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Dans leur ouvrage, Gagnon et Yergeau proposent la pratique du dialogue philosophique comme une intervention éducative pivot pour le développement des habiletés de pensée chez les élèves. Véritable programme de formation de la pensée composé d’activités de recherche faisant appel à la coélaboration de sens et à la rigueur, ce dispositif se réalise dans des situations d’apprentissage fondées sur des amorces de réflexion variées. L’ouvrage, composé de cinq chapitres, s’articule autour d’une conception de la méthode permettant de « s’approprier les contenus et savoir-faire disciplinaires par l’ajout d’une dimension réflexive et évaluative à l’égard des disciplines » (p. 14). Les trois premiers chapitres présentent ses conditions d’intégration dans le curriculum scolaire en ciblant les disciplines parentes (Chapitre 1) ; les résultats des recherches des auteurs sur les apprentissages des élèves et les retombées sur les enseignants (Chapitre 2) ; leurs analyses sur la posture enseignante (Chapitre 3). Les deux derniers chapitres décrivent le programme de formation de la pensée (Chapitre 4) avec la méthode d’évaluation des apprentissages des élèves (Chapitre 5).

La force de cet ouvrage réside dans la dimension didactique portant une attention conjointe aux savoirs et aux pratiques des philosophes, des élèves et des enseignants. La pratique dialogique s’appuie aussi sur la cognition épistémique des enseignants pour assurer une transition cohérente entre leurs connaissances et leurs pratiques dans les classes. Construit en combinant le mode de pensée disciplinaire et les conditions facilitant la discussion en classe, l’ouvrage pose les jalons d’une didactique du dialogue philosophique et du « métier » d’animateur.

Cependant, on s’interroge sur les liens qu’établissent les auteurs entre la maitrise des métaconnaissances déclaratives et le développement de la pensée critique. Comme les auteurs le soulignent, il faut être prudent dans l’établissement de liens de causalité. Il nous semble toutefois qu’un programme scolaire de formation de la pensée évalué explicitement (même de façon formative) selon l’identification des métaconnaissances constitutives des habiletés de pensée risque de réduire le processus d’apprentissage à un exercice formel de repérage. Il se peut que seule une minorité d’élèves comprenne le sens réel de cet investissement, mais qu’une majorité, soucieuse de bien faire, tente de reproduire de façon mécanique ce qui est attendu explicitement.

Or, bien qu’il soit difficile d’établir des certitudes sur la manière d’apprendre la pensée critique, le champ de recherche sur la formation sociale disciplinaire à propos de questions socialement vives, qui articule méthode et contenu, a établi plusieurs constats qui ont fait leurs preuves. Il est difficile de comprendre comment les auteurs ont pu se priver des liens euristiques entre cette pratique dialogique et la discussion en classe en sciences sociales. Une partie de ces travaux indique la nécessité de mieux comprendre la cognition épistémique des élèves. Il nous semblerait alors pertinent de creuser, en complément à cet ouvrage, ce qui a valeur d’argument dans d’autres disciplines et de comprendre comment cela se traduit dans les actions sociocognitives des élèves en situation de mise en question des savoirs disciplinaires.