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Pascal est-il un philosophe ? Sa pensée est-elle pertinente pour nous ? Comment faut-il le lire aujourd’hui ? Ces questions n’ont jamais été aussi actuelles, ou plutôt elles n’ont jamais cessé de l’être depuis sa mort en août 1662, quelques mois après son trente-neuvième anniversaire. Un certain mystère entoure les Pensées, son magnum opus inachevé et décousu, constitué de fragments pour la plupart tout aussi incomplets. Certains livres nous frappent par leur profondeur en dépit d’une structure difficile et d’un contenu obscur. Dans le cas des Pensées, ce mystère qui touche chacune des thématiques souvent irrésolues fait la règle et non l’exception. Pour une raison ou une autre, les embûches de la lecture ne ternissent pas, mais maintiennent l’enthousiasme du lecteur attentif à la plume déstabilisante de Pascal. La nature fragmentaire du projet donne lieu à une variété d’interprétations et laisse un élément d’inquiétude quant au sens que l’on donne aux mots et aux phrases, allant jusqu’à l’ordre même des sujets de l’ouvrage, encore et toujours controversé. En raison de sa souplesse, il est toujours possible de trahir la pensée de Pascal. Un tel avertissement doit avant tout être adressé à nous, pascaliens éloignés, pleinement conscients de nos limites, qui ne devrions pas suggérer un relativisme comme prémisse à une oeuvre qui s’y refuse.

Heureusement, plusieurs points relatifs au caractère de Pascal et de son oeuvre demeurent défendables : l’appartenance sincère de Pascal au christianisme, même s’il s’oppose aux théologiens de son temps et à leur compréhension de la grâce ; son penchant janséniste et son caractère provocateur devant les libertins et leur attitude condamnable. Une lecture de finesse ne saurait qualifier Pascal de penseur athée, contre la futilité de la religion, ou relativiste sans morale, recommandant une vie de couardise. Si la valeur de la religion est indéniable chez un auteur qui en préparait l’apologie, les sujets de la philosophie et du savoir liés aux lumières naturelles ne trouvent pas chez le lecteur la même assurance, puisque Pascal ne s’affiche pas philosophe comme il s’affiche chrétien. Nombreux sont ceux qui ont insisté sur l’hostilité de Pascal envers la philosophie, de Victor Cousin qui affirme que c’est « parce qu’il est sceptique en philosophie que [Pascal] s’attache plus étroitement à la religion[1] », jusqu’à Vincent Carraud qui observe chez Pascal un effort pour se libérer de la philosophie. Comment dire le contraire lorsqu’on a, à côté des Pensées, l’Entretien et la Préface du traité du vide ? Dans l’un, la philosophie est mise à mort alors que dans l’autre, elle est tout simplement absente de l’énumération des sciences.

Est-ce alors peine perdue qu’un lecteur veuille nous convaincre que Pascal soit philosophe ? Certains se sont donné pour tâche de le dépeindre ainsi, peut-être guidés davantage par leur imagination que par leur raison, ce qui est ordinaire pour Pascal[2]. Cependant, guidés par l’ouvrage de Graeme Hunter, Pascal the Philosopher : an Introduction[3], nous croyons qu’il s’agit d’une lecture parfaitement soutenable et pertinente de la pensée de Pascal. La critique pascalienne de la philosophie, loin d’être camouflée dans un premier temps, si elle est examinée en profondeur et dans ses nuances, ouvre, dans un second temps, à la compréhension d’un Pascal qui, nonobstant son hostilité, se révèle en plein exercice d’outils philosophiques.

Ce livre nous sert de guide pour plusieurs raisons. D’abord, il avance avec audace et sans ambages que Pascal est authentiquement un philosophe, ce qui le distingue de l’idée reçue, défendue par bien des commentateurs, dont Carraud, pour qui, « l’attribution à Pascal d’une philosophie procède (…) le plus souvent d’une détermination conceptuelle insuffisante de la philosophie[4] ». De plus, Hunter met l’emphase non pas sur les succès de la philosophie pascalienne, mais bien sur sa fragilité et ses écueils. Enfin, il nous motive comme lecteurs en nous montrant comment lire cette oeuvre fragmentaire de façon philosophique[5].

1. La mise à mort de la philosophie

La perspective pascalienne sur la valeur de l’entreprise philosophique et la portée de ses thèses n’est jamais exprimée avec plus de clarté que dans l’Entretien avec M. de Sacy. Le premier chapitre du livre de Hunter s’ouvre sur la séparation du spectre philosophique, dévoilée progressivement dans un dialogue entre Pascal et Sacy, maître janséniste. Le disciple expose sa classification de l’ensemble des philosophes et des philosophies sous deux catégories en opposition totale, celle des dogmatiques et celle des sceptiques. Cette dichotomie sert de point de départ à une compréhension fataliste des philosophes – tranchante et porteuse de conséquences désastreuses pour l’ensemble de la philosophie[6].

Chacun des deux camps est personnifié par un champion : Épictète et son perfectionnisme moral pour le dogmatisme, puis Montaigne et son pur pyrrhonisme pour le scepticisme. La présentation se déroule comme un tournoi entre un défenseur de la raison et d’une utopie morale explicite où seraient connus les devoirs de l’homme, et un défenseur du doute et de tous les concepts empruntés aux sceptiques anciens[7]. Tous deux se font défenseurs d’une paix d’esprit reliée à un rapport à la philosophie, le premier unissant la pensée et la vérité, l’autre dénonçant la démesure de cette union. Si cette finalité ataraxique commune aux deux sectes laisse sous-entendre un degré d’affinité, leurs méthodes respectives pour atteindre cette finalité diffèrent à un tel point qu’aucune des deux ne laisse place à un terrain d’entente propice à la maturation d’une paix d’esprit philosophique. Incapable de surmonter ses faiblesses, pointées du doigt par chacune des extrêmes, la philosophie en elle-même finit par se perdre : « Montaigne and Epictetus each stand for everything the other does not, each representing half of what philosophy is. Together they account for an entire field – a field of failure[8]. »

L’effondrement de chacune des deux sectes rend inepte la philosophie dans un tournoi sans vainqueur. Cependant, leur mise à mort n’est pas immédiate, mais subséquente : le scepticisme prend le dessus sur le dogmatisme lorsque Montaigne conteste chez Épictète l’union philosophique démesurée entre raison et vérité. Éloignant avec justesse l’illusion de grandeur, il ne sait garder le dessus bien longtemps et il engendre sa propre perte en remplaçant le mirage dogmatique par un mal concret : condamner l’homme à la lâcheté.

Parvenu à la conclusion de l’Entretien, le discours du scepticisme interne à la philosophie ne saura éviter de faire banqueroute lui aussi[9]. Si Montaigne soulève habilement les limites de la recherche guidée par la raison séparée d’une anthropologie humaine appropriée, Pascal ne partage pas son pessimisme : tenir compte de notre condition ne met pas fin à toute forme d’entreprise orientée vers la vérité. En contestant l’approche proprement philosophique, Montaigne laisse intacte l’idée de vérité vers laquelle elle tend.

Cette lecture de la philosophie laisse perplexe le lecteur habitué à la critique spécifique d’une école de pensée ou d’une autre. Qu’un courant philosophique tombe est une chose ; que la philosophie comme discipline finisse elle-même par s’effondrer en est une autre (p. 38).

Pour certains philosophes dogmatiques, un défaut particulier comme la confabulation ou l’inattention illustre la faillite d’une philosophie, alors que certains sceptiques entrevoient une déficience plus générale chez l’agent, privé naturellement de la capacité d’atteindre ce qui est attendu de la philosophie. Chacune de ces deux approches, en accentuant une limite chez l’individu ou l’espèce humaine, manque la nuance profonde de la faillite qui, pour Pascal, n’est ni naturelle, ni personnelle, mais conditionnelle. La chute de la philosophie trouve son explication à partir d’une chute encore plus alarmante, la chute de l’homme : « The fall is to be looked at as the Ur- catastrophe, a formative privation at the origin of things as we know them[10]. » Au milieu d’un champ de bataille désormais post-philosophique, le christianisme est proclamé vainqueur d’un tournoi auquel il ne prenait pas initialement part. L’explication formative des forces et des faiblesses humaines à l’intérieur de son discours permet à Pascal d’incorporer le meilleur de chacune des sectes, tout en mitigeant leurs faiblesses respectives.

Pascal relie la faillite de la philosophie à la désolation humaine en soutenant l’effet de la chute sur la volonté. Les philosophes, comme les rois ou les hommes ordinaires, se laissent porter par l’imagination vers ce qui justifie leurs désirs personnels et masquent leurs fausses croyances et leurs tendances mal fondées en certitudes inébranlables. Par sa nature, l’homme désire la vérité, mais en prenant sa condition comme premier point de repère, il ne peut faire autrement que s’égarer : « We ourselves are obstacles to knowing[11]. » Cette problématique interne à l’homme signale la présence d’un obstacle majeur sans pour autant nier la validité de toute entreprise s’efforçant de le surmonter – une entreprise qui ne chercherait pas à l’ignorer comme le font les dogmatiques, ou à abdiquer comme le font les sceptiques. Aussitôt constatée la gravité de l’état de l’homme, Pascal se dissocie du partisan sceptique. S’avouer misérable n’est qu’une première étape d’un long parcours.

Comme le défi que pose la condition humaine pour le sujet en quête de vérité relève avant tout de l’état de la volonté, la méthode pascalienne prend l’allure d’une thérapie visant à soigner notre disposition conflictuelle, avant d’entrer en rapport avec la vérité. L’ambition polémique de Pascal consiste alors à guérir de la haine du christianisme[12], détenteur de la clé, porteur du sens du mal comme de la solution au mal. Le cadre apologétique du discours s’érige en fonction d’un auditoire déterminé, soit les contemporains post-chrétiens libertins de Pascal, familiers avec le christianisme mais choisissant de vivre autrement. Pascal suppose qu’un athée moderne typique veuille la vérité, mais, étant aveugle et tourmenté, il hait la vérité et se perd plus qu’il ne le laisse paraître lorsqu’il prend des décisions relatives à son existence. Le fragment « Ordre » des Pensées expose les différentes étapes nécessaires du parcours pascalien, en passant par la guérison subjective vers le choix de la vérité :

Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie[13].

L’ouverture à l’Évangile de l’Entretien nous porte vers la grande stratégie apologétique des Pensées et la mise en place d’une thérapie de la volonté. Hunter divise la suite de son ouvrage en trois sections, les deux premières centrées sur la guérison comme telle : (i) en argumentant que le christianisme mérite respect, Pascal cherche à combattre la peur illégitime de la religion ; ainsi, il provoque un renversement de la vision séculaire en montrant que ce n’est pas la religion qui est pathologique, mais bien la haine de celle-ci. Plus encore, (ii) ce que le christianisme offre est précieux, au point qu’il est préférable de transformer sa peur de la religion en désir ; cette conversion émotive prépare la conversion religieuse et fait l’objet du célèbre fragment « Infini rien ». Seulement une fois ces deux conditions respectées, émergera (iii) l’occasion d’une relation chrétienne avec la vérité, le troisième pan de cette stratégie : « A strategy that is therapeutic in nature, calls for transforming emotions, and is dependent on grace looks like a dubious ally. (…) The task (…) is to show why we must also consider it to be philosophy[14]. »

La conversion émotive essentielle au processus de guérison occupe tout le quatrième chapitre de l’ouvrage de Hunter. Dans le fragment inachevé « Infini rien », Pascal se propose de défendre la position chrétienne et son caractère maintes fois plus valeureux que la position athée. La métaphore du pari sert de point d’assise pour amorcer un dialogue dans le but de rendre réceptif et plus souple l’esprit de celui qui s’éloigne du discours chrétien dans ses démarches morales et même intellectuelles : « The originality of Pascal lies in what he asks us to do : we are to think of properly defended atheism not as a bad argument but as a bad bet. » Et Hunter d’ajouter : « He will say that the secularist’s bet is irrational, even when his arguments are not[15]. »

Pascal en appelle à différents types de « vies » associées à différentes fins. Deux directions générales s’offrent à la volonté humaine : vivre en fonction de la vie infinie, la vie éternelle à laquelle croient les chrétiens ; ou vivre en fonction de la vie finie, la vie biologique, désenchantée, de la naissance jusqu’à la mort du corps, à laquelle se limitent les athées. D’ordinaire, les trajets de l’athée comme ceux du croyant procèdent d’une réponse à la question de l’existence de Dieu, où le non-croyant insiste sur l’absence de preuves pouvant soutenir la foi, alors que le croyant sait en dénombrer qu’il juge suffisantes. L’interlocuteur de Pascal dans le fragment est attaché à sa conception finie de la vie, horrifié à l’idée de miser sur l’existence de Dieu contre le sens commun ; il veut poursuivre une vie finie, sans être orienté de façon illusoire vers une fin liée à une morale religieuse et des dogmes.

Le raisonnement pessimiste de l’interlocuteur sera rapidement déconstruit. D’une part, Pascal montre que le risque associé à la possibilité de l’existence de Dieu est dépourvu de réponse hors de tout doute et n’est pas pertinent pour la prise de position dans le pari. Chacune des mises possibles nous force à admettre que la seule chose certaine, c’est bien l’incertitude de l’existence de Dieu. Cependant, l’aporie n’implique pas l’absence de raisons valables pour justifier son choix. Le primat de l’existence de Dieu sera remplacé par quelque chose de plus palpable, soit ses conséquences sur l’existence humaine en fonction des risques et des bénéfices de la croyance et de la non-croyance. Ce qui justifie la prise de position est ainsi à la fois plus flexible et précis : la croyance, sans être exclusivement une décision rationnelle, peut être une décision raisonnable si les avantages de la croyance excèdent ceux de la non-croyance.

La nature du pari, et par extension du choix existentiel qui en résulte, est qu’il est certain qu’on hasarde pour gagner quelque chose. Que l’on gage sur du fini ou sur de l’infini, ce qui est en jeu demeure notre vie présente. La vie éternelle semble coûteuse dans l’immédiat, mais semble aussi infiniment plus intéressante que le risque de perdre. De plus, le bien que procure la vie éternelle semble beaucoup plus intéressant que la perte éternelle dont nous serions victimes en faisant fausse route. Autrement dit, miser sur l’existence de Dieu est plus judicieux, tant sous un angle quantitatif – la vie éternelle relativise la durée de vie du corps et de l’esprit – que qualitatif – la vie éternelle relativise les maux du corps et de l’esprit. Et encore, si l’on décide de poursuivre la vie infinie, le nombre négligeable d’inconvénients quant au corps et à l’esprit ne laisse place à aucune comparaison entre les deux options : « Or quel mal vous arrivera (-t-) il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami, sincère, véritable[16]. »

D’une part, l’interlocuteur n’a plus à se soumettre à sa peur initiale pour décider de parier ou non sur l’existence de Dieu. D’autre part, le désir qui naît en lui devant le faible coût et la grandeur du gain ne peut être ignoré. Est-il en droit de se laisser gagner ainsi ? Pascal s’attaque à la dimension antithétique entre émotion et raison : bien que les passions bloquent parfois avec justesse une prise de décision hâtive, il arrive que ces mêmes passions méritent d’être écoutées. L’engagement émotionnel derrière une prise de décision n’implique pas une conduite forcément déraisonnable, même lorsque l’existence de Dieu est en jeu. Le non-croyant, comme le croyant, est ouvert et fermé à une variété d’évidences, rationnelles comme émotives. Le croyant a peut-être peur de se limiter à une existence biologique, mais la peur est aussi ce qui attache l’athée à la vie finie. Pour démêler les voies légitimes des penchants, Pascal encourage des peurs raisonnables comme de l’espoir raisonnable. Qu’a l’interlocuteur à avoir peur de parier sur la vie infinie et de régler en conséquence ses penchants ?

Les passions athées et la peur commune à la psychologie séculière engagées, le vrai défi ne tardera pas à frapper l’interlocuteur averti. Un fossé le sépare toujours de la conversion religieuse et d’un rapport véritable à la vérité – un fossé plus large, et en partie hors de son contrôle. Il est en effet coutume de désigner la conversion religieuse et l’engagement personnel, comme le besoin surnaturel qu’elle requiert, d’étrangers au discours et à toute entreprise purement humaine. Ainsi, la concupiscence nous détourne et nous aveugle ; la grâce n’est donnée qu’à certains ; Dieu se cache et se rend impossible à détecter. Même muni du désir le plus sincère, l’interlocuteur n’aurait-il pas besoin d’un miracle pour croire en la vérité du christianisme ? La question que soulève Hunter au cinquième chapitre va en ce sens : « How could any process that depends on grace simultaneously be naturalistic and philosophically transparent ?[17] »

Un nombre considérable d’éléments laissent toutefois apparaître comme une lecture à la fois naturelle, transparente et philosophique l’entreprise pascalienne. Au coeur du fragment « Infini rien », l’interlocuteur, s’il est convaincu par le discours et opte pour le pari, n’agit pas de manière complètement aveugle : certaines raisons valables l’incitent à changer son rapport à la religion en fonction de l’impact pratique sur son existence. Une partie de la conversion ainsi comprise ne tend pas vers une exclusivité surnaturelle, mais plutôt vers le développement d’un état d’esprit sensible à ce qu’a à offrir la vérité.

Sauf que ce qui allait pour la conversion émotive ne va plus pour la conversion religieuse qui opère à un tout autre niveau. Étions-nous en droit de présumer morte la philosophie à la fin du premier chapitre ? Les répliques de Pascal dans le fragment « Infini rien », doivent-elles être réduites à une simple interaction avec un interlocuteur particulier dans la mesure où sont bien nettes les distinctions entre conversion émotionnelle et conversion religieuse, entre métaphore et vie concrète ? Ou bien, si l’on envisage une signification plus large au dialogue fictif, peuvent-elles conduire à une résurgence de la philosophie ?

2. Vers une philosophie pascalienne

Aborder l’entreprise de Pascal comme émergeant de la mise à mort de la philosophie, allant d’une lecture de la condition humaine vers une thérapie émotive et s’achevant par la conversion religieuse ne nous mène pas au bout de la lecture que fait Hunter d’un Pascal davantage philosophe en dépit de la faillite de la philosophie.

Dès l’introduction, Hunter indique que Pascal devrait être lu comme un philosophe réformateur[18]. Le qualifier ainsi suggère plusieurs degrés d’appréciation de ce que signifie « philosophie » chez Pascal, en tension négative par rapport à ce qu’entendent les philosophes de son milieu. Sa position s’étire simultanément sur deux niveaux, entre ce qu’il dit de la philosophie à plusieurs occasions dans son oeuvre et ce qu’il en fait à chaque étape de développement de son entreprise apologétique chrétienne. Ce qu’il dit doit être dirigé vers la tradition philosophique, devant laquelle il prend l’allure d’un chercheur post-philosophique[19], alors que ce qu’il fait transcende cette tradition sans pour autant abandonner la quête elle-même.

La philosophie éprise d’elle-même et les ambitions démesurées de la raison sont mises à mort dans le tournoi entre les deux sectes de l’Entretien. À la suite de l’affrontement, le champ est libre pour qu’émerge un mode de recherche qui ne soit ni dogmatique ni sceptique, tenant en son centre une lecture de l’homme tel qu’il est. Pour Pascal, la question centrale de l’homme n’a jamais trouvé meilleure réponse qu’au coeur du discours chrétien affirmant sa condition conflictuelle et supplantant ainsi les philosophes oscillant d’une extrême à l’autre, d’une humeur transcendante à un pessimisme misérable.

Les répercussions de la chute sur les ambitions humaines du philosophe sont incontournables : la philosophie souffre de sa persuasion seulement momentanée et de la multitude de ses sectes toutes contestables. Ignorée par le philosophe, la chute signale surtout la distance entre le sujet et la vérité : « C’est une maladie naturelle de l’homme de croire qu’il possède en lui la vérité[20] », déclare Pascal. Cependant, l’état conflictuel ne conduit pas vers une foi aveugle ou un parcours dénué d’intelligence, comme si l’homme en était dépourvu, mais vers une compréhension adéquate de son humanité, à partir de laquelle un type de philosophie concret, mais conséquent, peut se révéler. La philosophie ne faillit pas seulement parce que la vérité est difficilement accessible : elle faillit parce que le sujet malade n’est pas disposé à la recevoir et ne sait en quel lieu la sonder.

Le lieu et la portée de la quête, vaine sans réforme intérieure, trouveront une application concrète dans l’entreprise pascalienne. Un philosophe donné, sans être sceptique ni dogmatique, peut-il s’adapter aux prémices de Pascal ? En sens contraire, sa propédeutique à une nouvelle philosophie offense-t-elle la raison à un point tel qu’on se mentirait en l’appelant philosophie ?

L’une des principales modifications du discours philosophique consistera à nier la pertinence des arguments par la preuve métaphysique. Même si la preuve n’a rien de dérangeant en elle-même et qu’il lui arrive d’être juste, la volonté humaine est ternie au point que même la meilleure démonstration logique ne peut que convaincre momentanément un interlocuteur donné.

Cette remise en question d’une méthode et de sa visée ne signifie cependant pas la fin de tout discours ou démonstration cohérente. La parenté entre incertitude et savoir, alimentée par la preuve, sera remplacée par une autre, celle entre incertitude et choix, alimentée en partie par le sentiment. De déplacer ainsi le noyau du discours fait place au processus de guérison du trouble de la non-croyance et à la thérapie émotive, essentiels à la stratégie apologétique. Pascal, même en mitigeant le recours à la preuve, veut convaincre de la légitimité du christianisme comme corps de pensée vénérable et intègre sans être contraire à la raison[21]. La nature de la métaphore du pari consiste à faire valoir l’état personnel en deçà de tout choix existentiel[22].

Selon Hunter, la valeur de la métaphore du pari tient au fait que personne ne va parier contre ce que peut tolérer l’intellect. Même sans faire appel à la preuve, un interlocuteur habitué de se soumettre aux lumières naturelles peut trouver confort dans ce que requiert la mise et même jouer « sans pécher contre la raison[23] ». L’essentiel de la discussion est limité à des arguments naturels vers des moyens pratiques tout aussi naturels. Confronté aux réticences émotives devant la mise religieuse, Pascal riposte que « la raison vous y porte[24] ». Autrement dit, le déplacement d’une philosophie axée sur la preuve vers une autre axée sur l’intérêt transfère aussi ce à quoi on s’adonne ou renonce sans pour autant remettre en jeu la cognition comme telle. Pascal renonce à un type d’usage de la raison qui lie trop hâtivement le sujet conditionné et une cognition sans limites. L’interlocuteur réticent démêle peu à peu ses décisions les plus apathiques soutenues par un sentiment motivateur comme celui de la crainte de l’inconnu, ou celui de la défiance d’avoir tort, pour finalement s’ouvrir à la possibilité d’une autre option plus raisonnable.

Lorsque Pascal suggère d’apprendre de ceux qui sont passés par les mêmes difficultés pour mettre au défi sa peur des demandes chrétiennes, il ne quitte toujours pas le cadre des lumières naturelles que la discussion s’est initialement donné. L’esprit n’est à aucun moment mis de côté si la métaphore laisse de la latitude à une position d’ordinaire irrationnelle : « [The interlocutor] is now rationally justified in acting the way foolish people act[25]. »

Sommes-nous tout de même justifiés à voir quelque chose d’anti-philosophique dans ce que demande Pascal ? De son côté, Victor Cousin souligne avec mépris l’association entre la croyance et l’« abêtissement » conseillé par Pascal, où « s’abêtir » tiendrait d’une inspiration cartésienne de la théorie de l’animal-machine[26]. La croyance nécessiterait le rejet de notre humanité pour tomber à un stade ou à un état inférieur. Plus modique encore qu’un usage mitigé de la raison, Pascal recommanderait à l’interlocuteur de croire de façon mécanique et donc sans intelligence. Brunschvicg, dans une lecture moins péjorative, mais allant dans la même direction, discute de la « vertu de l’automatisme »[27] pour la transformation de l’âme. L’interlocuteur ne deviendrait pas bête, mais agirait comme s’il l’était, avec pour objectif de devenir de plus en plus à l’aise avec les demandes du christianisme.

Or, une faible connexion étymologique entre « bête » et « abêtir » supporte l’interprétation de l’origine cartésienne de l’expression. Selon Hunter, on doit chercher le sens le plus ordinaire du mot sans insinuer une focalisation sur le corps en dépit de l’esprit, ou sur un agir relevant de l’animal dépourvu d’humanité. La probabilité de l’existence de Dieu force des circonstances exceptionnelles et une mise plus que particulière qui, en temps normal, conduiraient vers la suspension du jugement au risque d’agir sans finesse. Dans le cadre du fragment, l’interlocuteur n’a pas la même flexibilité et doit parier même si les probabilités de l’existence ou de la non-existence de Dieu sont incalculables. L’interlocuteur paraît donc bête du point de vue extérieur de celui qui ignore ces prémisses. L’abaissement n’est effectif que si l’on considère ce que l’on était avant d’entrer en dialogue avec Pascal comme de son entourage composé d’hommes « indifférents à la perte de leur être »[28], pour qui s’embarquer dans un tel dilemme risque d’être rationnellement offensant.

3. Philosophie et conversion

Jusqu’à présent, le projet apologétique de Pascal demeure potentiellement cohérent avec une attitude proprement philosophique, du moment qu’on accepte le déplacement de certaines prémisses des sectes philosophiques. Son mépris sévère au coeur d’une oeuvre polémique relève d’une lecture conséquente (i) de l’homme par sa double condition et (ii) du lieu d’être de la vérité. Heureusement, même la volonté la plus ternie devant la vérité la plus éloignée ne sous-entend point la mort de tout discours et de toute pratique raisonnée.

La véritable épreuve pour la philosophie de Pascal, comme pour l’interlocuteur athée, est aux portes. Trouver désirable ce qu’offre le christianisme, respectable par son discours et tout aussi prometteur par sa pratique, ne peut être comparé avec l’adhésion de tout son corps et de toute son âme à une conversion religieuse. Même munie des nouveaux outils philosophiques pascaliens, la pente surnaturelle vers la vraie conversion est-elle trop abrupte ? La séparation religieuse radicale entre la vie infinie et finie en est une qui, pour plusieurs lecteurs, présuppose une intervention non philosophique exclusive et pointe vers ce moment définitif où Pascal laisse la philosophie derrière. Pour citer un exemple parmi d’autres, Terence Penelhum, en comparant l’approche cartésienne de Dieu à celle de Pascal, prédit le saut qui suivra le refus de la preuve : « Just as Descartes’s proofs of the external world are unnecessary, so attending to his proofs of God merely postpones the leap of faith that will lead to peace[29]. » Or, cette opposition dite fatale entre l’approche chrétienne de la vérité et l’approche philosophique de la vérité moyennant un saut fidéiste hors de la voie rationnelle ne correspond pas au projet pascalien qui, selon Hunter, trouve assez de place entre les deux pour que subsistent la philosophie et la foi[30].

L’exposé des étapes précédentes de l’entreprise a déjà montré comment Pascal arrive à adapter la philosophie en fonction de toutes les embuscades surgissant sur la route vers la vérité. Il n’en demeure pas moins que cette dernière embuscade qu’est la conversion – observée sous l’angle de la théologie janséniste à laquelle Pascal est bien favorable – rend les choses ardues. Si le fragment « Infini rien » dévoile un Pascal désireux d’aider l’interlocuteur à se disposer à entrer en relation avec la vérité indirectement, la conversion elle-même, individuelle et surnaturelle, dépend de nous et non des autres ; même de Dieu plus que de nous. « Nous ne pouvons convaincre les infidèles[31] », reconnaît Pascal. La gravité théologique de l’enjeu rend toute forme de discours inapte à conduire même l’interlocuteur le mieux disposé à se convertir.

L’état conditionnel de l’homme, « sujet plein d’erreur naturelle, et ineffaçable sans la grâce[32] », devra être entendu davantage pour que reste plausible une lecture de Pascal comme philosophe réformateur. Muni d’instruments « trop mousses » pour toucher directement à la vérité[33], cet homme doit-il sauter dans la foi pour se convertir, ou reste-t-il bien ancré dans un parcours naturel, transparent et même philosophique ?

Deux fragments ayant pour sujet les trois ordres[34] vont justement faire la lumière sur les tensions entre différents aspects de notre humanité et sur le rythme que gardera le sujet cheminant vers la conversion. Ces trois ordres, c’est-à-dire l’ordre du corps, l’ordre de l’esprit et l’ordre de la charité, traduisent en premier lieu différents types de personnes ou manières de vivre[35] : les gens de corps sont entre autres représentés par les meneurs et les menés ; les gens d’esprit par les penseurs, les philosophes et les académiques ; les gens de charité par les saints. Ces derniers n’ont que Dieu pour sujet alors que les premiers sont alimentés par la possession d’objets ou de biens et que les deuxièmes sont dominés par la persuasion de l’esprit.

La hiérarchie des ordres, de la bassesse du corps jusqu’à la très haute charité, concorde à première vue avec un parcours chrétien de type mystique. Le sujet concupiscent, épris de plaisirs personnels comme de domination ou de soumission par rapport à d’autres, est infiniment distinct du sujet athée ou libertin qui exerce sa raison vers une fin qu’il ne peut atteindre par ses moyens. Un cheminement spirituel vers la conversion passerait naturellement, puis surnaturellement, par ces différentes zones jusqu’à ce que le sujet constate la distance « infiniment infinie » qui le sépare de la vérité et de l’incapacité de sa raison de parvenir à cette fin. Le second saut de l’ordre de l’esprit vers la charité, beaucoup plus obscur que le premier entre la concupiscence et l’esprit, signalerait le lieu véritable de la conversion, par-delà le corps et l’esprit.

Or, cette première lecture des trois ordres ne rend pas justice à la subtilité de l’entreprise pascalienne. Même si la dimension absolument hiérarchique du processus ne peut être ignorée, la volonté humaine est, pour Pascal, beaucoup trop problématique pour se laisser ancrer dans une manière de vivre aussi exclusive que la soumission à un seul ordre. Tenant compte de ces limites, tout en restant fidèles à la pensée de Pascal, les trois ordres exhibent non seulement différents types de personnes, mais aussi différents types de tensions internes à chacun. Par son humanité, sa grandeur comme sa misère, l’homme vit en tension interne avec ses inclinaisons, certaines raisonnables et nobles, d’autres moins nobles tout en étant raisonnables, d’autres moins raisonnables et nobles. Autrement dit, les ordres ne forment pas tant des classes distinctes et fixes que des tendances mouvantes, la volonté humaine étant telle que l’on peut toujours pencher à différents degrés vers la charité ou vers la concupiscence[36]. Même ceux qui se font ambassadeurs de l’ordre de la charité ont un corps ; même les plus faibles peuvent être guidés par l’esprit.

Outre la grâce qui lui est donnée, l’acquisition d’une attitude ou de vertus proprement chrétiennes caractérise le converti auquel Pascal se réfère lorsqu’il conseille l’interlocuteur tout à la fin du fragment « Infini rien ». Comme les trois ordres, du plus naturel au plus surnaturel, sont interreliés[37], le processus de développement de ces vertus chrétiennes n’implique pas un changement, tout à fait impossible, dans notre humanité mais bien l’acharnement de la volonté à travers des épisodes de vertus[38], ces périodes d’une durée variable où le sujet est à l’écoute de son désir de suivre ses tendances intérieures plus nobles. Même dénuée d’une vision directe de la vérité, toute personne recevant la grâce peut, jusqu’à son dernier souffle, aspirer à la charité en multipliant les épisodes de vertu sans tomber pour de bon dans la concupiscence. Contre la perpétuité d’occasions de pencher d’un côté comme de l’autre, la persévérance et non le saut distinguera une volonté sincère d’une autre moins dévouée. Hunter rappelle le troisième groupe de personnes auquel Pascal est sympathique dans le Premier écrit sur la grâce, « ceux qui viennent à la foi et y persévèrent dans la charité jusqu’à la mort »[39], en contraste avec ceux qui ne viennent jamais à la foi, comme ceux qui y viennent mais ne persévèrent pas.

D’une forme d’espoir à la suite de la conversion émotive du fragment « Infini rien » vers une forme d’espérance plus approfondie et alignée au cours de la conversion religieuse, l’intervention surnaturelle, bien qu’implicite dans la seconde étape, ne brime toujours pas une lecture philosophique de l’entreprise pascalienne. Le travail acharné du sujet, dans la victoire comme dans la défaite, pour une part signe de grâce, est aussi signe de la présence naturelle du travail de l’esprit : sa position intermédiaire dans les trois ordres est en effet significative pour le développement des vertus chrétiennes. Ce que Pascal recommande n’est pas de se détacher hors du cognitif vers une forme de mysticisme sans corps ni esprit, mais de garder l’oeil ouvert et l’esprit attentif dans son cheminement de plus en plus porté vers la charité.

Les épisodes de vertu naturelle n’offusqueront pas la raison du philosophe, du moins si cette dernière accepte la place de choix qui lui revient. Sans devoir capituler, la raison se verra au contraire menée à être exercée[40]. L’esprit du chrétien en devenir s’exercera dans la finesse, c’est-à-dire dans la mise en pratique de son jugement devant les choses du monde[41]. Dans la poursuite approfondie de ses recherches, l’interlocuteur risque de faire des découvertes intermittentes comme de se perdre parfois. L’esprit mesurera les gains au-delà des pertes dans chacune de ces batailles où les épisodes de vertu se feront de plus en plus fréquents et puissants ; sa foi de plus en plus supportée par des raisons. Même la théologie à tendance janséniste de Pascal ne remet pas en question l’application naturelle du remède et la nécessité d’un esprit équilibré : « Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison[42]. » Or, cet esprit raisonnable et proprement philosophique ne peut être ni dogmatique, ni sceptique, puisque ces dernières orientations ne saisissent pas cette nuance existentielle entre le doute, l’assurance et la soumission. Cet esprit équilibré, dans l’entreprise pascalienne, est en droit de devenir chrétien.

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On se demande encore si Pascal est philosophe parce que la démonstration par preuve directe semble extérieure à son discours. Or, elle n’est qu’un indice parmi d’autres. Pascal nous invite cependant à un parcours véritablement philosophique qui met en jeu la philosophie elle-même. Lorsqu’ils cherchent à convaincre, les philosophes surestiment leur grandeur et négligent leurs nombreuses faiblesses et limitations humaines. S’il n’est pas permis de lui forcer la main en ignorant l’ordre de l’esprit, la grandeur de l’être humain est telle qu’on peut le guider par le biais de la pensée. C’est ce que Graeme Hunter accomplit dans sa présentation de l’entreprise pascalienne dans Pascal the Philosopher : il oriente une lecture de Pascal à laquelle on agrée dans la réflexion transparente et sans artifice.

C’est pourquoi l’ouvrage de Hunter intéresse non seulement les chercheurs et étudiants dixseptièmistes, mais aussi le public qui s’intéresse à Pascal et au sort de la philosophie. Il est en ce sens souhaitable que cet ouvrage, dont la parution remonte déjà à sept ans, fasse l’objet d’une traduction française pour le rendre accessible à la discussion francophone contemporaine.

Le portrait ambitieux de Pascal et de sa philosophie ; d’un philosophe terre-à-terre et soucieux de la disposition humaine au-delà de ses engagements polémiques, est développé avec un tel brio que nous jugeons pertinente la traduction de l’ouvrage dans la langue de Pascal. Sans renier les lectures classiques et contemporaines, Hunter nous parvient avec un angle d’approche original auquel nous sommes peu accoutumés. L’histoire des idées est plus encline à juger Pascal comme scientifique de renom devenu théologien controversé et à négliger la profondeur et les nuances d’une entreprise philosophique qui est en droit d’être nommée ainsi.

Si l’humiliation des sectes sceptique et dogmatique qui domine le champ philosophique avait été son dernier mot, Pascal passerait pour un Montaigne plus assumé dans son fidéisme. Or, son génie consiste à se servir de cette mise à l’épreuve de la philosophie pour ouvrir le chemin vers une nouvelle voie qui débute par une introspection psychologique et aboutit à une transformation spirituelle, et dont la traversée repose sur un engagement proprement philosophique. Le doute demeure chez Pascal une catégorie essentielle tout au long de ce parcours. Il porte d’abord l’édifice philosophique à sa chute et devient ensuite le défi personnel et surtout moral du sujet : « C›est donc assurément un grand mal que d›être dans ce doute ; mais c›est au moins un devoir indispensable de chercher, quand on est dans ce doute ; et ainsi celui qui doute et qui ne recherche pas est tout ensemble et bien malheureux et bien injuste[43]. »