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L’Afrique noire refuse-t-elle la démocratie ? Telle est la question qui s’impose au lecteur à la lecture de l’ouvrage que vient de faire paraître le professeur Koffi Ahadzi-Nonou aux Éditions L’Harmattan-Sénégal.

Les espoirs suscités par les « printemps démocratiques » à l’aube des années 1990 semblent largement déçus à la lumière des évolutions politiques en cours en Afrique subsaharienne. Le bilan de trente ans de pratique de la démocratie paraît très mince au regard de la volonté populaire de rupture avec les « dictatures du développement » qui, comme le souligne l’auteur, ont poussé comme des champignons après la pluie des indépendances.

La première partie de l’ouvrage analyse effectivement ces régimes comme des porteurs de messianismes de modernisation chargés d’une double mission historique : construire des États-nations à partir du tissu social hétéroclite hérité du découpage colonial, favoriser le développement économique et social. Ce projet politique autoritaire conduit d’une main de fer par des « guides providentiels » ou des « grands camarades » s’est partout soldé par un échec. Il s’en est suivi une perte de légitimité des élites prométhéennes qui a ouvert la voie à la libéralisation politique sous la poussée des forces internes et externes au continent. Des réformes constitutionnelles fondées sur le pluralisme politique et la reconnaissance des droits civils, politiques, économiques et sociaux ont été opérées au cours de « conférences nationales » ou directement par les régimes en place.

Leur mise en oeuvre fait l’objet de la seconde partie du livre. L’auteur montre alors sans complaisance que derrière l’« utopie des mots » démocratiques se dissimule la « dystopie des maux » de la « démocrature » qui s’énonce notamment en termes de violations de l’État de droit, d’instrumentalisation des constitutions, de manipulations des liens ethniques, d’élections truquées et ethnicisées débouchant sur des crises postélectorales plus ou moins violentes et ensanglantées.

Envolé à jamais le rêve démocratique ? serait-on tenté de se demander.

Sans verser dans cette vision pessimiste, Ahadzi-Nonou a le mérite de proposer des pistes de solutions fondées sur une nouvelle forme de gouvernance basée sur le « leadership patriotique », c’est-à-dire « une gouvernance impulsée par des élites animées par l’amour de la patrie, la volonté de se dévouer » à la chose publique et non mues par des intérêts personnels ou ethniques.

Les propositions s’articulent autour de deux grandes idées : l’éducation à la modernité politique et l’adoption d’un constitutionnalisme identitaire adapté aux réalités sociologiques négro-africaines. Dans un cas comme dans l’autre, le fait ethnique est au coeur de l’analyse. Il sert de terreau à la vie politique africaine, avant 1990 comme après. Il est le déterminant des attitudes politiques aussi bien des dirigeants que de la masse. Son instrumentalisation explique très largement la facilité avec laquelle les élites politiques contournent les règles de la gouvernance démocratique. Or il est quasiment ignoré des programmes d’éducation formelle et informelle ainsi que des textes constitutionnels. Le seul moyen de le « domestiquer » et de lui enlever sa charge destructrice est de le sortir du déni qui le frappe actuellement. Pour ce faire, l’auteur recommande tout d’abord d’en enseigner les ressorts historiques et contemporains aux populations dans le cadre d’une éducation citoyenne. Afin d’éviter toute cristallisation micro-ethnique, il recommande que cet enseignement soit accompagné d’une éducation civique qui met l’accent sur les valeurs universelles de tolérance, d’égalité, de solidarité et de participation. Koffi Ahadzi-Nonou propose ensuite que les constitutions reconnaissent très clairement la réalité du fait ethnique et l’organisent politiquement en adoptant, d’une part, un modèle d’États composés (régional ou fédéral) en lieu et place des États unitaires centralisateurs actuellement privilégiés ; d’autre part, des « mécanismes inclusifs de gestion du pouvoir » inspirés du modèle consociatif cher au politologue Arend Lijphart.

Ces solutions ont forcément leurs limites, mais elles mettent l’accent sur le rôle irremplaçable que doivent jouer les élites dans la démocratisation des moeurs politiques en Afrique noire. 

Facile à lire et à comprendre, Les défis du gouvernement démocratique en Afrique subsaharienne depuis 1990 constitue une contribution très enrichissante à la connaissance de l’évolution constitutionnelle et à la sociologie politique africaine. Il confirme la qualité réflexive et la pertinence méthodologique d’un penseur qu’on ne présente plus sur le continent et au-delà. L’ouvrage pluridisciplinaire mérite une place de choix dans les bibliothèques universitaires et dans les programmes d’enseignement contemporains qui se veulent innovants en sciences humaines et sociales.