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Introduction

Dans le contexte actuel de mutations économiques, sociales et technologiques, l’adéquation formation-emploi ou son contraire (le skill mismatch dans la littérature anglophone) a fait couler beaucoup d’encre puisqu’elle est souvent présentée comme l’un des principaux défis à relever tant du point de vue individuel, organisationnel que sociétal (Bernier, Michaud et Poulet, 2017). Une littérature foisonnante ne manque pas de souligner les situations d’écart et tente, du mieux possible, de les mesurer avec les données disponibles, ce qui résulte en des scénarios contrastés portant différents vocables, tels que surqualification, sous-qualification,surcompétence, sous-compétence ou encore pénurie de compétences. Il est donc important de bien définir ce dont on parle puisque sous le terme « adéquation formation-emploi » se retrouvent des notions multiples associées à maintes réalités; c’est ce que nous clarifions d’abord dans notre article.

Les entreprises aux prises avec des problèmes d’adéquation formation-emploi font face à de réelles difficultés et les défis en termes de disponibilité de main-d’oeuvre ne représentent que la pointe de l’iceberg. Pour les individus, un écart entre leurs compétences ou leurs qualifications et les exigences de leur emploi peut entraîner des salaires moins élevés, une satisfaction moindre ou de la démotivation (Allen et van der Velden, 2010; Liu et al., 2015; OCDE, 2011). Les entreprises en subissent aussi les effets avec des niveaux de productivité et de compétitivité plus faibles, un taux de roulement et des coûts de main-d’oeuvre plus élevés, pour ne nommer que ceux-ci (Belfield, 2010; Cedefop, 2012; Mavromaras, 2012). Des répercussions se font sentir aussi dans la société, notamment par une croissance réduite, une hausse des coûts sociaux et un taux de chômage plus élevé (Cappelli, 2015; Quintini, 2011, 2014; Sattinger, 2012). C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrivent l’engagement et les interventions du gouvernement québécois pour renforcer l’adéquation formation-emploi, notamment la Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi (LQ 2016, c. 25) et, plus récemment, le Plan d’action pour la main-d’oeuvre, afin de mieux outiller les employeurs et les travailleurs à répondre aux besoins de l’économie et du marché du travail.

Cela dit, dans plusieurs situations d’écart, les solutions proviendraient de l’entreprise, de ses stratégies de gestion, de ses pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) et de la façon dont elle mobilise les compétences de sa main-d’oeuvre de manière efficiente et durable. Mais qu’en est-il en réalité ? Peu d’études récentes se sont penchées sur la question (Cedefop, 2012; Desjardins, 2014; Quintini, 2011). C’est aussi l’objet de notre étude.

Notre article poursuit donc trois objectifs. Premièrement, nous clarifions le concept d’adéquation formation-emploi, un concept éclaté sans définition univoque. Deuxièmement, nous identifions les pratiques favorisant l’adéquation entre les compétences des employés et les postes occupés. Pour y arriver, nous retenons l’approche configurationnelle. Troisièmement, à la lumière de nos résultats, nous proposons des éléments de réflexion et des pistes d’action pour les entreprises.

Contexte théorique et modèle conceptuel

La littérature regorge d’une multitude de vocables mentionnés précédemment et de mesures pour décrire les différentes situations d’écart observées sur le marché du travail (Cedefop, 2010, 2012; Mavromaras et al., 2013; OCDE, 2011; Quintini, 2014; Wen et Maani, 2019). L’adéquation formation-emploi est une notion polysémique que l’on doit s’assurer de bien comprendre. Dans sa définition la plus simple, l’adéquation réfère selon le Dictionnaire Larousse à la « conformité à l’objet, au but qu’on se propose ». Un premier pas dans la clarification de cette notion provient des travaux de B. Simoneau (2017) présentant quatre critères pour guider la compréhension de l’adéquation formation-emploi. L’auteur réfère notamment aux finalités (Vincens, 2005), à des niveaux d’intervention (macro, méso et micro) où il est possible de rechercher l’adéquation (Doray, B. Simoneau et Solar-Pelletier, 2017), aux types d’adéquation (qualitative ou quantitative) et à l’évaluation qu’on en fait (statistique, normative ou subjective). Ces critères, bien qu’intéressants, font en sorte de présenter une notion d’adéquation très large où les objets des ajustements sont nombreux et font référence tant à l’ensemble des stratégies et des pratiques cherchant à articuler le champ de l’éducation et de la formation qu’à celles associées au travail et à l’emploi.

Dans cet article, nous retenons une perspective organisationnelle dans laquelle les ajustements concernent les pratiques, les stratégies de gestion des ressources humaines et les exigences en termes de compétences des travailleurs en poste. Ainsi, nous présentons l’adéquation formation-emploi comme la relation entre les qualifications, les habiletés et les compétences que détiennent les individus et les emplois comportant leurs propres exigences en matière de qualifications et de compétences pour réaliser diverses tâches. Cette relation se décline de trois manières (Figure 1) : 1- l’écart de qualifications; 2- l’écart dans l’utilisation des compétences; et 3- la pénurie ou le surplus de main-d’oeuvre sur le marché du travail (Cedefop, 2010; OCDE, 2011; Quintini, 2014).

Figure 1

Modèle conceptuel des différentes formes d’inadéquation formation-emploi

Modèle conceptuel des différentes formes d’inadéquation formation-emploi

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L’inadéquation expliquée par l’écart des qualifications

La notion de qualification fait référence à la qualification acquise par la formation professionnelle, technique ou universitaire et validée par un diplôme, et elle est associée au poste puisqu’elle en précise les exigences nécessaires (Oiry, 2005). Dans ce sens et suivant les recherches antérieures, la surqualification ou la sous-qualification survient lorsque les qualifications formelles détenues (dont les diplômes obtenus puisqu’ils sont habituellement considérés dans les enquêtes statistiques générales comme un indicateur mesurable du niveau de qualification formelle) par les individus ne correspondent pas à celles exigées par les emplois; il y aura donc un écart de qualification. Ce type d’écart est mesuré de manière objective, puisqu’il s’obtient en comparant les qualifications exigées et tirées de dictionnaires occupationnels (ex. Classification nationale des professions au Canada) ou de l’analyse d’emploi, avec le niveau général de qualification des travailleurs. Les travaux de Farber et Gibbons (1996) et Altonji et Pierret (2001) montrent qu’en position d’asymétrie d’information — au sujet des compétences réelles d’un travailleur pour un employeur, ou des exigences réelles d’un poste pour un individu — les deux parties vont chercher des signaux tangibles sur lesquels se baser : ce sera d’un côté, le diplôme, les qualifications ou la formation qui agissent comme un indicateur de potentiel pour les employeurs, et les tâches à réaliser pour le candidat à l’embauche. Si le diplôme peut avoir une valeur d’information importante aux yeux d’un employeur, ce signal est tout de même imparfait puisque le niveau de qualification peut ne pas être représentatif totalement du niveau de compétence d’une personne.

L’inadéquation expliquée par l’écart dans l’utilisation des compétences

Les compétences sont des combinaisons de connaissances, de savoir-faire, d’expériences et de comportements que sait mobiliser une personne dans un contexte particulier pour compléter des tâches et résoudre des problèmes (Winterton, Delamare et Stringfellow, 2006; Le Boterf, 2000). L’inadéquation des compétences, telle que nommée par l’OCDE (2011), concerne un écart dans l’utilisation que fait un individu de ses compétences par rapport aux compétences requises dans son emploi. Deux types de cas sont observés. D’abord, si un travailleur ne réussit pas à utiliser ses compétences dans son emploi actuel (Sloane, 2014) ou encore s’il détient « des compétences qui [lui] permettraient de réaliser des tâches plus exigeantes », mais sans en avoir la possibilité (OCDE, 2011: 214), on dira de lui qu’il est en situation de surcompétence (overskilling en anglais). Dans le second cas, si les compétences de l’individu sont inférieures aux besoins et aux exigences de l’emploi qu’il occupe, il risque donc de ne pas pouvoir répondre à toutes les attentes : c’est la situation de sous-compétence (underskilling en anglais). Cette mesure de l’écart est plutôt de nature subjective, autodéclarative ou s’appuie sur des perceptions individuelles (Mavromaras et McGuinness, 2012).

L’appariement personne-emploi nous apparaît être le modèle théorique le plus pertinent pour comprendre les questions associées à l’écart d’utilisation, dans la mesure où l’écart est une forme de mauvais appariement (Liu et al., 2015). Les études sur l’appariement personne-emploi en distinguent deux types : l’appariement demandes-habilités et l’appariement besoins-offres (Edwards, 1991). Dans le premier, ce sont les habiletés, les connaissances et les aptitudes des individus qui doivent être appariées aux demandes de l’emploi, alors que dans le second, il s’agit d’assurer la correspondance entre les besoins des travailleurs et l’offre, c’est-à-dire les caractéristiques de l’emploi, de manière que les besoins psychologiques et les préférences de l’individu soient satisfaits par l’emploi. Ainsi, il y a écart lorsque les habiletés et les compétences individuelles sont plus grandes que les exigences de l’emploi et que la personne ne peut pas les utiliser, ou lorsque les besoins individuels de défis et de dépassement de soi sont plus grands que les occasions offertes en emploi. Un mauvais appariement personne-emploi entraîne des conséquences négatives autant pour le travailleur que l’organisation. Il peut notamment conduire à de l’insatisfaction au travail, à un moindre engagement professionnel, à un rendement au travail moindre et donner lieu à des comportements non productifs (Allen et van der Velden, 2001; Kristof-Brown et Guay, 2011; Liu et al., 2015; Sloane, 2014).

Ces deux premières conceptions (écart de qualification et écart dans l’utilisation des compétences) sont distinctes dans la mesure où l’appariement entre le diplôme et les exigences en emploi n’est pas garant de l’utilisation adéquate de compétences dans un emploi donné et vice versa. Elles ne sont cependant pas toujours faciles à différencier (Allen et van der Velden, 2001; Cedefop, 2010; Sloane, 2014) puisque leurs mesures sont généralement corrélées (Green et McIntosh, 2007). Par ailleurs, l’écart dans l’utilisation des compétences se distingue du skill gap tel que défini par Cappelli (2015), en vertu duquel les compétences essentielles (littératie et numératie) enseignées dans les institutions scolaires, ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins changeants du marché du travail.

L’inadéquation expliquée par la pénurie ou le surplus de compétences

La troisième situation d’écart se situe au niveau macro-économique. Ainsi, il y a pénurie (skill shortage en anglais) ou surplus de compétences lorsque la disponibilité de la main-d’oeuvre sur le marché du travail est soit insuffisante pour combler les besoins des employeurs sur le marché du travail ou soit trop grande. La pénurie de compétences réfère donc à une situation où des employeurs ne peuvent pas trouver suffisamment de travailleurs qualifiés pour pourvoir les postes disponibles, lesquels demeurent vacants, et où il n’y a pas d’appariement possible entre les travailleurs disponibles et les postes à combler. La croissance économique s’en trouvera alors affectée.

Pour conclure cette première section, rappelons que l’adéquation formation-emploi est un concept polysémique et qu’il est essentiel de définir la conception retenue d’entrée de jeu, puisque chaque type d’écart commande des interventions différentes. Desjardins (2014) a constaté que les débats scientifiques et les politiques publiques traditionnellement centrés sur la surqualification et les pénuries de main-d’oeuvre se sont transformés au cours des années en des discussions plus nuancées qui accordent une grande importance aux questions d’écart associé à l’utilisation des compétences. Notre proposition théorique va dans le même sens dans la mesure où c’est cette conception de l’adéquation que nous avons retenue. Plusieurs raisons justifient ce choix. D’abord, les travaux sur ce sujet sont moins nombreux et la pertinence scientifique de notre étude s’en trouve augmentée. Ensuite, les recherches en cette matière sont aussi plus difficiles à réaliser puisque les données publiques disponibles sont imparfaites pour mesurer ce type d’adéquation. Enfin, les conséquences de la mauvaise utilisation des compétences semblent les plus sérieuses, ce qui accroît la pertinence sociale de notre recherche.

Pratiques favorisant l’adéquation formation-emploi

Nous avons mentionné précédemment qu’il existe plusieurs voies d’action pour les organisations aux prises avec des défis d’adéquation ou cherchant à prévenir des situations d’inadéquation formation-emploi. De nombreux travaux (Accenture, 2013; Branche-Seigeot, 2015; Bruyère et Lemistre, 2006; Cappelli, 2015; Cedefop, 2012; Desjardins, 2014; Erdogan et al., 2011; Healy, Mavromaras et Sloane, 2015; Kalkarni, Lengnick-Hall et Martinez, 2015; Liu et al., 2015; Quintini, 2014; Turcotte et Rennison, 2004) ont identifié diverses pratiques de gestion et de GRH permettant d’atteindre l’adéquation en ce qui a trait à l’utilisation des compétences des travailleurs, eu égard aux exigences des emplois occupés. Il peut y avoir différentes manières de catégoriser ces pratiques. Reprenant les écrits de Furnham (2001) sur l’appariement personne-environnement, nous les présentons en deux catégories. La première (« fitting the person to the job ») regroupe les pratiques qui font en sorte que la personne, avec ses compétences, ses habiletés et ses aptitudes soit appariée avec son environnement, plus spécifiquement son emploi et ses caractéristiques; ce sont les activités de dotation et de formation. Dans la seconde (« fitting the job to the person ») se trouvent les pratiques visant plutôt à ajuster l’environnement, l’emploi ou les tâches à la personne, comme le font les pratiques d’ergonomie et d’organisation du travail. En effet, la correction des écarts de compétences peut aussi passer par des solutions structurelles associées à des changements technologiques et organisationnels au sein de l’entreprise. Le Tableau 1 présente les pratiques recensées.

Tableau 1

Synthèse des pratiques favorisant l’adéquation formation-emploi recensées dans la littérature

Synthèse des pratiques favorisant l’adéquation formation-emploi recensées dans la littérature

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Plusieurs pratiques de la catégorie 1 associées au recrutement et à la sélection du personnel ressortent de la littérature (Cedefop, 2012; Accenture, 2013). Tout d’abord, au niveau de la planification des ressources humaines, il serait possible d’évaluer les besoins en termes de compétences, et de ce fait, de définir les critères de sélection formalisés plus largement. Autrement dit, les critères retenus pour la sélection d’un individu pour un poste donné devraient correspondre à ses compétences (générales, spécifiques ou transversales) plutôt qu’à ses qualifications (titres professionnels ou diplômes) ou son expérience. La promotion de la marque employeur, l’élargissement du bassin de recrutement pour accroître les compétences disponibles (travailleurs temporaires, à contrat ou autonomes), le recours à des agences de placement de personnel ou la création de partenariat avec différentes institutions scolaires sont des pratiques de recrutement recensées pour accroître l’adéquation. Au moment d’effectuer la sélection du personnel, certains auteurs recommandent de privilégier l’utilisation de tests de sélection et d’outils d’évaluation standardisés reliés au travail, tout comme la considération de l’appariement personne-organisation. Pour les nouveaux employés, les programmes d’accueil et l’imposition systématique d’une période probatoire seraient aussi des moyens favorisant une meilleure adéquation entre la personne retenue et le poste à combler (Accenture, 2013; Cedefop, 2012; Erdogan et al., 2011).

Ensuite, d’autres pratiques de la catégorie 1 sont davantage du ressort de la formation et du développement des compétences de la main-d’oeuvre (Cedefop, 2012; Accenture, 2013; Branche-Seigeot, 2015; Erdogan et al., 2011). On peut recenser : l’adoption d’une culture d’apprentissage ou de formation tout au long de la vie, assortie de politiques et règlements à ce sujet, la revue annuelle des besoins en formation, l’offre d’activités de formation formelle ou non, ainsi que le développement de stratégies formelles de transfert des connaissances. Les dernières pratiques recensées réfèrent davantage au développement des compétences, notamment en considérant les environnements de travail changeants ou les cycles variables de production et le recours à la formation pour accroître la polyvalence de la main-d’oeuvre.

Par ailleurs, bien que la catégorisation de Furnham (2001) ne traite pas des pratiques de rémunération, celles-ci contribuent à influencer le travailleur plus que son environnement : c’est pourquoi elles figurent dans la Catégorie 1. Elles regroupent notamment la rémunération incitative ou la bonification associées aux compétences, les bénéfices salariaux associés à la formation continue et la reconnaissance non monétaire liée à l’utilisation des compétences (Cedefop, 2012; Desjardins, 2014; Erdogan et al., 2011; Cappelli, 2015).

En ce qui concerne les pratiques de la Catégorie 2 visant à adapter l’environnement, dont les caractéristiques de l’emploi, pour favoriser l’appariement avec l’individu et ses compétences, nous avons recensé davantage de pratiques touchant l’organisation du travail, à savoir : l’assignation des tâches en fonction des compétences ou le redéploiement des travailleurs dans de nouveaux rôles pour que leurs compétences soient mieux utilisées, l’adoption d’une politique de mobilité de la main-d’oeuvre basée sur les compétences, la rotation des emplois, le travail d’équipe, l’enrichissement des tâches, une plus grande flexibilité en emploi et une meilleure communication organisationnelle (Cedefop, 2012; Bruyère et Lemistre, 2006; Erdogan et al., 2011; Quintini, 2014). De plus, l’accroissement du niveau d’autonomie, la participation aux décisions et le mentorat semblent faire en sorte de mitiger les comportements contreproductifs pouvant être associés à des situations d’écart (Liu et al., 2015).

Le Tableau 1 illustre bien l’existence de nombreuses pratiques pouvant contribuer à une adéquation entre les compétences des personnes et l’utilisation qu’elles en font au travail. Il demeure toutefois difficile de savoir celles qui sont réellement mises en place dans les entreprises et les retombées qu’elles génèrent. Ceci nous amène à un premier constat, à savoir que les pratiques recensées, prises individuellement, peuvent être utiles, mais inégalement efficaces dans les diverses situations. Dès lors, une autre façon de catégoriser les pratiques de GRH s’avère plus prometteuse et passe par la littérature théorique s’intéressant à leur efficacité et leurs effets sur la performance organisationnelle. En ce sens, Delery et Doty (1996) distinguent trois perspectives : universaliste, contingente et configurationnelle. Dans la perspective universaliste, certaines pratiques prises de manière isolée ont un effet direct, positif et reconnu sur la performance, et ce, nonobstant les circonstances. À cet égard, Pfeffer (1998) mentionne que la dotation sélective ou la prise de décisions décentralisée, pour ne nommer que celles-là, peuvent avoir un effet direct positif sur la performance organisationnelle : c’est la perspective des meilleures pratiques. La perspective contingente, quant à elle, considère que les pratiques seront efficaces et influenceront la performance organisationnelle seulement si elles sont alignées avec les stratégies et les caractéristiques des entreprises. Finalement, selon la perspective configurationnelle, un ensemble de pratiques interreliées mises en oeuvre simultanément ont un effet sur la performance puisque les différentes pratiques du système se chevauchent et se renforcent mutuellement (MacDuffie, 1995). En fait, au-delà d’une liste de pratiques de GRH à visée universelle, ce qui limite grandement la différenciation d’une organisation de ses concurrents, et au-delà d’une liste de pratiques de GRH dictées par des variables contingentes externes, et donc déterministes, l’approche configurationnelle se présente comme une alternative plus adaptée à la réalité des organisations d’aujourd’hui et à leurs forces internes (Jiang et al., 2012; Martin-Alcazar, Romero-Fernandez et Sanchez-Gardey, 2005). Dans cet article, nous retenons l’approche configurationnelle afin de vérifier s’il existe des regroupements cohérents de pratiques favorisant l’adéquation formation-emploi au sein des entreprises étudiées.

Méthode de recherche

Dans cette section, nous présentons les caractéristiques de l’échantillon, le questionnaire de recherche, la mesure de l’adéquation et les méthodes d’analyse retenues.

Échantillon

Notre échantillon initial était composé de 3 550 petites et moyennes entreprises (PME) québécoises manufacturières, comprenant entre 20 et 499 employés, répertoriées dans le Registre des entreprises du Québec. De ce nombre, 376 entrevues téléphoniques, d’une durée moyenne de 16 minutes, ont été complétées auprès des personnes responsables de la GRH (taux de réponse de 10,6 %) à l’été 2016. Les entreprises sondées provenaient des 17 régions administratives du Québec, dont la moitié comptait entre 20 et 100 employés et dont le tiers était régi par une accréditation syndicale. Pour participer à la recherche, les entreprises devaient répondre qu’elles avaient vécu au moins un changement (aux tâches ou responsabilités des employés, aux processus de production ou technologique) susceptible d’affecter les exigences des postes ou les compétences de la main-d’oeuvre au cours de l’année précédant l’enquête. À ce titre, l’un de nos postulats de départ était à l’effet que la présence d’un changement menaçait le niveau d’adéquation et qu’en réaction, l’organisation initierait des mécanismes internes afin de rétablir l’équilibre.

Questionnaire et collecte de données

En ce qui a trait à l’outil de collecte de données, un questionnaire téléphonique composé de 30 questions a été développé à la suite de la revue de la documentation au sujet des pratiques d’adéquation. Nous souhaitions vérifier si les pratiques identifiées dans la littérature (Tableau 1) avaient été utilisées dans les entreprises au cours des douze mois précédant l’enquête pour favoriser l’appariement formation-emploi. Partant de cette recension, nous avons retenu les 35 pratiques présentées au Tableau 2. Le questionnaire d’enquête était directif et portait également sur les situations d’appariement entre les compétences des employés et celles exigées dans les postes occupés, ainsi que sur les caractéristiques de l’entreprise.

Tableau 2

Distribution en pourcentage des pratiques de GRH et des stratégies de gestion visant l’appariement formation-emploi

Distribution en pourcentage des pratiques de GRH et des stratégies de gestion visant l’appariement formation-emploi

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Dans les entreprises sondées, nous avons recensé une moyenne de 23 pratiques implantées sur un maximum de 35. En général, les entreprises adoptent davantage de pratiques liées à l’organisation du travail (moyenne de 78,7%). Les pratiques de formation suivent avec une moyenne d’adoption de 63,4 %. Les pratiques de dotation sont implantées par 61,6 % des entreprises. Finalement, les pratiques de rémunération sont les moins susceptibles d’être mises en oeuvre (moyenne de 39%).

La mesure de l’adéquation

Au moment de l’enquête, les situations d’adéquation ou d’écart ont été mesurées à partir de la perception des répondants de la présence ou l’absence de ces situations dans leur entreprise au cours des douze derniers mois. Trois variables ont été retenues pour mesurer l’adéquation. Les deux premières réfèrent à l’observation de cas de sous-compétence (où les compétences des employés étaient en dessous des exigences du poste) (n=141) et à l’observation de cas de surcompétence (où les compétences des employés étaient au-dessus des exigences du poste) (n=122). Puisqu’une entreprise peut vivre simultanément plusieurs situations d’adéquation, nous avons alors construit une variable catégorique appelée adéquation parfaite (n=128) qui distingue les entreprises n’ayant observé que des situations d’adéquation (où les compétences des employés étaient parfaitement appariées aux exigences du poste) de toutes les autres entreprises de l’échantillon[1]. Une seule étude recensée utilise en partie cette distinction (Wen et Maani, 2019).

La Figure 2 indique, à l’aide d’un diagramme de Venn, la répartition des entreprises selon les réponses fournies au sujet des situations d’adéquation et d’écart observées. Les résultats montrent que dans 20 % des entreprises, plus d’une situation est observée simultanément : au sein d’une même entreprise, il peut y avoir à la fois des employés en adéquation avec leur poste, des employés surcompétents et des employés sous-compétents.

Figure 2

Situations d’adéquation et d’inadéquation observées

Situations d’adéquation et d’inadéquation observées

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Lorsque les pratiques adoptées et la situation d’adéquation sont croisées, on constate que les entreprises qui vivent seulement l’adéquation parfaite ont recours à moins de pratiques que celles qui vivent des situations d’écart. Les pratiques dont le pourcentage d’adoption varie selon le niveau d’adéquation sont surtout les pratiques de dotation, les entreprises ne vivant que l’adéquation semblant adopter des critères de sélection et recruter un bassin de candidats plus proches des postes à combler et des besoins actuels.

Méthodes d’analyse

Dans le cadre de cet article, nous avons retenu l’analyse des classes latentes (ci-après ACL) avec Mplus 8.2, laquelle est une procédure statistique permettant de classer des individus (ex. personne, organisation, évènement, etc.) dans des sous-groupes (ou classes) homogènes selon leur schéma de réponse (ou patron de réponses) à certaines questions ou indicateurs (ex. implantation de pratiques RH) mesurées au niveau catégoriel (nominal ou ordinal). Dans les analyses ACL, le patron de réponses d’un individu aux indicateurs est expliqué a priori par l’appartenance de cet individu à un sous-groupe (classe latente) que l’analyste tente d’identifier. En d’autres termes, les classes latentes sont inférées à partir des variables observées. Contrairement aux analyses factorielles exploratoires dont la finalité est d’identifier des facteurs latents permettant de réduire le nombre d’indicateurs mesurant un phénomène (approche orientée indicateurs dont la finalité est de regrouper les indicateurs), l’objectif des analyses ACL est d’identifier des sous-groupes parmi l’échantillon à l’étude (approche orientée individus dont la finalité est de regrouper les individus).

Afin de déterminer le nombre de classes latentes, la procédure statistique procède par itération en exécutant successivement différents modèles et en comparant deux à deux les modèles adjacents jusqu’à convergence vers une solution dite optimale, c’est-à-dire une solution présentant les meilleurs indices d’ajustement et pour laquelle l’ajout d’une autre classe n’améliore pas significativement le modèle. Les indices d’ajustement comparatifs utilisés pour évaluer la fiabilité de la classification et sélectionner le modèle le plus parcimonieux incluent : le critère d’information d’Akaike (AIC), le critère d’information baysien (BIC), le BIC ajusté (ABIC). La mesure de l’entropie (entropy) est également utilisée afin d’évaluer la qualité de la classification. À ces indices s’ajoutent les tests du rapport de vraisemblance de Vuong-Lo-Mendell-Rubin et de Lo-Mendell-Rubin pour vérifier si l’ajout d’une classe supplémentaire à un modèle donné améliore statistiquement et significativement l’ajustement du modèle avec l’inclusion d’un profil additionnel. Après l’exploration des classes latentes, la procédure permet également d’interpréter leur signification en se basant sur la probabilité de réponse (ex. oui ou non) des répondants dans chacune des classes identifiées, tout en contrôlant certaines variables. À ces différentes techniques s’ajoute aussi l’analyse de la relation entre l’appartenance à une classe et des variables externes effectuée à l’aide de la régression logistique.

Présentation des résultats

L’analyse ACL est utilisée afin d’explorer l’existence de sous-groupes de répondants qui se différencient dans leur patron de réponse quant à l’implantation (ou non) de l’une ou l’autre des 35 pratiques d’adéquation retenues.

La première étape de l’analyse ACL consiste à déterminer le nombre de classes latentes issues des 35 pratiques d’adéquation en comparant successivement le modèle de base à une classe avec un modèle à deux classes, et ce dernier avec un modèle à trois classes. Les 35 pratiques d’adéquation représentent 35 indicateurs binaires (oui, non) du modèle, soit 235 combinaisons possibles. L’analyse converge vers une solution à deux classes, c’est-à-dire que ce modèle est le plus parcimonieux (AIC = 13 474,192; BIC = 13 751,085; ABIC = 13 525,831) et que le modèle à trois classes n’améliore pas significativement le modèle (les résultats des tests de Vuong-Lo-Mendell-Rubin et de Lo-Mendell-Rubin sont non significatifs à ρ=0,66). En d’autres termes, le modèle à deux classes s’ajuste le mieux aux données avec sa mesure d’entropie de 0,81.

La structure de la solution à deux classes est présentée au Graphique 1. Cette structure révèle des patrons de réponses différents aux 35 pratiques selon que le répondant figure dans le groupe des PME qui sont réceptives à l’implantation des sept pratiques d’adéquation (classe 1; n1=196; 54 % de l’échantillon initial) ou dans le groupe des PME qui y sont réfractaires (classe 2; n2=169; 46 %). À titre d’exemple, la comparaison des deux classes montre que les PME réceptives ont davantage tendance que les PME réfractaires (Pc1 = 88 % vs Pc2 = 48 %; ΔP = 40 %) à répondre « oui » à la question 6, c’est-à-dire que ces membres ont plus tendance à implanter la pratique 6, soit « Investir dans la croissance de la carrière des employés ».

Graphique 1

Probabilité conditionnelle de l’adoption des pratiques selon la classe

Probabilité conditionnelle de l’adoption des pratiques selon la classe

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Le Tableau 3 montre les comparaisons, basées sur le rapport de chances (odds ratio) estimé entre les deux classes au regard de l’implantation (oui, non) des 35 pratiques d’adéquation. L’analyse des rapports de chances révèle que seulement 7 pratiques d’adéquation, parmi les 35, différencient les PME réceptives des PME réfractaires. En d’autres termes, par comparaison aux PME réfractaires, les PME réceptives ont plus tendance à implanter les sept pratiques d’adéquation suivantes : 1- investir dans la croissance de la carrière des employés; 2- offrir des activités de formation formelle; 3- encourager les employés à suivre des activités de formation; 4- planifier les besoins de main-d’oeuvre en termes de compétences; 5- élargir le bassin des candidats en embauchant des personnes avec des compétences générales; 6- élargir le bassin des candidats en embauchant des personnes avec des compétences proches ou adjacentes; 7- développer une culture de formation continue. L’introduction de quatre variables de contrôle (présence d’un syndicat, présence d’un responsable RH, exigence légale de la loi du 1% et taille de la PME) n’a pas perturbé l’appartenance d’une PME à l’une ou l’autre des deux classes (stabilité évaluée à 97%, soit 355/365). En d’autres termes, le fait d’implanter ou ne pas implanter les sept pratiques d’adéquation n’est pas affecté par les variables de contrôle.

Tableau 3

Pratiques permettant de distinguer les deux classes d’entreprises

Pratiques permettant de distinguer les deux classes d’entreprises

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Dans un deuxième temps, nous souhaitions décrire davantage les deux groupes de PME (réceptives et réfractaires) au-delà des 35 indicateurs. Avant de procéder, nous avons d’abord vérifié la puissance statistique. Selon Dziak, Lanza et Tan (2014), pour un coefficient Cohen’s w = 0,35, la taille minimale de l’échantillon pour un modèle de sept pratiques d’adéquation, deux classes et une taille d’effet de ,80 doit être de 183 (22/,35*,35 = 183). Compte tenu de la taille de notre échantillon, N=376, nous considérons qu’il y a assez de puissance statistique pour poursuivre nos analyses.

Par la suite, nous avons introduit trois variables reflétant le niveau d’adéquation dans le modèle : la variable sous-compétence, la variable surcompétence et la variable adéquation. L’introduction de ces trois variables n’a aucunement affecté la classification des répondants dans l’une ou l’autre des deux classes identifiées durant l’étape d’exploration des classes, ce qui témoigne de la stabilité du modèle à deux classes. L’analyse de la régression logistique, dont les résultats apparaissent au Tableau 4, a été utilisée afin d’évaluer la relation entre les niveaux d’adéquation formation-emploi et l’appartenance à une classe. Le groupe des PME réfractaires est utilisée comme groupe de référence et les probabilités de répondre « non » à la présence de cas de sous-compétence, de répondre « non » à la présence de cas de surcompétence et de répondre « oui » à la présence de cas parfaitement appariés, sont estimées. Les résultats des analyses révèlent que la présence d’écart est accompagnée par un engagement actif dans l’implantation des sept pratiques d’adéquation. Plus spécifiquement, les PME réfractaires ont 1,64 fois plus tendance que les PME réceptives à répondre « non » à la présence de cas de sous-compétence, 1,79 fois plus tendance à répondre « non » à la présence de cas de surcompétence, et 1,61 fois plus tendance de répondre « oui » à la présence de cas parfaitement appariés. En d’autres termes, chez les PME réceptives, il y a une sorte de corroboration entre la présence de cas d’écart et l’implantation des sept pratiques visant l’adéquation. Ces résultats témoignent que l’engagement actif des PME réceptives dans l’implantation de sept pratiques d’adéquation est légitimé par la présence de situations d’écart. Pour les PME réfractaires, l’absence d’écart réduit la probabilité d’implanter les sept pratiques d’adéquation. En somme, il semble que ces sept pratiques soient motivées par la présence d’écart et visent l’adéquation.

Tableau 4

Résultats de la régression logistique comparant les deux groupes de PME (avec les PME réceptives comme groupe de référence)

Résultats de la régression logistique comparant les deux groupes de PME (avec les PME réceptives comme groupe de référence)

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Discussion et conclusion

Comme nous l’avons indiqué, l’adéquation formation-emploi est un idéal loin d’être atteint, tant d’un point de vue sociétal, organisationnel qu’individuel, qui mérite que l’on s’y intéresse. Cet enjeu est d’abord pertinent économiquement pour assurer un meilleur appariement entre les compétences des employés et les exigences des emplois au sein des entreprises dans lesquelles ils oeuvrent, et de ce fait, éviter des pertes de productivité et une augmentation des coûts sociaux (Quintini, 2011). Il est aussi d’intérêt social puisque l’existence d’écarts peut entraîner l’insatisfaction et la démotivation des travailleurs (OCDE, 2011). La recherche de solutions durables est pressante et pourtant peu d’études s’intéressent aux pratiques réellement mises en oeuvre et aux stratégies déployées au sein des entreprises pour faciliter l’adéquation.

Notre article visait, dans un premier temps, la clarification du concept d’adéquation entre la formation et l’emploi qui est loin d’être univoque. Ensuite, nous souhaitions, dans un deuxième temps, identifier les pratiques de GRH favorisant l’adéquation entre les compétences des employés et les postes occupés. Dans cette dernière section, nous présentons des éléments de réflexion et de pistes d’action pour les entreprises.

Conformément à notre premier objectif, nous avons proposé une définition de l’adéquation formation-emploi, puis présenté un modèle conceptuel qui distingue trois situations d’écart. Les écrits portant sur les écarts de qualifications sont relativement nombreux, sa mesure étant facilitée par les données des enquêtes gouvernementales. La question de la pénurie de main-d’oeuvre est très largement discutée et tant les autorités publiques que les associations d’employeurs et les entreprises elles-mêmes rivalisent de créativité pour y faire face. Les préoccupations à l’égard de l’utilisation des compétences en emploi susceptible d’engendrer la surcompétence ou la sous-compétence sont moins visibles, mais elles demeurent réelles, entre autres pour les entreprises aux prises avec des changements, que ce soit au niveau des postes de travail, des processus de production ou des technologies. Pour faire face à ce type d’écart qui peut engendrer une importante perte de satisfaction, de motivation, de productivité pour les travailleurs et les entreprises (Sloane, 2014), la littérature a permis de dégager un grand nombre de pratiques que nous avons recensées.

Pour répondre à notre second objectif, nous avons répertorié les pratiques utilisées par les entreprises grâce à une enquête téléphonique. À l’aide des techniques d’analyse des classes latentes, nous avons pu déterminer que seulement sept pratiques parmi 35 forment un bouquet cohérent permettant de classer les répondants en deux classes distinctes : les PME réceptives (caractérisées par une forte probabilité d’implanter les sept pratiques d’adéquation) et les PME réfractaires (caractérisées par une faible probabilité d’implanter les sept pratiques). Il semble que des constats d’écart encouragent les entreprises à s’engager dans un effort de recherche de l’adéquation par l’implantation de sept pratiques.

Parmi ces pratiques, quatre visent l’adaptation des travailleurs à leur poste ou emploi par le biais de la formation et trois sont plutôt associées à la dotation en personnel. Elles réfèrent toutes directement à la première catégorie inspirée de Furnham (2001) quant aux pratiques visant l’ajustement de la personne à son environnement. Aucune pratique visant à modifier l’environnement ou le travail ne semble distinguer les deux classes de PME dans une perspective configurationnelle.

En ce qui a trait aux pratiques associées au développement des compétences, le développement d’une culture de formation continue, dans laquelle les travailleurs sont incités à apprendre et à se développer, dépasse le seul encouragement à suivre des activités de formation et il peut, aussi inclure des mécanismes de partage des connaissances et de gestion des carrières. Sans surprise, l’offre de formation formelle est associée à une plus grande adéquation, mais pour ce faire, elle doit être également associée aux autres pratiques de GRH du bouquet. Quant aux pratiques associées à la dotation, on retrouve l’exercice de planification des ressources humaines basée sur les compétences, puis l’élargissement des bassins de recrutement de manière à pouvoir sélectionner des candidats qui détiennent des compétences générales ou des compétences transversales (aussi appelées proches ou adjacentes). Ces pratiques sont alignées aux transformations des environnements de travail où l’adaptation des travailleurs passe par leurs compétences actuelles et futures.

Les résultats obtenus suggèrent certaines pistes de réflexions et d’actions pour les dirigeants et les responsables des ressources humaines des PME. Tout d’abord, l’adéquation formation-emploi et l’utilisation efficace des compétences des travailleurs dans leur travail sont tributaires de la présence d’une chaine de pratiques, à la fois cohérentes et complémentaires, puisant d’abord dans le marché du travail (recrutement axé sur la compétence) et proposant un cycle professionnel axé sur la formation et la mobilité. Dès lors, les entreprises devraient opter en priorité pour cet ensemble de pratiques. D’ailleurs, il est pertinent de relever que la formation formelle n’est pas la seule ou la meilleure solution à toutes les situations : celle-ci doit s’accompagner d’une culture de formation continue, dans laquelle la formation sous toutes ses formes et le développement de carrière sont encouragés. De plus, l’adoption de pratiques de dotation est clé. La littérature a révélé que certaines solutions connues pour réduire les écarts ne sont pas mises en place, telles que le choix des bassins de recrutement et des compétences utilisées pour sélectionner les candidats. Retenons de nos résultats que les interventions favorisant l’adéquation formation-emploi peuvent avoir lieu à différents moments dans les milieux de travail et que l’adéquation entre les compétences et les exigences des postes est une question de planification et de cohérence.

Notre étude est novatrice en ce sens qu’elle permet de clarifier le concept d’adéquation formation-emploi et qu’elle est la première, à notre connaissance, à répertorier un ensemble de pratiques d’adéquation cohérentes et complémentaires mises en oeuvre dans les PME québécoises. Elle permet aussi de dépasser la perspective universaliste que d’autres ont étudiée en identifiant un ensemble cohérent de pratiques distinguant les entreprises vivant une situation d’adéquation de celles aux prises avec des écarts. De plus, notre étude valorise aussi des techniques d’analyses statistiques novatrices permettant de répondre à de nouvelles questions de recherche.

Notre étude n’est néanmoins pas sans limites. Une première limite concerne l’utilisation d’un devis transversal limitant la reconstruction de la chaine de causalité entre les situations d’adéquation et d’écart et la présence de pratiques. En effet, la réalisation d’études longitudinales permettrait d’analyser des trajectoires de transitions (écart vers adéquation ou adéquation vers écart), ainsi que leurs déterminants et leurs conséquences. Une seconde limite porte sur le contenu du questionnaire développé. Ce dernier a été développé a priori à la suite de la recension des écrits scientifiques et de la documentation professionnelle, et il ne permettait pas aux répondants d’ajouter des pratiques. Néanmoins, lors de la réalisation d’entrevues semi-dirigées avec des intervenants de huit PME québécoises, nous avons relevé d’autres pratiques qui ont été mises en oeuvre pour favoriser, à l’avis des répondants, l’adéquation, notamment le développement de référentiels de compétences ou d’un plan de formation, le compagnonnage, le jumelage, l’évolution graduelle des tâches et la nomination d’un coordonnateur à la formation. Ces pratiques recensées a posteriori, à l’aide d’une grille d’entrevue, pourraient s’intégrer à une nouvelle enquête afin de valider leur pertinence à plus grande échelle, leur effet sur la problématique de l’adéquation formation-emploi et leur cohérence avec les sept pratiques identifiées dans la présente étude.

Une troisième limite porte sur la composition de notre échantillon initial; celui-ci comprenait uniquement des PME québécoises du secteur manufacturier, lesquelles n’étaient pas nécessairement représentatives de l’ensemble du secteur. Il serait donc opportun dans des travaux futurs de varier les populations sondées pour favoriser la généralisation des résultats.

Enfin, d’autres avenues de recherche seraient pertinentes à approfondir telle que l’étude des déterminants organisationnels pour tenter de comprendre si les pratiques mises en place sont différentes en fonction des caractéristiques des organisations étudiées et des stratégies générales qu’elles mettent en oeuvre. Il pourrait également être intéressant de vérifier si les pratiques visant l’adéquation permettent d’atteindre les objectifs organisationnels et d’en évaluer les retombées.