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Fruit d’une collaboration entre le politologue Jean-Herman Guay et l’historien Serge Gaudreau, cet ouvrage propose une très utile synthèse de l’ensemble des élections québécoises depuis 1867 et jusqu’à 2017. Faisant mentir ceux qui déplorent la mise au rancart de l’histoire politique, les auteurs offrent un portrait centré sur ces moments forts de la démocratie québécoise que sont les élections.

En fait, le pluriel du mot élections s’impose non seulement par le nombre, mais aussi en raison de la nature même des élections québécoises, qui ont beaucoup changé à travers le temps : les moeurs électorales ont évolué (on n’échange plus de coups comme on le faisait parfois), les partis politiques se sont transformés, les journaux des partis ont disparu, et ce que l’on appelait le suffrage universel était plutôt une commodité de langage qu’une véritable réalité – faut-il rappeler qu’il a fallu attendre le libéral Adélard Godbout pour que les femmes se voient accorder le droit de vote ? En ce sens, les auteurs ont raison de rappeler que le dicton populaire « Plus ça change, plus c’est pareil » (p. 5) ne s’applique pas vraiment ici, et les différences existant d’une époque à l’autre brisent l’image d’une seule trame. En même temps, les élections du XIXe siècle sont aussi partie prenante du régime démocratique qui prévaut encore au XXIe, et il y a tout lieu de les examiner sur la longue durée.

Dans leur examen au long cours, les auteurs croisent deux dimensions, celle du nationalisme et celle du progressisme, avec un accent plus important sur la première. Lionel Groulx est même cité lorsqu’il affirmait que les Canadiens français faisaient face à un choix « tragique », celui de savoir s’ils continueraient à vivre ou non dans la Confédération (p. 6). Cela dit, il ne s’agit pas là d’un élément véritablement explicatif de chacun des 41 scrutins, mais plutôt d’une toile de fond sur laquelle les partis politiques se sont déplacés avec plus ou moins d’insistance selon le contexte.

Par ailleurs, l’ouvrage, qui repose sur une documentation pertinente, est construit sur la même structure pour chacune des périodes (vie démocratique, vie partisane, vie gouvernementale et carnets de campagnes), ce qui lui confère un caractère quelque peu statique dans sa présentation. En revanche, cela en fait un livre facile à consulter et qui se révélera utile à l’enseignement de l’histoire politique québécoise. De plus, les auteurs se gardent de jugements à l’emporte-pièce, évitant de décrire les premiers ministres, on pense à Maurice Duplessis, sous un jour exclusivement négatif, mais sans sombrer non plus dans l’apologie.

Plus précisément, les auteurs proposent un découpage en cinq périodes : une première, de 1867 à 1897, qui est celle de la domination des conservateurs; une deuxième, jusqu’en 1935-1936, où les libéraux prennent l’ascendant sur les conservateurs; puis la domination de Maurice Duplessis et de l’Union nationale jusqu’en 1960. La quatrième période est celle de la Révolution tranquille et des référendums (1960-2000), dont le chapitre qui lui est consacré est joliment intitulé « Entre le lys et l’érable ». La dernière, plus prosaïquement nommée, est celle des « nouveaux enjeux » (2000-2017). Si la périodisation des trois premières époques suscite l’adhésion, on pourrait cependant s’interroger sur les frontières entre les quatrième et cinquième périodes, ce dont les auteurs discutent d’ailleurs. Ils reconnaissent que l’année 2000 pourra surprendre comme ligne de démarcation, mais deux raisons justifient leur choix. D’une part, en 2000, le Bloc québécois, qui en est à sa troisième élection, se voit dépassé par les libéraux de Jean Chrétien qui ont recueilli 44,2 % des votes au Québec contre 39,9 % pour le Bloc. D’autre part, c’est cette même année que la Loi sur l’équilibre budgétaire du réseau public de la santé et des services sociaux a été votée (p. 418), une loi signifiant l’entrée du modèle québécois dans l’adaptation au néolibéralisme ambiant.

On pourrait cependant arguer que c’est dès 1996, avec l’atteinte du déficit zéro proposée par le gouvernement du Parti québécois dirigé par Lucien Bouchard au sortir du second référendum, que le modèle québécois se met résolument au régime néolibéral de l’équilibre budgétaire. L’élection de 1998 pourrait ainsi être vue comme celle où la vie politique entame sa sortie progressive des débats sur la question nationale. Une autre option aurait été de clore la quatrième période avec l’élection de 2003 et le retour des libéraux dirigés par Jean Charest. Quoi qu’il en soit du moment exact de la frontière entre les deux dernières périodes, on peut penser qu’une sixième a débuté avec l’élection de la Coalition avenir Québec en octobre 2018, faisant en sorte que les débats de nature identitaire et sur la laïcité seront au premier plan de la scène politique dans les années à venir.

Enfin, dans une courte conclusion, les auteurs plaident pour une réforme des partis politiques. D’abord, ils rappellent avec justesse que l’on reproche souvent aux partis politiques leur hésitation à légiférer sur certains sujets sans tenir compte des forces sociales qui, comme l’Église évidemment, mais aussi parfois la population elle-même, contrecarrent la volonté des partis (p. 495-496). Ensuite ils estiment que les partis politiques devraient procéder à leur propre examen et adopter des pratiques plus ouvertes, notamment en étant moins centralisés. Dans le contexte actuel de déclin des grands partis de gouvernement et de la montée des formations politiques sortant de nulle part, on peut raisonnablement se demander à quel point il est possible de les réformer dans un contexte où la méfiance a le vent en poupe.