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Introduction

Cet article vise à faire la lumière sur les types de rationalités que l’on retrouve dans les discours de deux ordres professionnels en santé, soit : l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) et l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec (OOAQ). Plus particulièrement, nous jetons un méta-regard sur la manière dont ces ordres font de l’advocacy afin de convaincre le gouvernement, et la population, de l’importance de leur travail et des problèmes soulevés par le sous-financement de la réadaptation ainsi que par la gestion des établissements en santé québécois axée sur l’efficacité et la productivité. Comme nous le verrons, les rationalités déployées par ces ordres professionnels pour faire avancer leurs idées sont souvent antagoniques à celles du gouvernement québécois. Nous offrons ainsi une contribution originale, même si elle n’explore la situation qu’à partir du discours de seulement deux entités, sur un phénomène de société et sur la communication politique de groupes d’intérêts. Nos analyses mettent de l’avant quatre rationalités (ou types d’arguments) – politiques, économiques, scientifiques et éthiques – déployées par ces ordres dans leurs mémoires. Ces analyses illustrent comment ceux-ci plaident pour un réinvestissement en réadaptation et mettent de l’avant les problèmes occasionnés par les nouveaux modes de gestion axés sur l’efficacité et la productivité. Pour problématiser cette question, nous présentons, dans un premier temps, le contexte actuel des professionnels de la santé. Dans un deuxième temps, suit un état des lieux du système de la santé au Québec où nous expliquons ce qu’est la nouvelle gestion publique en santé, comment celle-ci se déploie et quelles sont ses promesses. Finalement, dans un troisième temps, nous abordons comment les chercheurs appréhendent ce nouveau mode de gestion. Ensuite, nous exposons notre approche théorique puis méthodologique, suivis par les résultats des analyses des mémoires. Nous terminons en ouvrant sur les autres chantiers de recherche offerts par cette étude.

Implantation de la Nouvelle gestion publique en santé

Professionnels de la santé à bout de souffle : les effets de l’adoption de la nouvelle gestion publique

Il ne se passe pas une journée sans que l’on entende parler des problèmes du système de santé dans les médias. Des condamnations du sociofinancement limitant l’accès à un traitement (Caillou, 2019) aux problèmes de piètres conditions des soins offerts dans les hôpitaux (Talbot, 2019), la santé est manifestement sous la loupe médiatique, notamment parce qu’elle est d’intérêt public. Prenons un exemple frappant, soit celui du cri du cœur en 2018 lancé dans les médias sociaux de l’infirmière Émilie Ricard (voir la Figure 1) sur sa page Facebook. Cette vidéo, où on l’aperçoit en larmes après un quart de travail de nuit particulièrement éprouvant alors qu’elle a dû s’occuper d’une soixante-dizaine de patientes et patients avec une infirmière auxiliaire et deux préposés aux bénéficiaires, est rapidement devenue virale. La vidéo a en effet été partagée plus de 35 000[1] fois seulement 24 heures après sa publication. Dans la vidéo, elle partageait également comment son métier était difficile et comment elle avait honte des soins qu’elle et ses collègues pouvaient prodiguer aux patientes et patients. Dans cette vidéo, elle interpellait directement le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, et ironisait le « succès » de sa réforme de la santé (Touzin, 2018). À la suite de cette diffusion, l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) faisait un bilan et estimait que l’épuisement professionnel était à son plus haut. L’Ordre soulignait également des lacunes du système de santé (Lévesque, 2018). La crise actuelle était présentée comme « du jamais vu » : « les infirmières […] se dénoncent elles-mêmes à leur ordre, parce qu’elles n’arrivent plus à remplir leurs obligations » (Lévesque, 2018). C’est le cas aussi pour les ergothérapeutes (Bibeau, 2018). Plus récemment, huit ordres professionnels en santé[2] sonnaient l’alarme dans un communiqué de presse à propos des conditions de travail dans le réseau de la santé et des services sociaux qui nuisent à la qualité des services offerts à la population en lien avec un sondage réalisé auprès de leurs membres (communiqué conjoint des ordres, 11 décembre 2019).

Figure  1 

Le cri du cœur de l’infirmière Émilie Ricard (2018)[3]

Le cri du cœur de l’infirmière Émilie Ricard (2018)3

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Un an après la diffusion de cette vidéo virale, « [l]es infirmières sont toujours au bout du rouleau » rapporte Bouchard (2019). Ce problème touche aussi les sages-femmes (Trahan, 2019) et les professionnels et techniciens de la santé et des services sociaux (Belzile, 2018). Des préoccupations également soulignées par le président de l’OEQ, Alain Bibeau, qui se disait :

interpellé de plus en plus fréquemment par des ergothérapeutes s’alarmant de ce contexte où l’organisation et les conditions de travail nuisent à l’accès et la qualité de services. Les notions d’indépendance et d’autonomie professionnelles elles-mêmes seraient de plus en plus affectées. […] il est grand temps que le gouvernement porte un regard critique sur la situation actuelle et qu’il reconnaisse l’urgence d’agir. (Bibeau, 2018, p. 2).

Plusieurs chercheurs et s’entendent pour dire que les enjeux relatifs aux conditions de travail du milieu de la santé proviennent notamment de l’implantation de la nouvelle gestion publique (NGP) au système de santé. Cette dernière a des effets dévastateurs non seulement sur les soins de santé et les services sociaux eux-mêmes, mais également sur la santé des travailleuses et travailleurs de ce domaine.

La nouvelle gestion publique et le système de santé québécois

Plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, ont procédé à des réformes de leur système de santé. Ces réformes sont justifiées par les demandes des patients, l’évolution technologique et le vieillissement de la population (Bourque, 2007). Elles ont amené les décideurs à effectuer des transformations en adoptant les principes de la nouvelle gestion publique (NGP). Cette approche transpose les principes de gestion du secteur privé au secteur de la santé afin d’accroître, argue-t-on, l’efficacité des pratiques (Bourque, 2007). Elle se caractérise par l’adoption d’une gestion par résultats, la recherche de la qualité, la reddition de comptes, l’approche client, l’évaluation des programmes, l’imputabilité des fonctionnaires, la privatisation, la mise en concurrence des établissements et, enfin, la décentralisation et le délestage des pouvoirs à de nouvelles instances (Bourque, 2007 ; voir aussi Dubois, 2003). Les promesses de la NGP reposent sur une potentielle meilleure qualité des soins. Dans la lignée de l’approche Lean[4], elle ambitionne aussi une meilleure efficience. Des études montrent notamment qu’elle permet, du point de vue de la gestion, une meilleure performance (Landry et Beaulieu, 2016). Force est de constater que son adoption ne semble pas se faire sans heurts du point de vue des professionnels de la santé. Ces derniers se sentent tiraillés entre les soins et services à donner aux patients et les contraintes liées à ces nouveaux modes de gestion[5].

Selon Bourque (2007, p.1) « l’application [de la NGP] transforme les fondements des systèmes de santé au Québec [...], et par le fait même, remet en question leur catégorisation en tant que système nationalisé ». L’adoption des pratiques de la NGP a débuté dans les années 1990[6]. C’est plus spécifiquement en 1997 que le gouvernement du Parti québécois, alors dirigé par Lucien Bouchard, débutera ce qui a été appelé un « virage ambulatoire » visant à garder les personnes âgées à la maison. Soulignons au passage que l’implantation de la NGP s’est poursuivie indépendamment des partis politiques au pouvoir. Dans la lignée de ces décisions, beaucoup de travailleuses et travailleurs du RSSS[7] ont perdu leur emploi. Par la suite, le gouvernement libéral a mis en branle la « réforme Couillard », en 2003, et a adopté la Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux. Dans cette loi, on retrouve le principe de l’approche populationnelle qui « vise à établir des liens entre l’état de santé de la population et les établissements qui rendent les services » (Bourque, 2007, p. 6). Le gouvernement a alors créé les Agences de santé et de services sociaux qui ont permis de décentraliser les soins et les services. La création de cette instance visait à déléguer la gestion du RSSS et s’inscrivait en droite ligne avec la NGP. Dans le même esprit, la création des Centre de santé et de services sociaux (CSSS[8]) ou « de[s] zones de soins et des réseaux locaux de santé et de services sociaux » (Bourque, 2007, p. 6) visait, disait-on, à « faciliter le parcours de soin des patients » et à « améliorer l’efficacité du système » (Bourque, 2007, p. 6). Les établissements de santé étaient également mis en concurrence (benchmarking). Ils étaient invités à se fixer des objectifs et à se comparer aux autres établissements. Dans la lignée de la réforme Couillard, la réforme Barrette a contribué avec la loi 10 à centraliser le RSSS (en abolissant les agences régionales et des dizaines de conseils d’administration) et avec la loi 20 à imposer des quotas de productivité aux médecins (Benoît, 2017 ; Goulet et Hébert, 2017). En 2016, le ministre Barrette introduit le financement à l’activité dans les établissements de la santé du Québec (Benoît, 2017 ; Goulet et Hébert, 2017), ce qui a eu pour effet d’augmenter les dépenses en santé. La NGP transcende ainsi les affiliations partisanes, traverse les décisions politiques qui se sont prises au fil du temps par les gouvernements successifs (Bourque, 2007), minant ainsi les principes au fondement de la Loi canadienne de la santé que sont notamment : l’accessibilité et l’universalité, lesquels fondent aussi les assises du système public de santé du Québec et de la Loi sur l’assurance maladie (Baillargeon, 2017). Ainsi, « [e]n relativement peu de temps, l’administration publique s’est transformée. De réforme en réforme, l’État initialement solidaire du citoyen est devenu un État guidé par une logique libérale et marchande » (Bourque et Grenier, 2018, p. 7). Le leitmotiv est donc le suivant : « faire toujours mieux en utilisant moins de ressources et en agissant différemment » (Dubois, 2003, p. 42 ; italique de l’auteur). L’approche de gestion est alors top-down et repose sur les mythes institutionnalisés de l’efficience, de la rentabilité et de l’imputabilité (Dubois, 2003, p. 66). Pour Bourque (2007) et d’autres auteurs (e.g. Baillargeon, 2017 ; Carrier, Levasseur, Freeman et Desrosiers, 2016), l’adoption de cette approche entrepreneuriale dans les systèmes de santé constitue un changement majeur de paradigme de la gestion des soins de santé et des services sociaux.

Approfondissement : la NGP analysée par les chercheurs

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les transformations du système public de santé depuis l’adoption de la NGP. Ils font état des problèmes majeurs qui découlent de l’adoption de cette approche managériale dans le domaine de la santé. Certains soulignent le fait que l’adoption d’une approche inspirée du managérialisme remet en question l’ethos public du gouvernement auparavant centré sur « une éthique du bien commun, l’universalité de l’accès aux services de qualité, et une philosophie de redistribution des richesses » (Fortier, 2010, p. 804). Comme l’explique Fortier (2010),

[s]ous prétexte d’efficience, le gouvernement québécois penche vers une plus grande intégration des forces autorégulatrices du marché et des libertés individuelles en partie au détriment d’enjeux collectifs de soutien au développement économique, de solidarité et de redistribution de la richesse portés par le rôle de l’État dans la société. (p. 807)

Cela fait en sorte que le rôle de l’État est revu et calqué sur celui de l’entreprise privée qui gère des objets, des marchandises, plutôt que de prendre soin des êtres humains, voire des communautés souvent en situation de vulnérabilité. L’État devient alors davantage préoccupé par des considérations budgétaires et économiques que sanitaires et démocratiques. On assiste donc de nos jours à un paradigme de gouvernance dicté par les lois du marché, c’est-à-dire que tout ce qui compte au final est « la norme quantitative du value-for-money » (Fortier, 2010, p.817). C’est comme si l’équilibre budgétaire et la croissance économique étaient plus importants que la santé, la qualité de vie et la vie des personnes qu’ils gouvernent. Ces choix se font, explique Fortier (2010), « au détriment d’une éthique publique correspondante, celle de l’esprit de concertation caractérisant la gouvernance québécoise » (p. 808). Les récents changements qu’a connus le système québécois de santé ne sont donc ni cosmétiques ni anodins. Ils modifient les racines sociales démocrates du système de santé, lesquelles étaient associées à des valeurs telles que l’accessibilité universelle, l’équité, l’intégrité, l’impartialité et la solidarité.

Par ailleurs, des chercheurs dans le domaine de l’administration estiment que la NGP est liée à une logique bureaucratique qui de manière autoritaire impose des normes et des protocoles rigides aux intervenants, et ce, par l’entremise des gestionnaires (Banoun et Rochette, 2017 ; Chénard et Grenier, 2012). Ils soutiennent, entre autres, que cette logique bureaucratique est en tension constante avec une autre logique, soit la logique professionnelle qui définissait les soins et les services avant l’introduction de la NGP. Cette logique professionnelle reposait, quant à elle, sur les savoirs expérientiels, techniques et scientifiques des intervenants. Elle leur permettait de juger de manière contextuelle des meilleures solutions à un problème concret. Ces chercheurs considèrent que ces logiques sont antinomiques à maints égards. Notamment, la logique bureaucratique exige la soumission des intervenants à des normes et des protocoles imposés de manière stricte par des gestionnaires alors que la logique professionnelle est fondée sur l’autonomie professionnelle.

D’autres chercheurs ont, quant à eux, étudié les conséquences du nouveau mode de gestion qu’est la NGP sur les professionnels de la santé au Québec. Par exemple, Durocher et ses collaborateurs (2016) de même que Drolet et Goulet (2017) observent que les conditions de pratique imposées à des professionnels de la santé, en l’occurrence ici des ergothérapeutes, limitent dans une certaine mesure la pratique éthique de leur profession, ce qui peut engendrer de la détresse éthique, voire de l’aliénation au travail chez ces derniers. Carrier et ses collaborateurs (2016) soutiennent, pour leur part, que le discours de productivité soumis aux professionnels de la santé contribuerait à une surcharge cognitive chez les ergothérapeutes travaillant en soin à domicile et que ceci les exposerait à un risque accru d’erreur dans leurs prises de décision. Les travaux de ces chercheures et chercheurs suggèrent donc que l’optimisation de la performance et la reddition de compte pourraient contribuer à moduler le raisonnement clinique et par le fait même à appauvrir la qualité des services.

Cette réforme dans le mode de gestion du réseau public de santé au Québec affecte la qualité de vie au travail des professionnels de la santé comme en témoigne l’accroissement de la détresse du personnel dans le réseau de la santé et des services sociaux et les taux d’absentéisme records ayant pour cause les problèmes de santé mentale (Larocque, 2017, p. 61 ; Durocher et al., 2016). C’est dans ce contexte sanitaire préoccupant qu’ont émergé les questions suivantes à l’origine de la présente recherche : comment l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) et l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec (OOAQ) défendent-ils les intérêts des patientes et patients dans leurs récents mémoires ? Quelles rationalités (types d’arguments) mettent-ils de l’avant dans leurs plaidoyers afin de faire avancer leurs idées et leur mission sociale ? En quoi ces rationalités sont-elles en tension avec celles articulées par le gouvernement ? Nous avançons qu’il se présente entre ces rationalités des tensions, voire des postures antagoniques. Ce sont ces confrontations qui nous intéressaient ici.

Argumentation et advocacy en contexte de santé

Nous appuyons nos réflexions et inscrivons notre démarche dans la lignée des travaux contemporains visant à étudier la rhétorique et l’argumentation dans des contextes de communication, en l’occurrence ici, politique. La communication politique vise à étudier, notamment, les discours qu’utilisent les différents acteurs et actrices politiques pour influencer, convaincre ou persuader (Lalancette, Raynauld et Crandall, 2019). Plus précisément, la communication politique est envisagée comme l’étude des communications qui régissent les relations entre les organisations politiques, les médias, les groupes de pression et les citoyennes et citoyens (Norris, 2000). Ces relations sont, plus souvent qu’autrement, hiérarchisées, alors que tous ces acteurs et actrices tentent d’influencer les autres notamment par le biais de leurs discours à propos des enjeux sociopolitiques. Afin de communiquer avec les citoyennes et citoyens, avec les groupes d’intérêts et avec les gouvernements, les relations publiques sont mobilisées. Elles sont ici envisagées comme « [la] gestion stratégique, par le truchement de la communication, des liens entre une organisation et ses différents publics afin de favoriser une compréhension mutuelle, de réaliser ses objectifs organisationnels et de servir l’intérêt du public » (Société canadienne des relations publiques, 2019). Autrement dit, une partie des stratégies d’influence politiques passent par la communication. C’est pourquoi nous estimons qu’il est pertinent de se pencher sur la rhétorique des différents acteurs et actrices qui cherchent à faire pression sur les décideurs publics, dans notre cas des ordres professionnels. Les ordres professionnels regroupent différents types de professions, dont celles de la santé, et leur mission première est de protéger le public (Office des professions du Québec, n.d.).

Au cœur de leur travail et afin d’actualiser cette mission, les ordres mobilisent l’advocacy au quotidien. Qu’est-ce que l’advocacy ? Précisons d’abord que ce terme anglophone réfère aux actions ou aux processus visant à soutenir ou appuyer une cause ou une proposition[9]. Les pratiques d’advocacy impliquent alors par exemple de mobiliser un argumentaire afin de plaider pour une cause ou d’appuyer la mise en place d’une politique. Plus spécifiquement, nous définissons l’advocacy comme des « activités de défense et de promotion des droits, intérêts et besoins des patientes et patients (advocacy clinique) et/ou (…) des actions visant à modifier les pratiques organisationnelles ou sociétales (advocacy systémique) » (Drolet, Lalancette et Caty, 2019, p. 232). L’advocacy est centrale à la pratique de communication des ordres que ce soit pour informer leurs publics, leurs membres ou bien pour faire de la politique.

Dans ce contexte, il va sans dire qu’une connaissance des principes rhétoriques et stratégies argumentatives s’avère névralgique afin de communiquer efficacement. Plus encore, lorsque les professionnels de la santé et de la communication qui travaillent au sein des ordres professionnels doivent intervenir dans l’espace public lors de conférences de presse par exemple ou d’entrevues avec les journalistes. C’est également le cas lorsqu’ils sont interpellés par les gouvernements afin d’intervenir dans des débats publics, notamment en produisant et déposant des mémoires présentés lors de consultations publiques. Moments clés de la vie démocratique, ces consultations permettent à différents regroupements – qu’il s’agisse de groupes d’intérêts, d’entreprises privées ou d’organisation à but non lucratif (pour ne nommer que ceux-là) - et aux citoyennes et citoyens de s’exprimer sur les enjeux de l’heure. Par le bais de leur mémoire, les différents intervenants – en l’occurrence dans le cas qui nous intéresse les ordres professionnels – se positionnent comme des acteurs clés, entrent en dialogue avec le gouvernement et cherchent aussi à influencer ses décisions. C’est là qu’entre en jeu l’advocacy qui permet aux ordres de plaider en faveur des valeurs et des positions qu’ils veulent mettre de l’avant pour assurer la protection du public et contribuer à la société avec leur expertise unique.

Nous verrons plus loin comment l’OEQ et l’OOAQ, font appel à certaines valeurs, mobilisent différents types d’arguments et mettent de l’avant des rationalités afin de convaincre du bien-fondé de leurs propositions dans leurs mémoires respectifs. En ce sens, le mémoire est un savant exercice à la fois de relations publiques et de communication politique.

Afin d’étudier la communication politique des ordres professionnels, nous mobilisons les outils de la rhétorique. Pour nous la rhétorique est envisagée comme « [l]’art de convaincre par l’argumentation dans le respect et l’écoute de l’autre » avec en tête deux notions importantes « l’efficacité » et « l’éthique » (Drolet, Lalancette et Caty, 2019, p. 44). Pour arriver à convaincre, il faut faire faire appel à trois principes rhétoriques clés, l’usage de la logique (logos), la mobilisation des émotions (pathos) et la prise en considération du rôle de l’orateur et de ses dimensions éthiques (ethos) (Drolet, Lalancette et Caty, 2019). La doxa[10] joue aussi un rôle clé dans la construction de l’argumentaire alors qu’elle complète en quelque sorte les connaissances que possède un groupe, en ceci qu’elle réfère aux opinions, aux préconceptions, aux présupposés théoriques et aux stéréotypes généralement admis par ce groupe, que ceux-ci soient ou non fondés (Drolet, Lalancette et Caty, 2019). Prendre en considération la doxa de l’auditoire c’est donc repérer les dénominateurs communs qui permettent d’entrer en relation avec celui-ci, c’est tenter de trouver un terrain d’entente pour mieux communiquer avec lui (Drolet, Lalancette et Caty, 2019). Comme le soulignent Perelman et Olberchts-Tyteca (2008), une argumentation réussie s’appuie sur des points d’accord de l’auditoire, sur le savoir partagé. La doxa est utile, car elle permet de rejoindre un auditoire ciblé (Amossy, 2006). Pourquoi ? Parce que les éléments doxiques influencent les raisonnements de toutes et tous qu’elles ou ils soient professionnels de la santé, gestionnaires ou bien citoyens. Plus encore, de ces principes rhétoriques découlent des stratégies argumentatives qui permettent en quelque sorte d’opérationnaliser ces principes. Parmi ces stratégies on retrouve notamment le recours à des sources fiables dotées d’une autorité, à l’induction et la déduction, au cadrage et au recadrage, à la logique ainsi qu’à l’utilisation d’analogie, d’explication ou bien de causalité et de corrélation. Ces stratégies permettent de donner aux discours une visée persuasive afin d’être en mesure de convaincre l’auditoire visé.

Approche méthodologique

Cette section précise les méthodes que nous avons utilisées pour apporter des réponses aux questions à l’origine de l’étude. Rappelons ces questions :

  1. Comment l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) et l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec (OOAQ) défendent-ils les intérêts des patientes et patients dans leurs récents mémoires ? Plus précisément, quelles rationalités (types d’arguments) mettent-ils de l’avant dans leurs plaidoyers afin de faire avancer leurs idées et leur mission sociale ?

  2. En quoi ces rationalités sont-elles en tension avec celles articulées par la NGP adoptée par le gouvernement ?

Collection de textes à l’étude

Étant donné que les coauteures de cet article (Drolet et Caty) sont respectivement ergothérapeute et orthophoniste, il nous est apparu judicieux de nous intéresser aux discours émanant de l’OEQ et de l’OOAQ, et plus particulièrement aux mémoires publiés par ces ordres lors de consultations publiques. Les expériences professionnelles dans le réseau de la santé de ces auteures, le fait qu’elles appartiennent à une profession de la réadaptation (non pas à une profession médicale) et leurs connaissances disciplinaires nous sont apparues comme des ressources indéniables pour analyser d’une manière à la fois informée et pertinente les discours de ces ordres professionnels.

Pourquoi étudier plus spécifiquement la forme « mémoires » présentés et déposés lors de consultations publiques ? Tel que spécifié plus tôt, parce que les mémoires sont des outils de relations publiques politiques et aussi des exercices de rhétorique par lesquels les acteurs et actrices invités à se prononcer sur les enjeux de l’heure présentent leur vision et évaluation d’une situation. Les mémoires sont ainsi un exercice de dialogue où des idées sont partagées, débattues et analysées. En ce sens, le mémoire fait appel à toute une série de principes rhétoriques et de stratégies argumentatives pour convaincre l’auditoire auquel il est destiné, qu’il soit gouvernemental ou citoyen, du bien-fondé de la position qui y est défendue. Nous nous sommes donc intéressées aux mémoires présentés par l’OEQ et l’OOAQ lors de consultations publiques, notamment parce que ces dernières sont envisagées comme des exemples probants d’exercice de rhétorique et d’argumentation, voire de relations publiques où plusieurs acteurs proposent leurs perceptions et appréciations d’une situation en lien avec un enjeu social donné. Tel qu’expliqué plus tôt, dans les mémoires se trouvent les préoccupations des ordres en lien avec les nouvelles pratiques de management public ainsi qu’une volonté de dialoguer avec le gouvernement sur les questions importantes de gestion « publique » du réseau. Il est par ailleurs intéressant de souligner que les citoyennes et citoyens ainsi que les autres membres de la société civile sont en mesure de consulter les mémoires et ainsi d’étudier les diverses propositions à propos de l’enjeu social qui y est discuté – qu’il soit question des services publics, de l’avenir des garderies ou bien des soins et services à prodiguer aux personnes âgées. Les lectrices et lecteurs des mémoires peuvent apprécier la compétition, ou la complémentarité des points de vue, ce qui situe l’exercice de production de mémoires dans la vision des relations publiques de Heath (2000, p. 70, notre traduction) qui estime que celles-ci ont « une valeur ajoutée pour la société ».

Collecte des données

Pour accéder aux mémoires recherchés, les sites web des deux ordres ont été consultés. Les sections « publications » de chacun des ordres ont permis d’accéder aux mémoires répondant aux critères d’inclusion de l’étude. Ces critères étaient les suivants : des mémoires récents traitant d’enjeux sociaux contemporains et préoccupants. Certains mémoires ont été exclus, soit parce qu’ils étaient liés à une revendication en lien avec un intérêt spécifique d’un Ordre plutôt qu’à un intérêt collectif, qu’ils traitaient de sujets légaux hermétiques ou qu’ils étaient redondants par rapport à un mémoire plus long et plus approfondi sur un même thème.

Échantillon : dix mémoires

Au total, nous avons analysé dix mémoires (n=10) déposés à l’Assemblée nationale par l’OEQ et l’OOAQ, rédigés dans les trois dernières années (depuis 2016). Ces mémoires ont été rédigés dans le cadre de consultations publiques organisées par le gouvernement du Québec, lesquelles portaient sur des sujets comme la réussite éducative, la pauvreté et l’exclusion sociale, la maltraitance des personnes âgées, le vieillissement de la population et les services de garde éducatifs à l’enfance (voir le Tableau 1).

Tableau  1 

Liste de mémoires produits par deux ordres professionnels et retenus pour l’analyse des rationalités

Liste de mémoires produits par deux ordres professionnels et retenus pour l’analyse des rationalités

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Analyse des données

Pour procéder à l’analyse des rationalités (ou arguments) présentes dans les mémoires, au moins deux chercheures de l’équipe ont lu chacun des mémoires attentivement. Durant ces lectures individuelles, nous avons pris des notes, écrit des commentaires et fait ressortir les rationalités clés ainsi que les principes rhétoriques et les stratégies argumentatives utilisés par les ordres afin de défendre leurs idées. De manière inductive et par itérations, nous avons créé des catégories et confronté nos points de vue par rapport à ces éléments. Nous en sommes venues à un accord en lien avec la meilleure interprétation à donner aux discours analysés.

Pour mettre en lumière les tensions présentes entre ces rationalités et celles de la nouvelle gestion publique adoptée dans le système de la santé nous avons eu recours à des méthodes d’analyse de texte usuelles en philosophie : l’approche analytique qui permet de décortiquer la trame argumentative des discours scrutés (Leclercq, 2008) et l’approche herméneutique qui permet de considérer le contexte social des discours étudiés (Seron, 2001). Autrement dit, nos analyses visaient à décortiquer la logique interne des arguments (approche analytique), tout en tenant du contexte social plus large au sein duquel le discours avait été rédigé (approche herméneutique). Somme toute, nous visions à ce que nos analyses soient les plus fidèles possible à l’esprit des discours (approche herméneutique) ainsi qu’à la logique interne des discours (approche analytique), d’où cette mixité d’approches méthodologiques.

Résultats

L’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) et l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec (OOAQ) mettent de l’avant quatre types de rationalités, ou d’arguments, dans leurs plaidoyers afin de faire avancer leurs idées et leur mission sociale : politiques, économiques, scientifiques et éthiques. Ils font aussi appel à leur ethos, au logos, au pathos de même qu’à la doxa. Nous présentons d’abord ces quatre types d’arguments, puis les résultats au sujet des tensions entre ces rationalités et celles articulées par le gouvernement.

Arguments politiques : promouvoir la profession, asseoir sa crédibilité et affirmer sa position

Dans un premier temps, les ordres développent des arguments politiques. Pour ce faire, ils doivent d’abord construire leur ethos, en expliquant qui ils sont et en quoi ils ont la légitimité d’intervenir relativement aux enjeux discutés lors des consultations publiques. Ils s’appuient ensuite sur leur expertise unique afin de développer leur positionnement et se prononcer sur les différentes questions qu’ils jugent importantes. Par exemple, l’OOAQ (2016a, p. 2) révèle : « [qu’]au Québec, l’orthophonie et l’audiologie sont des professions réglementées depuis plus de cinquante ans » et explique ce qu’est un orthophoniste. Les ordres présentent les tâches qui leur sont réservées. Ils cadrent les enjeux et ce pour quoi ils interviennent lors de ces consultations. Ils mettent de l’avant le fait que le gouvernement, les autres professionnels, dont les médecins, et la population en général connaissent mal le rôle qu’ils peuvent jouer dans un continuum de soins (voir notamment OOAQ, 2017a, p. 10). Il faut rappeler que les professions de la réadaptation, dont font partie l’ergothérapie et l’orthophonie, ont une histoire somme toute récente comparativement à la médecine, aux sciences infirmières et à la psychologie, pour ne donner que ces exemples (Prud’homme, 2011). Ces informations positionnent ces professionnels de la santé comme des intervenants crédibles et des acteurs clés du réseau public de santé. Ils se prononcent en toute connaissance de cause sur les problèmes qu’ils y constatent et les solutions qu’ils entrevoient pour les régler. Les ordres font ainsi la promotion de leurs professions respectives pour asseoir leur crédibilité en lien avec les problématiques discutées dans le cadre des consultations. Ce faisant, ils tiennent un discours politique.

Les ordres affirment, par la suite, leurs positions quant à la situation au cœur de la consultation. Dans celle liée à l’élaboration d’un plan d’action 2018-2023 Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté, l’OOAQ aborde l’importance de l’acte de communiquer pour tout humain et le rôle clé joué par l’audition dans ce processus central aux interactions sociales :

La communauté internationale reconnaît l’activité de communication comme revêtant un caractère primordial : lorsqu’une personne âgée éprouve des problèmes de communication et d’audition et que ces problèmes sont source d’incapacités, la place que la personne âgée peut prendre et que la société lui laisse prendre est beaucoup plus limitée. (OOAQ, 2017a, p. 6 ; l’OOAQ souligne).

Ainsi, l’OOAQ cadre le travail de ses membres non pas uniquement dans un rôle de soins des personnes en particulier, mais comme ayant des impacts sociétaux importants et positifs, par exemple en lien avec l’inclusion et la participation sociales. L’OEQ en fait tout autant. Les ordres se positionnent aussi dans la lignée d’autres décisions politiques prises dans des pays similaires. Par exemple, « [à] l’instar des recommandations émises par d’autres juridictions [Grande-Bretagne (NICE, 2006), Australie (GAC, 2016)], l’OEQ juge que tous les aînés vivant à domicile doivent bénéficier d’interventions en ergothérapie visant à faciliter leur autonomie fonctionnelle et leur participation sociale » (OEQ, 2017a, p. 10). En s’appuyant sur des pays comparables, les ordres crédibilisent leurs propositions. Ils démontrent également que d’autres gouvernements respectés ont fait des choix qui ont eu des retombées tangibles pour la population.

Les ordres présentent aussi leurs points de vue et expliquent comment ils se situent par rapport aux éléments clés des consultations en créant du lien avec le gouvernement de différentes manières. Par exemple, l’OEQ se dit « enthousiaste à l’égard des efforts ministériels démontrés en ce sens lors du bilan du plan d’action Vieillir et vivre ensemble - Chez soi, dans sa communauté, au Québec (VVE) 2012-2017 » (OEQ, 2018, p. 3). Tandis que l’OOAQ « se réjouit de la priorité qu’accorde le gouvernement à la mise en valeur des rôles sociaux joués par les aînés au sein de notre société » (OOAQ, 2017a). Ainsi, en mentionnant que les consultations leur tiennent à cœur, les ordres visent la collaboration. En n’étant pas dans la confrontation, on peut supposer que cela peut créer un lien positif entre les ordres et les représentants gouvernementaux.

Néanmoins, adopter une approche de collaboration ne veut pas dire qu’ils ne critiquent pas les choix du gouvernement en lien avec l’adoption de la NGP en santé. L’OOAQ déplore « l’absence de propositions » et le « silence du législateur quant aux stratégies à envisager pour les élèves à besoins particuliers [...] » (OOAQ, 2017, p. 3), et « considère que les moyens ne sont pas au rendez-vous pour concrétiser des objectifs valables auxquels il adhère » (OOAQ, 2017, p. 12). Cet Ordre explique que leurs professionnels, en raison des restrictions budgétaires imposées par les gouvernements, peinent à répondre aux « besoins criants » sur le terrain et que certains services sont « quasi inexistants dans certaines écoles du Québec » (OOAQ, 2016a, p. 2). Somme toute, dans leurs discours politiques les ordres mettent l’accent sur l’ethos, ici des pays comparables, et ce, sans aussi négliger de faire appel au pathos en encadrant leur discours dans un sentiment d’urgence d’agir face aux « besoins criants » qu’ils observent sur le terrain.

Arguments économiques : dépenser pour prévenir (plutôt que guérir) et considérer le coût des conséquences négatives de la NGP

Les ordres développent aussi des arguments économiques. Ils discutent de la question de la (re)distribution du portefeuille en santé et des effets des nouveaux modes de gestion sur leurs pratiques professionnelles et surtout sur la qualité de vie des patientes et patients qu’ils accompagnent. Ils n’ont pas peur d’utiliser des expressions comme « la conjoncture actuelle d’“austérité publique” » (OEQ, 2016b, p. 4) afin d’aborder les effets de la NGP. Ils reconnaissent la volonté du gouvernement de réduire les dépenses, ce qui amène des réorganisations et des changements majeurs dans le réseau de la santé (OEQ, 2016b). Ici encore, ils démontrent leur empathie face à la situation, en expliquant qu’ils sont conscients de la situation, sans pour autant adhérer à la manière dont celle-ci est gérée. À ce titre, l’OEQ considère essentiel de rappeler le principe central voulant que les services de santé et de services sociaux ne soient pas transposables à un bien de consommation ordinaire » (OEQ, 2016b, p. 4 ; l’OEQ souligne). Cette image permet d’amener à réfléchir sur les façons de dépenser autrement pour les services de santé et de services sociaux.

D’ailleurs, toujours en lien avec la NGP, les ordres condamnent unanimement que l’accent soit mis essentiellement sur les dépenses et sur le curatif, c’est-à-dire les soins médicaux et pharmacologiques, dénonçant que la prévention des maladies et des accidents ainsi que la promotion de la santé et des saines habitudes de vie soient grandement négligées. Les ordres élargissent alors le débat à des enjeux clés en lien avec le financement des services et à la place prépondérante qu’occupe traditionnellement la médecine curative. La rationalité managériale est questionnée par l’OOAQ (2016b), lors de la consultation portant sur l’éducation à la petite-enfance, lorsque l’Ordre aborde les questions : d’accessibilité, de qualité, d’universalité et de gouvernance. Il y a là deux visions différentes du système de santé qui s’affrontent. Dans un esprit apparenté, l’OEQ (2017a), lors de la consultation portant sur les aînés et les soins à domicile, revendique la mise en place de programmes et d’initiatives en prévention et promotion de la santé ayant fait leurs preuves et démontrant un bon rapport « coût-efficacité ». Parler de coût-efficacité, c’est utiliser le vocabulaire des gestionnaires du réseau de la Santé et des services sociaux. Les ordres utilisent des arguments économiques se basant alors sur la doxa de son auditoire gouvernemental qui a adopté les nouveaux modes de gestion. L’OEQ fait aussi appel aux valeurs d’efficacité et d’efficience qui sont au cœur des approches bureaucratiques de la NGP.

Les ordres se positionnent aussi sur les enjeux économiques liés à la santé, et plus particulièrement à la réadaptation, en décrivant les conséquences négatives d’une offre de services insuffisante. L’OEQ (2017a, p. 11) illustre les impacts des choix gouvernementaux relativement au financement du soutien à domicile en expliquant qu’« il est observé que l’offre de services en ergothérapie en soutien à domicile est grandement insuffisante pour répondre aux besoins sans cesse grandissants de la population. Par conséquent, cette situation crée un effet délétère sur la dispensation des services ». La NGP obligerait notamment les ergothérapeutes à privilégier une approche « centrée exclusivement sur la compensation des incapacités au détriment d’une approche centrée sur le renforcement des capacités fonctionnelles » (OEQ, 2017a, p. 12). Dans le même esprit, l’OOAQ (2017) dénonce le manque de services en orthophonie et en audiologie pour assurer le maintien à domicile et note l’impact possible de cette lacune sur l’épuisement des proches. Parler d’« effet délétère » sur les services aux usagers et d’« épuisement des proches » évoque une situation grandement problématique et dommageable. On peut ici voir qu’il est question des répercussions de la manière dont les services de réadaptation sont gérés au Québec.

À d’autres occasions, les ordres réfèrent aux principes de la loi sur l’administration publique[11] (LégisQuébec, 2019) laquelle est largement influencée par les principes de la nouvelle gestion publique. La question de la qualité des soins et des services est alors opposée à celle de l’atteinte des résultats et de la reddition de comptes. Les ordres reprennent le vocabulaire utilisé par les gestionnaires. Ils plaident « pour un panier de services adapté et efficient » (OEQ, 2016b, p. 7). L’utilisation du terme efficient n’est pas faite ici innocemment, alors qu’il est affectionné par ce type d’approche de gestion. Dans une optique apparentée, l’OOAQ (2016a) écrit que « [s]e préoccuper de nos tout-petits, c’est un investissement à court, moyen et long terme. C’est un investissement qui rapporte » (p. 13 ; l’OOAQ souligne). Terminer un mémoire en parlant d’« investissement qui rapporte », c’est représenter les retombées de leur travail en termes économiques et s’appuyer sur la doxa de l’auditoire. La réutilisation du langage gouvernemental risque d’aider à continuer le dialogue avec les gestionnaires.

En somme, pour argumenter au sujet de questions économiques, les ordres reconnaissent la volonté du gouvernement de réduire les dépenses, sans pour autant adhérer à la manière dont le financement est attribué. Les ordres soulignent les incohérences qui se présentent entre le cadre de gestion axé sur les résultats de la loi sur l’admiration publique et les principes du Services de santé et les services sociaux. Il y est notamment question de la distribution du budget alloué aux professionnels de la santé autres que les médecins. Les ordres étudiés mettent l’accent, à plusieurs occasions, sur le fait qu’il y a peu d’argent pour la prévention et la promotion, voire la réadaptation. Pour ce faire, ils mobilisent la doxa du gouvernement pour présenter leurs actions dans la même lignée que celles promues par celui-ci, et cela peut potentiellement créer de l’affect positif et du lien commun entre les instances.

Arguments scientifiques : statistiques, résultats probants et sources crédibles

Les ordres utilisent aussi des arguments scientifiques pour légitimer leurs idées. Ils s’appuient sur des études scientifiques probantes. Ils mobilisent des autorités reconnues par les milieux de santé comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette pratique s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler la pratique fondée sur les données probantes ou l’« evidence-based practice » qui se définit par la prise de décision clinique fondée sur les écrits scientifiques (faits probants), l’expertise clinique (savoirs expérientiels des professionnels) ainsi que les valeurs et les préférences des patients (Dollaghan, 2007 ; Law et MacDermid, 2014 ; Sackett, Rosenberg, Gray, Haynes et Richardson, 1996 ; Straus, Richardson, Glasziou et Haynes, 2005)[12]. Cet usage est cohérent avec la formation universitaire de ces professionnels et participe à donner à la fois de la légitimité et de la crédibilité à leur propos.

Les ordres vont utiliser des statistiques – argument d’autorité – lorsqu’ils analysent la situation au cœur des consultations. Cela leur permet de cadrer leurs propos et de les crédibiliser. L’OEQ (2016b, p. 6) écrit qu’on peut constater que « 93 % des dépenses totales de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) servent au financement des activités des médecins (services médicaux) et des médicaments ». Cette statistique est tirée du Rapport annuel de gestion 2014-2015 de la RAMQ. En citant les propres chiffres des Ministères, les ordres sont certains d’avoir en main des données solides. Ce pourcentage permet de mettre de l’avant que 7 % des dépenses restantes sont partagées par tous les autres professionnels de la santé et des services sociaux, ce qui inclut les services de réadaptation. Cette démonstration illustre que les budgets liés à la réadaptation sont plutôt minces. L’OEQ accentue ainsi l’incohérence entre la loi sur les Services de santé et les services sociaux et son implantation. Cela permet de poser des questions sur la manière dont les fonds publics sont investis.

Le recours aux statistiques permet aussi de démontrer le caractère troublant de certaines situations liées aux consultations :

Neuf à dix enfants sur mille auront développé une atteinte auditive (uni ou bilatérale) avant l’entrée à l’école (Shargorodsky et al ., 2010). En tout, près de 15 % des enfants d’âge scolaire ont une perte auditive (Niskar et al. , 1998). […] Ces chiffres témoignent de la nécessité de rendre accessible l’évaluation audiologique à tous, selon les besoins, car le seul dépistage à la naissance n’est pas suffisant. (OOAQ, 2016a, p. 9)

Ces statistiques illustrent une situation préoccupante. Le fait qu’elle est appuyée par des recherches universitaires la rend potentiellement plus crédible aux yeux des gestionnaires gouvernementaux.

En plus de statistiques tirées d’articles scientifiques, les ordres utilisent les résultats probants de travaux de recherche pour légitimer leur propos ou des sources reconnues comme neutres et crédibles, tel que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) (OEQ, 2016b, p. 8). Par exemple, l’OOAQ rapporte les résultats d’une enquête québécoise qui note des lacunes du point de vue de la stimulation du langage des enfants dans les CPE et les garderies non subventionnées (OOA, 2017b, p. 4). En s’appuyant sur les résultats de cette enquête panquébécoise, l’OOAQ a sous la main des données crédibles lui permettant de faire de l’advocacy et d’ainsi plaider en faveur d’un réinvestissement dans le dépistage des problèmes de langage. Il donne alors des munitions aux gestionnaires qui chercheraient à justifier l’allocation de sommes pour cette problématique. Bref, comme décrit et illustré précédemment, les arguments scientifiques mis de l’avant par les ordres visent à légitimer et crédibiliser leurs propos et font appel au logos.

Arguments éthiques : des valeurs au cœur des pratiques professionnelles

Pour construire leurs plaidoyers, les ordres s’appuient sur des arguments éthiques. Ils font appel à des valeurs, celles qui leur sont propres dans le cadre de leurs pratiques professionnelles, mais également celles qui sont au fondement du système canadien de santé public, telles que l’accessibilité (qui inclut la gratuité), la gestion publique, l’intégralité, la transférabilité et l’universalité (Gouvernement du Canada, 2019). À la lecture des mémoires, il est possible d’apprendre que : « […] le choix de se doter d’un système de santé public, auquel a souscrit la société québécoise depuis déjà longtemps, a fait en sorte que les ergothérapeutes y œuvrent en grande majorité (environ 80 % des ergothérapeutes travaillent dans les établissements publics) » (OEQ, 2016b, p. 2). Ici, l’évocation des valeurs partagées avec le Québec ainsi que son gouvernement permet de montrer l’importance du travail effectué par les professionnels de la santé, tels que les ergothérapeutes ou les orthophonistes. Les ordres rappellent les valeurs centrales à leur profession comme « l’ouverture et de l’inclusion » (OOAQ, 2017a, p. 11) et « le travail d’équipe » (OOAQ, 2017a, p. 6), la « pratique centrée sur le client[13] » laquelle est présentée comme une « philosophie d’intervention [qui] s’avère incontournable lors de la mise en œuvre de services orientés vers la réappropriation du pouvoir d’agir et la participation sociale de ces personnes [ici les aînés au cœur de la consultation] » (OEQ, 2017a, p. 19-20). Ainsi, autant l’OEQ que l’OOAQ mettent de l’avant les valeurs liées à leurs approches spécifiques des problèmes et des patientes et patients.

Par ailleurs, les ordres abordent leurs visions de la société au-delà des valeurs propres à leur profession. L’OOAQ (2017a, p. 12) promeut une « société plus inclusive avec des personnes mieux formées [qui] permettra aux personnes ayant un trouble de communication d’y rester plus actives et heureuses, apportera du répit aux proches et les encouragera à garder auprès d’eux la personne qui présente des troubles de communication et d’audition ». Par ailleurs, les solutions proposées ne sont pas toutes liées à des interventions de leur part. L’OOAQ (2017a) évoque la mise sur pied de campagne de valorisation des rôles des aînés dans la société, la création de conseils de sages, la prévention de l’isolement social au moment de la retraite. On lira que « [l]’OOAQ est en outre d’avis qu’il faut à tout prix repenser les environnements sociaux, de la même façon qu’on le fait pour la mobilité des personnes avec un handicap physique ou encore pour favoriser le transport collectif » (OOAQ, 2017a, p. 12). L’analogie avec d’autres services – ici, le transport – permet d’illustrer et de faire comprendre les enjeux en question et de leur donner une réalité plus facile à appréhender.

Les ordres disent également partager les mêmes valeurs que celles du gouvernement. « Tout comme le gouvernement du Québec, l’Ordre est préoccupé par la situation des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale […] », explique l’OEQ (2016a, p. 1). Il souligne qu’« une des valeurs fondamentales soutenant l’exercice de [leur] profession est […] la “justice occupationnelle”, c’est-à-dire le droit pour tout individu d’avoir accès à des occupations signifiantes, et ce, quelle que soit sa situation particulière » (OEQ, 2016a, p. 1). En présentant la profession dans la lignée de la mission du gouvernement et en inscrivant leurs actions à l’intérieur de préoccupations partagées, cela permet de créer un lien positif avec l’auditoire visé, d’opter pour une posture collaborative plutôt que conflictuelle. Bref, les valeurs des ordres et ceux de la société sont au cœur de leurs plaidoyers, alimentent la réflexion au sujet de leurs visions de la société et permettent du lien commun avec l’auditoire, dans la mesure où celui-ci partage en théorie ces valeurs.

Tensions entre ces rationalités et celles articulées par la NGP adoptée par le gouvernement

Comme vu à la section consacrée au contexte de travail dans lequel évoluent les professionnels de la santé et les patientes et patients, les rationalités mises de l’avant par ces deux ordres professionnels peuvent être contrastées, dans une certaine mesure, aux pratiques managériales discutées plus tôt, lesquelles apportent, disions-nous, leur lot de conséquences négatives. Le Tableau 2 illustre les caractéristiques clés de la rationalité managériale et celles de la rationalité professionnelle tirées de notre analyse.

Tableau  2 

Caractéristiques de la rationalité managériale de la NGP mises en contraste avec celles de la rationalité professionnelle des ordres

Caractéristiques de la rationalité managériale de la NGP mises en contraste avec celles de la rationalité professionnelle des ordres

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Ainsi, comme observé par des chercheurs dans le domaine de l’administration (Banoun et Rochette, 2017 ; Chénard et Grenier, 2012), deux types de logiques ou de rationalité sont en tension dans le réseau de la santé et des services sociaux, soit une logique bureaucratique (la rationalité managériale de la NGP) et une logique professionnelle (la rationalité professionnelle des ordres). Alors que la rationalité managériale est top-down – imposer une vision marchande issue du privé aux intervenants et intervenantes – et retire du pouvoir à ceux-ci, en leur enlevant une autonomie professionnelle chèrement acquise, la rationalité professionnelle est, quant à elle, bottom-up – elle valorise l’autonomie, le jugement et les savoirs professionnels des intervenants et intervenantes – et se fonde sur des valeurs humanistes et sanitaires liées à la justice sociale et à la participation citoyenne.

Comme l’illustre le Tableau 2, les valeurs et les éléments qui caractérisent ces deux rationalités ou logiques reposent sur des ethos contrastés, voire diamétralement opposés. Ces tensions s’inscrivent plus largement dans une tension plus large entre une vision médicale de la santé (approche curative) et globale de la santé (prévention des maladies et des accidents, promotion de la santé et de saines de vie, approche globale). De plus, nos analyses révèlent que les visées d’austérité de la logique bureaucratique associée aux rationalités de la NGP (efficacité, rendement, optimisation, privatisation, reddition de comptes, approche clientéliste) sont en tension avec le bien commun préconisée par la logique professionnelle (accessibilité aux soins et services, soins et services de qualité, pratique centrée sur le client, universalité et justice sociale). Par ailleurs, des tensions sont soulevées entre l’individuel (évaluation des programmes, imputabilité des fonctionnaires, mise en concurrence des établissements, décentralisation, quête de performance) et le collectif (collaboration, travail d’équipe, gouvernance citoyenne, gestion publique, justice sociale et occupationnelle, inclusion et participation sociale). C’est comme si on demandait aux intervenants de se permuter en gestionnaires, d’abandonner leur ethos professionnel humaniste pour un ethos managérial néolibéral.

Il n’est pas dès surprenant de noter une augmentation de la détresse éthique et de l’épuisement professionnel dans notre réseau, notamment en ergothérapie (Drolet et Goulet, 2017 ; Durocher et al., 2016 ; Peeny, Ewing, Hamid, Shutt et Walter, 2014). Durocher et ses collaborateurs (2016) estiment d’ailleurs que le contexte actuel occasionne de l’aliénation occupationnelle, c’est-à-dire que le contexte managérial actuel ne permet pas aux professionnels d’agir de manière cohérente à leurs valeurs, faisant en sorte qu’ils ne parviennent pas à réaliser leur profession en conformité à leur conscience éthique. Pour survivre, c’est comme si les professionnels devaient abandonner les idéaux de leur profession, les raisons pour lesquelles elles et ils ont choisi de devenir des thérapeutes.

Discussion

Que retenir de ces analyses ? Dans un premier temps, cet article met de l’avant l’importance de la dimension argumentative des relations publiques politiques (Skerlep, 2002). Par la mobilisation de principes rhétoriques et de stratégies argumentatives, l’OEQ et l’OOAQ développent des arguments qui résonnent potentiellement chez les auditoires gouvernementaux qu’ils cherchent à convaincre. En étudiant les mémoires de l’OEQ et l’OOAQ nous avons fait ressortir quatre rationalités – politiques, économiques, scientifiques et éthiques – alimentées par une variété de stratégies argumentatives permettant en à l’OEQ et l’OOAQ de se positionner des partenaires clés en lien avec les enjeux ciblés par les consultations. En tentant de rallier le gouvernement à leur approche, l’advocacy qu’ils pratiquent se rapproche de l’advocacy participative ou systémique (Kirsh, 2015) et de la vision symétrique des relations publiques (Grunig, 2001 ; Taylor, 2011). La rhétorique et les relations publiques se marient et se rapprochent ici de l’idéal rhétorique du dialogue, du respect de l’autre et de l’ouverture (Heath, 2000 ; Millette, 2014).

Dans un second temps, cet article permet de jeter un éclairage nécessaire sur l’exercice peu exploré, peu connu, mais pourtant complexe qu’est la création de mémoires. Cet article illustre la nécessité de maîtriser les principes rhétoriques et stratégies argumentatives afin d’être en mesure de faire de l’ advocacy et d’ainsi être en mesure de persuader du bien-fondé de ses propositions.

Dans un troisième temps, en mettant au jour ces rationalités – politiques, économiques, scientifiques et éthiques – nous avons pu mieux comprendre comment les ordres étudiés plaident pour un réinvestissement en réadaptation et mettent de l’avant les problèmes occasionnés par les nouveaux modes de gestion axés sur l’efficacité et la productivité. Ces analyses illustrent les tensions discursives (une rationalité managériale en tension avec une rationalité professionnelle) et aussi les impacts réels de ces nouveaux modes de gestion. Nous espérons par cette étude, même si elle est d’envergure modeste, avoir contribué de manière originale au débat rhétorique et éthique sur la question des nouveaux modes de gestion grâce au méta-regard offert sur ses impacts en santé.

Comme toute étude, cette recherche présente des forces et des limites. Relativement à ses forces, notons d’abord que cette étude met en lumière le rôle de deux ordres professionnels, l’OEQ et l’OOAQ, qui sont peu présents dans l’espace public et médiatique comparativement à d’autres ordres professionnels comme celui des infirmières et infirmiers. Soulignons le regard pluridisciplinaire posé sur les plaidoyers des ordres à travers leur mémoire ayant permis une analyse de leur rationalité selon différents points de vue. Finalement, les résultats de cette analyse, en révélant que les rationalités des professionnelles et professionnels de la réadaptation et de leurs ordres s’opposent à celles de la NGP, signalent aussi une situation préoccupante, mais trop peu documentée : le système de la santé québécois est mis à mal (Baillargeon, 2017).

Pour ce qui est des limites, rappelons que les arguments de seulement deux ordres professionnels ont été examinés. Ceci ouvre à la possibilité à la conduite de futures études impliquant d’autres ordres professionnels. Soulignons également la temporalité récente des mémoires ayant fait l’objet de nos analyses, celle-ci fait en sorte que nous n’avons pas accédé aux positionnements des ordres dans les années 1990 et autres. En ce sens, il serait intéressant de s’adjoindre d’autres spécialistes, par exemple des historiens, afin de bonifier l’analyse en la situant dans un contexte historique. Dans le même ordre d’idées, l’analyse des mémoires pourrait aussi être bonifiée par des rencontres avec des professionnels sur le terrain qui pourraient partager leur perception et expérience de ces discours managériaux. Il serait enfin pertinent d’ouvrir notre étude à d’autres pays et milieux de travail afin de pouvoir offrir des études comparatives et de contraster les effets de la NGP.

Conclusion

Cet article présente une analyse de la rhétorique déployée par deux ordres professionnels, l’Ordre des ergothérapeutes du Québec et l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec, dans 10 mémoires récents déposés à l’Assemblée nationale du Québec lors de consultations publiques en lien avec divers enjeux sociaux. Nos analyses font ressortir quatre rationalités – politiques, économiques, scientifiques et éthiques – et mettent en lumière comment les principes rhétoriques que sont le logos, le pathos et l’ethos et l’importance du recours à la doxa afin de convaincre. En levant le voile sur ces rationalités, nous révélons aussi les tensions qui se présentent entre le collectif et l’individuel, entre l’austérité et le bien commun, entre le politique et l’éthique. Cet article contribue ainsi à démystifier un exercice de communication politique peu connu.

Cette étude ouvre aussi plusieurs pistes de recherche. Tel que nous l’avons vu dans nos analyses, les ordres étudiés reprennent le vocabulaire et l’idéologie dominante qu’est la nouvelle gestion publique (NGP), il serait pertinent de pousser plus loin la réflexion à ce sujet en étudiant notamment ces discours en référant aux travaux d’analyse du discours contestataire. Des recherches pourraient être faites sous cet angle. De plus, si les mots sont utiles pour construire, créer la réalité et influencer les visions du monde il importe de mieux les comprendre afin d’en saisir les effets et d’en faire le meilleur usage possible. Enfin, si la NGP inquiète dans le monde des professionnels de la santé, son implantation dans le monde universitaire soulève également des questionnements sur la transformation même de cette institution (Demers, Bernatchez et Umbriaco, 2019). Bien que la NGP ne soit pas officiellement adoptée dans les universités, « son influence y est manifeste » (Bernatchez, 2019, p. 63). Ainsi, autant dans le système de santé que dans le monde universitaire, il y a lieu de s’interroger sur l’adoption de ces nouveaux modes de gestion qui font perdre l’essence et dénaturent la mission même de ces systèmes publics. Dans cette optique, il y aurait lieu de se demander si nous pourrions retrouver dans le monde universitaire plusieurs des tensions identifiées dans notre étude portant sur le système de la santé.