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Les accords de mobilité internationale (l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), Traité de Lisbonne, Entente Québec-France sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et l’Accord économique et commercial global Europe-Canada (AECG) visent à faciliter la circulation de produits et services, de capitaux et de personnes. Depuis les débuts de la dérèglementation dans les années 1980, ils contribuent de façon majeure aux transformations des activités économiques, de l’organisation du travail et des flux migratoires. Quoique variables d’un pays à l’autre, ces tendances s’inscrivent dans un nouveau paradigme de la migration, celui de la mobilité (Gabriel, 2013; Papademetriou, 2007; Pellerin, 2011), voire de l’hyper-mobilité (Hawthorne, 2013; Allan, 2014). Cet article a pour but de décrire les processus mis en oeuvre par les acteurs du système professionnel (ordres professionnels, Office des professions, établissements de formation, marché de l’emploi, ministère de l’immigration) pour mettre à jour leurs processus d’admission de professionnels formés à l’étranger, dans le contexte à la fois d’admission à des professions règlementées et de mobilité transnationale. Plus précisément, nous cherchons à décrire l’interaction entre divers ordres institutionnels autour de l’admission de professionnels formés à l’étranger. Nous présentons ici le cas de médecins français s’étant prévalus de l’Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) Québec-France pour exercer leur profession au Québec. À partir du parcours de ces professionnels français, notre analyse sera focalisée essentiellement sur la tension entre le mandat principal des ordres professionnels, soit la protection du public, et celui de la reconnaissance des titres et des compétences. Cette tension résulte de processus souvent opposés, parfois complémentaires. Quant à la reconnaissance des titres et des compétences de candidats formés à l’étranger, il s’agit de processus d’ouverture à des parcours de formation et d’expérience autres que ceux de professionnels formés au Québec et ailleurs au Canada. Cette ouverture s’accompagne d’exigences variables de formations et de stages, visant une mise à niveau des compétences avec ce qui est attendu pour pratiquer la médecine dans le contexte québécois. Or, comment procèdent les ordres pour justifier leurs règlements, « protéger le public » et identifier des conditions d’admission adéquates pour les candidats formés à l’étranger? Comment, dans le cas du Collège des médecins du Québec (CMQ), l’organisme régulateur concilie-t-il son mandat de protection du public avec l’augmentation, à l’échelle mondiale, du nombre de médecins formés à l’étranger cognant aux portes du système professionnel québécois? Ces questions ont d’autant plus de pertinence que, dans le contexte actuel au Québec, l’accès à un médecin et les temps d’attente pour un rendez-vous en établissement de santé affichent des statistiques peu reluisantes par rapport aux autres provinces canadiennes. Il s’agit de questions complexes dont les solutions ont plusieurs volets, engageant d’autres groupes professionnels et de nombreux acteurs et paliers décisionnels, notamment dans le réseau de la santé et dans les établissements de formation. L’analyse cherchera à mettre en évidence cette multiplicité des acteurs concernés, ainsi que la complexité et la variabilité des processus. Nous décrirons d’abord le contexte du système professionnel québécois et, en particulier, la régulation de la pratique de la médecine. Nous soulignerons ensuite la spécificité de l’Entente Québec-France. Nous décrirons ensuite la notion de protection du public et analyserons son application, avec le cas des médecins formés en France. L’examen des titres et compétences acquis en France mène en effet à une solution mitoyenne ou une situation d’équilibre motivée par la protection du public.

Méthodologie

Notre analyse s’appuie sur des données colligées à l’occasion de deux recherches menées sur les ARM Québec-France. La première a eu lieu de 2013 à 2015 (Bédard et Roger 2015) et analysait par études de cas l’entrée en pratique de huit catégories de professionnels français au Québec. La seconde est en cours (Houleet al., 2015) et porte sur l’analyse des pratiques des ordres professionnels eu égard au double objectif de facilitation de la mobilité transnationale et de protection du public. Les données proviennent principalement d’entrevues semi-dirigées, complétées par des documents émanant des ordres et d’autres acteurs du système professionnel québécois (principalement, l’Office des professions du Québec (OPQ), le Commissaire à l’admission aux professions règlementées et le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ)). Notre analyse s’inspire de l’approche de Douglas (2004) visant à montrer comment les institutions, portées par les individus qui les font vivre, constituent des collectivités ayant une vie et une culture propres et dont l’évolution s’explique par leur histoire et leurs rapports avec d’autres institutions et avec la société globale.

En tout, neuf entrevues semi-dirigées ont été effectuées à l’aide d’une grille d’entrevues construite et prétestée auprès d’informateurs clés. Le processus a reçu l’aval du Comité d’éthique à la recherche des établissements concernés (INRS-UCS, Université de Montréal, TÉLUQ).

Le système professionnel et la notion de protection du public

Le système professionnel québécois comporte quatre principaux acteurs : le gouvernement du Québec agissant comme législateur, les 46 ordres professionnels (régulateurs de 54 professions) ayant une mission de protection du public conférée par l’État, l’Office des professions, qui a un mandat de surveillance des ordres professionnels, et le Conseil interprofessionnel du Québec, organisme public qui représente les 46 ordres. Le gouvernement québécois délègue aux ordres professionnels le mandat de protection du public dans chacune de leur sphère respective d’expertise. Autour de ces quatre acteurs gravitent notamment des responsables de l’immigration, des établissements de formation (les quatre facultés de médecine du Québec), et des autorités en lien avec les lieux de pratique (Recrutement Santé Québec, le Ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS) et les lieux de stages, principalement). Ceci permet en principe d’établir et de maintenir un rapport de confiance envers ces professionnels de la santé, ces derniers bénéficiant en contrepartie d’un marché relativement protégé où ils peuvent exercer leur profession. Dans le cas des médecins, il s’agit d’un quasi-monopole, la pratique privée demeurant très marginale au Québec (autour de 3 % des médecins) (Archambault, 2016).

Depuis la formulation du Code des professions en 1974, la notion de protection du public est au fondement de l’action du système professionnel. Chaque ordre professionnel, dont le CMQ est un des plus importants, doit assurer la protection du public, sous la supervision de l’Office des professions du Québec. Le système professionnel s’est doté de règlements afin d’encadrer l’expertise, les droits de pratiques et tout ce qui entoure la formation, y compris la formation continue. Ce système règlementaire vise aussi à gérer l’asymétrie d’informations (Akerlof, 1970) découlant de l’expertise professionnelle, celle-ci n’étant pas partagée (sauf exception) par l’usager ou le client. Ainsi, ce cadre règlementaire vise la prévention d’éventuels abus découlant de cette asymétrie et de la vulnérabilité potentielle des citoyens et des entreprises face aux détenteurs d’expertise.

L’analyse sociologique des professions réglementées et de leur statut dans la société apporte un éclairage précieux sur notre objet de recherche. La notion de profession a connu trois grandes mutations, dues d’abord aux limites posées par les approches fonctionnalistes et interactionnistes (Champy, 2012), puis aux analyses contemporaines portant sur l’interaction entre professions, et notamment sur l’appareil gestionnaire (Evetts, 2011; Noordegraaf, 2015) et les questions de gouvernance (Kuhlmann et Larsen, 2015). Néanmoins, certaines questions demeurent : quelles professions peuvent prétendre à l’exclusivité de leur titre, voire à l’exercice exclusif des actes professionnels et, surtout, par quelle justification? Peu à peu dépouillés de leur aura quasi aristocratique d’autrefois, les titres professionnels et les règlements les entourant, les actes réservés et le système professionnel se présentent dorénavant comme autant de dispositifs visant non pas la défense des intérêts des professionnels, mais plutôt la protection et la sécurité du public, par le mandat délégué par l’État au système professionnel. Cependant, certaines situations suggèrent que le système professionnel reste marqué par un certain corporatisme, visant la protection de ses propres membres ; c’est le cas en particulier dans les professions de la santé (Dumas-Martin, 2014). L’Office des professions du Québec souligne lui-même la proximité entre protection du public et défense d’intérêts professionnels lors de certaines interventions (OPQ, 2012). On peut d’emblée penser à des interventions défendant la qualité du travail des professionnels réglementés. Quoique conçues pour décrire comment ceux-ci agissent en fonction de la protection du public, elles valorisent ces mêmes professionnels et leur expertise, contribuant ainsi à leurs intérêts. Nous verrons un peu plus loin, en analysant l’évolution de la notion de protection du public, comment se positionne l’OPQ par rapport à cette proximité. Traçons d’abord les grandes lignes de l’histoire du Collège des médecins du Québec, ce qui montrera qu’initialement, cet organisme représentant les médecins visait à la fois la défense des intérêts de ses membres et la protection du public.

Évolution des institutions représentant les médecins au Québec

Créée en 1847, l’institution en charge d’encadrer la pratique médicale au Québec s’appelait d’abord le Collège des médecins et chirurgiens du Bas-Canada et regroupait médecins, dentistes et pharmaciens. Il est intéressant de noter que dès sa création, au-delà de la défense des intérêts de ses membres, le Collège avait aussi comme mandat, ancré législativement, de protéger le public contre les charlatans[1].

Pour certaines professions telles que les avocats, les notaires et les médecins, des « corporations professionnelles » ont existé dès le début du 19e siècle (CIQ, 2014). Historiquement, ces corporations professionnelles ont poursuivi un double objectif de promotion des intérêts de leurs membres et de protection des citoyens (Desharnais, 2006, p. 2), tout en possédant une très grande autonomie. Ce statut historique s’est peu à peu estompé au profit d’un encadrement des professions par le législateur et les autres acteurs du système professionnel.

En 1869 et 1870 sont créées, respectivement, l’Association des chirurgiens dentistes de la province de Québec et l’Association pharmaceutique de la province de Québec, au fil du développement de ces professions. Parties de racines communes, ces professions ont connu depuis des épisodes de tensions interprofessionnelles, sur fond de luttes pour des territoires de pratiques.

Au cours de la première moitié du vingtième siècle, on assiste à des développements scientifiques et technologiques menant au foisonnement de diverses spécialités médicales, en plus du développement de la pratique généraliste elle-même. Souhaitant assurer eux-mêmes la défense de leurs intérêts, les médecins généralistes fondent la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) en 1963, suivie en 1965 de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. C’est dans ce contexte que le CMQ perd son rôle de protecteur des intérêts de la profession au profit de ces deux organisations, vouées elles aussi à la défense des intérêts de leurs membres.

On voit donc que le CMQ jouait officiellement, jusqu’à cette période, un rôle de défense des intérêts des professionnels. Bien que son rôle officiel soit dorénavant axé vers la protection du public, on peut se demander ce qui est demeuré de cette culture organisationnelle corporatiste dans le contexte actuel de partage des missions, très différentes mais néanmoins très proches, entre les ordres professionnels et les associations professionnelles, comme l’admet l’Office des professions du Québec (OPQ, 2012. Ceci est exacerbé par le fait que le CMQ est constitué de professionnels aussi membres de l’association professionnelle défendant leurs intérêts.

La notion de protection du public revisitée

Afin d’améliorer la perception de la population québécoise vis-à-vis des ordres professionnels et, partant, la confiance envers ceux-ci, un groupe de travail mandaté par l’Office des professions du Québec a effectué une réflexion en profondeur sur la notion de protection du public (OPQ, 2012). Or, même si l’Office des professions du Québec déclare que la mission des ordres est la protection du public et qu’il est « faux de croire qu’un ordre professionnel est une association qui protège les intérêts de ses membres » (OPQ, 2016), il admet que la défense des intérêts privés fait partie des enjeux propres à l’exercice d’une profession, celle-ci constituant la source de revenus des professionnels. Il est, selon l’OPQ, impossible d’éliminer complètement les intérêts privés, mais il est nécessaire de les reconnaitre et de les gérer (OPQ, 2012). L’Office reconnaît aussi que les ordres doivent se doter de règles de gouvernance pour éviter les conflits d’intérêt ou même l’apparence de ces derniers (OPQ, 2012). Cependant, une majorité de la population québécoise exprimerait des doutes quant à la véritable raison d’être des ordres, considérant que, pour ces derniers, il s’agit davantage de protéger les privilèges de leurs membres que de protéger le public (Hébert et Sully, 2015). Les objectifs de l’OPQ, visant à faire valoir l’importance de la protection du public dans le travail des professionnels réglementés et le mandat des ordres professionnels, semblent donc toujours pertinents.

Les réflexions et analyses autour de l’actualisation de la notion de protection du public ont mené le système professionnel et ses principaux acteurs à mettre l’accent sur la prévention, que ce soit dans l’orientation des règlements d’admission, des pratiques disciplinaires ou d’autres mécanismes de surveillance et de mise à jour de la pratique professionnelle par les ordres. La prévention a dès lors été considérée comme « le coeur de l’action du système professionnel et la pierre angulaire autour de laquelle s’articule la protection du public » (OPQ, 2012, p. 9). Cinq dimensions ont été dégagées pour illustrer cette affirmation : 1) la compétence, 2) l’intégrité, 3) le rôle sociétal, 4) la transparence et l’information, et 5) les recours. Dans le cadre de cet article, nous examinerons plus particulièrement les deux premières dimensions, vu qu’elles concernent davantage l’admission de professionnels formés à l’étranger (PFÉ).

La compétence

Les ordres professionnels sont considérés comme les « gardiens de la compétence professionnelle » (OPQ, 2012, p. 10), non seulement lors de l’admission mais aussi tout au long de l’exercice de la profession. Lors de l’admission, il revient à l’ordre de vérifier la compétence du professionnel en s’assurant qu’il satisfait à une série de normes telles que le diplôme, les stages, les examens et autres. Les ordres s’assurent également du maintien de la compétence à travers l’obligation de formation continue pour les membres, inscrite dans leurs règlements respectifs. Des sanctions sont prévues lorsque les membres ne respectent pas cette obligation. Nous avons également constaté un resserrement dans ce qui était admis à titre de formation continue, certaines activités d’information (par exemple, la lecture d’une revue professionnelle) ayant récemment été retirées des formations admissibles par certains ordres. Des inspections professionnelles sont effectuées régulièrement par les ordres, par le biais de leur comité d’inspection professionnelle, afin d’identifier des lacunes, voire des fautes professionnelles chez leurs membres. Le syndic, quant à lui, gère le processus disciplinaire, lorsqu’une faute ou une lacune a été repérée, le plus souvent suite à une plainte du public (un patient dans le cas des professions de la santé).

L’intégrité

Pour s’assurer de l’intégrité de leurs membres, les ordres disposent essentiellement de trois mécanismes : le code déontologique, l’inspection et la discipline. Le code déontologique est une série de règles de conduite que les professionnels doivent suivre vis-à-vis du public, des clients et de la profession. Si les professionnels ne respectent pas le code, ils devront faire face à un processus disciplinaire. L’inspection, pour sa part, permet d’identifier des lacunes tant au plan de la compétence qu’à celui de l’intégrité. Elle peut mener à des sanctions disciplinaires, déterminées par le conseil de discipline. L’ensemble de ces pratiques est encadré par l’Office des professions. Comme tous les ordres professionnels, le Collège des médecins du Québec trace le bilan, dans son rapport annuel, des résultats de ces dispositifs et pratiques.

En cohérence avec la notion actualisée de protection du public de l’OPQ, telle que décrite plus haut, l’analyse des publications récentes du Collège des médecins du Québec montre que celui-ci a axé ses communications sur la prépondérance dans son mandat de la protection du public. Il faut souligner qu’une série de dossiers concernant les médecins a attiré l’attention des médias et les préoccupations du public depuis quelques années. L’image de la profession médicale a pâti de la couverture médiatique de ces dossiers. Parmi ces derniers, on note d’abord la publication graduelle des ententes entre les fédérations médicales et le gouvernement du Québec, comportant d’importantes augmentations de rémunération. Celles-ci ont soulevé une réprobation générale, dans un contexte de politiques budgétaires restrictives et d’absence d’augmentations semblables pour d’autres corps d’emploi, notamment les infirmières dont les conditions de travail difficiles ont été décriées à maintes reprises. Il y a eu ensuite une série de décisions disciplinaires à l’endroit de médecins fautifs, dont le manque de sévérité (vu la nature des fautes commises) a attiré l’attention médiatique, donnant l’impression que le Collège des médecins du Québec protégeait ses membres. Or, le CMQ doit composer avec une jurisprudence héritière d’une époque où le processus disciplinaire évaluait moins sévèrement les fautes professionnelles[2]. Juridiquement, le Collège se retrouve ainsi limité par cette jurisprudence, à laquelle les médecins fautifs font appel dans ces circonstances. Une partie de la solution à ces limitations historiques a été trouvée à partir de juin 2017, date à laquelle un nouveau règlement du Collège est entré en vigueur, punissant plus sévèrement les professionnels reconnus fautifs d’inconduite de nature sexuelle. Ceux-ci sont dorénavant radiés pour une période minimale de cinq ans (sauf si le médecin fautif peut plaider certaines circonstances atténuantes) et doivent payer une amende. Nous avons tenu à préciser ces aspects qui illustrent bien à quel point le mandat de protection du public assumé par le Collège des médecins du Québec est complexe à interpréter et peut susciter des interprétations erronées lorsque le contexte global du système professionnel, de la profession elle-même et de l’historique de la justice disciplinaire ne sont pas pris en compte. Dans ce contexte, les doutes entretenus dans l’opinion publique sur le rôle de l’ordre professionnel ont un impact également sur l’interprétation faite de la question de l’admission des PFÉ à la pratique en contexte québécois. Autrement dit, l’admission des PFÉ est aussi un processus complexe qui, lorsqu’on l’examine rapidement, peut mener à des généralisations hâtives sur le rôle des ordres professionnels comme défenseurs des intérêts de leurs membres. Comme nous chercherons à le montrer, l’analyse globale indique une réponse plus nuancée et surtout démontre que ces processus sont également structurés par l’intervention (variable) d’autres institutions et acteurs décisionnels, sur lesquels les ordres professionnels n’ont que peu ou pas de contrôle.

La section suivante apporte quelques précisions sur le contexte organisationnel, politique et économique dans lequel évoluent les médecins au Québec, dimensions qui ont un effet important sur le travail des ordres professionnels et l’admission de PFÉ.

Le marché d’emploi des professionnels de la santé au Québec

Créé durant les années 1960, le réseau québécois de services de santé et sociaux comporte deux régimes d’assurance universels publics et un régime mixte : le régime d’assurance-hospitalisation, fondé en 1961, et le régime d’assurance-maladie (RAMQ), entré en vigueur en 1970. Le régime d’assurance-médicaments, par ailleurs, couvre essentiellement les médicaments pour les personnes n’ayant pas d’assurance collective privée. En 2015-2016, le budget alloué à la santé et aux services sociaux, au Québec, était de 32 850,7 M$, sur un budget de 66 460 M$, ce qui constitue 49 % des dépenses totales de l’État québécois en excluant le service de la dette (Secrétariat du conseil du trésor, 2015-2016). Environ 15 % de cette somme est évaluée comme correspondant aux honoraires des médecins (Médecins québécois pour le régime public, 2015, p. 7). C’est donc dire qu’environ 7 % du budget du gouvernement québécois sert au paiement des honoraires des quelque 20 730 médecins en exercice actif inscrits au Collège des médecins du Québec.

Pour la vaste majorité des médecins, le système de santé québécois est un marché fermé et contingenté. L’existence d’un poste passe par un processus complexe déterminant le type, l’emplacement et le nombre de postes, le tout géré par le Ministère de la Santé. Celui-ci détermine le nombre de médecins requis, par spécialité et par régions du Québec, à travers un Plan régional d’effectifs médicaux (PREM). Cette planification très précise, renouvelée annuellement, vise l’évaluation des surplus et des besoins à combler dans les diverses régions; les enveloppes budgétaires sont déterminées en conséquence. Les médecins doivent s’intégrer à ce plan afin d’exercer la médecine. Un numéro de facturation leur est alors assigné, leur permettant de facturer leurs actes professionnels à la RAMQ (MSSS, 2018).

Cela dit, le système de santé québécois connait plusieurs difficultés. Selon une étude comparative de 11 systèmes de santé à travers cinq indicateurs (qualité, accessibilité, efficacité, égalité et santé) pour la période 2012-2013, le Canada se classe 10e (Mossialos, Wenzl, Osborneet al., 2015). Un rapport récent sur la performance du système de santé québécois souligne qu’en comparaison avec les autres provinces canadiennes, le Québec se classe 4e en termes d’efficacité. Il occupe toutefois le dernier rang quant au niveau de satisfaction de la population (CSBE, 2015, p. 34). Ce même rapport identifie plusieurs difficultés jugées préoccupantes : l’accessibilité, le volume et la qualité des soins, ainsi que la perception négative des patients vis-à-vis de leur système de santé.

La situation des médecins au Québec illustre la prépondérance des facteurs structuraux dans le nombre de postes disponibles, que ce soit à l’étape de la résidence, des stages ou de l’entrée en pratique. Nous verrons plus loin dans l’analyse comment ces éléments du contexte de pratique professionnelle déterminent les possibilités qui s’offrent aux PFÉ en général, et aux candidats français en particulier. Mais d’abord, afin de bien situer ce contexte, examinons les principales caractéristiques de l’ARM Québec-France et ses conséquences pour l’accès à la pratique de la médecine au Québec.

L’admission de professionnels formés à l’étranger

Les ordres professionnels ont mis en place des processus d’équivalence et de reconnaissance des compétences dans le but de s’assurer que les candidats admis à l’exercice d’une profession, ne possédant pas le diplôme québécois généralement requis pour l’exercice de cette profession au Québec, possèdent néanmoins les connaissances et compétences appropriées pour exercer cette profession. Après un processus d’évaluation, si tel n’est pas le cas, des « mesures compensatoires » variables en termes de complexité, de durée et de coût sont imposées.

Dans le cadre de l’entente Québec-France, chacun des ordres a signé l’entente pour la profession qu’il représente, a développé les processus menant à l’obtention du permis d’exercice et voit à sa mise en application. L’ARM Québec-France est un accord de mobilité internationale entre la France et le Québec, visant à « pallier aux pénuries de main d’oeuvre qualifiée et [à] répondre plus efficacement aux besoins des entreprises québécoises et françaises » (MRIF, 2008, p. 2). L’ARM Québec-France est fondé sur une philosophie de « permis sur permis », c’est-à-dire qu’un professionnel en France devrait, selon les termes de l’accord, être en mesure d’exercer sa profession au Québec et vice versa. Contrairement à ce qui a lieu pour les autres catégories de PFÉ, dont l’évaluation des titres et compétences s’effectue au cas par cas, avec l’ARM Québec-France les professionnels français sont reconnus grâce à des mesures s’appliquant à l’ensemble des professionnels de la même catégorie. À travers une analyse initiale comparative dans chacune des deux juridictions, lorsque des « différences substantielles » sont identifiées, des mesures compensatoires sont définies, prenant la forme de formations complémentaires, de stages, d’examens ou d’une combinaison de ces mesures. Elles sont génériques puisqu’elles précisent les conditions d’entrée en pratique pour tous les candidats éligibles.

Ces processus constituent une innovation par rapport aux procédures traditionnelles de reconnaissance puisque, pour juger de l’admissibilité d’un candidat, il ne s’agit plus de procéder au cas par cas, mais bien d’analyser chaque profession en amont, tout en respectant les 5 principes directeurs de l’entente : 1) protection du public, 2) maintien de la qualité du service professionnel, 3) respect des normes associées à l’usage de la langue française (via l’Office québécois de la langue française), 4) équité, transparence et réciprocité, et 5) effectivité des qualifications professionnelles mutuellement reconnues.

Protection du public et reconnaissance des titres et des compétences : quel équilibre?

Les ordres professionnels sont les principaux acteurs concernés lorsqu’il s’agit de reconnaître les qualifications et les compétences des professionnels formés à l’étranger. En conformité avec leur mandat de protection du public, ils doivent en effet s’assurer de la compétence de ces professionnels en vue de leur admission à la pratique au Québec. Le tout est codifié en règlements et textes de loi encadrés par le Code des professions.

L’équilibre à atteindre apparaît dans les procédures d’admission aux ordres, établies par ceux-ci en vertu de la protection du public. En effet, les ordres doivent s’assurer de maintenir un sain équilibre entre la responsabilité de protéger le public québécois et celle de faciliter l’accès aux professions réglementées, aux professionnels compétents formés à l’étranger. Il s’agit également d’une obligation légale découlant de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (article 10) (Gouvernement du Québec, 1975)[3]. La Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (Ministère de l’Éducation, 2002, p. 23-24) et le Conseil supérieur de l’éducation (2000, p. 16-19) soulignent aussi, tous les deux, l’importance de la transparence, de processus rigoureux et fiables, ainsi que de modalités règlementaires, notamment en éducation, afin de traduire concrètement l’expression de ces principes. Du reste, des organisations internationales comme le Bureau international du travail (BIT), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’Organisation internationale des migrations (OIM) et l’UNESCO font la promotion active de principes semblables, en vertu d’intérêts économiques ainsi que par souci de justice et d’équité.

L’équité dans l’accès à la pratique pour les professionnels formés à l’étranger

Bien que, depuis le début des années 2000, les ordres se soient dotés de normes et de processus d’équivalence, intégrés dans le Code des professions, ainsi que de principes et procédures visant l’égalité et l’équité (CIQ, 2006), il n’en demeure pas moins que d’importantes difficultés d’accès au permis d’exercice persistent pour les PFÉ (CDPDJ, 2010; CPRCP, 2015; OPQ, 2016). Plus précisément, l’obtention du permis d’exercice passe également par l’accès aux formations et stages prescrits par les ordres, où des problèmes d’accès sont connus (CPRCP, 2016). Les exigences posées par les ordres appellent la collaboration d’autres acteurs, notamment des établissements de formation, dans la recherche de cet équilibre entre protection du public et reconnaissance des titres et compétences acquis à l’étranger. Cette collaboration n’est pas simple à établir, comme on le constate avec les problèmes d’accès connus (CPRCP, op.cit.).

Tant au Québec que dans le reste du Canada, l’accès aux professions règlementées pour ces professionnels est très difficile (Augustine, 2015; CPRCP, 2017; Guo, 2009; Jantzen, 2015). La complexité des processus de reconnaissance, le manque d’information à propos de ceux-ci, le manque de coordination des acteurs impliqués et le manque de standards nationaux faisant consensus sont mentionnés comme étant des obstacles importants à la reconnaissance des professionnels formés à l’étranger (Guo, 2009).

Processus de reconnaissance dans le cadre des ARM

Les représentants du Collège des médecins du Québec (CMQ) décrivent les processus mis en place à travers les ARM comme une manière accélérée d’obtenir un permis d’exercice au Québec, en comparaison avec les processus déployés pour les autres travailleurs qualifiés formés hors Canada. Ils le sont effectivement : par le temps requis et les mesures compensatoires exigées, l’obtention du permis d’exercice au Québec est facilitée par rapport à des candidats belges, par exemple. Cependant, un certain degré de complexité et de difficultés demeure, ce qui pose question quant à la mise en application de la philosophie permis sur permis qui est à la base des ARM. En y regardant de plus près, on constate les défis posés par la reconnaissance des compétences des PFÉ. Les ordres professionnels pourraient, entre autres, utiliser certaines dispositions de leurs règlements pour développer leurs pratiques de reconnaissance des compétences, ainsi que des expériences, avec davantage de souplesse et d’objectivité (CPRCP, 2016).

En effet, plusieurs des difficultés relevées par Guo (2009) pour les PFÉ qui cherchent à obtenir un permis d’exercice sont également éprouvées, quoique à des degrés moindres et variables selon les professions, par les professionnels français dans le cadre des ARM Québec-France. Nous allons présenter ici, d’une part, ces procédures de reconnaissance ainsi que leur lien avec le rôle de « gardien de la compétence » qu’assurent les ordres professionnels de par le mandat qui leur est conféré par la loi. D’autre part, nous analyserons le rôle des acteurs impliqués dans la mise en application des ARM et leur impact sur l’expérience des professionnels français à divers niveaux de gouvernance.

L’expérience des ARM illustre les importantes différences entre les contextes professionnels des deux territoires. Ces différences se situent à divers niveaux : la formation universitaire, le contexte même de la pratique professionnelle – dans ce cas-ci, l’organisation du système de santé – et la régulation ou le contrôle de cette dernière. Les processus mis en place par le CMQ reflètent en partie ces considérations. Ils visent l’adaptation des professionnels français, principalement dans le cadre de leur mandat de protection du public québécois. Toutefois, certains aspects de ces processus peuvent poser question quant aux principes et à l’esprit dans lequel cet accord de mobilité a été signé (CPRCP, 2015).

Le tableau ci-dessous présente un aperçu des processus des ARM pour les médecins.

Tableau 1

Étapes d’entrée en pratique, candidats éligibles à l’ARM Québec-France pour médecins[4]

  1. Réussir un stage d’adaptation évaluatif de 13 semaines non rémunéré pour obtenir un permis restrictif (pour la dizaine de spécialités jugées prioritaires par Recrutement Santé Québec, stage gratuit; pour les autres spécialités, coût de 13 000 $, majoré à 22 425 $ depuis 2016).

  2. Exercer 5  ans dans un établissement de santé pour obtenir un permis régulier (voir précisions plus bas).

-> Voir la liste des tableaux

Processus de reconnaissance des médecins

Depuis l’entrée en vigueur de l’ARM pour médecins, le 25 novembre 2010, 170 médecins formés en France ont obtenu un permis pour exercer la médecine au Québec. Vingt-neuf spécialités étaient alors considérées prioritaires; leurs frais étaient assumés par Recrutement Santé Québec. En mars 2015, ce nombre avait baissé à 10 (11 en juin 2018)[5]. Les candidats n’exerçant pas une des spécialités prioritaires par le MSSS devaient couvrir les frais de 13 000 $ jusqu’en 2016 pour effectuer un stage de treize semaines. Depuis le 1er avril 2016, le financement du stage est réservé aux médecins ayant conclu une entente de parrainage avec un établissement de santé. Par ailleurs, les frais sont alors passés de 13 000 $ à 22 425 $. Jumelés au délai de plus en plus important pour obtenir une place, ces deux facteurs suscitent une inquiétude concernant l’application effective de cet ARM, du point de vue du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), autorité française et vis-à-vis du Collège des médecins du Québec. De plus, des restrictions budgétaires s’appliquent depuis peu au financement accordé à RSQ par le MSSS. Par exemple, en 2016, les sources de financement d’avril 2016 à mars 2017 étaient déjà épuisées en novembre 2016. Les stagiaires devaient alors attendre à avril 2017 pour espérer obtenir un stage rémunéré. Il apparait aussi que l’obtention d’un stage dans les spécialités non prioritaires s’avère complexe et que le délai d’obtention de celui-ci, dans certaines spécialités, peut s’étendre jusqu’à deux ans (Langlois, 2016a).

Les médecins français ayant réussi leur stage obtiennent un permis restrictif temporaire (PRT) permettant d’exercer seulement dans un établissement de santé (principalement, centres hospitaliers), pour une durée de cinq ans. Une minorité d’entre eux échouent au stage. Le CMQ considère ces mesures justifiées, dans l’optique de la protection du public, puisque les médecins sont ainsi encadrés pendant cinq ans. Au moment d’écrire ces lignes (octobre 2018), une telle évaluation ne peut avoir lieu qu’en établissement hospitalier. Des discussions sont en cours pour que des médecins en Groupe de médecine de famille (GMF) puissent assurer cette évaluation des collègues venus de France, puisqu’ils ne peuvent exercer dorénavant qu’en Centres locaux de services communautaires (CLSC) et en Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD). Cela réduit donc d’autant les probabilités de trouver un poste disponible.

Notons que le MSSS est favorable à ce que les médecins français généralistes puissent exercer dans des cabinets ou dans les GMF. Plusieurs démarches auprès du Collège des médecins ont été effectuées en ce sens, mais celui-ci considère que pour assurer la protection du public, les actes des médecins français doivent être évalués pendant une période de cinq ans en établissement hospitalier après la réussite du stage de 13 semaines.

Suite à une remise en question de la part des autorités françaises de la nécessité des stages d’adaptation, le Commissaire à l’admission de l’Office des professions du Québec a produit en 2015 un rapport de vérification particulière sur l’ARM des médecins (CPRCP, 2015). Celui-ci rappelle que pour décider d’une mesure de compensation, il faut avoir identifié des « différences substantielles » entre la France et le Québec dans l’exercice de la médecine. Or, aucune différence substantielle n’avait été spécifiée dans le texte de l’ARM. Toutefois, selon le Collège des médecins du Québec et suite à l’enquête effectuée par le Commissaire, des différences ont effectivement été identifiées à plusieurs niveaux, justifiant un stage d’adaptation comme mesure compensatoire. Mais plus encore, une analyse des différences dans l’exercice des diverses spécialités médicales est préconisée (CPRCP, 2015). Il est aussi suggéré que pour certaines spécialités, étant donné la nature des différences identifiées, le stage d’adaptation ne serait pas une mesure compensatoire suffisante (CPRCP, 2015).

Cela pourrait être le cas, notamment, pour la médecine familiale, celle-ci étant pratiquée de manière très différente dans les deux pays. En France, les médecins de famille peuvent pratiquer soit en cabinet privé, où ils effectuent essentiellement le suivi des patients, soit en pratique hospitalière, ou les deux. Au Québec, les médecins de famille doivent effectuer entre 6 et 12 heures d’activités médicales particulière (AMP) de façon hebdomadaire, ce qui peut inclure également un travail à l’urgence, et ce, pendant les 15 premières années de pratique médicale. En France, cette obligation n’existe pas. Les difficultés éprouvées par certains médecins généralistes français au Québec sont réelles et découleraient de ces différences. En effet, parmi les 10 % de médecins ayant échoué au stage d’adaptation, 80 % sont des médecins de famille (CPRCP, 2015, p. 15).

Plusieurs solutions sont proposées au Collège des médecins pour protéger le public tout en facilitant l’accès à la profession médicale aux médecins français qui se prévalent de l’ARM (CPRCP, 2015). Jusqu’à maintenant, aucune de ces solutions n’a été mise en place par le Collège des médecins. Dans son rapport annuel 2016-2017, on voit toutefois qu’un comité a été formé pour assurer le suivi des recommandations de ce rapport.

Malgré son rôle central, le Collège des médecins est loin d’être le seul en cause dans les difficultés rencontrées par les médecins français dans l’obtention d’un permis d’exercice. Nous aborderons dans la section suivante le rôle joué par d’autres acteurs et la nécessaire coordination entre ces derniers.

Diversité d’acteurs et niveaux de gouvernance dans le cas des médecins

Les processus de reconnaissance impliquent plusieurs acteurs en dehors des ordres professionnels, qui peuvent varier selon les professions. Les ministères de l’Immigration (provincial et fédéral) sont des acteurs incontournables pour tous les PFÉ, puisque pour se soumettre aux mesures compensatoires exigées dans le cadre de l’ARM, des permis de séjour sont exigés. L’analyse de nos données fait ressortir l’importance de ces étapes. Au-delà de la diversité, c’est la coordination qui pose problème, comme nous l’avions souligné dans un premier projet sur les ARM Québec-France (Bédard et Roger, 2015).

Kuhlmann et Larsen (2015) ont proposé une matrice permettant de visualiser ces rôles en termes de niveaux de gouvernance selon les professions. Cette matrice nécessite toutefois une méthodologie permettant de situer et qualifier les niveaux de gouvernance au croisement de deux axes (niveaux de gouvernance, étapes dans l’entrée en pratique). Cette transposition des données soulève plusieurs questions méthodologiques, exacerbées par le fait que ces enjeux émergent à l’analyse sans avoir été nécessairement identifiés lors de la collecte des données. Néanmoins, nous formulerons ici quelques commentaires pour décrire les difficultés d’interaction entre niveaux institutionnels dans la gestion de l’entrée en pratique des PFÉ.

L’implantation de l’ARM des médecins au Québec illustre bien la nécessité d’une coordination de tous les acteurs et des divers lieux et niveaux de gouvernance impliqués. La signature de l’ARM a été effectuée par deux signataires du côté québécois : le Collège des médecins du Québec et le ministère des Relations internationales. Le MSSS n’a pas participé à la signature de l’entente. Cette absence initiale aurait occasionné des difficultés dans l’implantation de l’ARM, de l’aveu même du CMQ. En effet, les décisions quant au nombre de médecins pouvant exercer au Québec et aux spécialités identifiées comme prioritaires relèvent exclusivement du MSSS. Les médecins au Québec n’exercent pas dans un marché libre.

Chaque année, le Ministère détermine le nombre de médecins requis, par spécialité, dans les diverses régions du Québec à travers un Plan régional d’effectifs médicaux (PREM). Il s’agit de la porte d’entrée vers un poste et un numéro de facturation permettant de facturer les actes professionnels à la RAMQ. Le permis d’exercice n’est délivré qu’avec un poste dans le cadre d’un PREM, permettant de facturer à la RAMQ.

La nécessité d’une coordination entre les divers niveaux de gouvernance est également mise en évidence par le nombre suffisant de médecins québécois dans certaines spécialités, attribuable notamment à l’augmentation graduelle et soutenue des places dans les facultés de médecine au Québec depuis 2003. Cet accroissement de médecins issus des universités québécoises a coïncidé avec la mise en place de l’ARM des médecins. Cette cooccurrence a fait en sorte que plusieurs médecins français ayant obtenu un permis grâce à l’ARM se sont trouvés en situation de compétition accrue avec les nouveaux diplômés québécois pour des postes en moins grand nombre. N’oublions pas non plus que ceux-ci peuvent également se trouver dans l’impossibilité d’exercer leur profession, au terme d’un processus très compétitif et de nombreuses années d’études, à cause d’un surplus d’effectifs et de spécialités saturées. La situation récente est telle au Québec que plus de 50 % des résidents n’ont toujours pas de PREM/PEM deux mois avant la fin de leur résidence. Chez une majorité de résidents formés au Québec, le stress relié à la difficulté de trouver un lieu d’exercice professionnel à la fin de leur résidence est élevé (Lemieux, 2016). Cela dit, la situation est pire dans le reste du Canada (Glauser, 2018). Ainsi, le volume des cohortes récentes d’étudiants terminant leur formation et cognant à la porte des réseaux de santé au Canada laisse bien peu de place aux PFÉ, y compris ceux voulant se prévaloir de l’ARM France-Québec. En effet, même si le nombre d’étudiants a augmenté considérablement, le nombre de professeurs et donc de maîtres de stage n’a pas augmenté au même rythme, d’où une pénurie de maîtres de stages. De plus, dans les spécialités où il y a saturation, les facultés de médecine sont peu enclines à fournir des maîtres de stage pour des candidats qui entreront en compétition avec les médecins qu’ils ont formés (CPRCP, 2015; Langlois, 2016a).

Alors que le Collège des médecins est responsable des modalités administratives liées à l’obtention d’un permis de travail permettant d’effectuer un stage au Québec, le reste du parcours, c’est-à-dire l’obtention du permis de travail lui-même, est de la responsabilité des médecins français. Ils doivent ce faisant comprendre les démarches à effectuer afin de pouvoir résider et travailler au Québec. Ces démarches sont indépendantes des procédures d’obtention du permis d’exercice. Or, si les démarches d’immigration subséquentes au stage sont prises en charge par l’établissement qui a accepté d’embaucher le médecin, le permis obtenu à travers cet établissement est de nature temporaire. Ce permis temporaire doit être renouvelé régulièrement et ne donne pas accès à la résidence permanente, ce qui peut mener à des situations difficiles, en cas de problèmes de santé, pour soi-même ou pour sa famille. La résidence permanente peut être obtenue par la voie régulière ou à travers le programme de l’expérience québécoise, après avoir accumulé 12 mois d’expérience au Québec. Toutefois ces informations sur les statuts d’immigration, les diverses procédures pour obtenir les permis associés et les implications pour chacun d’entre eux étaient jusqu’à tout récemment difficilement accessibles aux médecins français à travers les canaux officiels. C’est plutôt par les réseaux sociaux (groupes Facebook, blogues, etc.), que les médecins français y avaient accès. Le CMQ a ajouté ces informations récemment sur son site internet.

Il est en général plus facile pour les médecins québécois d’avoir accès à l’exercice de la médecine en France que l’inverse. Les mesures compensatoires prévues sont moins nombreuses et moins longues. Comment peut-on expliquer ces divergences? La notion de protection du public telle qu’elle est véhiculée et comprise au Québec suffit-elle à justifier les mesures de compensation imposées aux candidats médecins français? On note également que la mobilité s’exerce beaucoup plus de la France au Québec qu’en sens inverse. Dans le cas des médecins, des honoraires plus élevés (au moins le double), peuvent être un incitateur important pour choisir d’exercer sa profession au Québec, sans oublier l’aspect économique. Qu’en est-il d’autres facteurs tels que la qualité de vie, le désir de mobilité professionnelle ascendante ou le désir de faire l’expérience d’une autre culture de travail? Il s’agit là d’aspects qui seraient à examiner ultérieurement.

L’équilibre entre protection du public et reconnaissance des titres et des compétences tend à favoriser la circulation de PFÉ : les ordres professionnels ont alors les moyens de maintenir la protection du public et les professionnels bénéficient de dispositifs visant à soutenir leur mobilité. Cela vaut, bien entendu, dans la perspective où des emplois et des postes sont disponibles. Aussi, nous avons vu par notre analyse que c’est un équilibre difficile à atteindre, pour plusieurs raisons. Il y a d’abord des facteurs historiques propres à la profession, dans ce cas la médecine. Il y a ensuite la multiplicité des acteurs et, enfin, la complexité qui en résulte. Tout cela fait en sorte qu’au-delà des intentions et de la bonne volonté, le contexte juridique et règlementaire, ainsi que politique et financier, fait en sorte que l’atteinte de l’équilibre entre protection du public et reconnaissance des titres, des compétences et des expériences est un processus marqué de tensions et de négociations.

Ainsi, la protection du public est un facteur prépondérant mais loin d’être le seul à avoir un rôle à jouer dans ce contexte. Par exemple, dans le cas des médecins, le permis restrictif d’une durée de cinq ans, invoqué par le Collège des médecins du Québec pour la protection du public, représente un obstacle à plus d’un titre. Les médecins ayant un tel permis peuvent seulement pratiquer dans certains établissements. Cela limite aussi la capacité du système de santé à accueillir des PFÉ, étant donné que ceux-ci doivent d’abord être encadrés par de tels établissements, pour éventuellement y exercer la médecine.

La libre circulation des professionnels de la santé entre pays occidentaux, illustrée par le cas de l’ARM Québec-France, n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser, en considérant les relations de proximité entre la France et le Québec. Plusieurs acteurs sont impliqués, à divers niveaux de gouvernance, d’abord pour l’obtention du permis et ensuite pour l’intégration en emploi des professionnels français, d’où la nécessité de coordination des acteurs impliqués. Il s’avère particulièrement important de projeter l’arrivée des cohortes en formation et de prévoir, en dépit de la complexité de ces projections, la saturation du marché de l’emploi qui en résultera.

L’expérience des professionnels français au Québec paraît contredire la philosophie de permis sur permis fondée sur la reconnaissance mutuelle qui est à la base de l’ARM, et contraste à cet égard avec l’expérience vécue par les professionnels québécois partis exercer en France. Nous avons vu que les systèmes professionnels et de santé de la France et du Québec présentent des différences importantes. Ces différences suffisent-elles à expliquer la disparité entre l’expérience des professionnels de la santé français venus exercer au Québec et celle des Québécois partis exercer en France?

Tout système professionnel est tributaire de l’histoire des professions qui en font partie, de leurs activités et du contexte politique à l’intérieur duquel elles se sont développées. Alors qu’au Québec et de manière générale, en Amérique du Nord, les corporations professionnelles, ancêtres des ordres professionnels, ont vu le jour à travers l’action de la société civile, la France présente un modèle opposé, celui d’une forte implication de l’État dans leur développement (Champy, 2012; Dent, 2003). Tout au long de l’histoire de la profession médicale en France, l’État a eu un pouvoir important. Contrairement à ce qui a lieu au Québec, la responsabilité de la reconnaissance des qualifications professionnelles pour les médecins formés hors de la France, ne relève pas uniquement de l’Ordre des médecins mais également du Ministère des Affaires sociales et de la Santé (Cour des comptes, 2012).

En plus de ces différences historiques, l’existence d’ententes de mobilité professionnelle entre pays de l’Union Européenne fait en sorte que les organismes de régulation professionnelle sont confrontés à la nécessité d’assouplir et de rendre plus homogène leur règlementation pour favoriser une réelle mobilité des professionnels des pays membres de l’Union (Commission européene, 2016).

Au Québec, les ordres professionnels ont un pouvoir exclusif pour l’octroi des permis d’exercice, en lien avec leur mandat de protection du public. Cela est visible dans les textes de l’ARM, dont les signataires québécois, considérés comme les autorités compétentes, sont uniquement les ordres professionnels. Du côté français, on trouve deux signataires : d’abord le Ministre de la Santé et des Sports et ensuite les ordres professionnels.

Bien que les ordres professionnels doivent se coordonner avec d’autres acteurs, tels que les diverses Facultés, ils décident seuls des mesures de compensation pouvant permettre d’accéder au permis d’exercice. Les ordres ne sont pas responsables des places dans les Facultés, des délais dans l’obtention de stages dans les divers établissements de santé et des possibilités d’emploi, encore moins des régions d’emploi. Toutefois, les mesures imposées en vertu de la protection du public, de même que l’absence d’aménagements particuliers, de reconnaissance d’expérience, etc., peuvent ériger d’importantes barrières à l’obtention d’un permis d’exercice pour les PFÉ et ce, malgré la signature d’un accord de réciprocité tel que l’ARM Québec-France.

Force est de constater que le rôle central des ordres professionnels au Québec, particulièrement dans le domaine très règlementé de la santé, l’autonomie qu’ils possèdent face à l’État et les pouvoirs qui leur sont conférés en termes d’octroi du permis d’exercice posent d’importantes limites à une réciprocité effective dans la mobilité des professionnels de la santé entre la France et le Québec. Étant donné l’actualité de ces questions de mobilité transnationale et des signes d’évolution constatés dans le système professionnel, il est permis de croire que les acteurs et les institutions engagées dans ces tensions entre protection du public et reconnaissance des compétences et expériences de PFÉ continueront à assouplir et aménager de plus en plus leurs pratiques pour faciliter l’admission de ces derniers à la pratique de professions réglementées au Québec.