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L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a fait appel à Harold Bérubé, professeur d’histoire de l’Université de Sherbrooke, pour dresser un bilan de ses 100 ans d’existence. Bien que les travaux de l’historien tournent autour de la façon dont les villes sont gouvernées par les élus, les structures évolutives de l’appareil municipal demeurent également un objet d’étude cher à Bérubé. Plus largement, par l’entremise des acteurs importants du monde municipal, l’historien cherche à comprendre les dynamiques de pouvoir ordonnant la société québécoise. Dans Unité, Autonomie, Démocratie. Une histoire de l’Union des municipalités du Québec, le lecteur est engagé dans les transformations de l’UMQ de sa fondation en 1919 jusqu’aux débuts des années 2000.

Si l’historien aborde plusieurs thématiques, généralement en début de chapitre, ce sont les négociations entre les dirigeants de l’UMQ et les élus provinciaux québécois qui sont au coeur de cet ouvrage. Trois thèmes sont privilégiés par l’auteur, soit la difficile union entre les municipalités ayant différents enjeux, l’autonomie idéalisée du monde municipal face au pouvoir provincial et la démocratie défaillante du système politique municipal. Quant aux sources, elles proviennent essentiellement des archives de l’UMQ.

Le chapitre 1 met bien en scène le contexte dans lequel naît l’UMQ. Elle doit sa création à un mouvement de réforme touchant un grand nombre de villes canadiennes transformées par l’urbanisation. En effet, une cinquantaine de maires réformistes souhaitent réduire l’emprise des monopoles et fondent la Union of Canadian Municipalities (UCM) en 1901. Dans le chapitre 2, nous apprenons que les problèmes liés à l’urbanisation de la société québécoise poussent le gouvernement libéral provincial à agir pour tenter d’y remédier. Pendant ce temps, plusieurs maires de villes québécoises veulent s’unir pour mieux faire face aux défis qui les attendent. Fait étonnant, lors de la fondation de l’UMQ le 15 décembre 1919, son caractère laïque est reconnu, notamment en raison du désintérêt de l’Église catholique face aux problèmes urbains.

Le chapitre 3 nous renseigne sur les enjeux qui préoccupent les premiers dirigeants de l’UMQ dont ses finances, sa visibilité et son objectif de renseigner les acteurs municipaux sur les différentes problématiques. Des congrès et des conférences sont organisés et s’avèrent de belles occasions pour l’UMQ de mettre de l’avant des méthodes administratives améliorées en vue d’assainir les finances des municipalités urbaines.

Les relations entre les dirigeants de l’UMQ et le gouvernement provincial demeurent saines, mais ce ne sera pas toujours le cas. Si le premier président, Joseph Beaubien, est très proche du Parti libéral provincial au pouvoir, les relations deviennent plus tendues dès l’arrivée au pouvoir de l’Union nationale en 1936. Le chapitre 4 nous place au coeur de ces tractations en plus de revenir sur les répercussions de la grave crise économique de 1929 et celles causées par la Seconde Guerre mondiale. L’UMQ vit alors une période trouble. Le départ des dirigeants ayant fondé l’association dont Joseph Beaubien et Télesphore-Damien Bouchard ébranlent l’UMQ tandis que ses problèmes sont délaissés par le gouvernement provincial alors que l’effort de guerre mobilise l’attention de tous. Une importante restructuration a lieu une fois la guerre terminée.

Les chapitres 5 et 6 couvrent la période entre 1948 et 1986 dans laquelle le Québec connaît des transformations sans précédent. Si le Québec se modernise, l’UMQ fait de même. Par exemple, de nouvelles études sont lancées, un mandat d’un an pour le président est décrété et les congrès annuels retrouvent leurs dynamismes d’antan. En ce qui concerne les rapports entre l’association et le gouvernement provincial, ils demeurent difficiles. L’UMQ présente ainsi un mémoire axé sur l’amélioration de la législation municipale lors de la commission Tremblay (sur les problèmes constitutionnels). Si le gouvernement Duplessis demeure peu réceptif, l’association en ressort gagnante notamment grâce à l’important travail des experts lors de la recherche et de la rédaction du mémoire. L’UMQ a désormais une bonne connaissance de son fonctionnement et de ce qu’elle désire réformer.

La victoire des Libéraux de Jean Lesage en 1960 n’améliore pas les relations entre l’UMQ et le gouvernement. Il faut attendre le rapport de la Commission d’étude sur les municipalités remis en décembre 1986 pour avoir une meilleure idée de l’état des lieux du système municipal québécois tandis que des réformes fiscales et des lois visant à faciliter le monde municipal se multiplient. Enfin, le chapitre 7 nous rappelle la fragilité de l’État-providence alors que les thèmes de l’immigration et de l’environnement font leur apparition dans les préoccupations de l’UMQ. Les promesses de décentralisation s’avèrent centrales dans les débats animant l’UMQ et le gouvernement provincial québécois. Comme quoi, les défis de l’association demeurent sensiblement les mêmes depuis sa fondation.

C’est avec un angle d’approche original que Harold Bérubé revisite les grands défis de l’histoire municipale québécoise. En mettant l’accent sur les enjeux municipaux chers à l’UMQ, mais aussi en précisant toujours le contexte historique, le lecteur a un regard neuf sur le gouvernement Duplessis, la Révolution tranquille, la remise en question de l’État-providence et d’autres périodes charnières de la société québécoise. De même, en braquant les projecteurs sur l’UMQ, l’historien rappelle que les municipalités ont leur place sur l’échiquier politique bien qu’elles doivent sans cesse la défendre devant le gouvernement provincial.

Selon nous, le seul défaut de cette étude réside dans le choix de mettre l’accent sur les relations de l’UMQ avec le gouvernement provincial. Nous aurions aimé comprendre davantage les enjeux concernant les citoyens et les mesures que l’UMQ s’efforce de mettre en place. L’auteur le fait quelquefois notamment avec le rôle grandissant de l’automobile et les questions touchant à la moralité. L’ouvrage nous rappelle également la triste inexistence des femmes dans les lieux de pouvoir québécois jusque dans les années 1970. Dans l’ensemble, Harold Bérubé signe un ouvrage éclairant tant pour les chercheurs que pour le grand public.