Corps de l’article

Introduction

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) font aujourd’hui partie du fonctionnement des universités et peuvent à ce titre potentiellement influencer le rapport à la connaissance et les manières de la transmettre (voir par exemple Isaac, 2007 ou Paivandi et Espinosa, 2012-2013). La plupart des universités mettent actuellement à disposition des enseignants et des étudiants une plateforme d’apprentissage en ligne (par exemple « Moodle »), permettant aux premiers de diffuser des informations et de proposer des ressources et des activités à destination des seconds. Cette technologie offre de nombreuses possibilités, mais l’on dispose encore d’assez peu d’analyses concernant l’appropriation des ressources par les étudiants. En effet, le simple fait de mettre à disposition des ressources ne garantit pas que les destinataires s’en emparent. En l’occurrence, les étudiants peuvent avoir peu d’incitations à se connecter à la plateforme et à utiliser les ressources qui y sont proposées. Un des avantages des plateformes numériques réside dans la collecte systématisée d’informations concernant les connexions et activités des utilisateurs (logs), ouvrant la voie à de nombreuses possibilités d’analyse. Le travail que nous proposons dans cet article s’inscrit ainsi dans le champ de recherche parfois appelé « fouille des traces d’activité d’apprentissage », ou « educational data mining » en anglais. Romero et Ventura (2010) établissent une multitude d’objectifs pouvant être poursuivis dans ce cadre, à destination de différents types d’usagers (étudiants, enseignants, administration des établissements, etc.). Notre analyse est avant tout destinée aux enseignants, dans un but d’amélioration des pratiques pédagogiques. Elle s’inscrit dans le prolongement de travaux tels que ceux de Lavigne, Organista-Sandoval et McAnally-Salas (2008) ou Benabid (2017). Son originalité repose à la fois sur l’objet d’étude (données de connexions issues d’un enseignement du premier semestre de licence regroupant plus de 300 étudiants dans une université française de proximité) et le type d’analyse proposé : outre les statistiques descriptives, nous proposons une étude poussée des déterminants de la consultation des ressources numériques s’appuyant sur une méthodologie statistique à notre connaissance inédite pour le traitement de cette problématique.

1. Contexte et méthodologie

Les données analysées dans la suite de l’article concernent un cours d’introduction à l’analyse économique proposé au premier semestre de la licence Économie et gestion (EG) et de la licence Administration économique et sociale (AES) à l’Université d’Artois lors de l’année 2017-2018. L’enseignement est composé de 24 heures de cours magistral, réparties en 12 séances de 2 heures, et de 15 heures de travaux dirigés, réparties en 7 séances de 2 heures et une séance de 1 heure. Les cours ont débuté la semaine du 4 septembre et se sont terminés la semaine du 27 novembre 2017. Trois évaluations écrites ont été organisées : deux au titre du contrôle continu (les 18 octobre et 15 novembre) et une au titre du contrôle terminal (le 13 décembre). Une page concernant ce cours a été créée sur la plateforme Moodle de l’Université. Les étudiants pouvaient s’y inscrire librement, sans clé d’inscription. De façon générale, cette page a été conçue dans l’objectif de constituer un lieu unique rassemblant toutes les informations et tous les contenus relatifs au cours. Elle constitue à la fois un moyen de communication direct avec les étudiants (annonce des changements de planning par exemple, en complément des annonces faites par le secrétariat, et rappel des adresses électroniques des enseignants qui peuvent ainsi facilement être contactés par les étudiants en cas de besoin) et un lieu de stockage d’un ensemble de documents, appelés par la suite « ressources », en lien avec le cours. Ces ressources ont été déposées régulièrement au cours du semestre. Leur description complète est fournie en annexe. Le tableau 1 en présente une synthèse.

Tableau 1

Ressources proposées sur la page Moodle du cours

Ressources proposées sur la page Moodle du cours

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Les ressources proposées sont de nature variée : textes, diaporamas, documents audio, documents vidéo, questionnaires, sites Internet. Afin de faciliter les analyses proposées dans la section suivante, elles ont été regroupées en trois grandes catégories : les ressources générales relatives à la présentation et à l’organisation du cours, les ressources liées très directement au contenu du cours (diaporamas des cours, questions de révision et annales) et, enfin, les ressources complémentaires au cours, venant illustrer un point précis et ayant pour but de favoriser l’assimilation du cours. Parmi ces 78 ressources, 34 (43,6 %) ont été définies comme « courtes » (les seuils utilisés étant 6 minutes pour les documents audio et vidéo, 2 pages pour les textes et 6 pages pour les diaporamas). Par ailleurs, 23 (29,5 %) peuvent être considérées comme favorisant une attitude active des étudiants dans la mesure où elles contiennent des consignes, questions ou exercices.

Les données d’activité des étudiants concernant l’ensemble des ressources proposées ont été extraites pour la période du 6 septembre 2017 (date du premier cours) au 13 décembre 2017 (date de l’examen final). On dispose ainsi, pour chaque étudiant, du nombre de connexions à chaque ressource, ainsi que de la date et de l’heure de la connexion. La plateforme enregistre une connexion pour chaque « action », par exemple une « vue » d’une ressource. Pour certaines ressources, les questionnaires par exemple, cela peut conduire à un grand nombre de connexions (vues des différentes pages du questionnaire) alors qu’il s’agit d’une seule consultation d’une même ressource. Pour éviter ces problèmes, nous avons créé une variable de nombre de consultations, qui comptabilise au maximum une connexion pour une même ressource par jour et par étudiant. Nous avons également construit une variable correspondant à la première connexion de chaque étudiant pour chaque ressource.

En plus des données d’activité fournies par la plateforme Moodle, nous disposons d’un ensemble de données concernant les étudiants, grâce au questionnaire proposé en tout début de semestre (et faisant partie des ressources analysées) intitulé Quelques questions pour mieux vous connaître. Ces données sont de nature déclarative et portent sur : ce que les étudiants faisaient l’an dernier, le fait qu’ils aient déjà suivi des cours d’économie, leur temps de trajet domicile-université, le fait qu’ils soient boursiers et le fait qu’au moins un de leurs parents ait fait des études supérieures. Enfin, nous disposons de quelques informations administratives à leur sujet : sexe, filière suivie (EG ou AES), note obtenue à la matière, moyenne générale du semestre. Dans la section suivante, nous présentons un ensemble de statistiques descriptives concernant l’utilisation de la plateforme et des ressources par les étudiants. Nous proposons également des modèles statistiques permettant d’estimer la probabilité de consultation d’une ressource en fonction à la fois des caractéristiques des étudiants et des caractéristiques des ressources.

2. Résultats

2.1. Utilisateurs et non-utilisateurs de la page du cours

Au total, 371 étudiants ont été désignés comme participants au cours. La plupart (341) ont effectué une inscription pédagogique auprès du secrétariat de licence. Les autres ont été ajoutés à notre liste d’étudiants car ils ont suivi au moins une séance de Travaux dirigés (TD). On compte légèrement plus de femmes (55,0 %) et légèrement plus d’inscrits en filière AES (53,6 %). Parmi ces 371 étudiants, 251 (67,6 %) se sont inscrits à la page Moodle du cours. Toujours parmi ces 371 étudiants, 54 (14,6 %) n’ont participé à aucune des 3 évaluations du semestre. Si l’on exclut ces étudiants des participants au cours, le taux d’inscrits à la page Moodle du cours passe à 75,7 %. Parmi ceux qui ne se sont pas inscrits, les hommes sont surreprésentés (ils sont 29,0 % à ne pas être inscrits contre 20,7 % chez les femmes). Enfin, ceux qui ne se sont pas inscrits ont obtenu des notes très faibles à la matière : 2,9 en moyenne (contre 10,5 chez les inscrits) et aucun n’a atteint 10/20 (note maximale chez les non-inscrits : 8,8 contre 19,16 chez les inscrits).

2.2. Description des consultations de ressources

Parmi les 251 étudiants inscrits à la page Moodle du cours, 14 n’ont eu aucune activité de consultation de ressources. Les données qui suivent portent donc sur les 237 étudiants qui ont consulté au moins une ressource pendant le semestre.

Nombre de connexions et type de ressources consultées

Un total de 7 880 consultations a été relevé. Cela représente 33,2 consultations par étudiant en moyenne, avec un minimum de 1 et un maximum de 226. La figure 1 représente la distribution des étudiants en fonction de leur nombre de connexions.

On constate une différence hommes/femmes en faveur des secondes : elles comptabilisent 32,5 connexions en moyenne contre 25,3 pour les hommes.

Si on analyse le nombre de ressources (différentes) consultées (autrement dit, si on compte chaque ressource une seule fois, quel que soit le nombre de connexions pour cette ressource), on obtient une moyenne de 20,7, selon la distribution représentée à la figure 2. Chez les femmes, la moyenne est de 22,9 connexions contre 17,1 chez les hommes.

Figure 1

Distribution du nombre total de connexions par étudiant

Distribution du nombre total de connexions par étudiant

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Figure 2

Distribution du nombre de ressources différentes consultées par étudiant

Distribution du nombre de ressources différentes consultées par étudiant

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Le nombre total de connexions et le nombre de consultations uniques par étudiant pour chaque ressource sont reportés dans l’annexe. Avec l’un ou l’autre indicateur, on trouve parmi les ressources les plus consultées : les diaporamas du début de semestre, les questions de révision concernant le premier thème, les annales de l’an dernier et le questionnaire Quelques questions pour mieux vous connaître.

La figure 3 représente le pourcentage de connexions selon le type de ressources. Les supports de cours sont la catégorie majoritairement consultée (52,1 % des connexions). Viennent ensuite les supports de révision et les annales.

Figure 3

Pourcentage de connexions selon le type de ressources

Pourcentage de connexions selon le type de ressources

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Dans la mesure où le nombre de ressources présent dans chaque catégorie conduit à augmenter naturellement le nombre de connexions totales à cette ressource, un autre indicateur a été calculé : le nombre de connexions moyen par ressource de chaque type (figure 4). Le classement des types de ressources les plus consultés reste proche de celui proposé à la figure 3. Les ressources les plus consultées sont celles qui sont en lien direct avec le cours. Le type de ressources qui obtient le moins de connexions sont les documents vidéo.

Calendrier

La figure 5 représente le nombre d’inscriptions (autrement dit de première connexion) à la page Moodle du cours au cours du semestre. Elle indique que 16 % des inscriptions ont eu lieu dès le premier jour de cours. Le seuil de 50 % d’inscrits est atteint 10 jours après le début du cours.

Figure 4

Nombre de connexions moyen par ressource de chaque type

Nombre de connexions moyen par ressource de chaque type

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Figure 5

Répartition des inscriptions à la page Moodle du cours au cours du semestre

Répartition des inscriptions à la page Moodle du cours au cours du semestre

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La figure 6 représente le nombre de connexions ayant eu lieu chaque jour durant le semestre. On y constate trois pics très nets correspondant aux dates d’interrogation.

Figure 6

Répartition des connexions au cours du semestre

Répartition des connexions au cours du semestre

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On peut aussi étudier la durée qui sépare la mise en ligne d’un document de sa première consultation par les étudiants. Le mode de cette variable est 1 jour et sa moyenne 21 jours. La figure 7 représente la distribution de ces écarts.

Figure 7

Nombre de premières consultations d’une ressource en fonction de l’ancienneté de sa mise en ligne

Nombre de premières consultations d’une ressource en fonction de l’ancienneté de sa mise en ligne

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Enfin, on peut étudier la répartition des connexions au cours de la semaine (figure 8). Il apparaît que les connexions sont assez étalées (tous les jours connaissent un nombre de connexions non négligeable et l’amplitude horaire est large). Les jours concentrant le plus de connexions sont les mardis et mercredis. Un pic de connexions est observé juste avant le début du cours (qui a eu lieu les mercredis de 13 h à 15 h, à deux exceptions près).

Figure 8

Nombre de connexions en fonction des heures et des jours de la semaine

Nombre de connexions en fonction des heures et des jours de la semaine

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Lien avec la note obtenue à la matière

Sur les 237 étudiants ayant eu une activité sur la page Moodle du cours, 7 n’ont passé aucune évaluation. Les données suivantes portent donc sur 230 individus. Les caractéristiques de consultation des ressources sont comparées entre 4 groupes, définis par le quartile de la note obtenue à la matière (Q1 = 6,08; Q2 = 11,30; Q3 = 15,24). Le tableau 2 permet de constater que la note obtenue à la matière est corrélée positivement à une inscription précoce à la page Moodle du cours, à un nombre important de connexions et de documents consultés et à un écart faible entre la mise en ligne de la ressource et sa consultation. Nous ne présageons rien ici quant au sens du lien de causalité entre ces variables. Il est en effet probable que les bons étudiants consultent plus de ressources plus rapidement. Mais il est aussi possible que la consultation précoce d’un nombre important de ressources participe à l’obtention d’une bonne note.

Les coefficients de corrélation entre la note obtenue à la matière et les 4 variables du tableau 2 sont tous significativement différents de 0 (p < 0,001) avec les valeurs suivantes : –0,43 pour la date moyenne d’inscription; 0,53 pour le nombre de connexions; 0,61 pour le nombre de ressources consultées; –0,25 pour l’écart entre la date de mise en ligne et la première consultation.

Tableau 2

Caractéristiques de consultation des ressources en fonction de la note obtenue à la matière (répartition par quartile)

Caractéristiques de consultation des ressources en fonction de la note obtenue à la matière (répartition par quartile)

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2.3. Déterminants de la probabilité de consultation d’une ressource

Nous proposons ici d’étudier les déterminants de la probabilité de consultation d’une ressource, en distinguant les caractéristiques des individus des caractéristiques des ressources. La base de données utilisée pour ces analyses comporte 18 486 observations, issues de la combinaison des 237 étudiants pouvant potentiellement consulter 78 documents. Le tableau 3 présente les résultats de 8 régressions logistiques. Les modèles 1 à 4 portent sur l’ensemble des ressources; les modèles 5 à 8 portent uniquement sur les ressources dites complémentaires (hors ressources générales de présentation du cours et ressources directement liées au cours). Dans chaque cas, deux régressions (modèles 1 et 2, et 5 et 6) incluent comme prédicteurs uniquement les variables disponibles pour toutes les observations (quelques variables individuelles basiques et les variables de description des documents) et deux autres régressions (modèles 3 et 4, et 7 et 8) incluent le maximum de prédicteurs disponibles, notamment des prédicteurs individuels recueillis par questionnaire, accessibles uniquement pour une partie des individus. Nous proposons d’une part des régressions logistiques simples (modèles 1, 2, 5 et 6), d’autre part des régressions logistiques avec effets aléatoires croisés sur les individus et les ressources (modèles 3, 4, 7 et 8). Ce deuxième type de modèle est particulièrement approprié à la structure de nos données, qui comportent 2 dimensions (une dimension liée aux caractéristiques des individus et une dimension liée aux caractéristiques des ressources). Les effets aléatoires croisés permettent de rendre compte du fait que des étudiants différents peuvent avoir une propension différente à consulter n’importe quel type de ressources, et que des ressources différentes peuvent être définies comme étant plus ou moins utiles par n’importe quel étudiant. Une contrainte s’impose cependant à l’utilisation des effets aléatoires : les effets non observés (dans notre cas, les effets « individus » et « ressources ») doivent être indépendants des variables explicatives du modèle. Si cette hypothèse n’est pas vérifiée (et elle ne peut pas être testée), les estimateurs seront potentiellement biaisés (pour plus de précisions, voir par exemple Davezies, 2011 ou Givord et Guillerm, 2016). C’est pourquoi nous présentons également les résultats des régressions logistiques simples.

Les coefficients reportés sont des effets marginaux. Exemple d’interprétation pour le modèle 1, variable « Homme » : la probabilité qu’une ressource donnée soit consultée diminue de 7,7 % si l’individu est un homme plutôt qu’une femme.

Tableau 3

Déterminants de la probabilité de consultation d’une ressource, selon divers modèles de régression logistique simples ou avec effets aléatoires

Déterminants de la probabilité de consultation d’une ressource, selon divers modèles de régression logistique simples ou avec effets aléatoires

* :  p < 0,1; ** : p < 0,05; *** : p < 0,01

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Les variables liées aux individus jouent presque toutes un rôle significatif dans les modèles logistiques simples (modèles 2 et 6), en particulier : les femmes consultent plus de ressources que les hommes (ensemble de l’échantillon uniquement); le fait d’appartenir à certains groupes de TD augmente ou réduit la probabilité de consulter des ressources; ceux qui viennent de l’enseignement supérieur général consultent plus de ressources que ceux qui viennent d’une terminale générale (ensemble de l’échantillon uniquement), et ceux qui viennent d'un brevet de technicien supérieur (BTS) ou d'un diplôme universitaire technologique (DUT) consultent moins de ressources complémentaires que ces derniers; ceux qui ont une bonne moyenne générale en L1 consultent plus de ressources, de même que ceux qui ont déjà suivi des cours d’économie, ceux qui sont boursiers, ceux dont un parent au moins a fait des études supérieures (ressources complémentaires uniquement) et ceux qui viennent de plus loin.

Il convient cependant de noter que la plupart de ces effets perdent leur significativité dans les modèles logistiques avec effets aléatoires (modèles 4 et 8), qui tiennent compte de la variabilité liée à chaque sujet et à chaque ressource. Dans ces modèles, la moyenne générale est la seule variable significative au seuil de 1 %. Son effet est par ailleurs quantitativement renforcé par rapport aux modèles logistiques simples : un point supplémentaire de moyenne générale est associé à une hausse de 19 % de la probabilité de consulter une ressource donnée. Certains effets « groupe de TD » restent significatifs aux seuils de 5 % et 10 % (un numéro de groupe élevé tend à conduire à une baisse de la consultation des ressources). Enfin, si on considère l’ensemble de l’échantillon, le fait de venir de l’enseignement supérieur général et le fait d’être boursier jouent un rôle positif, significatif au seuil de 10 %.

En ce qui concerne les variables liées aux ressources, on constate que les ressources en lien direct avec le cours (supports de cours, questions de révision et annales) sont plus consultées que les ressources générales de présentation du cours et de méthode, tandis que les ressources complémentaires sont moins consultées que ces dernières. La date de mise en ligne est une variable qui joue un rôle significatif dans tous les modèles (la mise en ligne d’une ressource un jour plus tard réduit d’environ 2 % sa probabilité d’être consultée). À l’inverse, la longueur/durée de la ressource n’est significative dans aucun modèle. Le fait d’associer la ressource à une activité semble plutôt jouer de façon négative quand l’ensemble des ressources est considéré, et de façon positive dans l’échantillon des ressources complémentaires, mais l’effet n’est pas significatif dans les modèles avec effets aléatoires les plus complets (modèles 4 et 8). Enfin, concernant le type de supports, seuls les questionnaires sont plus consultés que les diaporamas. Tous les autres types de ressources sont significativement moins consultés. Si on concentre l’analyse sur les ressources complémentaires, on constate que les textes sont le type de ressources le plus consulté, tandis que les vidéos semblent être le moins consulté, même si les différences avec les documents audio, les liens et les sites Internet ne sont pas significatives.

3. Discussion

Cet article pose la question de l’utilisation des ressources numériques mises à disposition d’étudiants de première année d’une université française. La place des ressources sur support numérique à l’université a déjà été étudiée dans de nombreuses contributions, sous divers angles. On peut citer par exemple Arthaud (2006), Ben Abid-Zarrouk (2012), Trestini (2012) ou encore Collin, Pellerin, Blanchard, Cordelier et Saffari (2018), qui s’intéressent aux obstacles pouvant freiner la non-adoption, par les enseignants, des TIC en tant qu’outil pédagogique, ou Dahmani et Ragni (2009) et Michaut et Roche (2017), qui étudient leur influence sur la réussite des étudiants. Nous nous situons d’une certaine manière à un niveau intermédiaire à ces analyses. En effet, nous supposons (tout en reconnaissant volontiers que ces hypothèses méritent d’être discutées) : 1) que l’enseignant a été capable techniquement et pédagogiquement de répertorier et de mettre à disposition un ensemble de ressources qu’il juge utile à la compréhension et à l’assimilation du cours par les étudiants; et 2) que si ces ressources améliorent effectivement la compréhension et l’assimilation du cours par les étudiants, elles devraient aussi améliorer leurs résultats. Nous nous interrogeons sur ce qui pourrait éventuellement briser cette chaîne de conséquences positives, à savoir : l’appropriation des ressources par les étudiants. L’enseignant peut en effet avoir répertorié les meilleures ressources du monde, si les étudiants ne les consultent pas, la mise à disposition de ces ressources n’aura évidemment aucun effet sur l’apprentissage des étudiants et sur leur réussite. Nous n’abordons donc pas frontalement la question de l’impact des ressources numériques sur la réussite des étudiants, mais notre problématique n’en est pour autant pas totalement déconnectée.

Notre questionnement se rapproche de celui de Papi (2012), qui traite des causes et motifs du non-usage de ressources numériques d’étudiants en formation initiale. L’enquête réalisée par cette dernière met en évidence le fait que les étudiants de première année de l’Université de Picardie Jules Verne ont un taux d’équipement en matériel informatique et de communication (ordinateur et téléphone portable en particulier) très élevé et une grande habitude d’utilisation de ces technologies. Les causes de non-usage de ressources numériques liées à des problèmes techniques d’accès aux ressources ou de manque de maîtrise des TIC semblent donc pouvoir être écartées pour ce type de public, vraisemblablement très similaire au nôtre. La question pertinente dans un tel contexte est donc plutôt celle de l’appropriation des ressources : quel intérêt les étudiants trouvent-ils à consulter telle ou telle ressource? Alors que Papi (2012) cherche des pistes de réponse en interrogeant les étudiants (entretiens semi-directifs et questionnaire), nous cherchons des éléments éclairants en analysant leurs comportements, tels qu’enregistrés par la plateforme d’accueil des ressources.

Notre approche présente l’avantage d’éviter les biais de déclaration, mais n’est pas pour autant exempte de limites. Il est vraisemblable que les données de connexion des étudiants à chaque ressource sont enregistrées de manière très fiable par la plateforme. Néanmoins, nous ne savons pas ce que font les étudiants une fois qu’ils ont cliqué sur la ressource. Comme mentionné précédemment, les étudiants ont la possibilité de télécharger la plupart des ressources. Il est donc possible que certains téléchargent systématiquement les ressources et les stockent sur leur ordinateur personnel, tandis que d’autres les consultent uniquement en ligne (ou un mélange des deux). C’est pour cette raison que nous avons créé une variable de première consultation d’une ressource, qui permet de contourner les biais liés aux connexions multiples à une même ressource qui sont enregistrées pour les étudiants qui consultent uniquement en ligne, et pas les étudiants qui ont téléchargé la ressource. Par ailleurs, du fait de la possibilité de téléchargement, nous ne pouvons exclure l’existence de pratiques informelles d’échange entre étudiants, en dehors de la plateforme (via des répertoires partagés en ligne ou des réseaux sociaux par exemple). Ce risque semble d’autant plus élevé qu’il existe un fort esprit de groupe au sein des étudiants, d’une part, et un fort rejet des canaux de communication institutionnels imposés, d’autre part. Nous ne pouvons totalement écarter aucun de ces deux facteurs. Néanmoins, le fait qu’il s’agisse d’un cours de début de Licence 1 contribue au fait que les étudiants se connaissent relativement peu, ce qui limite probablement l’effet groupe par rapport à des cours plus avancés dans le cursus et, de ce fait, limite le nombre d’options alternatives pour ceux qui chercheraient à éviter l’utilisation des outils institutionnels. Il faut par ailleurs noter que la page du cours est très facilement accessible (sans clé d’inscription, à tout moment, avec simplement un accès à Internet et un compte étudiant de l’Université). Une autre limite importante de notre approche porte sur le fait que relier une connexion à une ressource sur la plateforme institutionnelle n’indique pas quel usage il en est fait précisément : le texte est-il lu, ou la vidéo regardée, attentivement? Les liens avec le cours sont-ils faits? Des notes sont-elles prises pour garder une trace de l’activité réalisée? Il est probable que certains étudiants consultent très sérieusement les ressources, tandis que d’autres se contentent de les afficher. Ce n’est évidemment pas la même chose en matière d’apprentissage et il serait intéressant de le savoir pour étudier l’appropriation des ressources et non leur seule « consultation », mais nos données ne nous le permettent pas.

Dans l’ensemble, nos résultats montrent qu’une grande majorité d’étudiants s’emparent des ressources numériques mises à disposition, mais qu’ils le font, pour la plupart, dans une perspective très instrumentale (de « bachotage ») et que les ressources complémentaires les plus consultées ne sont pas nécessairement celles que l’on aurait crues les plus attirantes. Nous discutons ci-dessous ces différents points.

Tout d’abord, le nombre total de ressources proposé peut sembler important. Beaucoup d’entre elles ne font cependant que reprendre ce qui a été vu en cours (les diaporamas notamment, sachant qu’il en existe parfois plusieurs par séance car l’organisation sur la page Moodle se fait de façon thématique). Par ailleurs, du fait de la grande variété des étudiants en matière de niveau mais également de parcours passé et futur, les ressources ne sont pas destinées à tous : une fiche outil de rappel sur les pourcentages ne s’adresse en principe qu’aux étudiants ne maîtrisant pas ce concept; les ressources d’approfondissement pourront également être utilisées de façon différenciée en fonction des intérêts et affinités de chacun. Cela justifie d’ailleurs le choix de la modélisation à effets aléatoires. La variété des ressources proposées et le grand nombre d’observations sont, en outre, des atouts indéniables pour ce genre d’étude. Enfin, on peut noter que toutes les ressources ont été consultées, parfois par très peu d’étudiants (5 au minimum), mais qu’aucune n’a été complètement ignorée.

Concernant le type de ressources consultées, il apparaît que les diaporamas de support de cours sont largement en tête. Le fait de fournir les diaporamas des cours est souvent sujet à débat entre enseignants. Il est parfois soutenu que cela désincite les étudiants à venir en cours. Dans notre cas, le principal argument justifiant leur mise en ligne réside dans le nombre important d’inscriptions (parfois très) tardives : les étudiants n’ayant pu assister aux cours du début de semestre disposent ainsi du matériel nécessaire pour se mettre à jour. Les ordinateurs sont par ailleurs interdits pendant les cours magistraux et la prise de notes manuscrite est encouragée. La mise en ligne des diaporamas permet à ceux qui ont des difficultés dans la prise de notes de compléter leurs notes après le cours. Le type de ressources consultées (avant tout : diaporamas de support de cours, questions de révision et annales) et la chronologie de cette consultation (pics de consultations juste avant les interrogations) tendent à confirmer la conclusion de Michaut et Roche (2017) selon laquelle « les étudiants s’emparent assez peu des outils numériques pour étudier en profondeur et [...] lorsqu’ils les utilisent, c’est essentiellement dans une visée instrumentale ».

Les caractéristiques individuelles semblent peu jouer sur la consultation des documents. La seule variable jouant un rôle significatif dans tous les modèles statistiques est la moyenne générale de l’étudiant en L1, que nous utilisons comme indicateur du niveau de l’étudiant (la note de l’étudiant à la matière n’étant pas utilisée seule, car elle pourrait poser des problèmes d’endogénéité si le fait de consulter plus de ressources permet d’avoir un meilleur résultat à la matière). Il en ressort donc que les bons étudiants consultent plus de ressources, ce qui n’est pas très surprenant. L’appartenance à certains groupes de TD joue également un rôle significatif dans plusieurs modèles. Cette variable capte à la fois un effet lié à la filière choisie (EG ou AES) et un effet lié au numéro de groupe au sein de la filière. Des régressions menées séparément selon la filière[2] ne font pas apparaître de différences significatives entre les deux. De manière générale, il semble néanmoins important de tenir compte de la filière de formation dans ce genre d’études, car il est vraisemblable que l’impact des ressources et activités numériques sur les apprentissages varie selon les disciplines universitaires (Michaut et Roche, 2017). Concernant l’effet du numéro de groupe, un « effet enseignant » est à exclure car un seul enseignant avait la charge de tous les groupes de TD. On peut faire les hypothèses suivantes : 1) l’assignation d’un étudiant à un groupe dépendant en partie de la date de son inscription pédagogique, les profils d’étudiant ne sont pas totalement homogènes entre groupes; 2) on peut envisager un effet lié à l’emploi du temps des étudiants, les jours et horaires des TD étant différents selon les groupes; 3) on peut supposer un effet d’émulation lié au groupe reposant sur des effets de pairs (voir par exemple Brodaty, 2010). Enfin, le fait de provenir de l’enseignement supérieur général, c’est-à-dire d’avoir été en licence ou en classe préparatoire aux grandes écoles l’année précédente, semble favoriser la consultation des ressources. Cela pourrait traduire le fait que ces étudiants ont acquis une plus grande autonomie dans leur travail d’apprentissage que ceux qui viennent de terminale, d’un BTS ou d’un DUT. Les éléments liés à la « carrière » des étudiants, et à leurs différentes trajectoires, sont donc importants à prendre en compte.

Le rôle des caractéristiques liées aux documents nous semble particulièrement intéressant à étudier car l’enseignant les maîtrise, au moins en partie. Il est donc possible d’essayer d’en tirer des recommandations. Nous nous concentrons ici particulièrement sur les résultats portant sur l’échantillon des ressources complémentaires, dans la mesure où ce sont ces ressources qui nous semblent le plus à même de favoriser l’apprentissage en profondeur, tout en étant moins naturellement consultées par les étudiants. Nous avons pu étudier le rôle joué par quatre types de caractéristiques des ressources : 1) le type de supports, 2) la date de mise en ligne, 3) la longueur ou durée et 4) le fait d’associer la ressource à une activité. Les textes sont les types de supports complémentaires les plus consultés et les vidéos semblent être les moins consultés (différences non significatives avec les autres types dans les modèles 5 à 8, mais effet négatif significatif avec le plus fort coefficient dans les modèles 1 à 4). Cela peut sembler contre-intuitif dans la mesure où on imagine plus volontiers les étudiants regarder des vidéos que lire des textes. Ce résultat est cependant cohérent avec celui de Papi (2012) : dans son enquête, les PDF ont tendance à être préférés par les étudiants aux vidéos, essentiellement pour des raisons de rapidité d’accès à l’information recherchée. Même si le contexte est un peu différent dans notre cas, des arguments similaires peuvent probablement être avancés : il est difficile de retirer la substance d’une vidéo ou d’un document audio sans les regarder ou les écouter intégralement, tandis qu’il est assez facile de lire un texte en diagonale. La date de mise en ligne de la ressource est un facteur significatif dans tous nos modèles. Il y a évidemment un effet purement mécanique derrière cette variable : plus une ressource est mise en ligne tôt, plus sa durée d’accessibilité pour consultation est longue et donc plus la probabilité qu’elle soit consultée est grande. Cela peut néanmoins être un élément à prendre en compte par l’enseignant dans son planning de dépôt des ressources, tout en veillant à une répartition équilibrée au cours du semestre. La longueur/durée des ressources ne ressort pas comme un facteur significatif dans nos analyses. On peut suggérer au moins deux explications à ce fait. Premièrement, la catégorisation des ressources dans les modalités « court » ou « long » est assez grossière (approche binaire, avec des seuils choisis arbitrairement, selon la nature de la ressource). Deuxièmement, les étudiants n’avaient pas connaissance de cette longueur/durée avant de consulter la ressource. Il est donc assez logique que cette variable n’influence pas le fait de cliquer sur la ressource. Cela joue ensuite probablement sur l’appropriation de la ressource (le fait de lire le texte ou de regarder la vidéo jusqu’au bout par exemple), mais nous ne sommes pas en mesure de documenter cet effet. Concernant le fait de proposer une activité en lien avec la ressource, on peut formuler plusieurs hypothèses sur le signe attendu de cette variable : on attend un effet positif si les étudiants se sentent guidés par les consignes, ou que celles-ci confèrent un caractère plus « obligatoire », ou « fortement conseillé », à la ressource; on attend un signe négatif si les étudiants perçoivent les consignes comme une charge de travail supplémentaire, qui les décourage. Nos analyses ne font pas ressortir d’effet significatif (parmi les ressources complémentaires en tout cas). On peut avancer le même type d’explication que pour la durée : le fait qu’une activité était proposée en accompagnement de la ressource n’était pas signalé avant que la ressource soit consultée. Il serait intéressant de voir si une meilleure signalétique des caractéristiques des ressources lors de leur dépôt influence l’usage qui en est fait par les étudiants.

Dans le même ordre d’idées, notons enfin que la question de l’architecture de la présentation des ressources a été ignorée dans ce travail. L’ensemble des ressources était présenté sur une même page, avec une structuration sous forme de blocs correspondant à des types de ressources (présentation du cours, boîte à outils, etc.) ou des thèmes du cours. Une architecture différente modifierait probablement la manière dont les étudiants consultent les ressources et en tirent profit. Il conviendrait de mener une réflexion approfondie sur la façon dont une nouvelle organisation des ressources pourrait servir les objectifs pédagogiques (voir par exemple Fontaine, Benayache et Abel, 2006).

Conclusion

L’entrée des universités dans « l’ère numérique » est un souhait politique fort depuis plusieurs années. Les étudiants y semblent également favorables si l’on en croit par exemple Papi et Glikman (2015), dont l’enquête montre que « la plupart des répondants (1 640 primo-entrants à l’Université de Picardie Jules Verne) apprécient l’emploi des technologies non seulement pendant les cours comme moyen de les dynamiser, mais aussi en ligne, où elles rendent les contenus accessibles à tout moment ». L’une des difficultés pour l’enseignant qui s’engage dans cette démarche est d’amener les étudiants à s’emparer des ressources numériques proposées de façon à ce qu’elles contribuent effectivement à l’apprentissage. Dans cet article, nous avons tenté d’apporter un éclairage sur les pratiques de consultation de ressources proposées en ligne à des étudiants de première année et sur les déterminants de ces pratiques. Nous espérons que les conclusions que nous tirons concernant les liens entre caractéristiques des ressources et nombre de consultations pourront aider les enseignants à sélectionner au mieux les ressources numériques qu’ils proposeront à leurs étudiants, ou à fournir l’accompagnement nécessaire pour favoriser leur appropriation par les étudiants.

Ce travail pourrait être prolongé d’au moins deux manières. Tout d’abord, on pourrait envisager d’étendre l’analyse quantitative en intégrant des données d’utilisation de TIC plus larges que les seules connexions à la page du cours, afin d’avoir une approche plus globale des pratiques numériques des étudiants. Il pourrait s’agir de l’utilisation d’autres services fournis par l’Université, par exemple la bibliothèque universitaire, qui joue un rôle majeur dans la diffusion des ressources pédagogiques. Il pourrait aussi s’agir de données concernant l’utilisation de canaux non institutionnels, comme les réseaux sociaux ou les répertoires partagés en ligne. La constitution de la base de données nécessiterait alors de mettre en place un dispositif de recherche ad hoc, pour pouvoir suivre les activités numériques des étudiants dans ces différents univers. Par ailleurs, une analyse plus qualitative pourrait être conduite, visant par exemple à produire une analyse critique des différentes ressources proposées et de leurs modalités de présentation par les enseignants. Les usages des étudiants mériteraient aussi d’être approfondis tant en ce qui concerne les facteurs explicatifs de la consultation des ressources que ce qui se cache concrètement derrière la « consultation » d’une ressource et ce que cela implique en matière d’apprentissage.