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Le dossier de trois articles que nous introduisons ici concerne un tournant dans l’histoire et la vie de la théologie québécoise. Les théologiennes et théologiens de demain, regardant en arrière, pourront juger jusqu’où ces contributions auront cerné les difficultés et les possibilités d’un projet théologique au Québec vers 2020. Ils pourront les compter au nombre des analyses in situ, rares et d’autant plus précieuses, de la reconfiguration institutionnelle de la théologie québécoise qui est survenue récemment dans trois universités.

Durant l’année académique 2014-2015, trois facultés de théologie ont fait face à un processus de fermeture. Ce sont la Faculty of Religious Studies de l’Université McGill, la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke et la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. Les fermetures prirent effet entre 2015 et 2017, selon les institutions. Les universités concernées créèrent de nouvelles unités, aux configurations et conditions différentes : à McGill, la School of Religious Studies, affiliée à la Faculty of Arts ; à Sherbrooke, le Centre d’étude du religieux contemporain ; à l’Université de Montréal, l’Institut d’études religieuses, affilié à la Faculté des arts et des sciences. Dans un nouveau territoire inscrit sous la bannière des « études religieuses », la théologie doit maintenant repérer les reliefs, les ornières et les opportunités.

Sur les quatre facultés de théologie que comptaient les universités publiques du Québec, une seule subsiste, les autres évoluant désormais sous des formes différentes et dans des réseaux recomposés de savoir et de gestion. Les premières conséquences concernent forcément la théologie des universités publiques, ainsi que sa place, jusqu’alors centrale, dans le portrait d’ensemble de la théologie québécoise. La nouvelle situation impose aussi à la théologie de réfléchir à son projet en tant que contribution au sein des sciences humaines. Le portrait institutionnel de toute la théologie au Québec s’en trouve forcément redessiné : cela concerne aussi, par voie de conséquence, la situation de la théologie dans les murs de la dernière faculté de théologie restante — à l’Université Laval —, dans les centres de formation théologique et pastorale, dans des satellites québécois d’institutions ontariennes et à l’Université Saint-Paul d’Ottawa.

Il faut donc mesurer les implications de ce changement d’époque. C’est pourquoi, en avril 2018, la Société canadienne de théologie a tenu une journée d’études « Déplacements institutionnels de la théologie : des deuils et de l’inattendu ». Le présent dossier recueille trois des contributions présentées ce jour-là. Elles sont en provenance de l’Université de Sherbrooke (Marc Dumas), de l’Université de Montréal (Solange Lefebvre) et de l’Université Laval (Gilles Routhier).

Marc Dumas raconte les faits relatifs à la fermeture de la FATER de Sherbrooke. Il montre ensuite, à partir de plusieurs exemples, quels en sont les effets sur la pratique de la théologie, dans un cadre universitaire et interdisciplinaire où le socle épistémologique de notre discipline se voit relégué à la marge du scientifiquement recevable. Enfin, il essaie de voir « en quoi cette nouvelle configuration à Sherbrooke pourrait inaugurer, sous certaines conditions, une autre manière de faire théologie où, en dépit de sa fragilité, s’invente une herméneutique théologique critique de la différence théologale » au pays de la rationalité technico-scientifique : un projet qui doit assumer sa différence, à la fois inconfortable et nécessaire, comme l’illustre le récit que l’auteur fait de sa propre transhumance.

En ce qui concerne l’Université de Montréal, Solange Lefebvre propose une contribution à multiples volets. Ayant situé les transformations qui y sont survenues dans l’évolution mondiale de la théologie catholique, ayant ensuite réduit le champ d’observation à l’évolution de la théologie québécoise depuis les années 1960, dans son articulation avec la socio-culture, elle montre l’impact de la déconfessionnalisation scolaire (1995-2008) à l’Université de Montréal. Elle détaille ensuite le processus d’abolition de la FTSR et de création de l’Institut d’études religieuses, en insistant ici sur les acquis, prises de conscience et clarifications qu’a permis une intense lutte syndicale et juridique en 2015 et 2016. Dans la suite, l’autrice expose comment l’enjeu du statut ecclésiastique s’est posé en 2015-2016, puis elle soutient qu’une théologie est possible en l’absence d’un tel statut : non seulement d’un point de vue institutionnel mais aussi en tant que projet intellectuel valable.

Du côté de l’Université Laval, Gilles Routhier présente les effets des transformations survenues ailleurs. Il montre d’abord pourquoi cet affaiblissement de la concurrence, loin de comporter quelque bénéfice, appauvrit et fragilise directement sa propre institution et cela de quelques manières. Il dresse ensuite des parallèles avec la situation de la théologie aux États-Unis, où la plupart des institutions universitaires de théologie sont aussi éprouvées pour des raisons dont nous faisons l’expérience. Par la suite, il retrace l’évolution des centres et des programmes de théologie dans les universités depuis la fin des années 1990, arrivant au constat d’institutions théologiques sommées de satisfaire des exigences souvent contradictoires. Puis il montre comment la FTSR de l’Université Laval s’efforce de construire son avenir, un rivet à la fois. À cet égard, la contribution de l’auteur dénote une attention aux réalités institutionnelles (intra et extra-universitaires) dont la prise en compte est une condition d’avenir.

En soumettant ce dossier, nous espérons offrir des éclairages sur des déplacements qui, pour institutionnels qu’ils fussent a priori, comportent d’autres dimensions, que la théologie de demain ne pourra pas éluder davantage que celle d’aujourd’hui.