe, dans sa musicalité et son rythme, et la vision, dans sa disposition matérielle et visuelle sur une page ou dans un livre —, je regarde comment cette forme littéraire joue matériellement et sensoriellement avec nos observations de l’autre, et ce, dans une approche qui demeure ethnographique.

Par exemple, présentement, je fais plusieurs entrevues par vidéoconférence avec un agoraphobe qui habite à quelques rues de chez moi dans le centre d’Oslo. C’est un homme à la fin de la cinquantaine qui vit avec son fils adolescent et qui ne travaille plus comme professeur depuis trois ans en raison de son agoraphobie. Il arrive très peu à sortir de chez lui et me parle de son appartement comme d’une forteresse. Il est très influencé, dans son récit de sa vie quotidienne avec l’anxiété, par les histoires que lui relatait son grand-père qui a vécu la guerre et il m’explique plusieurs fois comment il se sent comme un « combattant » (fighter/stridsmann) quand il sort de chez lui. Je viens donc de commencer avec lui une exploration de ce champ lexical militaire. Dans nos conversations, je lui demande de préciser ses propos — par associations d’idées — sur des symboles en particulier, comme cette image de la forteresse et celle du combattant. J’utilise ensuite ces images pour tenter d’évoquer dans des poèmes ce que je comprends de son expérience. Plus tard, je lui soumets ces textes pour ouvrir encore le dialogue sur son expérience. Je cherche avec lui comment il concrétise matériellement cette image de la forteresse et du combattant dans des sensations précises.

Fig. 4

Photographie tirée du livre Les couleurs accidentelles de Roseline Lambert (2018 : 95).

Photographie tirée du livre Les couleurs accidentelles de Roseline Lambert (2018 : 95).

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Habiter une fenêtre blanche : conclusion

C’est que plus j’avance en écrivant avec mes mains, plus je me rends compte que l’écriture du poème est un travail manuel, concret, artisanal. Il n’est pas uniquement un travail intellectuel, abstrait ou de représentation. Il comporte une réelle dimension matérielle et un nécessaire travail impliquant des choses concrètes : un écran, un clavier, du papier, un crayon, une page, un livre, etc. Et ces choses font partie de mon poème qui devient un lieu où habiter, comme le dit si bien l’anthropologue Renato Rosaldo (2014) dans ces mots que je cite en les déplaçant dans mon livre pour nous former un toit, une maison, un réel lieu où vivre (voir figure 4) : « La poésie n’est pas un ornement, c’est un endroit où habiter[16] ».

Il y a ainsi divers lieux où habiter quand on réalise une ethnographie. J’ai choisi dans cet article de me poser devant les fenêtres et de les ouvrir pour avoir un point de vue, un regard, mais également pour ressentir le lieu de ma recherche avec tous mes sens : sentir le vent, les odeurs, entendre les sons. La fenêtre, à la fois comme élément matériel du cadre bâti et comme métaphore, me permettra de me représenter la position des personnes souffrant d’agoraphobie : les considérer dans leur enfermement, à l’intérieur, mais également en tant que point de vue, comme une ouverture de l’intérieur vers l’extérieur. J’ai donc tenté de poser les bases de ma démarche dans cet article afin de faire converger mon écriture ethnographique et la mise en forme de poèmes sur l’agoraphobie et la panique. En m’inscrivant dans une anthropologie médicale des sensations et en tenant compte de la matérialité et de la sensorialité de l’expérience de l’agoraphobie, je poursuis maintenant mon terrain à Skøyen, le quartier d’Oslo où vivait Munch, les fenêtres grandes ouvertes, dans ma recherche et dans mes poèmes.