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L’histoire du développement économique du Canada et aussi du Québec peut être perçue comme l’exploitation séquentielle de différentes ressources naturelles, nommément : les fourrures, le bois, l’hydroélectricité et les mines. Le développement de ces ressources reposait sur l’apport de la technologie et du capital étrangers et les produits étaient acheminés dans un état relativement peu transformé vers les marchés mondiaux. Le rôle du gouvernement se limitait à encadrer l’accès à ces ressources. Dans les années vingt, le professeur Harold Innis de l’Université de Toronto a élaboré une théorie de ce mode de développement économique qui constitue encore aujourd’hui une pièce maîtresse de l’histoire économique canadienne. C’est la théorie du développement économique axé sur l’exploitation des ressources premières (the staples theory of economic growth). Le changement technologique qui a baissé les coûts de transport et de communication et qui a augmenté considérablement la productivité, la mondialisation des échanges et la place prépondérante des services dans l’économie moderne ont causé une transformation structurelle majeure où l’économie du savoir joue un rôle grandissant. Qu’arrive-t-il aux industries encore axées sur l’exploitation des ressources premières dans ce nouveau contexte qui est toujours en émergence ?

C’est le sujet analysé par les auteurs pour trois industries particulièrement présentes dans l’est du Québec, à savoir, les produits forestiers, le porc et l’énergie éolienne. L’accent est mis sur la dimension territoriale de ces industries qui concerne à la fois les acteurs immédiatement impliqués dans la production et les autres occupants du territoire qui peuvent être influencés de façon positive, mais aussi de façon négative par la présence de ces industries. C’est un sujet très vaste que les auteurs analysent sous l’angle de la gouvernance, concept qui se prête bien à l’étude des multiples forces déterminant l’évolution des industries sur un territoire donné.

Les auteurs distinguent trois niveaux en interaction dans un cadre vertical, surtout descendant, pour établir les règles d’opération des industries qui demeurent soumises à des changements. Il y a d’abord le contexte mondial de l’industrie ; celui-ci définit les marchés externes accessibles ainsi que les règles d’échange et apporte une contribution majeure à l’innovation technologique qui peut générer une nouvelle industrie comme l’énergie éolienne ou encore réduire la demande d’un produit mature comme le papier journal face à l’information électronique. Au second niveau, nous retrouvons le gouvernement qui possède en tout ou en partie certaines ressources comme la forêt et qui a le monopole de la réglementation des activités sur l’ensemble du territoire qu’il gouverne. Finalement, au bas de la pyramide, nous retrouvons les régions ou territoires où sont réalisées les activités d’usage des ressources naturelles. Ces activités concernent non seulement l’extraction comme telle, mais aussi l’usage d’autres propriétés des ressources naturelles qui peuvent contribuer au bien-être de la population. Ce livre porte surtout sur ce dernier niveau et il vise à comprendre comment s’opèrent les choix collectifs par les occupants du territoire dans le contexte où les industries d’exploitation des ressources naturelles sont en mutation face à la montée de l’économie de la connaissance. Les auteurs adoptent l’approche institutionnaliste pour analyser leur sujet ; cette approche est bien adaptée pour atteindre l’objectif recherché puisque différents groupes d’acteurs interagissent pour définir la nouvelle gouvernance des industrielles reliées aux ressources naturelles.

Tels sont le contexte, le sujet, l’objet et la méthodologie de cet ouvrage dont la majeure partie est consacrée aux trois industries retenues qui sont elles-mêmes à différentes étapes de leur développement, allant d’une industrie mature comme l’industrie forestière à une toute nouvelle industrie comme l’énergie éolienne. Même si ces industries partagent une caractéristique commune qui est l’implantation dans le territoire, leurs impacts locaux sont très variés, de même que diffèrent les capacités des acteurs locaux à influencer la gouvernance de ces industries.

Chacun des chapitres porte sur une industrie particulière et présente le contexte de cette industrie, les mutations en cours, les enjeux économiques, environnementaux et sociaux, les groupes en présence et les moyens dont ces derniers disposent pour faire valoir leur point de vue. Les auteurs ne cachent pas leur parti pris : le succès est ici mesuré par l’étendue du pouvoir de contrôle que détiennent les occupants du territoire. L’analyse est bien documentée et les auteurs présentent habilement la montée des groupes locaux dans la gouvernance de l’exploitation des ressources naturelles. C’est une lecture recommandée pour toute personne qui s’intéresse à la dimension territoriale de l’usage des ressources naturelles ; l’aspect politique est privilégié alors que l’aspect économique est plutôt laissé dans l’ombre.

J’aimerais apporter quelques précisions au sujet de l’industrie forestière. Le conflit du bois d’oeuvre canado-américain n’a pas débuté en 2001 comme il est indiqué à la page 3, mais en 1982.[1] Il n’y a pas eu fermeture de la frontière entre les deux pays, mais imposition de droits compensatoires accompagnés parfois de droits antidumping. Cependant, la presque totalité de ces droits a été remboursée aux producteurs canadiens. Il demeure que le conflit commercial canado-américain sur le bois d’oeuvre a accru l’incertitude pour l’industrie du sciage et par conséquent, pour l’ensemble de l’exploitation forestière. Ce conflit qui a fait l’objet d’ententes quinquennales temporaires entre le Canada et les États-Unis perdure encore aujourd’hui ; il constitue le conflit commercial le plus long de l’histoire entre les deux pays.