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Les femmes ont mis du temps à faire leur apparition dans les salles de rédaction sportives francophones québécoises. Alors que les journaux anglophones canadiens ont ouvert leurs pages sportives à quelques chroniqueuses à partir de l’entre-deux-guerres (Robinson 1997; Detellier 2015), il a fallu attendre les années 70 pour qu’un phénomène semblable se produise dans le Québec francophone (Desjardins 1981; Grenier 1983).

Malgré le passage du temps, les femmes sont toujours largement minoritaires dans les salles de rédaction sportives nord-américaines. En 2001, aux États-Unis, les femmes représentaient environ 13 % des journalistes sportifs du pays (Hardin et Shain 2005). Signe d’une stagnation des effectifs féminins, en 2008, elles n’étaient plus que 10 % parmi les journalistes sportifs (Hardin et Whiteside 2009). Dans leur rapport sur la présence des femmes et des personnes de couleur dans les médias sportifs américains, Richard Lapchick et autres (2015), mandatés par l’Associated Press Sports Editors (APSE) relevaient que 87,4 % des journalistes dans le domaine du sport étaient des hommes[1].

Si cette infériorité numérique flagrante s’est maintenue au fil des décennies, la présence des femmes dans l’écosystème des médias sportifs s’est lentement mais sûrement normalisée. Au cours des années 70 et 80, entendre une femme animer une tribune téléphonique sportive à la radio ou encore voir une journaliste sportive couvrir les activités d’un club sportif professionnel surprenait et dérangeait (Grenier 1983). Ce n’est plus le cas au xxie siècle (du moins, dans une large proportion).

Cependant, la normalisation de la présence des femmes dans les médias sportifs québécois ne s’est pas faite en quelques années, mais s’est plutôt étalée sur plusieurs décennies et surtout, sous certaines conditions, y compris des conditions d’ordre économique liées aux changements qui se sont opérés dans l’écosystème médiatique québécois. Le présent article sera donc consacré à la normalisation de la présence des femmes au sein des médias sportifs québécois de 1970 à 2015 : je me focaliserai sur un moment charnière des parcours professionnels des journalistes sportives, soit leur entrée dans le métier. Délaissant l’approche quantitative souvent utilisée pour aborder la place des femmes et leurs expériences dans les médias, sportifs ou non (Pritchard et Sauvageau 1999; Hardin et Whiteside 2009; Robinson 2005; Saint-Jean 2000), je décrirai des résultats qui reposent sur l’analyse d’entrevues menées auprès de journalistes sportives québécoises afin de mieux comprendre, au-delà des chiffres, la manière dont s’est opérée cette normalisation.

Les règles du « jeu » du journalisme sportif

Pour analyser les conditions qui ont permis aux journalistes sportives québécoises francophones de faire leurs premiers pas en journalisme sportif et, ultérieurement, de stabiliser leur présence au sein de cet écosystème, il importe en amont de comprendre les règles du jeu qui structurent ce champ d’activité journalistique. Dans un premier temps, j’examinerai le concept de complexe médiatico-sportif (Jhally 1989) qui a, entre autres, largement contribué à définir les règles implicites liées à l’embauche des premières femmes. Dans un second temps, j’explorerai les rapports de pouvoir genrés qui structurent le journalisme sportif.

Le complexe médiatico-sportif : entre libertés et contraintes

Le complexe médiatico-sportif décrit la relation symbiotique qui s’est développée entre le sport professionnel et les médias de masse (Jhally 1989) dès la fin du xixe siècle avant d’exploser avec l’arrivée de la télédiffusion et des retransmissions en direct (Helland 2007). Ces deux institutions, développées parallèlement, ont rapidement compris que leur entraide pouvait, du côté sportif, mousser la popularité des ligues professionnelles – et éventuellement leur permettre de remplir leurs coffres par l’entremise des ententes de droits de diffusion –, et pour les médias, attirer un lectorat et un vaste public devant la télévision et ainsi vendre cet auditoire aux publicitaires. Autrement dit, « depuis que le sport moderne existe, la presse sportive existe. Ils sont nés ensemble, se sont développés ensemble et se sont soutenus » (Dorvillé 2002 : 23).

La proximité entre journalistes sportifs et institution sportive (Rowe 1992 et 2007; Helland 2007) a contribué à faire du journalisme sportif une spécialité singulière et éloignée du pôle symbolique du pouvoir du « bon journalisme ». Apparemment loin des règles cardinales de l’objectivité, de l’autonomie et de l’éthique (Deuze 2005), le journalisme sportif s’est plutôt bâti une réputation de « toy department » (Rowe 2007 : 385), spécialité plus ou moins sérieuse à l’éthique élastique où les journalistes sont placés en position de dépendance relativement aux organisations sportives. Cette distanciation du pôle de pouvoir implique, entre autres, une faible reconnaissance de la part des collègues ainsi qu’un isolement des professionnels et des professionnelles de l’information sportive par rapport aux autres journalistes.

À titre d’exemple, on apprenait, dans la foulée de l’une des annonces de compressions à CBC/Radio-Canada[2] en avril 2014, que 55 des 75 personnes rattachées à la couverture sportive allaient perdre leur emploi (Radio-Canada 2014). Or, en juin de la même année, La Presse faisait état d’une situation touchant les 11 journalistes sportifs de Radio-Canada qui devaient être replacés ailleurs dans l’organisation : cependant, il leur fallait repasser les tests d’admission, obligatoires pour les recrues, alors que la plupart avaient déjà été soumis à ces examens à leur entrée en fonctions (Dumas 2014). Bien que la direction ait affirmé avoir égaré les tests en question, certains journalistes sportifs visés y ont vu une forme de discrimination. Toutefois, les mêmes caractéristiques qui nuisent au capital symbolique des journalistes sportifs ont aussi contribué à faire de cette spécialité un espace d’expérimentation pour ses artisans et artisanes, où le mélange des genres est omniprésent.

Enfin, le complexe médiatico-sportif met en lumière la finalité économique du journalisme sportif (Tunstall 1971; van Zoonen 1998). Ainsi, l’importance mise sur les retombées économiques de la couverture sportive a engendré une concurrence intermédiatique accrue pour l’obtention de lecteurs et de lectrices de même que de téléspectatrices et de téléspectateurs. Isolement du reste de la profession, expérimentation et forte concurrence apparaissent ainsi comme trois caractéristiques qui marquent le fonctionnement du journalisme sportif.

Des rapports de pouvoir genrés prégnants

Aux caractéristiques mentionnées plus haut s’ajoute la marginalisation des femmes. En effet, le complexe médiatico-sportif est un fief masculin, et son fonctionnement repose sur une division binaire rigide des catégories hommes/femmes. Comme l’indiquent les résultats présentés en introduction, les femmes sont longtemps demeurées des exceptions et sont encore sous-représentées parmi les effectifs rédactionnels sportifs. C’est d’ailleurs ce que pointe la « Televised Sports Manhood Formula » mise au point par Michael A. Messner, Michele Dunbar et Darnell Hunt (2000), soit la diffusion de sports pratiqués par des hommes, par l’intermédiaire de représentants des médias qui sont des hommes, pour un public imaginé comme masculin. Dans ce modèle largement répandu, les femmes sont avant tout accessoires. Par exemple, les recherches soulignent que celles qui apparaissent à l’animation servent prioritairement de faire-valoir à leurs homologues masculins. En outre, les femmes sont rarement présentes dans des postes d’« expertes », que ce soit en tant que descriptrice, analyste ou chroniqueuse. En 2016, au Québec, elles comptaient pour moins de 5 % de l’expertise, tous sports confondus (St-Pierre 2018).

Au-delà des chiffres, le statut des femmes à l’intérieur des salles de rédaction sportives demeure marqué au sceau de rapports de pouvoir inégalitaires basés sur des stéréotypes de genre ancrés dans une vision essentialisante du « féminin » et du « masculin ». Ainsi, plusieurs études menées durant les dernières décennies (Miller et Miller 1995; Gunther, Kautz et Roth 2010; Grubb et Billiot 2010; Hardin et Whiteside 2009; Schoch 2013; Hardin et Shain 2006) révèlent que les journalistes sportives font encore face à une remise en doute constante de leur crédibilité; les femmes, par « nature », en sauraient moins que les hommes sur le sport. Ce discours autour du manque de connaissances sportives présumé des femmes s’accompagne également de l’idée que les journalistes sportives entrent dans la profession sur la base de leur sexe, et non de leurs compétences (Hardin et Shain 2006). Elles seraient engagées pour amener quelque chose de « différent » ou pour remplir des quotas (Miller et Miller 1995). Dans un contexte de concurrence intermédiatique féroce, les femmes seraient donc un moyen comme un autre de se démarquer de ladite concurrence, tout en polissant son image auprès du public et des partenaires au sein du complexe médiatico-sportif. Ces stéréotypes témoignent donc de rapports de pouvoir genrés prégnants dans la profession.

L’accès à la profession : selon quelles conditions?

C’est à la lumière de ces règles du jeu – expérimentation, isolement du reste de la profession, compétitivité intermédiatique, logique économique, dépendance au sport professionnel, masculinité – qui cimentent le milieu du journalisme sportif qu’il convient de se demander comment, au final, les femmes sont parvenues à normaliser leur présence :

  1. Dans la mesure où, pendant des décennies, bien que les femmes aient obtenu des postes dans d’autres spécialités, elles ont été absentes des rédactions sportives, sous quelles conditions, y compris économiques, les premières femmes ont-elles pu faire leur entrée dans ce secteur de l’information au Québec?

  2. Comment la normalisation de l’embauche des femmes s’est-elle produite dans le milieu du journalisme sportif et dans quel contexte économique pendant la période 1970-2015?

  3. Enfin, quelle place la « féminité » a-t-elle prise à travers cette normalisation et quelles en ont été les conséquences?

La démarche méthodologique

Pour les 45 années étudiées (1970-2015), j’ai repéré 33 journalistes sportives ou professionnelles de la médiatisation sportive[3] qui ont travaillé au sein de médias québécois de portée nationale. J’ai choisi de restreindre mon analyse aux professionnelles qui ont travaillé dans les marchés de Montréal et de Québec, les deux plus importants en fait de population et de marché sportif[4]. Par ailleurs, j’ai été incapable d’établir un contact, que ce soit par téléphone, par courriel ou par les réseaux sociaux pour 4 des 33 journalistes visées. En outre, 5 n’ont jamais répondu à mes demandes d’entrevue, alors que 3 se sont montrées intéressées, mais n’ont pas répondu à mes courriels subséquents. Enfin, une journaliste a décliné l’offre de participation, si bien qu’au total 20 femmes ont accepté de me rencontrer.

Chacune des entrevues a duré de 45 à 120 minutes et a été enregistrée pour en tirer un verbatim. Le choix du lieu de l’entretien a été laissé à la discrétion des participantes. À noter que 2 entretiens se sont déroulés par l’intermédiaire des logiciels d’appels vidéo en ligne. Les 18 autres ont eu lieu en personne, soit dans des cafés, sur les lieux de travail des participantes ou, dans un cas, au domicile d’une participante. Au cours de ces entrevues, j’ai questionné ces journalistes sportives sur différents aspects de leur parcours professionnel, en utilisant la méthode de l’entrevue semi-dirigée.

J’ai demandé aux participantes si elles souhaitaient que je mentionne leur véritable nom ou un pseudonyme dans la présentation des résultats. Certaines ont préféré la seconde option, tandis que d’autres ont choisi d’employer leur prénom. Seuls les prénoms – certains réels, d’autres inventés – ont été privilégiés[5]. Pour les mêmes raisons, le nom des médias pour lesquels les participantes ont travaillé n’est pas toujours mentionné.

L’analyse de contenu des entretiens a révélé l’existence de trois vagues d’entrée dans la profession. Elles se démarquent par l’état singulier dans lequel se trouve le journalisme sportif au Québec pendant chacune d’elles et par des conditions d’entrée dans la profession distincte pour les femmes. Le terme « vague » a été préféré à celui de « génération » pour empêcher toute association entre les participantes et leur âge, ce qui évitait de faire de cette caractéristique le point focal de l’analyse. Par exemple, certaines sont entrées à la section des sports après plusieurs années dans d’autres secteurs de l’information. En me distanciant d’une linéarité marquée par le simple passage du temps, je souhaitais favoriser une approche du phénomène basée sur la reconfiguration des enjeux et des rapports de pouvoir au sein du journalisme sportif. Alors que la métaphore de la vague appliquée au mouvement féministe « indicate[s] shifting constellations of relations within the abstract medium constituted by thinking women at any moment in time » (Howie et Tauchert 2004 : 38), cette comparaison invite ici à penser les journalistes sportives à l’aune des réorganisations successives qu’a connues le journalisme sportif. Enfin, le rapprochement avec les vagues du féminisme rappelle que les frontières de ces dernières sont poreuses et floues.

La vague des pionnières : expérimentation, discrétion et soutien masculin au sein d’une tempête parfaite

La première vague, celle des pionnières des années 70 et 80, compte cinq participantes : Liliane, Claudine, Danielle, Diane et Mathilde. À l’époque, les journalistes sportives sont tellement rares que chacune se trouve à être la seule à travailler dans sa salle de rédaction. Les témoignages de ces pionnières révèlent que, pour qu’enfin les femmes fassent leur entrée dans les salles de rédaction sportive, il a fallu attendre une tempête parfaite : vigueur du marché sportif professionnel, concurrence accrue entre médias et recherche de nouveauté. Cependant, ces journalistes ont aussi dû faire preuve de retenue pour certaines et compter sur le soutien d’hommes en position d’autorité afin d’assurer leur présence dans ce champ d’activité.

L’âge d’or du journalisme sportif

Pendant les années 70 et 80, les salles de rédaction sportives sont en pleine ébullition alors que le marché du sport professionnel dans la province est vigoureux. À l’époque, le Québec compte deux équipes de hockey professionnelles – les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec – de même qu’une équipe de baseball professionnel, les Expos de Montréal. La métropole accueille même en 1976 les Jeux olympiques d’été. Dans un contexte de dépendance par rapport au sport professionnel, difficile de demander mieux pour des médias sportifs qui se partagent un petit marché.

La Presse, avec ses chroniqueurs sportifs vedettes tels Réjean Tremblay et Pierre Foglia, ainsi que Le Journal de Montréal, lancé en 1964 et qui reprend « l’esprit des tabloïds britanniques qui exploitent la règle des quatre S (sang, sport, sexe et spectacle) et misent sur des illustrations abondantes » (Couvrette 2009), se livrent une chaude lutte pour attirer le lectorat. Le sport est l’un des fronts sur lequel est menée cette bataille.

La télédiffusion du sport en direct devient peu à peu monnaie courante : au cours des années 80 est lancée TVSQ, chaîne réservée uniquement aux personnes abonnées au câble, qui diffuse des sports amateurs à partir des quatre coins de la province. Ces expérimentations télévisuelles culminent à la fin des années 80 avec le lancement de RDS, première chaîne spécialisée francophone qui, au Québec, est entièrement consacrée aux sports. Enfin, à la radio, les tribunes téléphoniques sportives sont à leur point culminant (Pagé 2007). Dans la ville de Québec, les deux principales stations de radio, CHRC et CKCV, se font une guerre sans merci, et des vedettes locales voient le jour, comme Marc Simoneau, portée par la popularité de leurs tribunes téléphoniques sportives. À cette concurrence entre médias se juxtapose, selon les participantes de cette vague, un appétit pour les expérimentations de toutes sortes, appétit nourri par le désir de se démarquer de la concurrence et rendu possible par une liberté éditoriale relativement forte dans le secteur sportif qui, isolé du reste de la profession pour le meilleur et pour le pire, peut laisser libre cours aux idées les plus folles. Cette situation va contribuer favorablement à l’entrée des femmes à la section des sports.

Se démarquer de la concurrence avec la bénédiction d’une figure d’autorité

Liliane fait ses débuts à La Presse au début des années 70. D’abord engagée aux petites annonces, elle accumule les promotions jusqu’à se retrouver à la section des sports. Elle est chargée de traduire de l’anglais au français les communiqués de presse. Les sports à La Presse se distinguent alors par l’arrivée d’une nouvelle garde : « C’était tout du jeune de 20 à 30 ans là, tous les journalistes sportifs. Et c’était particulièrement flyé comme gang », explique l’ancienne journaliste. Faux courrier du coeur, blagues sur le pape, annonce des résultats sans préciser les compétiteurs, tout y passe. Et « à un moment donné, lors d’une réunion [quelqu’un] a dit : “ Heille ”, ils se cherchaient toujours des idées de fou, fait qu’une des idées de fou qui est ressortie c’est “ faudrait qu’on [ait] une femme journaliste ”. Et là, quelqu’un a dit : “ Oui, mais qui? ” Y’en a un qui a dit : “ Ben, Liliane, pourquoi pas? ” Et c’est sorti de même, tout simplement ». Son patron de l’époque l’a rapidement envoyée couvrir une compétition d’athlétisme, faisant officiellement d’elle une journaliste sportive.

Diane, journaliste de la radio, après plusieurs années à travailler à l’information générale, va finalement entrer à la section des sports d’abord par un coup de pouce du populaire animateur Pierre Pascau, à qui elle confie lors d’un repas d’équipe son désir de couvrir le sport. De sporadique, son rôle aux sports va devenir régulier à l’arrivée de Pierre Bourgault à la barre de l’émission du matin. CHRC et CKCV luttent sans merci pour les cotes d’écoute dans le créneau matinal, et Bourgault se voit offrir carte blanche par les dirigeants de CKCV, ceux-ci misant sur le réputé personnage pour s’imposer devant André Arthur, vedette de la radio parlée de Québec. Diane explique :

J’ai dit [à Bourgault] : « Moi, dans le fond, je fais de l’information générale, mais j’ai toujours voulu être aux sports. » Lui, évidemment, une femme aux sports, dans la mentalité de Pierre Bourgault, y’en a pas, il n’y en a pas de fille qui font les sports dans les morning show. Il dit : « Tu veux faire du sport, tu vas faire du sport. » […] Il dit : « Moi, je veux une femme, ça va être différent. » Pis lui, il voulait qu’on parle pas juste de sports traditionnels, de hockey. Et avec Pierre Bourgault, tu t’entends que c’est pas un bulletin de sports que tu prends, que tu lis. C’est tout le temps de l’improvisation. Tu réagis, et tout ça. Fait que c’est comme ça que ça a commencé.

Ainsi, être une « femme », sans qu’il soit ici question de « féminité », recèle une forme de capital positif aux yeux des collègues et des patrons des deux femmes, capital que pourra s’approprier leur média pour se démarquer de la concurrence.

L’arrivée des pionnières, facilitée par un contexte économique fécond, a cependant été rendue possible par le coup de pouce de la part d’hommes en position d’autorité. C’est le cas de Liliane et de Diane, mais aussi celui de Danielle, qui a fait sa marque à la radio.

Dès l’adolescence, Danielle appelle régulièrement les tribunes téléphoniques sportives pour donner son opinion, préparant ses interventions avec soin. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle s’inscrive à un concours pour devenir coanimatrice d’un jour aux côtés de Marc Simoneau à l’émission Sports Magazine et le remporte :

Pis ça riait le matin dans l’émission d’André Arthur[6] [qui] disait : « Ha, les pauvres enfants, ils vont manger du TV Dinner parce que leur mère va venir parler de sport. » C’était des commentaires un peu machos, controversés, pour solliciter des réactions, comme ils en étaient capables. Pis j’ai fait cette émission-là comme coanimatrice, et ça vraiment très bien été.

En fait, l’expérience s’avère tellement positive que, quelques mois plus tard, la jeune femme reçoit une offre de la part de Simoneau : s’occuper des bulletins sportifs de fin de semaine à CHRC. Après quelques semaines, elle est propulsée à l’animation de la tribune téléphonique de fin de soirée, de 22 heures à minuit. André Arthur, malgré ses premiers commentaires, et Marc Simoneau vont « défend[re] bec et ongles » le travail de Danielle : celle-ci doit, à ses débuts, faire face à quelques auditeurs qui appellent uniquement pour lui poser une colle ou encore pour lui rappeler que sa place, en tant que femme, n’est pas au micro d’une émission de sports.

Une entrée en douceur : prière de ne pas déranger

Les deux autres pionnières, Claudine et Mathilde, ont, elles aussi, grandement bénéficié des expérimentations lancées dans la foulée d’un âge d’or sportif. Dans leur cas toutefois, il n’y a pas eu de coup de pouce d’hommes en situation d’autorité, mais plutôt une capacité à ne pas déranger, à s’imposer en douceur par des chemins de traverse.

Claudine s’est introduite dans la profession en passant par TVSQ, chaîne câblée qui ne possédait même pas de locaux, mais un simple studio mobile qui sillonnait la province pour couvrir les tournois de dards, de quilles et d’autres sports amateurs. La polyvalence développée dans ce média marginal – elle couvre plus de 40 sports différents – lui permet d’entrer dans la « cour des grands » :

En 1989 […] j’vais toujours me rappeler quand je suis rentrée [à RDS], il y a un monsieur qui était assis dans le bureau d’un des patrons et je venais de rencontrer celui qui allait m’engager […] Et là, j’vois un monsieur qui me voit passer et qui dit : « Oui, mais elle, a connaît ça. » C’était un monsieur qui venait pour vendre une émission de dards. Évidemment que je connaissais ça. J’avais fait des dards à TVSQ. J’avais tout fait à TVSQ.

Habituée de tout décrire, Claudine accepte d’agir comme descriptrice pour des sports à l’époque marginaux au Québec, et dont ses collègues masculins ne veulent pas.

Tout comme Claudine, Mathilde adopte une approche qui s’éloigne de la confrontation. Elle se retrouve à la section des sports quand un poste de remplacement s’ouvre pour cause de congé de maladie. L’accueil de ses collègues masculins n’est pas particulièrement chaleureux :

On était des annonceurs, et le monsieur qui était en charge de ce bureau-là m’avait fait venir à son bureau avant mon premier bulletin et là, il m’avait dit : « Là, vous êtes la première. Vous avez intérêt à être bonne. Là, ce soir, dans votre bulletin, les vieux, Garneau, Lecavalier, Lebrun, ils vont tous vous écouter. Ça intérêt à être bon. »

Malgré cela, Mathilde croit que son arrivée a quand même été rendue possible par le fait qu’elle ne « tassait » personne. Personne n’a été congédié ni déplacé pour lui faire une place. Elle a simplement obtenu un poste vacant, ne bousculant personne sur son passage.

La vague des pionnières, et par le fait même l’arrivée des femmes dans les médias sportifs, s’est donc concrétisée grâce à une conjoncture économique favorable qui permet finalement au journalisme sportif de se joindre au reste de la profession et à la société québécoise, et ce, en ouvrant ses portes aux femmes. Ce contexte professionnel et social à lui seul n’est toutefois pas suffisant pour que les femmes puissent uniquement compter sur leurs qualités professionnelles afin de percer la profession. Elles ont dû avoir soit des hommes derrière elles pour leur permettre d’obtenir un poste, soit se faire toutes petites et éviter d’entrer en concurrence directe avec les hommes, ce qui témoigne de rapports de pouvoir genrés hiérarchisants qui reposent sur la simple binarité hommes/femmes, sans même avoir besoin d’user directement ou non de stéréotypes genrés.

La vague de la stabilisation : normalisation et « féminité » au coeur des années noires

Les cinq participantes qui forment la deuxième vague de journalistes sportives – Denise, Marie-Claude, Marie, Stéphanie et Sophie – font leur entrée à la section des sports au cours des années 1990 et au début des années 2000. Après l’effervescence des années 70 et 80, l’écosystème médiatique sportif québécois est marqué par une série de revers et de bouleversements qui viennent redessiner ses contours, ces derniers comptant désormais des femmes. Malgré les difficultés des médias sportifs, liés à un bouleversement du complexe médiatico-sportif québécois, l’embauche de journalistes sportives reste stable. Certaines se voient offrir des postes sans que leur identité de femme soit le point focal de leur embauche, alors que paradoxalement la « féminité » devient une forme de plus-value pour d’autres.

Des départs qui font des dommages

La décennie 1990 et le début des années 2000 mettent fin aux belles années du journalisme sportif. Le départ des Nordiques de Québec pour le Colorado en 1995 marque un profond recul de la radio parlée sportive à Québec. Le déménagement des Nordiques signifie la fin de la diffusion de leurs matchs et de la couverture quotidienne de leurs activités. Le même phénomène survient en 2004 quand les Expos de Montréal prennent la route de Washington.

En plus du départ définitif de ces deux franchises professionnelles, le complexe médiatico-sportif québécois connaît un second bouleversement : la fin de l’éclatement des droits de diffusion des matchs des Canadiens de Montréal. En 2003, RDS signe un accord avec les Canadiens, accord qui sera reconduit en 2007, pour la présentation de tous les matchs de l’équipe (Agence QMI 2013). Fini le temps où plusieurs diffuseurs se partageaient les matchs. Complète ce portrait la fermeture en 2002 de la section des sports de TVA, qui touche 13 journalistes sportifs (Normandin 2002).

Cette conjoncture se révèle peu favorable à l’accroissement des effectifs au sein des salles de rédaction sportive. Et pourtant, force est de constater que, pour les journalistes sportives, le travail des pionnières porte déjà ses fruits. S’il n’y a pas de grande expansion quantitative de la présence des femmes – vu les circonstances, cela aurait été somme toute étonnant –, les processus d’embauche des journalistes sportives de la deuxième vague laissent entrevoir une forme de normalisation de leur présence puisque cette situation défavorable ne marque pas pour autant un recul des femmes.

Ainsi, comparativement aux pionnières, les journalistes sportives de la deuxième vague ne sont plus engagées pour permettre à leur média de se différencier de la concurrence. Elles n’ont plus à compter sur le coup de pouce d’hommes en position d’autorité ni même à se créer une niche, de crainte de déranger. Elles accèdent à la profession selon deux scénarios a priori non genrés : le remplacement et la candidature standard.

Sauter sur l’occasion : remplacements et candidatures

Marie-Claude et Sophie, qui ne se destinaient pas au journalisme sportif, s’y sont introduites à l’occasion de remplacements. Alors qu’elle travaille comme recherchiste dans une station de radio, le collègue des sports de Marie-Claude démissionne avec fracas un matin, peu de temps avant d’entrer en ondes :

Y’a démissionné à 6 h 01. À 6 h 05, c’était son bulletin de sports. On n’avait personne pour le remplacer, fait que [l’animateur] m’a dit : « Tu vas venir faire les sports. » Et c’est comme ça que j’ai commencé dans l’univers du sport. Donc, je connaissais minimalement le sport. Mon père travaillait [pour une chaîne sportive] à l’époque. Donc j’avais des billets de hockey. Mais je m’intéressais à ça comme on s’intéresse à tout quand on est recherchiste finalement.

Motivée par les propos d’un collègue de la station qui affirme que « [c]’est le pire choix de carrière que tu peux faire. Va-t’en au culturel. Les filles, ça va au culturel. Ça va pas aux sports », la jeune femme fait de ce remplacement, qui aurait pu ne durer que quelques jours, une entrée en bonne et due forme dans le journalisme sportif.

Après avoir lu l’article de Sophie sur le dopage, le directeur des sports du média où elle travaille, qui « avait beaucoup aimé [sa] façon de traiter le sujet », lui demande en raison du départ en congé de maladie d’un collègue si elle accepte de prendre le poste : « J’étais pas permanente et tout ça, donc j’ai accepté en ne sachant pas trop ce qui m’attendait. »

Si ces journalistes sportives profitent de ces départs pour faire leur entrée à la section des sports, il n’en demeure pas moins qu’elles sont rapidement apparues aux yeux de leurs patrons comme des « options » tout aussi valides que leurs collègues masculins en vue de pourvoir les besoins à l’interne des organisations médiatiques où elles travaillent, ce qui est un signe non négligeable de normalisation de la présence des femmes.

Denise, Marie et Stéphanie n’ont pas eu à se battre de manière différente de leurs collègues masculins (ou futurs collègues) pour décrocher un poste à la section des sports. Denise a posé sa candidature à un poste à l’interne et l’a obtenu. Marie a répondu à une offre d’emploi alors qu’un média cherchait un collaborateur ou une collaboratrice externe pour réaliser une série de reportages sur les Jeux olympiques. Enfin, Stéphanie a présenté sa candidature à l’interne à un poste permanent à la section des sports et elle l’a emporté.

Les journalistes sportives n’ont plus à fournir les mêmes efforts que les pionnières pour s’imposer, ni à trouver des hommes prêts à soutenir leur candidature auprès des dirigeants. Leurs candidatures sont valides en elles-mêmes.

La « féminité » : un argument de vente de soi

La deuxième vague est aussi celle qui préfigure un phénomène qui va s’épanouir dans la troisième vague, soit l’accroissement du poids de la performativité d’une « féminité » normative. Alors qu’elles sont au coeur du processus d’embauche, Marie et Stéphanie vont ainsi revendiquer une forme de « savoir-faire féminin », différent de celui des hommes, pour justifier leur embauche. Stéphanie explique : « En entrevue, j’ai plaidé le fait que j’étais une femme, que je pouvais apporter un angle différent. Pis je pense vraiment que je pouvais apporter un angle différent, pis que j’ai apporté un angle différent. »

La « féminité » que ces femmes mettent en avant dans leurs entretiens d’embauche offre cependant des contours flous. Elle se définit comme la capacité qu’auraient les femmes à faire les choses différemment des hommes, à « performer » le métier de journaliste sportif en dehors de la norme masculine. Ce faisant, ces participantes s’appuient sur l’idée d’une « écriture » journalistique et de pratiques dites féminines, sujet largement débattu au sein des études sur le journalisme (Saint-Jean 2000; Robinson 2005; Ross 2001; van Zoonen 1994; Bruin 2000). Stéphanie et Marie n’ont pas explicité ce que serait, ou est, ce savoir-faire féminin, se contentant de le présenter comme une valeur supplémentaire à leur embauche.

La vague de la performance : la mise en marché d’une féminité normative

La troisième vague est celle de la performance. Les témoignages des 10 participantes qui en font partie révèlent une injonction implicite – parfois explicite – de la part de leurs patrons à la performance d’une féminité normative, et ce, dès le processus d’embauche. La performativité est ce processus d’inscription corporelle, de répétitions des normes de genre et du discours dominant hétérosexuel (Butler 1990). Chaque situation sociale demande à ce que l’on exprime et réaffirme son identité genrée.

L’accent mis sur la performativité se développe alors que s’estompe le creux de vague des années 90. Les Alouettes de Montréal et l’Impact de Montréal[7] sont maintenant implantés depuis au moins une dizaine d’années dans le marché professionnel sportif. La concurrence reprend de plus belle entre médias sportifs, avec le médium télévisé comme zone de combat. En effet, le lancement de la chaîne spécialisée TVA Sports au début de la décennie 2010 marque le coup d’envoi d’une guerre de tranchées entre RDS, propriété de Bell Média, et TVA Sports, qui appartient au groupe Québecor.

La normalisation de la présence des femmes et la vitalité retrouvée du secteur de la médiatisation sportive ne sont pas étrangères au fait que l’on compte plus de journalistes sportives dans la troisième vague que dans les vagues précédentes. Ces nouvelles embauches de femmes sont toutefois concentrées exclusivement à la télévision, médium par excellence de l’image et de l’apparence, et champ de bataille de cette reprise concurrentielle.

Ce qui était présenté dans la deuxième vague comme un « savoir-faire féminin » et la revendication d’une féminité aux contours flous prend la forme dans la troisième vague, sous l’impulsion d’un marketing de la féminité, d’une « féminité normative » aux contours rigides qui permet de moins en moins d’expressions diversifiées à cet égard.

Dès l’annonce du lancement de TVA Sports en 2011, les responsables de la nouvelle chaîne spécialisée précisent que les femmes occuperont une place de choix dans la programmation, cinq d’entre elles ayant été embauchées. Paul Rivard, rédacteur en chef de TVA Sports, indique lors de la conférence de presse qu’« [e]lles apporteront un bel équilibre à ce monde peuplé d’hommes » (Boulay 2011). Des publicités sont mises en avant pour mousser la présence des femmes, une forme de stratégie marketing (branding) pour la chaîne qui, à ce moment-là, ne possède pas les droits de diffusion des matchs des Canadiens de Montréal. Une stratégie de positionnement sur le marché dont les journalistes que j’ai rencontrées ne sont pas dupes, comme en témoignent respectivement Nancy et Corinne :

Au départ, la façon dont on a été présentées […] c’était voici notre brochette de femmes. Fait que là, j’ai fait : « Attendez, on a été présentées comme étant une brochette de femmes? C’est pas ça moi là, je suis pas là pour ça. » Fait que parce qu’on a été présentées comme ça, pis les promos qui ont été faites, ça été fait d’une façon un peu séducteur. Là, je me disais : « Bon, on va devoir se battre contre ça. » Notre propre station nous a positionnées comme étant des femmes qui aiment le sport, mais qui sont cutes. J’étais comme, ah non, c’est pas vrai. J’ai dit : « Non. On devrait pas être présentées plus séductrices qu’un reporter masculin. » C’est cliché, mais c’est ça.

Le groupe de filles de la station […] on en a ri de la façon dont on a été présentées mais, en même temps, les autres journalistes des autres stations en ont ri aussi, fait qu’ils savaient très bien la façon dont on avait été positionnées, disons. Fait qu’il fallait un petit peu contrer cette image-là préconçue des femmes qui aiment le sport, mais qui sont cutes. Là, j’ai fait comme : « Ok, faut passer à travers ça. » Fait que ça, c’était un défi dans le sens où, c’est sûr que si tu fais de la télé, habituellement quand t’es une femme, tu fais de la télé en sport, faut que [tu aies] un certain look. Si tu l’as pas, on va t’arranger pour que [tu aies] ce look-là. Fait qu’il fallait un peu fitter là-dedans.

Cependant, TVA Sports n’a pas l’apanage de la mise en marché d’une féminité normative. Les participantes qui travaillent pour d’autres médias, ou l’ont fait, connaissent elles aussi les attentes de performance d’une féminité normative qui pèsent sur leurs épaules. Évelyne mentionne que les femmes qui ne correspondent pas aux attentes genrées éprouvent davantage de difficultés :

Je pense qu’une fille d’une moins belle apparence physique va peut-être avoir un petit peu plus de difficultés à percer. Par contre, si elle perce, elle va être d’emblée qualifiée comme une fille extrêmement crédible. Une belle fille va passer beaucoup plus rapidement, beaucoup plus facilement; par contre, va falloir qu’elle se démène beaucoup plus longuement pour prouver qu’elle est crédible. Parce que maintenant, ce que les gens pensent, c’est que les réseaux mettent des belles filles parce que ça attire le monde.

Érika dénonce elle aussi cette situation :

On devrait être ouvert et y aller seulement avec les compétences. Parce que dans le sport, c’est bien plate à dire, mais il faudrait que ce soit juste les compétences. Moi, j’aime bien mieux voir une petite laide à la télé, mais qui est bonne en tabarnouche, qui a une belle personnalité, qui m’explique quelque chose, qui est forte. Quelqu’un qui a déjà joué au hockey, y’en a plein. Même si est pas un pétard, qu’elle ne rentre pas dans les standards, pis elle mesure pas 5 pieds 10, pis qu’elle pèse pas 100 livres, je m’en sacre. On peut-tu enlever ces stéréotypes-là? Pis d’après moi, sont encore là, un peu beaucoup avec les filles.

Les journalistes sportives de la troisième vague doivent, par leur apparence physique, offrir une image de la féminité normative que l’on peut définir comme « la forme culturellement idéalisée de la féminité, forme qui participe à la domination des femmes et qui exerce une domination sur les autres formes de féminité » (Courcy et autres 2006 : 32). Cette « féminité normative » prend la forme d’une injonction à la performance de genre de la part des dirigeants des médias sportifs, exigence ressentie dès l’embauche. Diane, pionnière dans le domaine, résume bien les conséquences de ce passage de la normalisation à la marchandisation lorsqu’elle affirme que les journalistes sportives se doivent maintenant d’avoir « et le look, et les compétences ».

Conclusion : tokenism et binarité

Les journalistes sportives ne sont à aucun moment parvenues à dépasser le statut de token dans les médias sportifs de la province, c’est-à-dire qu’elles sont encore largement sous-représentées dans la profession. Effet pervers du tokenism, la présence d’une femme dans une équipe composée autrement d’hommes peut donner l’impression d’atteinte de l’égalité, et ce, même si la diversité est fort sommaire (Anisman-Razin et Saguy 2016). Les participantes témoignent de processus d’embauche qui n’ont pas pour objet d’augmenter le nombre de femmes dans un objectif d’égalité numérique entre les sexes.

En réalité, exception faite de la deuxième vague, où les motifs d’embauche des femmes ne sont pas genrés, les témoignages des participantes mettent en avant des motivations à l’embauche qui ne prennent pas racine dans une recherche d’égalité, mais avant tout dans un positionnement stratégique des médias qui veulent se démarquer dans un environnement concurrentiel. On ne peut nier que la santé économique des médias sportifs, elle-même grandement dépendante de la vigueur du sport professionnel en raison du complexe médiatico-sportif, se trouve au coeur de l’entrée des femmes dans la profession. Ce sera d’abord l’effervescence des années 70 et 80 qui mènera à l’arrivée des pionnières, et un regain de vigueur du secteur fera monter numériquement les effectifs féminins au cours des années 2000 et 2010. Si des changements sociaux ont aussi secoué le Québec de 1970 à 2015, ce ne sont pas ces derniers que font valoir nos participantes.

L’analyse des vagues d’entrée des journalistes sportives laisse aussi entrevoir une normalisation qui, loin de faire disparaître ou d’atténuer la binarité hommes/femmes, masculin/féminin, participera plutôt à long terme à son accentuation au moyen de la mise en marché d’une féminité normative. Les participantes de la troisième vague ne manquent pas de souligner que ce phénomène crée une barrière supplémentaire à l’entrée : les journalistes sportives doivent correspondre physiquement à une image figée d’une forme de féminité. Cette réalité est amplifiée par la concentration des effectifs féminins à la télévision, où l’image se révèle omniprésente.

Me concentrant sur l’arrivée dans la profession de chacune des vagues de journalistes sportives, j’ai voulu poser un premier jalon vers une compréhension plus large des parcours professionnels des journalistes sportives québécoises, et de l’importance jouée par le complexe médiatico-sportif et l’état de l’écosystème des médias sportifs dans les parcours en question. Il sera pertinent de s’intéresser dans une analyse ultérieure aux manières dont les rapports de pouvoir genrés agissent dans leur carrière une fois qu’elles ont intégré la profession. Il faudra également observer les conditions d’entrée susceptibles d’influer sur la suite d’un parcours professionnel. Par exemple, les journalistes sportives de la troisième vague, re(présentées) comme des « belles filles » avant tout, sont-elles susceptibles de subir davantage le poids des stéréotypes qui pèsent sur les femmes quant à leur manque de connaissances sportives? Les journalistes qui ont misé à l’embauche sur un « savoir-faire » féminin ressentent-elles une injonction à pratiquer leur métier différemment de leurs collègues masculins une fois sur le terrain? Voilà des questions à explorer pour la suite.