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Le désistement du crime (ou la désistance pour nos collègues francophones d’outremer) demeure un objet d’étude relativement nouveau au Canada et au Québec alors qu’il connaît un essor fulgurant ailleurs dans le monde depuis une vingtaine d’années. Pour les besoins de cette introduction, une simple analyse réalisée dans Google Scholar montre qu’entre 1980 et 1989, 27 publications sont répertoriées avec les mots clés « desistance from crime ». Entre 1990 et 1999, on en compte 141, alors que l’on atteint 1640 publications pour la décennie suivante, pour culminer à 6960 publications entre 2010 et 2019. Lorsque l’on se penche sur cette production scientifique et que l’on prend l’année la plus prolifique comme point de repère (2019 avec 940 documents), on constate que la grande majorité (n = 841, 89,5 %) est publiée en anglais, suivie de très loin par les publications en allemand (n = 20), en espagnol (n = 16) et en français (n = 10).

L’objectif premier de ce numéro thématique est de mieux faire connaître cet objet d’étude à la grande communauté francophone. C’est dans cet esprit que nous avons sollicité la collaboration de chercheurs parmi les plus cités en matière de désistement du crime, reconnus pour leurs études phares qui ont largement contribué à notre compréhension de ce phénomène et qui servent d’appui théorique à bon nombre de recherches (Shadd Maruna, Stephen Farrall, Monica Barry et Deirdre Healy), ainsi que des chercheurs nord-américains et francophones, qui ont eux aussi apporté leur contribution à cette thématique au cours des dix dernières années (Evan McCuish, Patrick Lussier, Fabienne Glowacz, Rebecca Stone et Frédéric Ouellet). Il nous est aussi apparu important de faire place à des chercheurs émergents (Marie-Ève Dubois, Stéphanie Chouinard-Thivierge, Roxanne Couture-Dubé, Rosa Puglia et Bérangère Devillers) qui contribueront, certainement, à l’essor toujours grandissant de cet objet d’étude.

Il faut aussi savoir qu’historiquement les recherches sur le désistement se situaient en opposition aux recherches centrées sur ce qui fonctionne (what works) et souhaitaient mettre en évidence comment des personnes contrevenantes qui n’avaient pas participé à des interventions correctionnelles parvenaient à abandonner leur carrière criminelle (Maruna, Immarigeon et LeBel, 2004). Elles se sont donc centrées sur les facteurs individuels (maturation psychosociale, motivation, script narratif, agentivité, aspirations, etc.) ou sur les facteurs structurels (mariage, emploi, armée, etc.) afin d’identifier ceux qui facilitent ou provoquent le désistement du crime. Pendant un long moment, la plus grande préoccupation des chercheurs du désistement était de résoudre l’énigme « de la poule ou l’oeuf » entre les théoriciens qui avançaient une explication plus structurelle du processus de désistement du crime (par ex. : Laub et Sampson, 2003) et ceux qui proposaient une théorie plus agentielle de ce processus (par ex. : Maruna, 2001). Si cette question peut sembler triviale, les implications sociales qui y sont rattachées sont majeures, puisqu’il « serait inutile d’offrir des séances de thérapie motivationnelles aux personnes contrevenantes si les actions structurelles précédaient et conduisaient aux changements motivationnels nécessaires au désistement » (LeBel, Burnett, Maruna et Bushway, 2008).

Comme l’illustre cette citation, bien que l’objet d’étude du désistement soit le processus par lequel une personne contrevenante cesse de commettre des délits pour (re)devenir citoyenne, la question de l’utilisation de ces connaissances pour guider les interventions a toujours été en arrière-plan. Or, depuis environ cinq ans, on assiste à une impressionnante production scientifique sur ce que l’on nomme désormais le « désistement assisté » (DA) (King, 2014, p. 136), passant de 11 publications entre 2006 et 2009 à 109 entre 2010 et 2019, toujours selon Google Scholar. En plus des études produites avant l’avènement du terme (par ex. : Barry, 2007 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012 ; McCulloch, 2010 ; Rex, 1999), on retrouve désormais des publications qui portent sur le DA des personnes ayant commis un délit de nature sexuelle (Farmer, McAlinden et Maruna, 2015 ; Harris, 2015) ; de personnes dépendantes aux substances psychoactives (Bachman, Kerrison, Paternoster, O’Connell et Smith, 2015 ; Belenko, 2019) ; de conjoints violents (Kirkwood, 2016 ; Morris et al., 2019 ; Walker, Bowen, Brown et Sleath, 2015) ; d’anciens combattants (Albertson, Irving et Best, 2015) ; de jeunes contrevenants (Soyer, 2014) de probationnaires ou sursitaires (F.-Dufour, 2015 ; Judd et Lewis, 2015 ; Weaver et McNeill, 2015) et de personnes incarcérées (Cursley, 2015 ; Schinkel, 2015) ou libérées sous conditions (Stone, Morash, Goodson, Smith et Cobbina, 2018). Fait intéressant, le DA peut aussi faire référence aux interventions offertes par des acteurs du milieu communautaire (mentors, groupes de soutien informels, ex-contrevenants et entraîneurs de boxe) (LeBel, Richie et Maruna, 2015 ; Lowe, Willis et Gibson, 2019 ; Perrin et Blagden, 2014 ; Søgaard, Kolind, Thylstrup et Deuchar, 2015). Bref, on s’intéresse autant aux interventions dites « formelles » offertes par les acteurs du système de justice pénale (par des programmes d’intervention et des suivis sociopénaux) qu’aux interventions dites « informelles » de nature vocationnelle, éducative ou artistique qui peuvent, elles aussi, accélérer, faciliter ou soutenir les processus de désistement des personnes contrevenantes.

Les études portant sur le DA suscitent d’importantes réflexions quant à la façon de conceptualiser, d’examiner et de comprendre le rôle des acteurs du système de justice pénale et les conséquences de leurs interventions (Halsey, Armstrong et Wright, 2017 ; McNeill, 2016 ; Nugent et Schinkel, 2016). Ces études soulignent la complexité des processus de désistement et les obstacles à l’intégration (ou à la réintégration) sociale, en plus de mettre en lumière l’importance de la mobilisation de différentes sources de soutien social (par ex. : famille, pairs, partenaire de vie, emploi, programme de formation, agent correctionnel) pour optimiser les chances de « réussite » des mesures et interventions pénales (Barry, 2007 ; Farrall, 2002 ; Farrall, Sharpe, Hunter et Calverley, 2011 ; Giordano, 2016 ; Healy, 2012 ; King, 2014 ; Laub et Sampson, 2003 ; McNeill, Farrall, Lightowler et Maruna, 2012). Ce numéro thématique s’intéresse spécifiquement à ces préoccupations et poursuit un objectif de transfert des connaissances autant vers les milieux scientifiques que de pratique. Il regroupe onze articles qui s’intéressent aux différentes sources de soutien formelles (politiques sociopénales, pratiques d’intervention) et informelles (familles, pairs) au désistement de personnes ayant commis divers types de délits (infractions de nature sexuelle, criminalité lucrative, liées à des activités de groupes terroristes) ou présentant des profils particuliers (délinquance grave et persistante, souffrant de troubles mentaux ou jeunes mères). Ces articles proposent des pistes concrètes pour soutenir le développement de politiques, de programmes et de pratiques centrés sur les besoins des personnes contrevenantes, afin de les accompagner dans l’élaboration et l’actualisation d’un projet de vie porteur de sens, qui leur permettra de contribuer activement à leur communauté.

Intégrer les principes du désistement assisté dans les politiques et programmes en matière de justice pénale

En reconnaissant la nature multifactorielle du désistement, les efforts de recherche peuvent désormais être orientés vers une meilleure compréhension des mécanismes qui sous-tendent ce processus complexe et l’intégration de ceux-ci dans les politiques et programmes, inscrivant ainsi le désistement comme un processus de changement social, dont la responsabilité est collective (McNeill, 2016). Les plaidoyers en faveur d’un changement de paradigme dans les services correctionnels (Bottoms et Williams, 1979 ; McNeill, 2006 ; McNeill et al., 2012) semblent être restés lettre morte en Amérique du Nord, puisque les orientations actuelles sont surtout influencées par une logique actuarielle et managérielle inspirée du « what works » (Quirion et D’Addese, 2011). Les articles réunis dans le présent numéro invitent plutôt à approfondir nos réflexions quant aux zones de convergence et de complémentarité des deux modèles. Ainsi, repenser l’intervention sociopénale dans une perspective de désistement pourrait se faire sans nécessiter une refonte entière des politiques et programmes en place. Plusieurs articles dans ce numéro permettent de faire ressortir des éléments de ces pratiques qui sont compatibles avec une vision de désistement assisté (Couture-Dubé et F.-Dufour ; Glowacz, Puglia et de Villers ; Ouellet et Dubois ; Stone ; Villeneuve, F.-Dufour et Farrall ; Villeneuve, F.-Dufour et Turcotte). Ces articles soulignent du même coup que l’on retrouve certaines dimensions favorables au désistement dans les pratiques actuelles, même si elles ne se réclament pas d’une telle approche.

D’entrée de jeu, l’article de Maruna revisite les concepts de réhabilitation et de désistement « spontané », afin de situer la nature fondamentalement relationnelle et transactionnelle du désistement assisté. Son article souligne la pertinence de ce champ de recherche en émergence, dont l’intérêt est orienté vers la compréhension des théories du changement, plutôt que l’examen des composantes du programme permettant d’en expliquer (quantitativement) les résultats (what works). Il propose donc que les politiques et les programmes en matière de justice pénale prennent appui sur les « critères d’efficacité » et qu’ils y intègrent des théories qui permettent d’expliquer et de justifier les résultats attendus sur le désistement (how it works, why it works). Dans la même veine, l’article de Villeneuve, F.-Dufour et Farrall propose un modèle explicatif des effets du désistement assisté en contexte formel, c.-à-d. dans le cadre de suivis offerts par les acteurs du système de justice pénale. Ce modèle s’appuie sur les résultats d’une étude de la portée qui leur a permis de dégager les apports de ce type de suivi, et ce, à différents moments dans le processus de désistement. L’article de Ouellet et Dubois examine ces apports dans les récits de désistement de personnes contrevenantes impliquées dans une criminalité lucrative. Cet article souligne que les interventions formelles peuvent être des éléments déclencheurs du processus, particulièrement lorsqu’elles suscitent une remise en question de la « profitabilité » de la carrière criminelle. Pour d’autres, l’impact des interventions formelles prend plus de temps à se faire ressentir. Comme le soulignent Villeneuve et collaborateurs, la participation à différents programmes offerts par des ressources dans la communauté permet de traiter de problèmes spécifiques (par ex. : toxicomanie) et d’amorcer une réflexion quant aux changements à apporter. Selon Ouellet et Dubois, l’intervention formelle agirait plutôt de façon passive et aurait un pouvoir limité sur l’amorce du processus. Le soutien social informel apparaît, quant à lui, important tout au long du processus de désistement.

L’article de Healy montre plutôt comment les pratiques qui sont dérivées du paradigme de désistement proposé par McNeill et al. (2012) mettent l’accent sur les forces, les compétences et les projets de vie des désisteurs en devenir, en proposant une réponse constructive au non-respect des conditions du suivi, qui tient compte des obstacles structurels au désistement, afin d’instiller l’espoir, soutenir la motivation à changer, encourager l’autodétermination et développer le sentiment de pouvoir agir sur sa propre destinée, en plus de favoriser l’inclusion sociale. Un autre article, cette fois rédigé par Glowacz et collaboratrices, illustre plutôt comment une autre approche d’intervention inspirée directement des travaux sur le désistement, le Good Lives Model (GLM), met aussi l’accent sur les forces et les ressources individuelles et sociales. Les auteures soulignent aussi l’importance accordée aux besoins non comblés, à la connaissance de soi et à l’alliance thérapeutique afin de développer un projet de vie porteur de sens.

L’article de Barry, inscrit dans une perspective critique, est un appel à l’engagement de l’État pour garantir l’accès aux opportunités de changement pour les jeunes adultes. Elle montre qu’il est de la responsabilité de tous de sensibiliser les dirigeants aux besoins de reconnaissance des jeunes en transition vers le désistement et les iniquités inhérentes à leur statut transitoire de « jeunes adultes ». Dans la même veine, l’article de Stone examine l’influence du capital social et du capital humain sur le désistement de femmes enceintes ou mères, qui ont déjà été aux prises avec un problème de consommation abusive de substances illicites. Les résultats de cette étude rappellent l’importance de la dimension qualitative des relations sociales, plutôt que quantitative, pour soutenir le changement, en plus de la vulnérabilité et de l’isolement vécus pendant la transition vers le désistement. En effet, la majorité des transitions vers le désistement nécessitent une rupture des réseaux sociaux qui ont pu contribuer au développement et au maintien des problèmes de consommation ou d’engagement dans la délinquance. C’est donc en misant sur la création de nouveaux liens, dans de nouveaux milieux destinés au développement de capital humain, que l’on pourrait retrouver une piste intéressante pour recréer le tissu social, un filet de sécurité pour soutenir le désistement.

Une préoccupation particulière pour les adolescents et les jeunes adultes en transition vers le désistement du crime

L’un des phénomènes les mieux connus de la criminologie est la fameuse « courbe des âges » qui montre que les comportements criminels et antisociaux culminent aux environs de 17 ans pour décliner ensuite au début de l’âge adulte (voir l’article de Maruna). Ce phénomène est observé depuis plus de deux cents ans et semble se reproduire peu importe le pays d’origine des jeunes (Farrington, 2006 ; Gottfredson et Hirschi, 1990). Plusieurs explications ont été données à ce phénomène, que ce soit l’influence positive de conjoints, de l’emploi ou de l’armée (Laub et Sampson, 2003), la rupture de liens avec les pairs antisociaux (Warr, 1998), l’atteinte d’un statut d’adulte (Moffitt, 1993) ou la maturation (Rocque, Posick et Paternoster, 2016). Or, fait surprenant, on ne semble pas pouvoir parvenir à un consensus sur l’explication de ce phénomène et on explique encore moins bien pourquoi des personnes persistent dans le crime bien au-delà de l’âge « de raison » (Maruna, 2001).

L’article de McCuish et ses collaborateurs se veut une réponse directe à cette intrigante courbe de la criminalité. En revisitant le cadre théorique de la maturation proposé par Rocque et ses collaborateurs, les auteurs parviennent à isoler certaines caractéristiques de la maturation (notamment une orientation vers le futur, la résistance aux pairs, la considération envers les autres, le développement de l’intérêt pour le travail et la modification des valeurs) qui expliquent la baisse des comportements délictuels entre l’adolescence et l’émergence de l’âge adulte. L’article de Villeneuve, F.-Dufour et Turcotte montre aussi que pour les adolescents qui sont engagés dans une trajectoire délictuelle grave ou persistante, la transition vers le désistement exige un changement important dans les relations sociales et dans les lieux fréquentés. En concordance avec les résultats de McCuish, cet article montre que les projets de vie structurants sont déterminants dans l’abandon des comportements délictuels. Dans le même ordre, l’article de Couture-Dubé et collaboratrice montre que pour les adolescents qui sont engagés dans une trajectoire grave, sérieuse ou chronique qui vivent avec un trouble de santé mentale, ce n’est pas la somme des difficultés qui permet de prédire l’issu d’un suivi pénal communautaire, mais plutôt la qualité des interventions dans la mise en place d’un « filet de sécurité » autour de ces jeunes dans l’actualisation de leur projet de vie structurant. Finalement, Fabienne Glowacz nous plonge dans l’univers de jeunes radicalisés et impliqués dans des activités de groupes terroristes, préoccupation grandissante en Europe. Elle souligne les convergences dans les composantes et transitions identitaires et relationnelles qui caractérisent à la fois les processus de radicalisation et de désistement, puis identifie, à partir des récits de trois adolescents, la manière dont les interventions formelles et le soutien informel ont soutenu les processus de désistement. Ces articles amènent à considérer et à repenser l’intervention avec les adolescents auteurs d’infractions, en examinant la possibilité de miser davantage sur les ressources offertes dans leurs environnements (proximaux et distaux) afin de soutenir le développement de projets de vie structurants et porteurs de sens.

Bref, ce numéro sur la thématique du désistement assisté permet de faire le point sur ce champ de recherche en émergence. Il met en relief les éléments théoriques ainsi que les enjeux méthodologiques et pratiques à considérer dans l’actualisation d’une pratique centrée sur le désistement, visant à la fois l’adoption d’un mode de vie respectueux des lois, mais surtout, la reconfiguration et le renforcement des liens sociaux. À la lecture de ces articles, il nous apparaît de plus en plus évident que le désistement est un processus transactionnel et relationnel, nourri et soutenu par des interactions positives et réciproques entre le futur désisteur et les différents systèmes au sein desquels il évolue. Ce numéro thématique, nous l’espérons, permettra d’enrichir la compréhension du désistement comme un processus de changement contribuant à l’intégration sociale et communautaire des personnes contrevenantes, tout en reconnaissant son apport important aux interventions centrées sur « ce qui fonctionne ».