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Introduction

Joyau méconnu de la colline parlementaire, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec joue un rôle de premier plan au coeur de la vie politique québécoise. Les publics desservis par cette institution sont divers. La Bibliothèque dessert tout le secteur politique de l’Assemblée nationale, composé des députés, de leurs attachés politiques, des services de recherche des partis politiques et du personnel des bureaux de circonscription. Elle répond également aux besoins des personnes qui travaillent dans le secteur administratif de l’Assemblée, ainsi qu’au lieutenant-gouverneur. Les journalistes de la Tribune de la presse font aussi partie de ses clientèles, tout comme les personnes désignées par l’Assemblée nationale. Bien que ces clientèles aient préséance, la Bibliothèque est ouverte au grand public, auquel un service d’aide à la recherche est offert.

Une partie importante de sa mission consiste à répondre aux demandes d’information et de recherche provenant des différentes communautés parlementaires (Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, s. d.). Ces demandes, reçues par téléphone, par courriel ou en personne, sont divisées en trois catégories : les demandes d’aide à l’usager, les demandes de recherche et les demandes de veille. Jusqu’à tout récemment, deux formulaires papier étaient utilisés pour les comptabiliser : un servait aux demandes de recherche et d’aide à l’usager (voir figure 1), et l’autre servait aux demandes de veilles (voir figure 2).

Figure 1

Formulaire utilisé pour les demandes de recherche et d’aide à l’usager

Formulaire utilisé pour les demandes de recherche et d’aide à l’usager

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Figure 2

Formulaire utilisé pour les demandes de veille

Formulaire utilisé pour les demandes de veille

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Les formulaires mesuraient les données suivantes : les dates de réception et d’échéance, les coordonnées du demandeur et sa provenance, la description de la demande, le type de requête (aide à l’usager, demande de recherche, veille), les sources consultées, le temps nécessaire pour répondre à la demande et les initiales de l’employé répondant à la demande. Pour le formulaire des demandes de veille, deux indicateurs de durée étaient présents : un premier indicateur précisait la durée totale de veille (quelques semaines, quelques mois, une année) et un deuxième indicateur mesurait le temps dédié par semaine à la veille. À la fin de chaque mois, un agent de bureau entrait ces données dans un fichier Excel[1]. Les données recensées servaient principalement à l’élaboration du rapport annuel de la Bibliothèque.

Cette méthode de travail n’était pas optimale pour plusieurs raisons. Tout d’abord, aucun outil ne permettait de lancer une recherche à travers les demandes déjà effectuées. Par conséquent, lorsque des demandes similaires étaient reçues, le travail de recherche était pratiquement toujours à refaire en entièreté. Certaines recherches étaient certes conservées dans des dossiers personnels ou dans un dossier sur le serveur commun de la Bibliothèque, mais cette organisation de l’information ne permettait pas une utilisation efficace et rapide du travail déjà effectué. Ensuite, il était impossible de connaître en temps réel les demandes sur lesquelles chaque employé travaillait. Cette situation compliquait la gestion du travail en cours lors d’absences imprévues, et il n’était pas rare que des bibliothécaires ou des techniciennes en documentation travaillent sur le même sujet sans le savoir, ce qui dédoublait le travail de recherche. Enfin, les données recensées n’étaient pas exploitées à leur plein potentiel. Le service de la référence souhaitait donc gérer de manière plus efficace l’enregistrement des demandes reçues par l’acquisition d’un système de gestion des demandes (SGD) de référence, et du même coup réaliser un virage numérique dans la collecte des données servant à mesurer le travail effectué.

Pour s’orienter dans sa démarche, le service de référence a rencontré le service des archives de l’Assemblée nationale, qui lui a suggéré l’utilisation du logiciel Ultima, acquis par l’institution en 2016 suite à un appel d’offres. Développé par la compagnie GCI et appartenant aujourd’hui à Coginov, Ultima est un logiciel de gestion intégrée des documents (GID) qui administre des inventaires de toutes natures et de toutes tailles (Coginov, 2020). Suite à cette rencontre, le service de la référence a établi un processus de travail en quatre étapes afin de vérifier si le logiciel Ultima pouvait effectivement convenir à ses besoins en matière de SGD. Ce dernier fut finalement implanté au sein de l’équipe de la référence en août 2018. Après plus d’un an d’utilisation, ce SGD est devenu une grande ressource d’information sur les différents publics de la Bibliothèque. Non seulement ce logiciel permet à l’institution de mieux connaître ses usagers, mais il aide aussi le service de la référence à mieux répondre aux besoins de ses clientèles au quotidien.

Dans cette optique, cet article a un double but. D’une part, il souhaite expliquer le processus d’implantation d’un SGD afin que l’expérience de la Bibliothèque puisse profiter à d’autres institutions intéressées par un tel projet. D’autre part, il souhaite dévoiler tout le potentiel d’un SGD dans l’acquisition d’une meilleure connaissance des publics d’une bibliothèque. Pour ce faire, les différentes étapes du processus d’implantation d’un SGD seront expliquées, et l’analyse des modalités d’Ultima démontrera comment ce logiciel amène la Bibliothèque à mieux connaître et à mieux aider ses différents usagers.

Identification des besoins et des contraintes

Dans tout processus de travail, l’identification des besoins et des contraintes constitue une étape primordiale. Dans le cadre de la conception d’un SGD, les besoins à l’égard du logiciel se définissent sur deux aspects : les caractéristiques du logiciel (ses fonctionnalités) et l’information qui y sera consignée (les données mesurées). En ce qui concerne les fonctionnalités et caractéristiques du logiciel, les besoins et contraintes du service de la référence étaient multiples. Le logiciel devait être disponible en français, à un faible coût. Dans le contexte de l’Assemblée nationale, l’installation du logiciel sur les postes était préférable à l’utilisation de l’infonuagique, découragée par la Direction de l’informatique pour des raisons de sécurité de l’information. Quatorze entrées simultanées étaient nécessaires pour que tout le personnel puisse se connecter en même temps. Le support technique devait être accessible, efficace et disponible en français. La possibilité de personnaliser le SGD selon les besoins actuels et futurs de la Bibliothèque était aussi un facteur non négligeable. De plus, étant donné le contexte politique et la nature sensible de l’information reçue par la Bibliothèque, assurer la sécurité et la confidentialité de l’information était une caractéristique essentielle du logiciel. Par ailleurs, il était préférable que le logiciel ne force pas les usagers à utiliser un formulaire prédéfini pour envoyer une demande au service de la référence. La flexibilité était de mise pour permettre aux usagers d’envoyer des demandes comme ils le souhaitaient. Le SGD devait également comporter une option de recherche simple et de recherche avancée dans la banque de connaissances. Les données mesurées devaient préférablement être sauvegardées sur les serveurs de l’Assemblée, et non sur les serveurs de la compagnie propriétaire du SGD, de manière à ce que soit évitée la perte des données si la compagnie se retrouvait en faillite. Qui plus est, il ne devait pas y avoir de limite de temps à la conservation des données. Le logiciel devait permettre l’extraction de statistiques pour chacune des données mesurées et, idéalement, la production de rapports statistiques en format intelligible. Il devait aussi être muni d’une fonction de partage des demandes. Enfin, le logiciel devait emmagasiner un nombre illimité de demandes, tout en étant supporté par les serveurs de l’Assemblée.

Pour la Bibliothèque, l’information suivante devait être consignée dans le logiciel : date de réception, date d’échéance, date de complétion, coordonnées du demandeur et sa provenance, coordonnées du répondant, type de demande, mode de réception de la demande, description de la demande, description de la démarche de recherche, résultat de recherche (pouvant être joint à la requête sous le format d’un fichier indépendant), le statut de la demande (en cours ou complété), niveau de complexité de la demande, sources consultées, temps nécessaire à la complétion de la demande (deux indicateurs pour les veilles), et des notes supplémentaires ne cadrant pas dans les autres champs disponibles.

Comparaison des options disponibles

Une fois les besoins établis, le choix d’un fournisseur s’impose. Selon Matt Gallagher (2016), il faut porter une attention particulière à la longévité des fournisseurs de SGD, aux types de bibliothèques qu’ils desservent et aux évaluations – positives ou négatives – qu’ils reçoivent par rapport à leurs compétiteurs. Il faut par la suite contacter les fournisseurs, demander des ébauches de prix et faire des essais de logiciels (Gallagher, 2016). Pour ce faire, le service de la référence s’est doté d’une grille d’analyse afin de comparer les options disponibles sur le marché.

Le service a amorcé son étude comparative en s’interrogeant sur la réalité d’institutions similaires, soit les bibliothèques parlementaires canadiennes membres de l’Association des bibliothèques parlementaires au Canada (ABPAC). Grâce à la liste de diffusion de cette organisation, un questionnaire fut envoyé aux différentes bibliothèques législatives du pays afin d’obtenir des renseignements sur l’existence d’un SGD au sein de leur service de référence. Si plusieurs institutions ne possédaient pas de système électronique et continuaient d’utiliser des formulaires papier, d’autres avaient entrepris un processus de réflexion, et certaines s’étaient dotées d’un SGD acheté auprès d’une compagnie ou développé à l’interne. Par exemple, la Bibliothèque de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique avait créé un groupe de travail en 2012 afin de se pencher sur l’étude des SGD existant sur le marché (Gourlay, 2014). Le groupe de travail était finalement arrivé à la conclusion qu’aucun logiciel ne convenait aux besoins spécifiques de l’institution et que les logiciels destinés aux bibliothèques n’étaient pas nécessairement les mieux adaptés à la réalité parlementaire (Gourlay, 2014). La Bibliothèque législative de l’Ontario, quant à elle, avait développé une solution à l’interne avec l’aide du département d’informatique de l’Assemblée législative ontarienne. Ce logiciel, nommé Library Client Request Database (LCRD), fut basé sur une plateforme Oracle et permettait entre autres d’assigner chaque demande à un ou plusieurs membres de l’équipe de la référence (Adrien, 2011). Cette fonctionnalité de partage des demandes semblait particulièrement pertinente à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Enfin, la Bibliothèque législative de l’Alberta avait acheté le logiciel RefTracker conçu par la compagnie Altarama, et était satisfaite de la performance du SGD et de sa capacité à générer des statistiques en temps réel, en format utilisable et en lien direct avec les priorités stratégiques de la direction (Close, 2014).

Ensuite, le service de la référence a contacté trois fournisseurs afin d’obtenir des ébauches de prix et des essais des trois logiciels suivants : Desk Tracker de Compendium Library Services, LibAnswers de Springshare, et RefTracker d’Altarama. Après échange de courriels et analyse, DeskTracker fut retiré des options car il n’était pas disponible en français et les données étaient sauvegardées sur les serveurs de la compagnie (Compendium Library Services, 2017). LibAnswers était quant à lui disponible en français, personnalisable et à coût raisonnable, mais les données étaient sauvegardées sur les serveurs de la compagnie et le fonctionnement global du logiciel était plus adapté aux questions courtes qu’aux questions complexes comme celles reçues à la Bibliothèque (Ewans, 2011). Enfin, RefTracker s’est révélé être une option très intéressante qui correspondait à l’entièreté des besoins de la Bibliothèque. Ce logiciel était notamment utilisé par la Bibliothèque du Parlement d’Australie (Heriot, 2017), qui avait vanté ses mérites et son bon fonctionnement lors d’une rencontre avec la direction de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale en 2016. Cependant, le coût du logiciel, composé d’un frais d’installation et d’un abonnement annuel, fut un frein majeur, si bien que la Bibliothèque dut rejeter cette option.

Implantation de l’option choisie

Finalement, une analyse coûts-bénéfices (Gallagher, 2016) a démontré la pertinence de choisir Ultima dans le contexte particulier de la Bibliothèque. Les bénéfices étaient nombreux : le logiciel était disponible en français, son installation se faisait sur les postes de travail des employés, et aucune restriction ne s’appliquait aux entrées simultanées. De plus, le support technique était assuré, puisque le service des archives de l’Assemblée possédait une personne-ressource attitrée au logiciel et que la compagnie, située au Québec, était facilement joignable. La taille du logiciel n’était contrainte que par la taille des serveurs de l’Assemblée, et aucun formulaire n’était obligatoire aux usagers qui souhaitaient envoyer une demande. Le logiciel comportait également une option de recherche simple et de recherche avancée dans la banque de connaissances, et permettait la production de diverses statistiques. Par ailleurs, la compagnie Coginov offrait la possibilité de développer dans Ultima un formulaire de requête qui serait personnalisé aux besoins du service de la référence et qui consignerait l’ensemble des données établies lors de l’identification des besoins (voir figure 3).

Figure 3

Formulaire de requête développé par Coginov

Formulaire de requête développé par Coginov

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Ce formulaire pouvait être développé à un coût considérablement plus faible que ce qu’offraient les différents fournisseurs de SGD évalués précédemment. Dans la même optique, la possibilité de personnaliser le formulaire à nos besoins futurs, d’obtenir des améliorations ou des modifications, demeurait ouverte puisque Coginov offre à ses clients des développements informatiques, moyennant un coût. Les données étaient par ailleurs sauvegardées sur les serveurs de l’Assemblée et donc soumises aux normes de sécurité de l’information de l’Assemblée. Enfin, avec Ultima, les demandes de référence respecteraient la GID et le calendrier de conservation de l’Assemblée. Le travail de la référence serait ainsi parfaitement arrimé au travail de la gestion documentaire.

Quelques inconvénients étaient toutefois présents. L’interface d’Ultima était peu actuelle et manquait de convivialité. Par conséquent, une période d’adaptation était nécessaire pour se familiariser avec le logiciel. Notons également qu’Ultima n’offrait pas de dispositif de partage des requêtes, ni de mécanisme de rétroaction permettant aux usagers d’exprimer leur appréciation d’une recherche.

Mieux connaître nos publics : générer des statistiques pertinentes

Malgré les inconvénients précédemment mentionnés, Ultima procure une importante quantité de statistiques sur les différents publics de la Bibliothèque, ce qui amène l’institution à mieux connaître les comportements et les besoins des communautés qu’elle dessert. Cependant, pour mesurer des statistiques pertinentes, il importe de se questionner sur ce qui doit être mesuré, et surtout sur les justifications entourant ce choix : à quoi les données mesurées vont servir, quels objectifs elles permettront d’atteindre, et comment elles seront utilisées. Une fois que les données à mesurer ont été fixées, il faut choisir comment les mesurer, en définissant des procédures de travail à suivre et des règles de saisie à appliquer.

Développer un guide des procédures et des règles de saisie

L’objectif principal d’un guide des procédures et de règles de saisie est de normaliser l’entrée des données dans le logiciel afin d’assurer la constance et la qualité de l’information recueillie (Gossett, Stephan et Marrall, 2012). Dans le cas de la Bibliothèque, des démarches de travail ont été établies en fonction du mode de réception des demandes, et des règles de saisie ont été attribuées à chaque champ. La conception de ce guide a amené le service de la référence à repenser la nature de son travail afin de définir comment catégoriser les demandes réalisées, d’autant plus que la nature de ces demandes est très diversifiée. À partir des trois types de demandes établies dans le formulaire papier, des règles de saisie ont été fixées afin de décrire les demandes plus en détails. Les demandes d’aide à l’usager furent ainsi sous-divisées en demande de renseignements, recherche de documents, demande de PEB envoyée et demande de PEB reçue. Les demandes de recherche furent catégorisées en revue de presse, recherche de subventions, recherche de plumitifs, initiatives pédagogiques, mémoire de député, recherche de médailles et autres recherches. Les demandes de veille sont, quant à elles, demeurées inchangées. Pour chaque catégorie de demandes, une définition détaillée est fournie dans le guide, suivie d’exemples et de règles concernant la saisie du titre de la demande dans le champ « Titre de la requête » du formulaire d’Ultima. Des notes sur les cas spéciaux sont ajoutées, le cas échéant.

Réaliser une typologie des usagers : les possibilités

Une fois le guide des procédures et de saisie des données réalisé, le potentiel des statistiques générées à partir d’Ultima prend forme. À partir des statistiques extraites par type de demandeur et par leur secteur de provenance (voir figure 4), il devient possible de réaliser une typologie des usagers et de leur comportement informationnel.

Figure 4

Provenance des demandeurs dans Ultima

Provenance des demandeurs dans Ultima

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De cette manière, il est par exemple faisable de comparer les besoins du secteur politique et ceux du secteur administratif, tout comme ceux de la clientèle interne et ceux de la clientèle externe. Cette opération permet à la Bibliothèque de moduler davantage ses services en fonction de ses clientèles. De plus, grâce à l’instauration d’une règle de saisie qui note le groupe parlementaire du demandeur, la Bibliothèque est en mesure d’évaluer l’utilisation de ses services par le gouvernement et par l’opposition. Cette comparaison est hautement pertinente puisque l’Assemblée nationale représente le pouvoir législatif, où le rôle de l’opposition est important.

Ensuite, Ultima procure une évaluation plus juste de la quantité de demandes reçues. Il est par conséquent plus facile d’évaluer le temps et les énergies dédiés à chaque type de demande. Par exemple, comme le nombre de veilles reçues a augmenté au cours des dernières années, les indicateurs de durée offrent un portrait précis du temps que les employés consacrent à ces veilles. Par ailleurs, les statistiques générées à partir d’Ultima ont engendré une observation intéressante sur la dernière période électorale. En période électorale, la Bibliothèque suspend ses services de recherche au secteur politique pour éviter toute possibilité de concurrence déloyale. Il en résulte donc une baisse dans le nombre de demandes reçues pour les années électorales. Or, pour l’année 2018, une légère hausse des demandes fut constatée, malgré la période électorale. Cette tendance confirme à nouveau que les usagers de la Bibliothèque utilisent de plus en plus les services de la référence.

Mesurer l’utilisation des ressources documentaires pour améliorer le développement des collections

Les données recensées dans Ultima fournissent également des renseignements sur l’utilisation des ressources documentaires et des collections de la Bibliothèque par les usagers. Par exemple, grâce à la règle de saisie permettant d’identifier les demandes de PEB reçues, il est possible d’évaluer si des titres absents de la Bibliothèque pourraient être intéressants à acquérir. Dans le même ordre d’idées, ces données permettent aussi d’évaluer si certaines thématiques gagneraient à être davantage développées dans la collection.

Mieux aider nos publics : accroître productivité et efficacité

La banque de connaissances : un outil fort apprécié

La banque de connaissances créée par l’entrée des demandes dans Ultima est certainement la fonctionnalité la plus profitable au personnel du service de la référence. Deux dispositifs de recherche sont disponibles : une recherche simple et une recherche avancée.

L’outil de recherche simple (voir figure 5) fonctionne à l’aide des opérateurs booléens. En sélectionnant la fonction « Rechercher également/seulement dans le contenu des documents de la voûte numérique », il permet aussi d’effectuer une recherche dans le texte intégral des documents joints à une requête. La recherche avancée, quant à elle, fournit des paramètres plus détaillés et permet de lancer une recherche très précise (voir figure 6). L’affichage des résultats de recherche comprend les dates de réception et d’échéance des requêtes, ce qui permet de trier rapidement les demandes les plus urgentes.

Figure 5

Outil de recherche simple dans Ultima

Outil de recherche simple dans Ultima

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Figure 6

Outil de recherche avancée dans Ultima

Outil de recherche avancée dans Ultima

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En permettant de rechercher à travers les requêtes effectuées et de visualiser toutes les demandes en cours au sein du service de la référence, la banque de connaissances met fin au dédoublement du travail, un problème qui subsistait à la référence depuis plusieurs années. Qui plus est, la banque facilite l’exécution des demandes répétitives, puisque l’entièreté du travail est sauvegardée. Elle assure en outre un suivi facile et efficace des demandes en cas d’absence imprévue du personnel. Il en résulte une grande optimisation du travail et des ressources au sein du service. Comme les demandes effectuées sont réutilisées, le travail est bonifié en continu. Le temps épargné est considérable, ce qui rend le personnel de la référence plus efficace dans sa prestation de services aux publics de la Bibliothèque.

En parallèle à cette efficacité accrue, les statistiques colligées sur les sources consultées lors de la réalisation d’une recherche donnent lieu à une évaluation des ressources les plus utiles pour le personnel de la référence. Le champ « Démarche de la recherche » sert notamment à ajouter des détails sur les sources consultées lors de la recherche, ce qui engendre la découverte de nouvelles ressources et favorise le partage des connaissances au sein de l’équipe.

Mesurer la complexité des demandes reçues

Tel que mentionné précédemment, un des besoins du service de la référence à l’égard de son nouveau SGD était d’avoir une fonction permettant de mesurer le niveau de complexité des demandes reçues. La littérature fait état de plusieurs systèmes de classification utilisés pour mesurer la complexité des demandes de référence, le plus connu étant le READ Scale (« Reference Effort Assessment Data »). Développé par Bella Karr Gerlich de la Georgia College and State University, le READ Scale est une échelle à six niveaux qui mesure l’effort et l’expertise nécessaires pour répondre à une demande de référence (Gerlich et Whatley, 2009). La classification de Warner, basée sur les compétences et les stratégies utilisées pour répondre à la demande, et celle de Katz, basée sur les ressources utilisées pour répondre à la demande, ont également été évoquées et analysées dans la littérature (Henry et Neville, 2008). La Bibliothèque a finalement choisi de s’inspirer du READ Scale dans l’élaboration de sa propre échelle des niveaux de complexité des demandes. Bien que le READ Scale compte six niveaux, la Bibliothèque a choisi de limiter son échelle à cinq niveaux afin de favoriser sa simplicité et son intelligibilité. Ces cinq niveaux ont été intégrés dans un module d’Ultima (voir figure 7).

Figure 7

Module des niveaux de complexité des demandes dans Ultima

Module des niveaux de complexité des demandes dans Ultima

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Le guide des procédures et des règles de saisie propose une description détaillée de chaque niveau de complexité, basée notamment sur les quatre critères du READ Scale : les compétences, les connaissances, les techniques et les outils utilisés (Fortier, 2016). Des exemples de recherches correspondant à chaque niveau sont également fournis. Le but de cette description détaillée est de normaliser les perceptions personnelles des niveaux de complexité. En effet, il peut arriver que des membres du personnel n’attribuent pas le même niveau de complexité à une demande, et des chevauchements entre deux niveaux s’observent fréquemment (Fortier, 2016). Une certaine subjectivité dans l’interprétation des niveaux demeure donc probable, et il importe d’en limiter les effets négatifs.

L’établissement d’un module de mesure de la complexité des demandes dans Ultima a permis au service de la référence de constater que le nombre de demandes complexes (niveaux 4 et 5) augmente et que, par conséquent, le temps dédié à ces demandes augmente également. Cette donnée est très utile pour évaluer la répartition du travail et pour assurer l’efficacité du service.

Évaluation du processus

Défis à considérer

Si l’implantation du SGD au service de la référence s’est généralement déroulée de manière positive, il n’en demeure pas moins que des défis ont été rencontrés au fil du processus. En premier lieu, le développement d’un guide de procédures et de règles de saisie fut un chantier majeur, le défi résidant dans la définition commune de termes à utiliser et de procédures à suivre par toute l’équipe (Gossett, Stephan et Marrall, 2012). L’approche « essai-erreur » s’est avérée nécessaire afin de tester et d’évaluer les procédures de travail qui fonctionnaient le mieux et les règles de saisie qui devaient être implantées. Il fallait également s’assurer que la démarche de travail à suivre ne serait pas trop fastidieuse, ce qui aurait pu avoir un effet contre-productif en décourageant l’utilisation du logiciel par les employés du service de la référence. À l’instar de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH) de l’Université de Montréal, le service de référence de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale a donc choisi de prévoir une période d’essai du SGD, soit une période de temps déterminée pour expérimenter les règles définies et déterminer les problèmes à corriger (Fortier, 2016). Cette période d’essai s’est déroulée d’avril à août 2018.

En deuxième lieu, la réticence au changement ressentie au sein de l’équipe lors de l’implantation du SGD fut un obstacle plus facile à surmonter que prévu, notamment grâce à l’implication de tout le personnel de la référence dès le début du processus (Gallagher, 2016). En effet, comme les techniciennes en documentation et les bibliothécaires de référence répondent à des demandes de nature différente, il était très important de sonder tous les futurs utilisateurs du système afin de s’assurer que ce dernier réponde adéquatement à tous les types de demandes. Par ailleurs, la résistance au changement fut également minimisée par les bénéfices facilement appréciables du nouveau logiciel, notamment sa reconnaissance et sa mesure de l’ampleur du travail effectué au service de la référence (Vardell et al., 2012). Cependant, quelques employés ont éprouvé des difficultés à entrer leurs demandes dans Ultima dès leur réception. Il subsistait dans certains cas un délai entre la réception de la demande et son entrée dans Ultima ; par exemple, la demande était entrée lors de sa complétion au lieu de sa réception. Cette réalité est commune aux expériences d’implantation de SGD, surtout lorsque la transition se fait d’un formulaire papier à un formulaire électronique. Comme remplir un formulaire électronique prend davantage de temps que remplir un formulaire papier (Chan et Johns-Masten, 2014), ce temps additionnel agit souvent comme un frein aux débuts de l’utilisation du logiciel. Pour remédier à cette situation, il pourrait être intéressant d’effectuer une étude d’utilisabilité afin d’évaluer la satisfaction des utilisateurs du logiciel et de recueillir leurs commentaires pour l’améliorer (Vardell et al., 2012).

En dernier lieu, des défis mineurs subsistent un an après l’implantation du logiciel. Bien que tous les employés utilisent volontairement le logiciel, certains champs du formulaire de requête sont complétés moins rigoureusement que d’autres. Par exemple, le champ « démarche de la recherche » est le champ le plus souvent délaissé par manque de temps des employés. Il s’agit du champ qui prend le plus de temps à compléter, mais qui fournit également le plus d’information pertinente et utile à conserver pour la consultation future, puisqu’il détaille les étapes de la recherche et les sources consultées. Maximiser l’information inscrite dans le formulaire de requête demeure donc un défi à relever à ce jour.

Futurs développements et améliorations

Dans le contexte de travail de l’Assemblée nationale, bien des développements sont possibles pour améliorer l’utilisation d’Ultima. Tout d’abord, compiler des nouvelles données demeure toujours possible par le développement de nouveaux champs ou par l’ajout de règles de saisie. Par exemple, la Bibliothèque reçoit beaucoup de demandes provenant des bureaux de circonscription, et la tendance semble aller en s’accroissant. Afin de mesurer quantitativement cette tendance, la valeur « secteur politique » du champ « provenance » pourrait être scindée en deux parties selon que le bureau de travail se situe à l’Assemblée ou en circonscription. Si la quantité le justifie, des services à distance pourraient être développés pour cette clientèle particulière.

Ensuite, à long terme, les demandes reçues par les autres services de la Bibliothèque – tels que le service des archives et le service de la recherche – et par les autres directions de l’Assemblée – tels que les affaires juridiques et les relations interparlementaires – devraient être intégrées à Ultima afin d’éviter le travail en silo et de minimiser la répétition du travail à l’échelle de l’institution. Cette opération bonifierait la banque des connaissances et centraliserait toutes les demandes au même endroit, facilitant du même coup leur repérage et leur suivi en cas d’absence d’employés.

Enfin, les futures mises à jour d’Ultima apporteront des améliorations au logiciel et des fonctionnalités additionnelles. Notons entre autres l’implantation d’un module de gestion des flux de travail en temps réel, et un module d’intelligence artificielle qui facilitera l’indexation des requêtes. À l’instar de la Bibliothèque législative de l’Alberta, qui utilise RefTracker, il sera probablement possible de développer une taxonomie de sujets et d’indexer les requêtes en conséquence (Close, 2014). Des statistiques pourront ensuite être générées afin de connaître la proportion de temps dédiée à chaque sujet.

Conclusion

Le système de gestion des demandes de référence développé à l’aide du logiciel Ultima a considérablement amélioré les processus de travail au service de la référence de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec. Bien qu’Ultima ait été le choix le plus approprié pour cette bibliothèque, l’unicité de chaque institution rend nécessaire le suivi des étapes présentées dans cet article afin de trouver le logiciel le plus approprié. La pluralité des SGD disponibles répond à la diversité des milieux documentaires. Qui plus est, le processus de conception et d’implantation d’un SGD engendre un questionnement sur les procédures de travail à la référence et sur les manières de mesurer ce travail, une pratique bénéfique qui favorise l’amélioration constante des organisations.

Mentionnons en terminant que l’accroissement des connaissances sur les différents publics de la Bibliothèque est utile à la fois au personnel du service de la référence et à la direction de la Bibliothèque. Pour les bibliothécaires et techniciennes en documentation oeuvrant à la référence, le SGD permet de mieux connaître les usagers et leurs besoins, puis de répondre plus efficacement et plus rigoureusement à leurs demandes. Pour la direction de la Bibliothèque, cet outil permet de justifier l’allocation de diverses ressources, et ultimement de mieux défendre la pertinence de la Bibliothèque auprès des instances supérieures de la maison citoyenne.