Corps de l’article

Introduction

L’intimité est associée à la création d’un espace personnel protégé bâti dans le secret ou d’un espace partagé d’attachement affectif, de proximité et de dévoilement personnel entre individus. L’étymologie latine du terme invite à penser à « ce qui est le plus en dedans », dans une intériorité donnée. Au fil du temps, cette acception superlative s’étend à la sémantique de la profondeur des rapports qui « unissent » des choses ou des personnes, et, par extension, à celle de la confiance, du secret et de l’« à part », voire du caché. L’intimité sera marquée par une relative mise à distance d’autrui – de ces autres qui ne participent pas du « je » ou du « nous », du territoire de l’intime spécifique créé (Neuburger, 2000). Cette idée de la délimitation des frontières du couple et de la construction d’une intimité familiale traverse la sociologie de la famille du XXe siècle (Asquer et Odasso, 2020). Dans la construction de la vie privée, l’intimité demande un travail de frontières qui dépend d’un certain nombre d’autres frontières, voire empiète sur elles (Jamieson, 2005 : 190). Dans la postmodernité, cette intimité semble définir des relations de couple, sexuellement et émotionnellement égalitaires, qui reposent sur un amour confluent ayant pour but la satisfaction des partenaires et qui tiennent à la préservation de leur individualité (Giddens, 1992). Toutefois, ce territoire intime ne semble pas se construire sans être traversé par des inégalités, notamment en matière de rapports de genre (Jamieson, 1999). Selon Illouz (2012), par exemple, dans la société capitaliste avancée, l’intimité — notamment hétérosexuelle — se crée sur des dynamiques contradictoires : les aspirations de l’amour romantique (toujours d’actualité) et le consumérisme, aussi affectif. Ce qui semble avoir davantage de conséquences néfastes pour les femmes. En outre, selon de Singly (2003), le besoin de sécurité ontologique de l’individu moderne ne le conduit pas vers une « relation pure », mais plutôt vers une relation où coexistent fusion et autonomie entre les partenaires. Le processus d’individualisation et la construction d’une vie de couple commune s’avèrent, ainsi, une recherche d’équilibre entre la protection de l’intimité personnelle et l’intimité conjugale. Le calibrage de cet équilibre est soumis à des logiques sociétales et institutionnelles, ainsi qu’aux ressources contextuelles, auxquelles les affects (Clough et Halley, 2007) et les besoins psycho-émotionnels (désirs, capacités, dispositions) des individus (Layder, 2009 : 36) ajoutent de l’instabilité. Or, l’intimité n’est pas seulement un espace privé, elle existe aussi dans l’espace public. Cette interaction public/privé définit de multiples formes de relations humaines et agit comme une couche de médiation entre le « je », voire le « nous » du couple, et le monde (Berlant, 1998). De fait, cette sphère publique intime délimite des formes de relation et des subjectivités lisibles, viables, légales, voire réelles, en fonction des espaces sociaux, familiaux, nationaux, et cetera (Berlant, 1998).

Dans la continuité de ces réflexions, cette contribution s’attache à comprendre la définition et la redéfinition des frontières de l’intimité des couples binationaux hétérosexuels — formés par un partenaire national et un étranger non européen — dans la transition vers l’institutionnalisation de leur union et l’obtention du droit de séjour pour le partenaire étranger. À l’aide des données issues d’une enquête ethnographique et par collecte de récits de vie, conduite en France et en Belgique, auprès de cette typologie de couple, il s’agira de relever les contraintes qui découlent du croisement des frontières institutionnelles et des frontières intimes — personnelles et conjugales — dans la rencontre entre les membres de ces couples et le dispositif d’immigration.

Nous interrogeons comment les interactions se déroulent dans un jeu de frontières entre la mise en scène de l’intimité dans les performances administratives publiques et leur « backstage » privé (Goffman, 2013 [1963]), en fonction des attentes étatiques et des attentes personnelles et/ou conjugales. L’imbrication de ces facettes privées/publiques de la réalité du couple binational permet de saisir le travail qu’il accomplit pour générer, maintenir, modifier ou dissoudre les frontières de son intimité.

Pour éclairer ce propos, nous inscrivons d’abord notre réflexion dans un cadre théorique à la croisée de la sociologie de la mixité conjugale, de la citoyenneté intime et du contrôle des familles en migration. Puis, nous esquissons les aspects normatifs et pratiques de ce contrôle adressés aux couples binationaux en Belgique et en France. Ensuite, nous exposons les méthodes d’enquête utilisées pour saisir les effets de ce contrôle sur les couples belgo-étrangers et franco-étrangers, ainsi que les mesures éthiques prises à leur égard. Dans la présentation des résultats, des modalités — non exclusives — d’intimités repérées dans les deux terrains étudiés seront décrites à l’aide de cas paradigmatiques de couples. L’analyse des récits de couples permet d’appréhender le travail effectué par les partenaires en marge de la rencontre avec le dispositif d’immigration, et de comprendre, par ricochet, les effets du dispositif sur la définition et la redéfinition de leur intimité. De l’étude de ce travail se dégage une sociologie intime des relations privées (personnelles et conjugales/familiales) et publiques (avec l’État et ses instances).

Des frontières des intimités binationales aux frontières intimes de la nation

L’étude de l’intimité des couples binationaux a ouvert la voie à une sociologie de la mixité conjugale (Therrien et Le Gall, 2012 ; Varro, 2003). Cette dernière s’est penchée d’abord sur le travail effectué par les conjoints pour bâtir une « convivialité intime […] au sein d’une pluralité de langues, cultures et, souvent, religions » (Le Gall et Meintel, 2015), pour inventer des cultures conjugales intimes nouvelles dans leurs foyers mixtes (Breger et Hill, 1998 ; Debroise, 1998), et pour négocier des frontières symboliques définies par les représentations conflictuelles de leurs appartenances religieuses (Cerchiaro, 2016). En faisant varier les échelles d’analyse, d’autres travaux ont montré que les frontières conjugales sont travaillées également en fonction de pressions et de stigmatisations, sociétales et institutionnelles, qui touchent les couples de première génération (Odasso, 2016) et les descendants de migrants en couple binational, mais homogame (Laffort, 2004 ; Collet et Santelli, 2012). Plus récemment, les études sur la mondialisation du marché matrimonial éclairent les mécanismes de construction d’intimités transnationales et suggèrent que la frontière est labile entre la migration des travailleuses du care et celle d’épouses (Lévy, 2019 ; Le Bail et al., 2018). Ce faisant, ces travaux font dialoguer les logiques migratoires et matrimoniales au travers de l’articulation du travail reproductif (Kofman, 2012 ; Nakano Glenn, 1992) et du « travail de l’intimité », un travail émotionnel et affectif de soin au sens large (Boris et Parreñas, 2010 : 4-6).

Or, la politisation renouvelée de la migration par mariage et ses conséquences ont conduit à reconsidérer le rôle de l’État et de l’action publique dans la gestion de ces unions. Leur étude permet ainsi d’appréhender les « frontières intimes de la nation » (Bonizzoni, 2018). De fait, les unions binationales occupent une place importante dans le discours sur la reproduction de la nation, et l’identité socio-politique et l’appartenance de ses citoyens (Turner, 2008). Pour cette raison, elles sont suivies de près par les États, tout comme la concession des droits qui découlent de ces unions (Odasso, 2018a ; Fresnoza-Flot et Ricordeau, 2017). Ce procédé, qui s’apparente à la surveillance de la sexualité et de l’intimité en place à l’époque coloniale (Stoler, 2013), suggère que l’entreprise de contrôle des corps, des choix intimes et affectifs des individus et de construction des appartenances soit encore d’actualité (Van Walsum 2008 ; de Hart 2014). En choisissant qui mérite l’accession à la nation et la préservation de ses attaches familiales, les politiques d’immigration adressées aux couples binationaux réifient des formes « traditionnelles » de « faire famille » (Strasser et al., 2009), « en inadéquation avec les évolutions contemporaines de la famille » (Sarolea et Merla, 2020 : 25), et préfigurent le profil du « bon » citoyen qui se développera au sein de celles-ci (Bonjour et de Hart, 2013). Le dispositif d’immigration semble moins accorder un droit subjectif au séjour pour vie privée et familiale que choisir quel individu le mérite sur la base de sa carrière migratoire et du décryptage de sa vie intime, qui s’opère par un travail législatif et administratif en œuvre tant sur le territoire national (par ex. Lavanchy, 2013 ; Maskens, 2015) que dans les consulats à l’étranger (Satzewich, 2015 ; Infantino, 2014). Ce travail et ses effets attestent de la transposition des frontières étatiques dans la sphère intime (Maskens 2013) par des pratiques discrétionnaires, racisées (Lavanchy, 2013), paternalistes et genrées (Charsley et Wray, 2015 ; Odasso, 2018b) et par des conceptions normatives homogames (Salcedo Robledo, 2013). Comme il s’agit d’un travail émotionnel qui touche l’intime, il nécessite l’usage de « technologies de l’amour » pour saisir la véracité de liens familiaux, de « pratiques de gouvernance qui relient l’intimité à la citoyenneté et participent du contrôle des mobilités » (D’Aoust, 2013 : 249 et 271). Ce faisant, au-delà de l’objectif affiché d’identifier les unions forcées et de complaisance, les agents de l’État établissent des « hiérarchies informelles de désirabilité » à l’intersection de leurs classe, « race », genre, et cetera (Scheel et Gutekunst, 2019 : 858).

Le franchissement des frontières nationales, et des frontières administratives pour les individus déjà sur le territoire, implique le franchissement de l’intime par l’État (Maskens, 2013). Ce procédé s’inscrit dans un régime de moralité au sein de l’action publique (Fernandez, 2013), fondé sur la manipulation et l’évaluation de l’amour et de la romance par les représentants de l’État (D’Aoust, 2017). Si la liberté du choix affectif et la coïncidence entre mariage et amour conjugal façonnent les intimités (Luhmann, 1986 [1982] : 146), la loi d’immigration, sa mise en œuvre et les discours qui l’entourent contraignent les individualités et la formation d’intimités binationales capables de répondre aux injonctions administratives. La traversée des frontières administratives se joue, en fait, autour de la capacité des futurs conjoints de se réapproprier les critères administratifs (Geoffrion, 2018) et, concrètement, de fournir aux agents des preuves de leur relation et vie commune conformes aux normes de droit et à l’infradroit administratif (Mascia et Odasso, 2015).

Cette exigence de prouver la matérialité des liens familiaux et de mobiliser l’intimité lors de la rencontre avec le dispositif d’immigration représente de manière emblématique la surveillance que l’État exerce sur les étrangers et sur ses citoyens par le contrôle de la famille binationale. Pour les membres des couples, ce mécanisme de « gouvernementalité par la famille » (Martin, 2012) conduit à l’élaboration d’une « citoyenneté intime » (Plummer, 2003 ; 2001 ; Bonjour et de Hart, 2020). Cette notion place les questions de genre, le faire famille, l’autonomie sexuelle et reproductive au cœur des frontières de la citoyenneté (Richardson et Turner, 2001), qui est ici entendue comme pratique incarnée et performative (Odasso, 2020). Elle relie la pluralité des discours publics, qui se développent au sujet de la manière de vivre l’intimité binationale, et les choix des membres des couples qui, confrontés à ces discours, doivent bâtir leurs intimités personnelles et conjugales tout en étant pris dans des mécanismes performatifs activés par les interactions avec l’État. Une forme de citoyenneté intime apparaît en filigrane au travers de l’agir de ces couples qui prennent conscience des limitations à leur droit de construire l’intimité conjugale qu’ils désirent. Les formalités administratives peuvent, en fait, devenir une « bataille, où s’affrontent le sacré — l’amour — et le profane – la bureaucratie » (Geoffrion, 2017 : 15). Ici, aux frontières poreuses entre sphères publique et privée, s’amorcent des redéfinitions intimes. D’une part, le couple se présente face à l’État comme « une seule chose » et, d’autre part, dans un processus d’« individualisme relationnel » (de Singly, 2003 : 82) accru, se perçoit et se construit dans un équilibre fragile et mouvant entre relation avec un autrui significatif et autonomie.

Spécificités du dispositif de contrôle des unions binationales en France et en Belgique

Si la sociologie de la famille observe un déclin de l’institution du mariage en faveur d’unions libres et des concubinages (Belleau, 2011 ; de Singly, 2003 : 89), lorsqu’on étudie la famille en migration la situation est bien différente. En France et en Belgique, les unions libres ne produisent presqu’aucun effet légal en matière d’immigration pour les couples binationaux. Les affects et l’impact de la précarité administrative engendrée par les régimes migratoires de ces dernières décennies (Dauvergne, 2008) motivent alors les partenaires à institutionnaliser leur union sous forme de mariage ou de cohabitation légale (en Belgique) ou de pacte civil de solidarité (PACS, en France) et, par conséquent, à rentrer dans les formalités administratives civiles et d’immigration. Le travail bureaucratique qui caractérise ces formalités traduit une certaine pensée étatique de la conjugalité binationale.

En France et en Belgique, le contrôle des unions binationales peut débuter au moment de la demande de mariage ou de cohabitation légale/PACS auprès de l’État civil de la mairie. Mais il se prolonge aussi dans la période suivante, l’union institutionnalisée étant une condition nécessaire, mais n’exerçant désormais plus aucun effet direct sur le droit au séjour du partenaire étranger et sur son acquisition de nationalité. Dans la première étape administrative, des caractéristiques du couple peuvent déclencher la suspicion des agents de l’État civil. Parmi celles-ci, dans nos recherches, nous avons remarqué en particulier le statut administratif (irrégulier ou précaire) et la carrière migratoire du partenaire étranger et, pour ce qui concerne les deux partenaires, l’origine nationale, le genre, l’âge et la classe sociale. Si le couple est suspect, les deux partenaires seront interrogés souvent séparément. Si des doutes sur la véracité persistent, le dossier du couple est transmis au procureur et examiné par la police par une enquête plus poussée et des visites domiciliaires qui laissent souvent la place à des abus de pouvoir et des échanges désagréables entre partenaires et agents.

Une fois l’union conclue, les partenaires entament généralement l’étape administrative qui permet au conjoint étranger d’obtenir un titre de séjour pour raisons familiales. Tout d’abord, ils déposent auprès de l’autorité nationale compétente un dossier constitué des documents administratifs et privés au nom des deux conjoints. En Belgique, depuis 2011, une condition de « revenus stables, réguliers et suffisants équivalents à 120 % du revenu d’intégration sociale[1] » s’impose au conjoint belge désirant ouvrir le séjour à un étranger. De plus, le Belge doit remplir cette condition pendant les cinq ans suivant la première demande de titre de séjour de son conjoint. Durant cette période, des contrôles croisés entre administrations et organismes de sécurité sociale peuvent être effectués. En cas de diminution des revenus du conjoint national et de recours à l’aide sociale, le conjoint étranger peut perdre le titre de séjour. Les revenus de ce dernier ne sont pas considérés : cette exigence économique incombe sur le national et génère des inégalités au sein du ménage. Aucune condition de revenu n’existe en France, bien que les préfectures — autorités responsables pour la délivrance du séjour — peuvent depuis 2016 accéder à des données de l’administration fiscale, des organismes de sécurité sociale, des fournisseurs d’énergie et des services des télécommunications et effectuer des contrôles croisés des déclarations des conjoints[2].

Si le titre de séjour du conjoint étranger est délivré une première fois, la non-rupture du lien conjugal — « communauté de vie tant affective que matérielle » (cf. code civil français, art. 21-2) — est obligatoire pour son maintien. Concrètement, le couple ne doit pas se séparer pendant un certain nombre d’années, sous peine de la perte du droit au séjour de l’étranger. Cette période, qui n’a fait qu’augmenter au fil des dernières années, dure quatre ans en France, et cinq en Belgique. Ensuite, l’étranger obtient un titre de séjour indépendant de son lien matrimonial et peut introduire une demande de nationalité par mariage. Avant ce moment, les contrôles administratifs se poursuivent. Les refus administratifs peuvent être contestés, mais, pour ce faire, les couples doivent demander l’aide d’experts légaux dont l’avis et l’action occasionnent des frais parfois élevés. Ceux qui ne peuvent pas se permettre de payer un avocat s’adressent aux avocats de l’aide juridictionnelle ou aux associations. De fait, pour appréhender la sincérité du couple, le dispositif d’immigration se fonde sur des paradigmes d’union à long terme, d’avenir conjugal planifié et de compatibilité entre conjoints, mais opère indirectement une sélection aussi sur la base du capital économique et social des couples.

Récits des partenaires et observations : une enquête ethnographique 

Cet article se fonde sur le matériau empirique collecté pendant une ethnographie multisituée (Marcus, 1995) conduite entre 2010 et 2017 en France et entre 2014 et 2016 en Belgique. Elle s’est étalée sur trois projets de recherches portant sur les représentations sociales des couples binationaux, et mixtes, et sur leurs expériences administratives (formalisation de l’union, demande d’un titre de séjour et de la nationalité pour le conjoint étranger). Les enquêtes ont été conduites dans les communes de la région de Bruxelles-Capitale en Belgique et dans les communautés urbaines de Strasbourg et Marseille en France, afin de considérer les variations locales propres à la gestion migratoire[3].

Pour éclairer le côté subjectif, des interactions entre le couple et l’État, l’immersion ethnographique et la collecte d’histoires de vie se sont révélées appropriées (Becker, 1986).

D’une part, nous avons effectué des observations participantes dans cinq associations par pays et accompagné des couples pendant les procédures. Nous avons conduit des entretiens avec des acteurs institutionnels et non institutionnels qui rencontrent les couples, notamment des avocats (10), des policiers (10), des agents de l’État civil (10), des assistants sociaux (10) et des bénévoles (30) qui défendent les droits des migrants et des couples binationaux. En plus, des « participations observantes » (Tedlock, 1991) ont été menées, dans chacun des deux pays, dans une association, structurée et reconnue dans la défense de droit des étrangers et dans un groupe plus informel de défense des droits des couples binationaux.

D’autre part, nous avons interrogé séparément les deux partenaires des couples ayant accepté de nous livrer leurs récits et, lorsque c’était possible, rencontré les deux partenaires ensemble. Trois entrées nous ont permis de recruter les couples : les observations au sein des associations et les rencontres avec les acteurs non institutionnels mentionnés, les commerces ethniques des villes ainsi que le bouche-à-oreille dans notre institut de recherche. Nous avons, ensuite, élargi notre population par la méthode de recrutement dite par « boule de neige ». Ces entrées nous ont permis d’approcher une centaine des couples appartenant à des groupes sociaux assez divers quant à leur capital culturel et social. Les récits ont surtout été conduits au domicile des répondants, plus rarement chez nous ou à notre bureau, afin de prendre le temps nécessaire, dans un cadre calme et agréable, à la mise en confiance et à l’interaction. Des récits ont également été collectés dans les locaux associatifs ou dans des cafés. La majorité a été enregistrée et l’échange a été accompagné d’une prise de notes.

Les partenaires, dont l’âge de la plupart se situe dans la trentaine et la quarantaine, présentent un profil socio-économique intermédiaire, rarement bas. Le partenaire national a un niveau d’éducation et un capital économique et social plus élevé par rapport à l’étranger. Cette « hypogamie » dans la structure du couple — la conjointe étant « d’un rang social plus élevé que celui de son conjoint » (Kaufmann, 1999) — s’associe au fait que les deux tiers des conjointes interrogées sont des citoyennes nationales en couple avec un ressortissant étranger. Ces conjoints étrangers proviennent d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient[4]. Notre enquête se concentrait, en fait, sur ces provenances géographiques ; l’objectif initial étant de croiser diverses échelles de la binationalité et de la mixité conjugale. Ce choix puisait ses sources dans la place importante que ces ressortissants nationaux occupaient dans les chiffres sur les unions et le séjour[5] et, par ricochet, dans les discours politico-médiatiques concernant les mariages binationaux. Souvent alarmants, ces discours décrivent ces unions comme étant : une forme spécifique de migration ou de régularisation administrative pour des individus n’ayant pas accès au territoire et au séjour pour d’autres raisons ; une nouvelle chaîne migratoire ; une forme de repli identitaire d’immigrés établis ayant des pratiques matrimoniales binationales, mais ethniquement homogames ; ou, encore, des dynamiques matrimoniales qui mettraient en danger l’émancipation des femmes nationales et la reproduction de la nation. Au vu de ces propos ambiants, cette délimitation de l’échantillon permettait d’articuler plusieurs aspects de la stigmatisation socio-institutionnelle touchant ces couples en relation à l’ethnicité, l’affiliation religieuse et l’appartenance nationale, voire d’autres marqueurs d’altérité du partenaire migrant (Odasso, 2016).

Il en résulte que notre échantillon est assez représentatif des réalités du « marché » matrimonial. Parmi les ressortissants considérés, pour des raisons religieuses, culturelles et structurelles à leur migration, les hommes se marient davantage hors du groupe national (Insee, 2017 ; Myria, 2015). Dans la section qui suit, nous avons donc opté pour focaliser la présentation des résultats sur cette configuration conjugale prépondérante dans notre échantillon (homme étranger et femme nationale). Elle interroge des a priori et des asymétries genrés liés à l’intimité conjugale mixte et binationale (Collet, 2010), aux rôles familiaux et aux rapports de pouvoir entre partenaires ; par ailleurs, repris dans les pratiques de contrôle du dispositif d’immigration — comme nous l’avons déjà mentionné dans le cadre théorique. En outre, dans la période étudiée, les couples sont confrontés à quelques changements législatifs, mais la matrice du dispositif de contrôle est désormais en place. Les pratiques des administrations de l’immigration sont assez récurrentes et similaires dans les deux pays et rapprochent davantage les pratiques des couples, au-delà de certaines différences dans la loi.

Par les récits de vie des partenaires, nous avons collecté des « fragments sociohistoriques » (Bertaux, 2013) significatifs permettant de dégager des dynamiques sociales plus générales et de relier les échelles d’analyse. Cette méthode permet de saisir l’influence des structures sociales sur les trajectoires individuelles, la manière dont la société structure les biographies, et de comprendre comment les individus agissent et réagissent face aux structures qui les englobent. À l’aide de la méthode de l’« évaluation biographique des politiques » (Apitzsch et al. 2008), les époux sont invités à apprécier les effets des politiques migratoires sur leur vie personnelle et familiale. Informations biographiques, plans et tactiques personnels et de couple constituent un matériau unique pour comprendre les mécanismes sociaux qui sous-tendent les changements des frontières intimes d’une dyade d’individus soumis aux contraintes administratives.

Notre enquête multisituée s’est alimentée, en outre, de l’analyse de documents légaux et politiques (par ex. : documents européens, textes de loi nationaux, documents parlementaires), le suivi des discours médiatiques et politiques (par ex. : articles de presse, auditions parlementaires, communiqués de presse, reportage, reports, campagnes de sensibilisation, films, podcasts radio) et un travail de cartographie du réseau d’acteurs non institutionnels et institutionnels en contact avec les couples.

L’intense participation sur le terrain a demandé un travail de détachement lors de l’analyse de notes et des récits. Participation et distanciation nous ont permis d’avoir une vision à la fois complète et critique du phénomène étudié (Heyman, 2011).

Des mesures éthiques étaient prévues ; en amont des enquêtes, les projets de recherche ont été soumis à l’évaluation d’un comité éthique. Puis, des documents informatifs et de consentement à la participation ont été fournis aux répondants afin de leur expliquer l’enquête et leur apport, ainsi que d’avoir leur accord pour l’usage des données. Une fois leurs récits de vie collectés, nous avons rendu l’enregistrement ou la retranscription aux répondants intéressés. Certains parmi eux n’ont pas souhaité maintenir l’anonymat — comme les couples des cas présentés ci-après — en voyant dans leur participation un témoignage civique, un acte de citoyenneté intime. Cependant, noms et prénoms des partenaires ont été toujours changés et les informations permettant de situer et contextualiser le couple aussi, afin de réduire leur identification. Une attention particulière a été portée aux couples pour qui les démarches administratives de séjour étaient encore en cours.

Des intimités en construction et en transformation

La construction d’une intimité de couple est associée à la recherche d’une satisfaction réciproque des besoins entre partenaires. Gozzoli et Regalia (2005) proposent la notion de « pactes motivationnels » pour intégrer ces bénéfices attendus par les partenaires aux aspects affectifs et à la recherche d’équilibre entre intimité personnelle et conjugale dans la construction du couple binational. Il existerait trois typologies de « pactes ». Les pactes de « convenance », où le lien sera plutôt instrumental et visera, sans une participation émotive excessive, à l’obtention d’objectifs individuels spécifiques ; les pactes « consolatoires », où le lien affectif est la réponse à la solitude et à la marginalité sociale et émotionnelle, et les pactes « intégratifs », où, par des liens nouveaux, les partenaires, qui ont déjà une reconnaissance individuelle et sociale, élargissent leur réalité sociale et leurs expériences.

Dans les couples binationaux, les partenaires occupent une position sociale et disposent de ressources différentes, d’abord, en raison du fait que l’un des deux appartient au groupe majoritaire. Il est citoyen du pays de résidence, où les procédures administratives se déroulent. Cette asymétrie infiltre l’intimité des partenaires et l’interaction avec l’État. Nous pourrions supposer que le partenaire national possède une légitimité majeure vis-à-vis du dispositif d’immigration de l’État dont il est citoyen. Or, la situation est plus compliquée.

Sur notre terrain, nous avons remarqué que les partenaires étrangers connaissent déjà des aspects du dispositif d’immigration du fait de leur carrière migratoire et du capital d’« expérience biographique » acquis (Delcroix, 2007 : 114). Au contraire, dans la quasi-totalité des cas, la partenaire nationale les découvre une fois les procédures commencées. Elle est souvent l’initiatrice de l’entrée dans les parcours administratifs. Cette demande auprès du compagnon étranger se généralise dans notre échantillon lorsque ce dernier est irrégulier, car elle vise à surmonter sa précarité administrative et à envisager une vie de couple stable. Une réticence du conjoint peut être lue dans une double perspective : administrative d’abord, car il estime connaître le risque potentiel des procédures, et affective ensuite, car il risque de décevoir sa partenaire et de mettre à mal l’intimité du couple. Ce procédé, qui mêle motifs administratifs et affectifs, amène les couples au cœur du dispositif d’immigration et nous dévoile une première modalité de transformation de l’intimité des couples, que nous avons appelée « à deux vitesses ». Cette dernière est transversale aux couples de notre échantillon, et se construit sur l’asymétrie entre partenaires en matière d’expertise migratoire et d’enjeux subjectifs en amont de la construction de l’intimité conjugale.

À l’aide de trois cas exemplaires de couples, nous allons présenter trois autres modalités non exhaustives de transformations de l’intimité, en relation à la traversée des frontières administratives, identifiées dans notre échantillon : « résilientes », « en échange » et « en éclats ». Au-delà de leur singularité narrative (Passeron et Revel, 2005), ces cas paradigmatiques choisis réunissent des dynamiques récurrentes dans les couples interrogés. La présentation des portraits complets des couples permet d’identifier davantage comment, au fil du temps, le parcours administratif empiète sur les frontières de leur intimité.

Intimités résilientes

En Belgique, en 2010, Anne et Mor sont bénévoles dans une association de soutien aux demandeurs d’asile. Amis, ils commencent à se fréquenter et, deux ans plus tard, ils se déclarent en couple. Mor, 42 ans, ressortissant nigérien, travaille avec un contrat à durée indéterminée pour une organisation internationale de lutte contre la pauvreté, loue un appartement, possède une couverture sociale et un compte bancaire. Cependant, depuis le refus de sa demande d’asile en 2009, il n’a pas de titre de séjour régulier. Son employeur le paye correctement et Mor « fait avec » cette situation. Il agit discrètement en public et se plonge dans son parcours d’intégration par le travail et l’activité sociale, susceptibles de l’aider lors d’une régularisation future.

« C’est un morceau de papier, il ne l’intéressait pas, mais il pouvait changer sa vie ! Quitter la Belgique, changer de travail... Au début de notre relation, je ne me suis pas posé la question. On sortait, on bavardait, mais chaque fois à la vue de la police, moi, je tremblais. […] Puis, un jour, on en a parlé... » (Anne)

En mars 2013, le couple décide de conclure une cohabitation légale, cette formule moins contraignante formellement qu’un mariage ouvrait, également, le droit au séjour légal pour Mor via la procédure de regroupement familial sur le territoire. Ils commencent les formalités administratives lors de l’intensification des contrôles sur les cohabitations légales (2013) et peu après l’entrée en vigueur des restrictions législatives en matière de regroupement familial (2011). Le parrain belge doit désormais prouver les mêmes conditions qu’un étranger en séjour légal pour que son conjoint ait droit au séjour, et notamment des ressources économiques. Anne, 44 ans, divorcée, avec deux enfants, est fonctionnaire européenne, gagne bien sa vie et est propriétaire de sa maison. Elle pense alors pouvoir aisément prouver les nouvelles conditions requises par la loi.

Les documents pour le dossier de demande de cohabitation légale ont rapidement été réunis par Anne, alors que Mor doit en faire la requête par l’intermédiaire d’amis dans son pays d’origine, car les bases des données et la bureaucratie de ce dernier sont peu efficaces. Outre la paperasse administrative officielle, ils doivent apporter des preuves d’une relation stable préexistante :

« témoignages des proches, photos, mails, SMS ; ils ne te disent pas combien précisément ! Puis, moi, j’ai un vieux téléphone, je ne savais pas imprimer les SMS, et on ne s’écrivait pas de mails, on se rencontrait tout le temps et, après, on a habité ensemble ! » (Anne)

L’administration franchit petit à petit le seuil de leur intimité par cette demande des documents personnels. L’attente et la bureaucratie engloutissent le couple. Le temps pour eux se rétrécit. La commune dispose de trois mois pour statuer sur leur demande. À deux reprises, un agent de quartier contrôle leur cohabitation par visite domiciliaire. Tout semble bien se passer, quand deux mois et vingt jours plus tard, un samedi matin, trois policiers en civil frappent à la porte du couple. Un de fils d’Anne ouvre, « la police en face de lui, armée, qui veut rentrer ! » (Anne). Mor craignait que les démarches administratives puissent s’avérer difficiles, mais « jamais nous n’avions imaginé à ce point » (Mor). Ce jour-là, la maison, leur nid, est contrôlée en détail, les policiers entrent dans la chambre à coucher et demandent de quel côté du lit les conjoints dorment, puis dans la salle de bains, contrôlent les linges. Anne dit avoir eu le sentiment que son intimité personnelle était violée et Mor s’en attribue la responsabilité. Avant de partir, les policiers remettent au couple une convocation au commissariat, ils doivent s’y rendre le lundi suivant. Anne se rebelle, en disant devoir demander à son employeur l’autorisation de s’absenter, le policier lui dit : « Madame, comment faites-vous si, par exemple, là vous tombez dans les escaliers ? ». Anne se sent agressée et dès lors voudrait porter plainte en tant que citoyenne ayant droit au respect de sa vie privée et familiale, mais Mor préfère attendre la fin des procédures.  

« Personne ne t’explique de quel contrôle il s’agit concrètement. Il fallait y aller, car ils [la police] savent où nous habitions, ils peuvent revenir chercher Mor à tout moment. On était rentrés dans une phase paranoïaque. Lui a perdu une dizaine de kilos, il était malade tout le temps, et le médecin disait que c’était à cause du stress. Il y avait des tensions entre nous ; la vie familiale en a énormément souffert. » (Anne)

Anne et Mor se renseignent auprès d’une association avant de se rendre à la police.

« Pour nous préparer, nous avons commencé entre nous à nous poser les questions les plus absurdes : comment s’appellent les sœurs de ta mère ? As-tu fait des voyages scolaires ? Des choses qui nous semblaient inutiles jusqu’à ce moment ! Mais on avait entendu que la police posait toute sorte des questions. » (Mor) 

Au commissariat, les deux partenaires sont interrogés séparément afin de vérifier leur connaissance mutuelle et la véracité de leur union. Les questions portent sur leur projet de couple, mariage, enfants, achat d’une maison. À toutes ces questions, le couple répond négativement : son intimité se bâtit, en fait, sur d’autres paramètres, formes de partage et programmes d’avenir.

« Ils [les policiers] étaient déconcertés. Quelle vie de couple on allait construire ? Ils s’attendaient à des “oui”, mais on a répondu tous les deux “non” à tout et ils n’avaient rien à nous reprocher en comparant nos réponses. Mais, la police a continué à venir nous rendre visite. Une fois à 11 h du mat’, moi j’étais à la maison, mais Mor au travail et l’agent m’a dit qu’il l’attendait à nouveau au commissariat […]. Je suis toujours allée avec lui pour ces formalités, parce que c’est vrai que dans cette commune et aussi au commissariat, ils te reçoivent en gants blancs, mais c’est aussi vrai que si tu es blanc, les gants sont encore plus blancs ! » (Anne)

Anne et Mor ne me cachent pas avoir pensé à la cohabitation aussi pour des raisons administratives, pour vivre et se déplacer tranquillement. Une fois le statut de cohabitation légale obtenue, ils recommencent le travail bureaucratique pour demander le titre de séjour. Un dysfonctionnement dans la commune les bloque : des documents concernant les fils d’Anne leur sont demandés, bien que non prévus par la loi, et d’autres contrôles de la cohabitation sont effectués. Le couple perçoit son intimité comme de plus en plus mise à nue par l’État, mais, pour s’en sortir, chaque conjoint persévère à sauvegarder des bouts d’un « je » et d’un « nous » intimes, ce dernier encore en construction. Mor obtient son titre de séjour un an et demi après la demande de cohabitation légale.

« Je suis une citoyenne qui proteste ! Alors, je pense qu’il y a une vraie intention d’intimider, avec ces modalités, ces mots… Il y a aussi quand ils te disent : “nous le faisons pour vous protéger, Madame !” Je suis adulte et capable, je sais faire mes choix seule, merci ! 30 % de ces rencontres à l’administration étaient de la récitation ! Tout ça m’énerve. Mor, lui, n’ouvrirait pas la bouche, s’il pouvait, face à l’administration… » (Anne)

« Nous avons eu des attitudes différentes face à cette expérience. J’étais soucieux pour moi, mais aussi pour elle, pour son travail, ses enfants, sa vie. Notre équilibre psychologique était embrouillé et notre vie privée malmenée par cette administration. On a perdu un peu de notre vie de couple avec cette histoire… » (Mor)

Anne souligne à plusieurs reprises n’avoir jamais eu peur, car le couple remplissait les clauses légales et n’avait rien à cacher. Mor, pour sa part, souligne qu’il aurait volontiers évité ces démarches, mais qu’il les a entamées pour Anne et pour bâtir une intimité de « couple inattaquable par la loi ».

Le combat administratif fini, en se réappropriant le temps et l’espace, à nouveau protégé, de la maison, le couple se découvre une nouvelle intimité. Cette expérience vient s’ajouter au « pacte intégratif » initial. L’énergie déployée pour « réussir » à devenir un couple accepté par l’État renforce l’intimité d’Anne et Mor, qui positionnent autrement désormais les frontières de leur « nous ». Cela fait écho aux difficultés sociales que les couples interraciaux rencontrent et qui, également, deviennent des ressources pour la construction de leurs intimités (Luke, 2003).

Dans la modalité de couple qu’Anne et Mor représentent, les récits dévoilent la coexistence de deux niveaux d’intimité : le cocon affectif marqué par l’attention et la protection réciproque entre conjoints, et l’intimité mise en scène selon la demande de l’administration dans les limites du nécessaire. C’est dans les interstices entre conscience de leurs droits et de leur relation et performativité qu’ils prouvent une citoyenneté intime et construisent une intimité « résiliente » aux pratiques étatiques. Aujourd’hui, le couple est engagé dans un mouvement pour soutenir les couples binationaux, la nouvelle intimité d’Anne et Mor se fait politique.

Intimités en échange

« J’ai fait un mariage blanc avec Amir, le frère de mon ex-compagnon […] pas pour l’argent, je n’étais pas payée, je l’ai fait par amitié. Je savais qu’il galérait là-bas. Quand j’étais chez eux, un été, on était devenus très proches et un jour je lui ai proposé ça… » dit Alexia, 30 ans, belge, travailleuse dans le secteur sanitaire avec un contrat à durée indéterminée depuis sept ans. Amir, 26 ans, est demandeur d’emploi à ce moment-là. Lors de notre entrevue, elle tient à préciser tout de suite le cadre dans lequel sa rencontre avec l’administration de l’immigration s’est déroulée.

Alexia et Amir décident de se marier en Tunisie, où l’homme réside. Leurs démarches commencent en 2012, lorsqu’ils déposent la demande d’un « certificat de non-empêchement au mariage[6] ». Ce document, essentiel pour la reconnaissance en Belgique d’un mariage célébré à l’étranger, est délivré par le consulat belge à Tunis. En cas de doute sur la sincérité de l’union, comme pour les requêtes déposées sur le territoire belge, la demande est déférée à l’avis du procureur du roi en Belgique. C’est leur cas. Le couple est soumis à un interrogatoire, « d’abord, séparément, puis ensemble » (Amir), et « ils m’ont aussi contrôlé les timbres sur le passeport, les quatre voyages en Tunisie étaient une bonne preuve de notre fréquentation » (Alexia). Leur demande étant transférée pour une enquête plus poussée, la police de sa zone de domicile d’Alexia, en Belgique, la convoque elle était rentrée pour travailler — pour mieux appréhender des aspects jugés douteux de son intimité affective.

« J’ai eu droit à un entretien d’une heure, beaucoup de questions, du genre “comment voulez-vous que ça se déroule votre mariage ?”, alors qu’on ne savait même pas si on pouvait s’épouser ! […] parfois, j’ai eu peur : ce n’était pas évident de mentir à la police ! Alors, j’ai répondu à toutes les demandes comme si mon futur mari, Amir, était mon actuel copain, Rachid, j’utilisais ma vraie relation comme modèle. Je connaissais bien la famille et j’étais soutenue, car je faisais un acte d’amitié forte… » (Alexia)

Pour construire une intimité à raconter aux autorités de l’immigration, elle mélange sa relation amoureuse effective et l’affection pour Amir, frère de son compagnon de l’époque. Ces deux sentiments la portent à se marier avec Amir qu’elle nommera dans son récit toujours comme « mon mari ». En intériorisant la logique du dispositif étatique — par exemple lorsqu’elle dit : « on était un couple crédible on n’avait que trois ans de différence d’âge et je connaissais tout bien de lui » —, par un travail aux frontières des sphères personnelle et institutionnelle, elle donne forme à une intimité spécifique, à cheval entre l’intimité réelle de son actuelle relation et celle voulue par l’État.

Bien qu’elle soit majeure, la police convoque le frère d’Alexia pour lui demander des renseignements. Il invente une histoire et la couvre faisant semblant de connaître la situation. « En vrai, il était furieux, il pensait que j’étais devenue polygame » (Alexia). Elle ne peut plus cacher sa démarche à ses proches, elle l’explique au frère fâché — « il a connu “mon mari” et il a compris que je n’avais pas fait une bêtise ! » (Alexia).

Après des mois d’attente, Alexia et Amir obtiennent l’accord du consulat : le mariage peut se dérouler devant un notaire, sous le régime de la séparation de biens comme elle le veut ; sa solidarité désormais conjugale devant, pour elle, ne pas concerner son patrimoine (Belleau et Martial, 2011). Nous sommes en novembre 2013. Alexia loue une robe de mariée, le couple fait des photos et une petite fête pour documenter l’occasion. Une fois le mariage transcrit, ils constituent le dossier pour le regroupement familial, qui permet à Amir de recevoir le visa pour rejoindre Alexia en Belgique. La documentation est vite envoyée, car Alexia remplit les conditions demandées par la loi pour le regroupement. Cependant, les mois passent sans qu’une réponse n’arrive et les deux conjoints sont séparés. Toutefois, elle est tellement entrée dans le rôle que sa relation avec Amir s’intensifie. Tous deux suivent les formalités administratives de près, échangent régulièrement et se rapprochent. L’administration demande à Alexia de refaire le dossier de regroupement familial du fait qu’elle a changé d’employeur, « je ne m’y attendais pas du tout : je ne sais pas comme ils ont su cela ! Mais bon ça reste l’État ! » (Alexia). Cet œil caché de l’État qui rentre dans son intimité personnelle préoccupe Alexia, de temps en temps elle a peur d’être découverte. Toutefois, elle est tellement dans la mise en scène qu’elle-même y croit.

Les deux jeunes me racontent comment ils ont construit un même discours pour les entretiens officiels. À la place de leur intimité amicale réelle, ils se bâtissent une intimité conjugale qui n’existe pas, mais qui leur paraît publiquement acceptable. Amir est auditionné encore une fois, mais l’administration semble moins s’attacher à lui qu’à sa femme. Cette dynamique, constante dans les récits (Odasso, 2018b), se traduit par une contrainte pour ces femmes nationales envers qui l’appareil étatique alterne protection et suspicion.

« Ils essaient de te faire changer d’avis, pour ton bien, puis, après quelques minutes, ils foncent avec des questions pièges pour voir si tu ne mens pas. […] J’ai joué sur un faux projet de retour, je pensais que ça aurait était apprécié. Je racontais toujours que mon mari voulait que j’aille en Tunisie, mais du fait de mon travail, je préférais que lui vienne… » (Alexia)

Enfin, le dossier est accepté, Amir arrive en Belgique « un an et plus pour pouvoir se marier et huit mois pour le visa. Trois semaines après sa délivrance, j’étais chez elle en Belgique, c’était mi-juillet 2014 » (Amir). L’accord est clair : à son arrivée, Amir habitera chez Alexia, le temps qu’il trouve un logement autonome. Or, la rupture entre Alexia et son compagnon de l’époque modifie la configuration prévue. La cohabitation entre Alexia et Amir se transforme en une intimité pratique « presque de couple », mais où « il n’y a pas d’amour, que de l’affection ! » (Amir) et « pas d’amour, mais beaucoup de respect ! » (Alexia). Depuis, Amir a trouvé un logement à lui.

« Mais on se voit tout le temps : hier, il était chez moi et, ce soir, on se rencontre pour dîner encore, en effet, on est très amis, et lui très attentif. […] Il a toujours des affaires chez moi et son nom est sur la sonnette, je lui garde son passeport et tous ses papiers importants : l’essentiel, si la police passe à la maison. » (Alexia)

Alexia et Amir jouent un rôle vis-à-vis de l’État et de ses représentants, obligés par l’objectif qu’ils se sont fixé et, en même temps, cherchent à organiser une intimité à la frontière du public et du privé. Alexia annonce son mariage au travail. Selon la loi, Amir sera à sa charge pour les cinq ans suivants, elle doit désormais mentionner partout être mariée. Lors du contrôle domiciliaire en vue du titre de séjour, l’agent les trouve à la maison et tout se passe au mieux. Lorsqu’Alexia déménage, Amir doit l’accompagner pour la nouvelle inscription du couple auprès de la commune.

Chacun chez soi, ils ont instauré une relation profonde, « au début j’ai eu peur qu’il fasse des bêtises, qu’il change une fois ici, mais finalement il est très sage ! » (Alexia) « Je lui raconte tout, si je pars pour quelques jours en voyage, je la préviens, si je fais quelque chose de nouveau c’est la première personne que j’informe. » (Amir).

Alexia parle de sympathie et d’un élan de solidarité pour ce jeune. Cet évènement et ce choix lui font débuter un parcours inattendu à la frontière de la légalité vers la construction d’une intimité « en échange », sans contrepartie monétaire.

« Il me ramène des cadeaux et il cuisine pour moi très souvent. Il est très reconnaissant. Et moi, qui ne suis pas du tout fan du mariage, je me sens bien dans cette situation. Un jour, si je rencontre quelqu’un pour qui ça vaut le coup, et qu’il veut se marier, je devrais divorcer. Je lui expliquerai ! S’il m’aime vraiment, il me prendra comme je suis et avec tout ce que j’ai fait... » (Alexia).

Amir cherche du travail, prend des cours de français, et suit une formation. Alexia l’aide de temps en temps, « elle était trop gentille, mais je préfère qu’on passe du bon temps ensemble ! » (Amir). L’amour, l’affection et les sentiments reviennent de manière récurrente dans les discours de ce couple qui existe pour la loi et qui n’existe pas dans les mêmes termes pour les deux parties. Néanmoins, la vie que le couple doit prouver à l’administration impacte leurs intimités personnelles respectives de manière inattendue. Dans la modalité intime « en échange », les « pactes de convenance » qui se dégagent de l’analyse pourraient à l’avenir laisser la place à des intimités modifiées par des « pactes intégratifs ». Une régularisation par le mariage peut se transformer en une relation affective exclusive pseudo-amoureuse entre partenaires auparavant de convenance, comme cela a été documenté par Têtu-Delage (2009).

Les cas des intimités « en échange » où la convenance était ouvertement assumée et racontée étaient moins d’une dizaine dans notre échantillon. Toutefois, ils sont pertinents pour notre typologie, dans la mesure où celle-ci ne se base pas sur l’aspect quantitatif, mais sur les dynamiques significatives pour le façonnage des frontières intimes. Ces intimités incarnent une forme particulière de négociation entre les intimités des partenaires, entre les partenaires et l’entourage proche, et entre les partenaires et l’État. Nous interprétons ces négociations comme étant des pactes motivationnels construisant des intimités conjugales particulièrement instables et des actes performatifs d’une citoyenneté intime répondant aux attentes de l’État, pour donner lieu à des intimités d’abord non amoureuses, mais tout à fait fondées sur des affects.

Intimité en éclats

« J’aurais dû écouter le personnel de la mairie à l’époque », dit Laureen — 38 ans française, chargée de marketing — au début de son récit, recueilli chez elle, dans une ville française. Elle rencontre Ahmed — algérien, 35 ans, serveur — chez des amis, en soirée. C’est en 2010. La passion s’empare des deux partenaires qui vivent trois mois d’intense bien-être. « Il était toujours chez moi, je ne me suis pas interrogée tout de suite… ». Ahmed est entré irrégulièrement en France par l’Italie deux ans auparavant, il travaille au noir, des petits boulots surtout dans la restauration et il est actif dans le milieu associatif. Dès que Laureen découvre sa situation administrative, la passion se refroidit : « Il n’avait pas de titre de séjour. Je me disais qu’il fallait faire quelque chose, mais je ne savais pas quoi. […] Entre nous, il y a commencé à avoir des hauts et des bas. Mais je l’aimais trop et lui aussi, je pensais ».

Le couple discute de la situation et, en suivant des conseils d’amis d’Ahmed, commence à réfléchir au mariage. Ils se renseignent en ligne, puis Laureen s’adresse directement à la mairie pour connaître les documents nécessaires pour constituer le dossier de demande.

Ahmed entre-temps s’installe chez elle, comme il leur a été conseillé, car cela servira pour leur dossier par la suite. Laureen travaille beaucoup. Leur temps ensemble est désormais consacré à la compréhension des pratiques administratives et à la collecte des documents. La passion se transforme en bureaucratie ; l’État traverse les frontières fragiles de leur intimité en formation.

Suite au dépôt de la demande de mariage, le couple est convoqué par les officiers de l’État civil qui désirent mieux comprendre leur situation. Laureen est effrayée. Les deux partenaires sont interrogés séparément, ils se connaissent depuis peu et ne savent pas tout l’un de l’autre. Les fonctionnaires s’en rendent compte, « une des deux dames m’a dit que si je ne savais pas, ce n’était pas grave ! Puis, elle m’a mis en garde : “Madame il y a beaucoup d’étrangers qui profitent, vous devriez faire attention !” » Laureen dit bien se souvenir de ces mots-là aujourd’hui ; les frontières de son intimité personnelle sont attaquées par l’État, mais aussi par sa relation de couple.

Mais Ahmed semble très épris, la gâte et, de temps en temps, arrive à lui faire oublier l’attente de la réponse de l’administration. Des semaines plus tard, celle-ci arrive : leur dossier est transmis au parquet, une enquête de police s’ouvre — « “la police !?” Peut-être Ahmed avait-il fait de choses auparavant qu’il m’a cachées » (Laureen). Elle se renseigne auprès d’une association qui lui dit qu’une telle enquête est désormais une pratique courante, depuis 2006, notamment quand le partenaire étranger est en séjour irrégulier. Ses amies lui disent de faire attention, de se méfier, et de se demander si tout cela vaut ces procédures.

Laureen plonge dans une situation surréaliste. Elle lit tout ce qu’elle trouve, sur Internet et sur papier, au sujet du contrôle des unions et des mariages frauduleux. Ces lectures l’angoissent, mais Ahmed vit avec elle et tout lui semble « normal » dans ses comportements.

Dans le cadre de notre recherche, nous cherchons à rencontrer aussi Ahmed, mais il ne veut plus revenir sur l’histoire, il refuse en disant : « J’ai été très blessé, nous sommes un couple éclaté ; je ne peux rien faire pour vous ». Le couple n’est plus ensemble, comme Ahmed le dit, leur intimité est « en éclats ». Laureen m’explique en effet que lors de leur passage au commissariat, les questions sont tellement directes qu’elle s’est sentie prise au piège. Le policier lui a dit de faire attention au fait que, si ce n’était pas par le mariage, Ahmed pouvait chercher une régularisation par une filiation. Elle s’est persuadée de n’avoir rien à cacher de leur intimité — ils avaient tout en règle pour se marier. Cependant, face au policier qui lui défait chaque aspect de la relation, elle est prise de doute. La suspicion de son interlocuteur la fait s’interroger. Elle se recentre sur son espace intime, et éloigne l’intimité conjugale qu’elle voulait créer avec Ahmed.

« Ahmed semblait ne pas avoir peur. J’étais scotchée par son attitude. Pendant un moment, j’ai eu l’impression d’être moi celle sans titre de séjour ! J’étais toujours de mauvaise humeur à cause de cette histoire. La police est aussi venue à la maison, deux fois. Une fois que lui n’était pas là, la policière m’a demandé pourquoi je voulais me marier avec un Arabe. En fait, j’avais la sensation d’être stupide, en train de commettre une erreur. » (Laureen)

Pour Laureen, le mariage a une signification importante. Le fait de le « gaspiller » ainsi après quelques mois de relation et de perdre la face devant les autorités lui faisait se poser des questions. Entre-temps, Ahmed commence à craindre que la police lui délivre non pas un accord pour le mariage, mais un ordre de quitter le territoire. Laureen traverse des émotions diverses : tantôt elle est convaincue de l’honnêteté d’Ahmed et que son couple peut surmonter les formalités administratives, tantôt elle est sûre qu’Ahmed la quittera dès l’obtention du titre de séjour, comme elle l’a lu en ligne dans les cas des femmes victimes de mariages gris.

À cette époque, et depuis 2009, la notion de « mariages gris » se répand. Ces unions sont définies par le gouvernement comme une forme d’arnaque sentimentale à but migratoire dont seraient victimes des Français : leur conjoint étranger leur aurait dissimulé ses véritables sentiments avec pour seul objectif d’obtenir un titre de séjour (Neveu Kringelbach, 2015). Le concept traverse la frontière belge et est utilisé dans le Royaume pour indiquer le même phénomène, dont la portée semble difficile à saisir. Néanmoins, en 2011, la loi d’immigration française s’approprie la notion en élargissant les peines pour mariage frauduleux (cinq ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende). Elles incombent aussi « lorsque l’étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint[7] ».

« [En 2011] nous avons obtenu un refus, pas de mariage en vue. Ahmed est parti consulter un avocat. Mais, moi, je ne voulais plus continuer. Nous étions désormais des étrangers l’un pour l’autre. Je n’avais plus envie de le toucher. Le fait qu’il voulait faire un recours et qu’il s’est renseigné rapidement m’a confirmé ce que je ne voulais pas voir auparavant, il s’était peut-être intéressé à moi, car je suis française » (Laureen)

Influencée par les médias, l’entourage et les rencontres administratives, Laureen perd confiance en sa relation et voit désormais Ahmed comme un profiteur. L’amour passionnel et romantique des premiers mois s’avère ne pas être un « pacte consolatoire » assez fort pour faire face aux administrations. Ahmed devient la cause de ses malheurs. Elle est triste, car, quelque part, encore amoureuse, mais sûre que les agents de l’État voulaient la protéger. La suspicion que l’État porte sur son union pénètre les frontières de celle-ci et rompt l’intimité en création. Ahmed ne comprend pas, et tente de renforcer la relation, mais tous ses efforts sont désormais interprétés par Laureen comme des stratégies pour la convaincre de reprendre les pratiques administratives qui pourraient lui valoir un titre de séjour.

La rencontre avec l’État devient, dans ce cas, le point de basculement d’une intimité conjugale précaire. Laureen, dépourvue d’expérience administrative dans le domaine de l’immigration fait confiance à son État plutôt qu’à un étranger dont elle ne connaît pas les intentions, et cherche à sauvegarder son intimité personnelle.

Ces intimités de couple « en éclats » — une vingtaine de cas dans notre échantillon — sont caractérisées d’abord par des affects forts, parfois extrêmes, qui cèdent la place à une mise à distance et à une mise en scène d’une citoyenneté intime opposée à celle que nous avons vue auparavant, car fondée sur le besoin de la protection étatique.

Conclusions et ouvertures

L’entité « couple binational », située au croisement d’enjeux politiques et de préoccupations sociétales, est un cas exemplaire pour cerner l’impact du droit et des pratiques bureaucratiques sur la négociation de l’intimité conjugale. Pour saisir l’imbrication des frontières institutionnelles, travaillées par les politiques publiques, et des frontières intimes et conjugales, travaillées par des pactes motivationnels et les affects, nous avons effectué une analyse de pratiques performatives sur la scène publique et des décisions privées. De leur articulation, quatre modalités de l’intimité ont été identifiées. Elles résultent à la fois des « pactes motivationnels » à la source de l’union et du travail effectué par les partenaires sur les frontières de leur intimité (personnelle et conjugale) en faisant l’expérience de l’État pour obtenir la reconnaissance de l’union et le droit au séjour.

Ces intimités sont, tout d’abord, le fruit d’un processus de négociation interne au couple au sujet de la précarité administrative engendrée par les politiques migratoires. Dans un jeu d’attentes réciproques, les conjoints, souvent sous l’impulsion de la partenaire nationale, « rencontrent l’État » (intimité à deux vitesses) qui pénètre leur vie privé en les obligeant à dévoiler, voire performer, leur intimité de préférence amoureuse. Dans les diverses situations administratives qui se présentent à eux, les couples s’adaptent et déploient des efforts pour créer une intimité conjugale et affective qui répond aux modèles de conjugalité, éminemment normative, romantique et monogame, proposés par les administrations étatiques. Certains partenaires comprennent les logiques étatiques et, sans les intérioriser complètement, cherchent à trouver un équilibre entre celles-ci et leur projet affectif (intimités résilientes). D’autres agissent différemment sur la scène publique qu’en privé, répondant respectivement aux attentes étatiques et à des pactes de convenance (intimités en échange). D’autres encore, en adhérant aux injonctions administratives étatiques qui pénètrent leur vie de couple en formation, risquent de la déformer, voire de la détruire (intimité en éclats).

Les formalités d’immigration sont des formes de dissuasion étatique dans une optique de contrôle des frontières intimes de la nation. L’attente et les interactions avec les agents génèrent des tensions chez les partenaires et au sein du couple, et rythment ainsi des variations relationnelles. Elles peuvent renforcer la construction d’une intimité conjugale en raison des injustices communes subies (du pacte intégratif à l’intimité résiliente), modifier les paramètres de l’intimité et la place des affects (du pacte de convenance à l’intimité en échange) ou rompre les attentes personnelles d’un ou des deux partenaires (du pacte consolatoire à l’intimité en éclats).

Ces intimités sont le produit des influences du contexte social, des ressources contextuelles subjectives et objectives, des activités situées et des biographies individuelles des partenaires, au fil du temps et de l’espace (Layder, 2009 : 171). Elles résultent d’un travail qui brouille les frontières du privé et du public (Berlant, 1998) et sont à l’origine des citoyennetés intimes variées, en adhésion ou en contraste avec les logiques étatiques.

L’analyse de couples formés par des femmes nationales et des hommes étrangers suggère que, selon leur genre et leur affiliation nationale, les partenaires investissent différemment la relation avec l’État et ses frontières et, par ricochet, avec leur espace intime de couple. Toutefois, l’impact de l’âge et des relations préalables sur ce travail de l’intimité restent à approfondir, tout comme ses variations en fonction des typologies de couples — notamment du même sexe — et d’autres combinaisons des sexes des partenaires.