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Le titre, dans son rythme et sa formulation, paraphrase celui d’un roman bien connu de Gabriel Garcia Marquez : De l’amour au temps du choléra. Évidemment, il ne s’agit pas de comparer les migrations à une maladie tel le choléra mais très certainement de faire un parallèle entre l’amour et l’hospitalité. Quant à l’allusion au choléra, je dois avouer que j’ignorais totalement que ce numéro allait voir le jour en pleine pandémie. Alors que les migrations ne sont temporairement plus possibles et que l’attitude hospitalière est remise en question par le confinement à résidence et la distanciation sociale.

À plusieurs reprises dans le Nouveau Testament et dans la lettre de Clément aux Corinthiens, à laquelle on fera référence dans le présent dossier, les termes grecs philoxeneô, philoxenia ou philoxenos apparaissent, avec le sens de « pratiquer l’hospitalité », « hospitalité », « hospitalier ». On les retrouve à trois occasions dans le corpus épistolaire : « Soyez solidaires des saints dans le besoin, exercez l’hospitalité avec empressement » (Rm 12,13) ; « N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges » (He 13,2) ; « Soyez hospitaliers les uns envers les autres, sans murmurer. » (1 P 4,9)

Il est intéressant de voir que ces passages se trouvent dans des péricopes des épîtres pauliniennes et pétriniennes contenant des listes de dons de l’Esprit. Dans 1 Pierre on pourrait même considérer que l’énoncé « soyez hospitaliers » fait partie de la liste. Cela a une incidence sur notre façon de voir la praxis hospitalière, non pas comme une action simplement humaine mais plutôt en tant qu’action divine, parce qu’essentiellement « amour », opérée à travers la médiation humaine.

Pour ce qui est de la péricope de Hébreux 13, elle contient une référence sans équivoque au récit de la théophanie de Mambré et donc à l’hospitalité d’Abraham envers les trois visiteurs. Ce récit décrit les caractéristiques de base de l’hospitalité juive et chrétienne et en est le prototype.

L’épître clémentine compte plusieurs utilisations du terme (en 1,2 ; 10,7 ; 11,1 ; 12.1 ; 12,3 ; 35,5), faisant généralement référence à des exemples anciens de pratiques de l’hospitalité, soit celles d’Abraham et de Lot, toutes deux liés à la théophanie de Mambré, et l’exemple de Rahab, la prostituée de Jéricho.

L’hospitalité s’exprime encore à travers un autre terme dans le corpus lucanien et dans l’épître de Jacques. Il s’agit du verbe hypodechomai, conjugué à différentes formes, qui veut dire recevoir ou accueillir sous son toit. C’est lui qui sera utilisé dans les récits sur l’hospitalité de Marthe et Marie (Lc 10,38) et l’accueil de Zachée (Lc 19,6). Les deux textes relatent l’hospitalité offerte à Jésus. Les deux autres occurrences se retrouvent respectivement en Ac 17,7 où il est question de l’accueil de chrétiens par Jason à Thessalonique et en Jc 2,25 faisant mémoire de l’hospitalité offerte par Rahab aux espions d’Israël, Dans les deux derniers cas, l’accueil ou l’hospitalité comportait des risques imminents pour l’amphitryon.

Sans entrer dans les détails, la philoxenia – amour pour l’étranger – comporte une dimension théologique, voir pneumatologique parce qu’elle implique une praxis de l’amour de Dieu. Le terme hypodechomai, quant à lui, a une portée davantage pratique. De toute évidence, les deux ne s’opposent pas mais s’avèrent complémentaires l’un de l’autre et illustrent le sens chrétien de l’hospitalité depuis ses sources scripturaires.

« De l’hospitalité au temps des migrations » : l’objectif de ce dossier est d’alimenter la réflexion et de nourrir en contributions un champ important, soit celui de l’hospitalité, autour de la théologie de la migration. Un simple coup d’oeil sur notre monde révèle rapidement le caractère central de la réalité migratoire. Une théologie qui se veut contextuelle ne peut échapper à cette question. D’autres enjeux sont aussi importants et centraux. Il reste que la question migratoire, en plus d’être d’actualité, est à la source même de notre foi, tant dans ses racines juives que proprement chrétiennes.

Dans ce dossier de Science et Esprit consacré à l’hospitalité, quatre articles nous sont proposés qui, à mon avis, contribuent substantiellement au développement de la réflexion dans le cadre d’une théologie de la migration. En réalité, tous les auteurs ne s’identifient pas nécessairement comme spécialistes des questions liées à la théologie de la migration et c’est ce qui rend le dossier d’autant plus intéressant.

Une première contribution aborde le thème sous l’angle de la patristique apostolique. Dans son article Abraham and the Rhetoric of Hospitality and Foreignness in Hebrews and 1 Clement, Paul Hartog nous met en contact avec l’importance de l’hospitalité dans les premiers temps de l’Église. Le deuxième article, de Hyung Jin Kim Sun, A Mennonite Perspective of Hospitality in Times of Migration, ouvre la réflexion dans une perspective à la fois pratique et oecuménique. Le troisième, « Welcoming the Orphans of Globalization » : The Case for Seafarers’ Ministry, rédigé en collaboration par Jason Zuidema et Kevin Walker, dévoile un champ pastoral très peu connu, soit le ministère auprès des travailleurs maritimes. Finalement, dans son article Repenser l’hospitalité du migrant sur les trois pierres d’assise du foyer africain : l’accueil, la famille et la solidarité, Béatrice Faye nous plonge au coeur du continent africain et nous propose une lecture culturellement incarnée de l’hospitalité.