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Introduction

À partir du milieu des années 2000, la Russie témoigne d’un changement de paradigme des politiques sociales de la protection de l’enfance. Il s’agit du passage de la prise en charge institutionnelle, héritière de la période soviétique, vers des formes familiales de la prise en charge, comme le placement familial et l’adoption nationale. Ces transformations s’inscrivent dans un cadre général des processus de désinstitutionnalisation des mesures de protection de l’enfance mis en œuvre dans l’espace post-soviétique depuis la chute de l’URSS. Déclenchées par une critique de la prise en charge institutionnelle soviétique lors de la campagne de Glassnost dans les années 1990 (Harwin, 1996 ; Tymczuk, 2011), elles sont aussi liées à la diffusion de nouvelles normes de la prise en charge grâce aux échanges avec des ONG internationales et la signature de la Convention de la Haye en 1993 (Kulmala, Rasell et Chernova, 2017 ; Lough, 2003). Cependant, si ces processus sont communs pour la plupart des pays du bloc post-soviétique, la priorité est donnée à des dispositifs différents de la protection de l’enfance. Ainsi, en Moldavie, par exemple, la réforme de désinstitutionnalisation commence en 2007 et vise dans un premier temps à transformer le milieu institutionnel, les orphelinats de type soviétique, tandis que le placement dans les familles d’accueil reste moins développé (Unicef, 2016). En Ukraine, c’est l’adoption nationale et internationale qui sont vues comme des formes prioritaires de la prise en charge de l’enfance abandonnée (Mykytyn-Gazziero, 2014). La spécificité du cas russe par rapport à d’autres pays post-soviétiques réside dans la prévalence du placement familial chez les parents proches[1] ou dans une famille d’accueil. En effet, le taux de placement familial est le critère principal de l’efficacité de la réforme de désinstitutionnalisation (Jäppinen, 2018).

Si le placement familial, en tant que dispositif des politiques sociales, est introduit en 1996, il faut attendre 2006 pour qu’elle commence à se répandre grâce aux aides financières des politiques familialistes de Poutine (Shpakovskaya, Kulmala et Chernova, 2018 ; Yarskaya-Smirnova, Prisyazhnyuk, Verbilovitch, 2015). Cette forme de prise en charge est d’autant plus encouragée par des programmes régionaux et fédéraux suite à la restriction de l’adoption internationale en Russie par la loi Dima Yakovlev en 2008. Enfin, le placement familial devient le dispositif principal des politiques sociales de désinstitutionnalisation avec l’affaiblissement de la contrainte à l’égard des familles biologiques. En effet, à partir 2008, le système de protection de l’enfance, ayant pour trait l’application de mesures principalement coercitives vis-vis des parents biologiques avec des pratiques parentales déviantes (Mykytyn-Gazziero, 2014 ; Jäppinen, 2018), commence à connaître une baisse de déchéance des droits parentaux en faveur de leur limitation[2]. Le jugement du tribunal suspend temporairement l’exercice de leur autorité parentale, tout en laissant la possibilité de la rétablir ultérieurement. Ainsi, tout en permettant le placement dans une famille d’accueil, la garde partielle de l’autorité parentale constitue une contrainte majeure pour l’adoption nationale. Enfin, bien qu’officiellement, les politiques sociales, confrontées à un nombre accru de ces orphelins sociaux[3] (Caroli, 2007), se donnent pour objectif également de faire réintégrer autant que possible les enfants placés dans leur famille d’origine, de nombreuses recherches témoignent de l’insuffisance et d’une faible application de cette mesure (Jäppinen, 2018; Rockhill, 2010).

Dans ce contexte, la famille d’accueil se redéfinit par rapport au modèle occidental dont elle s’inspire (Schmidt, 2005). Les divergences de la pratique de placement en Russie par rapport à ce modèle se manifestent dans l'ensemble des significations que les familles d’accueil, mais aussi les acteurs institutionnels, donnent à cette pratique. Le modèle occidental tend à penser la famille d’accueil davantage comme un corps de professionnels éduquant et socialisant l’enfant sans pour autant remplacer la famille biologique (Reich, 2005), comme dans le cas du système ‘parentaliste’ français (Chapon, Neyrand et Siffrein-Blanc, 2018). La pratique de placement en Russie, au contraire, semble être assimilée à l’adoption nationale. Et ce, malgré des injonctions à la « professionnalisation » des familles d'accueil, grâce à l’établissement de relations contractuelles entre l’État et les familles, à la formation et au contrôle des compétences des parents d’accueil de la part des institutions. Ce contrôle institutionnel est de plus en plus exercé par des organisations de la société civile[4] (OSC) qui essaient d’inculquer les logiques de foster care durant leur travail de formation et de soutien aux parents d’accueil. Tout en présentant les familles d'accueil avant tout comme des professionnels en contrat avec l’État, ces OSC insistent sur les enjeux identitaires des enfants de connaître leurs géniteurs (Ouellette, 2008). Ceci introduit de facto dans les relations intimes de la famille d’accueil d’autres acteurs, tels que les parents biologiques.

Nous entendons par «relations intimes» les liens d’affiliation et de parenté (Cadoret, 2002) librement consentis (Théry, 1988 ; de Singly, 1997) qui émergent dans la parentalité d’accueil lors du processus de choix de l’enfant ainsi que lors de l’exercice de la parentalité (Théry, 1998 ; Chapon, Neyrand, Siffrein-Blanc, 2018) et du partage de la vie quotidienne (Weber, 2005 ; 2013). Le statut de ces liens varie en fonction du type de suppléance parentale. Les travaux de Nathalie Chapon, Gérard Neyrand et Caroline Siffrein-Blanc (2018) en distinguent quatre types : suppléance substitutive, partagée, soutenante et incertaine. Ces types s’expriment dans les différents degrés de l’engagement de parents d’accueil dans l’éducation de l’enfant placé, ainsi que suivant le niveau de coopération avec la famille d’origine. De ce point de vue, le cas russe est spécifiquement intéressant, ayant pour particularité la prévalence de la suppléance substitutive sur les autres types de suppléance. En effet, du fait des spécificités de l’organisation du système de protection de l’enfance en Russie, le placement est caractérisé par une quasi-absence de la famille biologique. Assimilée à l’adoption, cette suppléance substitutive contribue à la construction des liens de parenté lors du placement, grâce à l’appropriation symbolique de l’enfant par la famille d’accueil. Ce n'est que bien plus rarement, du fait de l’introduction récente des formes de placement temporaire, qu’apparaissent les modes de suppléance soutenante et incertaine. Ces derniers renvoient à des modalités de placement envisagées soit comme une solution temporaire, au cours de laquelle l'enfant ne construit pas de liens d’attachement (suppléance incertaine), soit comme un mode de soutien et d’aide aux parents biologiques dans l’exercice de leur parentalité. Dans le cadre de la suppléance soutenante, les liens d’affiliation avec la famille d’accueil se conjuguent avec les liens de filiation à la famille biologique.

Ce contexte nous permet d’analyser, à partir des significations données à la pratique de la parenté, la communication entre la famille d’accueil, la famille biologique et les différents acteurs institutionnels, en tant que trois « systèmes fonctionnels » (Luhmann, 2011). Ce faisant, la question qui nous intéresse est celle de la manière dont les familles d’accueil en Russie, qui entrent dans la pratique de placement avec un désir d’enfant similaire à celui des adoptants, mais qui se trouvent confrontées à l’injonction à la professionnalisation de leurs pratiques parentales par les politiques sociales actuelles, construisent, restructurent et protègent les frontières de leurs relations intimes.

D’un côté, initialement, ces frontières sont imposées par le cadre institutionnel de la pratique de placement. Issue d'une formation professionnelle et professionnalisante, la parenté d’accueil reste bureaucratisée, tout en représentant un cadre familial et intime de la socialisation des orphelins (Chernova et Kulmala, 2018 ; Jäppinen, 2018). Elle est soumise aux règles institutionnelles et à des injonctions contradictoires comme celle d’« aimer l’enfant comme une mère tout en se pensant comme une professionnelle » (Neyrand, 2005). D’un autre côté, la temporalité et la charge émotionnelle de l’activité du placement permettent à la famille d’accueil de redéfinir les relations imposées par ce cadre institutionnel, en les assimilant à l’adoption. Ainsi, tout en étant interdépendantes, la famille d’accueil et la famille biologique, en tant que systèmes, entrent en concurrence ; la première se définit avant tout par sa fonction (exercice de parentalité) alors que la seconde par son statut juridique « simple ».

Nous proposons alors d’explorer ces problématiques à travers les récits de quatre mères d’accueil que nous avons rencontrées à Moscou et dans l’une des plus grandes villes de la Sibérie centrale. Nous complétons ces données par des entretiens réalisés avec des acteurs institutionnels des OSCs et des centres publics d’accompagnement parental dans ces deux villes. Ces quatre cas sont particulièrement intéressants puisque, tout en étant des illustrations heuristiques du modèle de suppléance substitutive tel qu’il prévaut dans la majorité des placements en Russie, ces différents parents d’accueil ont aussi eu des expériences de la suppléance soutenante et incertaine. Ainsi, ces cas ouvrent une perspective pertinente pour l’analyse de la construction et de la protection des frontières de l’intimité lors du placement. De plus, du point de vue des modalités de communication avec les acteurs institutionnels et les familles biologiques, ces quatre familles représentent les pratiques normatives. En effet, les mères d’accueil interrogées président des OSC et participent activement au développement du réseau des parents d’accueil, à la diffusion de savoir pédagogique (Marina et Olga) et de l’expérience de placement (Irina).

Ce travail de terrain a été mené dans le cadre de la première année d’une recherche doctorale sur les politiques sociales de la protection de l’enfance en Russie. Dix entretiens avec des membres de familles d’accueil (9 femmes et 1 homme) ont été effectués à Moscou et dans une ville sibérienne. Mais, nous avons choisi, dans cet article, de concentrer notre analyse sur les données récoltées auprès de quatre parents d’accueil, que nous jugeons les plus représentatifs du point de vue de l’engagement des acteurs dans l’activité des OSC, ainsi que de l’accueil temporaire et de l’activité de tutorat[5]. Il faut noter que ces quatre récits ont été racontées lors d’entretiens semi-directifs que nous avons enregistrés avec l’accord des enquêtées. Pour assurer l’anonymat des enquêtés, nous avons changé leurs prénoms. Les enjeux de la recherche ont été clairement expliqués aux enquêté.e.s, et une restitution finale leur est également proposée.

Notre article est construit en trois parties. Dans la première partie, nous allons analyser les divergences des significations que les parents d’accueil et les acteurs institutionnels donnent au placement : il s’agira ainsi de mettre en lumière les frontières institutionnelles de l’intimité de la famille d’accueil, ainsi que les stratégies d’instrumentalisation de ces frontières. Dans la deuxième partie, nous aborderons les modes de socialisation de nos enquêtés au rôle de parents d’accueil. Enfin, dans la troisième partie nous mettrons en lumière différentes stratégies de protection, de démarcation et de restructuration des frontières de l’intimité de la part des familles.

La famille de Marina

Marina : 40 ans, mère de deux enfants biologiques, parent d’accueil de 10 enfants, mère adoptive d’un enfant ; entrepreneuse, formation pédagogique ; présidente de l’Association des parents d’accueil et des parents adoptifs sous le Ministère de l’Éducation, ainsi que de l’Union des parents d’accueil et des parents adoptifs ; co-fondatrice d’une OSC et enseignante à la formation des parents d’accueil ; son mari est juriste.

La carrière de Marina en tant que parent d’accueil a commencé avec la volonté d’adopter un troisième enfant. Elle a rencontré une fille de 17 ans à l’orphelinat. Elle la fréquente de manière régulière et contractualise son placement (pour que cette dernière puisse attendre deux ans dans sa famille afin d’obtenir un logement social). Quant à son deuxième enfant placé (fille de 3 ans), alors qu’elle voulait dans un premier temps l’adopter, cela n’a pas été possible, malgré la déchéance des droits parentaux de sa mère. L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) lui a alors proposée de la placer dans la famille de Marina pour ensuite procéder à la déchéance des droits parentaux du père après sa sortie de la prison. Ainsi, la fille a vécu dans la famille de Marina pendant deux ans et demi, avant de rejoindre son père qui avait défendu ses droits à l’enfant. Après la rupture douloureuse, Marina et son mari ont contractualisé le placement d’un garçon adolescent, de sa sœur et de leur ami. En 2013, la fermeture de l’orphelinat dans leur ville, suite à la réorganisation mise en place par la réforme de désinstitutionnalisation, a amené Marina à contractualiser le placement pour deux autres enfants (14 ans et 16 ans), qui fréquentaient aussi la famille en tant que convives. Au cours de l’été 2013, leur deuxième fille placée est revenue dans leur famille. Puis, Marina, alors à Moscou, a cherché spécialement un enfant avec le syndrome de Down. Elle a trouvé une fille de 5 ans qui devait partir à l’internat pour les enfants handicapés et a contractualisé son placement. Elle a également adopté un garçon de 3 ans dans ces mêmes circonstances.

La famille d’Olga

Olga : 40 ans, parent d’accueil d’un garçon ; journaliste, travaille actuellement dans les OSC, enseignante à la formation des parents d’accueil ; son ex-mari travaille dans l’audiovisuel.

La carrière d’Olga en tant que parent d’accueil a débuté par son implication en tant que bénévole dans une organisation religieuse au sein de l’hôpital recevant des enfants qui fuient les orphelinats, des enfants trouvés ou négligés. Un jour, elle a rencontré un garçon abandonné (3 ans) et a développé un lien particulier avec lui. Comme l’organisation est orthodoxe, l’enfant a été baptisé et Olga est devenue sa marraine. Elle décide alors de l’adopter pour que le garçon ne parte pas à l’orphelinat et demande la bénédiction à son prêtre. Elle a suivi son conseil de ne pas adopter, mais de prendre l’enfant en placement. Ce choix est justifié, d’un côté à cause de la peur de l’échec, et de l’autre afin que cet enfant puisse bénéficier des avantages de la sécurité sociale (un appartement, l’entrée à l’université, etc). Elle a rencontré son autre « enfant » (16 ans) pendant son bénévolat, et est devenue sa tutrice (nastavnica). Enfin, Olga a une expérience de l’accueil temporaire : un jour l’ASE lui a parlé de la situation d’un enfant autiste (14 ans). Après la mort de la mère de ce dernier à l’hôpital, Olga a contractualisé un placement temporaire de 6 mois pour cet enfant, le temps de trouver une autre famille d’accueil.

La famille d'Irina

Irina : 41 ans, mère d’un enfant biologique, parent d’accueil de sept enfants placés, en projet de placement de deux autres enfants ; présidente de l’association des parents d’accueil sibériens.

Irina a commencé sa carrière en tant que parent d’accueil avec la volonté d’adopter un enfant après de nombreuses tentatives de concevoir un enfant biologiquement. En parcourant la base de données des enfants éligibles à l’adoption ou au placement, elle cherchait un enfant qui ressemblerait physiquement à elle ou à son mari. Une semaine après que l’enfant (1 an) avait été choisi et placé dans sa famille, elle a décidé de contractualiser le placement d’un garçon de 10 ans avec ses deux sœurs. Puis, l’ASE l’a appelée pour lui signaler que la mère biologique du premier enfant placé est de nouveau enceinte et lui a demandé de le prendre. Irina a accepté cette proposition – l’enfant a été retiré de la mère biologique à cause de négligence peu après la naissance. Les histoires de ces enfants sont marquées par une réapparition des familles biologiques pour défendre leurs droits aux enfants. L’autre enfant d’Irina est une fille de 14 ans, qu’elle a rencontrée quand elle était venue chercher ses enfants à l’orphelinat. Leur relation s’est établie à travers les visites de week-end chez la famille d’accueil, puis pour les vacances et les fêtes. Enfin, Irina a accueilli son dernier enfant placé, puisqu’aucun parent d’accueil auquel Irina l’avait proposé n’a voulu le prendre. Actuellement, elle aimerait prendre en placement deux enfants (10 ans et 15 ans) à Moscou. Elle a établi avec eux un contact de manière clandestine à travers les réseaux sociaux, en raison du refus de placement par la direction de l’orphelinat.

La famille d’Anna

Anna : 39 ans, mère biologique d’un enfant de 2 ans, parent d’accueil de trois enfants de 7, 6 et 3 ans ; pasteure d’une paroi protestante ; entrepreneuse ; ses parents appartiennent au monde des affaires ; son mari est également entrepreneur et pasteur protestant.

Avant de prendre les enfants dans leur famille d’accueil, Anna a bien vérifié que les parents biologiques des enfants étaient soit morts, soit déchus de leurs droits parentaux, dans la mesure où elle prévoit une adoption. Si elle ne les adopte pas pour le moment, c’est parce qu’elle a besoin de ressources financières pour élever les enfants (les pensions étatiques aux orphelins et la rémunération aux parents d’accueil). Elle est contre tous contacts de ses enfants avec leurs parents biologiques, qualifiant cette expérience de traumatisante, quoique ses enfants soient bien conscients d’être placés.

La famille d’accueil ou la famille adoptive ?

La famille d’accueil adoptive

Les politiques sociales de la protection de l’enfance abandonnée ou négligée en Russie s’inspirent du modèle anglo-saxon des services centrés sur la famille (family centred services) (Schmidt, 2005). Le foster care, une des formes principales de prise en charge de ce modèle, y est définit comme un placement temporaire dans lequel les parents d’accueil agissent sous l’autorité de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Ces parents sont considérés soit comme des professionnels, soit comme des bénévoles, la différence reposant dans le fait de recevoir ou non un salaire. Ils s’engagent non seulement à assurer à l’enfant un environnement familial, la satisfaction de ses besoins, des soins médicaux nécessaires et son éducation, mais aussi de garantir une communication avec la famille biologique et même d’agir en coopération avec les services sociaux pour aider l’enfant à y retourner (Reich, 2005). Les enfants restent dans la famille d’accueil jusqu’à ce qu’ils puissent être retournés dans leur famille biologique ou bien chez les membres de la famille élargie, ou encore jusqu’à ce qu’ils soient adoptés.

Dans le cas russe, les mêmes enjeux de fostering prennent des significations très différentes. À travers les récits des familles d’Irina, Anna, Olga et Marina, on remarque que le placement d’enfants se présente moins comme un acte basé sur la vertu religieuse d’accueillir l’enfant par le cœur (Chernova et Kulmala, 2018), mais plutôt comme un acte initialement égoïste. Il est motivé par un désir d’enfant proche de celui des adoptants, et est orienté tout d’abord aux besoins de la famille d’accueil et seulement ensuite à ceux des enfants placés. Il est largement dirigé par la quête des ressemblances physiques, du sentiment d’un coup de foudre (Irina) et de « prijatie » – le sentiment englobant à la fois le fait d’accepter l’enfant et de se plaire mutuellement (Olga). Ainsi, Irina par exemple, vient à l’ASE avec un tas de profils d’enfants choisis à partir de la base de données sur Internet. Quand il se trouve que ces enfants sont déjà « partis comme des petits pains chauds », pour reprendre ses mots, elle continue de regarder les dossiers jusqu’à ce qu’elle trouve l’enfant qui fera bondir son cœur. Ainsi, c’est la valeur émotionnelle de l’enfant qui prend le dessus dans la pratique de placement. Ceci la distingue de l’activité simplement professionnelle, mais la rapproche de l’adoption.

« …Je suis venue pour l’appariement, j’ai dit que ceux-là, ceux-là et ceux-là me plaisent bien, qu’on regarde ces enfants dans la base des données… […] Je leur montre et dis que j’aimerais bien celui-ci – on l’a déjà placé, –alors, celui-là –lui aussi, –et celui alors –ah, je vais téléphoner pour me renseigner… Alors, on a regardé 10 ou 15 enfants. Ils sont tous partis comme des petits pains chauds… Et ça m’a rendue très triste… On me montrait ce qu’ils avaient mais rien ne me convient ! »

La possibilité de « choisir » son enfant semble paradoxal dans un système de protection de l’enfance qui revendique être focalisé sur l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le conçoit notamment système russe (Jäppinen, 2018). En effet, ce système, valorisant le placement des enfants dans les familles d’accueil[6], offre une assez grande marge de manœuvre aux parents d’accueil quant au choix de l’enfant. Ce choix est contraint par l’obligation récente, depuis 2015, pour les candidats au rôle de parents d’accueil (à l’exception de ceux faisant partie de la parenté proche de l’enfant) de suivre de 30 à 80 heures de formation[7] afin d’obtenir un agrément. Ce dernier atteste la réussite de la formation et donne des indications formelles quant au nombre, l’âge et l’état de santé des enfants pouvant être accueillis par ces candidats. L’évaluation psychologique des parents n’y est pas obligatoire. Quant au logement, les normes exigent seulement des parents d’accueil d’avoir assez de place pour un lit et un « coin » pour l’enfant. De plus, certains programmes régionaux, dont celui de Moscou, offrent des possibilités d’amélioration des conditions de vie dans les cas où plusieurs enfants sont accueillis en même temps[8].

C’est à partir des caractéristiques présentes dans les dossiers proposés par l’ASE et publiés dans les bases de données fédérales et régionales d’enfants éligibles pour le placement et l’adoption, qui peuvent aussi circuler de manière informelle dans les réseaux des parents d’accueil, que les candidats au rôle de parents d’accueil peuvent choisir leur enfant : l’âge, la couleur des yeux, des cheveux, l’état de santé, le statut juridique des parents (droits parentaux déchus ou limités). Bien évidemment, comme le montre le cas d’Irina, le choix de l’enfant par les candidats n’est pas définitif. Il est contraint par des imperfections du système bureaucratique et de la communication entre les bases de données régionales et fédérales d’enfants éligibles. Une fois que le choix est fait, les candidats rencontrent l’enfant avec l’autorisation de l’ASE. À l’issue de la rencontre, ils signent un accord de placement à l’ASE. Les parents sont contrôlés une fois tous les trois mois par les agents de l’ASE. Cependant, les échecs sont assez fréquents. Pour l’année 2013, parmi les 6 500 enfants adoptés et placés, 4 500 ont été retournés à l’orphelinat, d’après le site Changeonelife.org.

Les frontières institutionnelles de la relation intime de la famille d’accueil

La famille d’accueil, en tant que dispositif de parentalité substitutive, est une institution assez récente. Ce dispositif de la protection de l’enfance s’institutionnalise en 2008 par l’article de loi 153.1 du code de la famille de la Fédération de Russie, en déterminant un cadre de responsabilités et de devoirs pour les parents d’accueil. Ainsi, ces derniers commencent à être considérés comme des employés de l’État pour un terme indéfini, ou bien, plus rarement, pour un terme défini[9]. De plus, depuis 2015, la famille d’accueil se professionnalise grâce à la pénétration du savoir « expert » et à la diffusion des normes de parentalité dans la vie quotidienne des parents à travers la formation des candidats dans des écoles des parents d’accueil (Chernova, 2016 ; Howell, 2006). Les parents d’accueil sont dorénavant censés non seulement être contrôlés par des services d’Aide Sociale à l’Enfance, mais aussi recevoir un soutien psychologique, pédagogique et économique dans des centres nouvellement créés de soutien à la parentalité.

Cependant, notre terrain montre que la perception du placement comme un travail par les parents d’accueil n’est pas homogène. Cette hétérogénéité s’explique par des manques au niveau des garanties sociales offertes aux familles d’accueil, telles que la retraite, le congé maladie et les vacances. D’autant plus que, pour leur activité, les parents d’accueil ne perçoivent pas de salaire, mais une « récompense». En effet, la notion de salaire, « zarplata », est remplacée par celle de « voznagrazhdenie »[10] – une rémunération similaire à une récompense, à une gratification. Ce terme, qui revient souvent dans les discours de mes enquêtées, semble éloigner la pratique de placement de la sphère économique. Lorsque j’évoquais la notion de « zarplata » pendant nos discussions, celle-ci était mal perçue et corrigée. Cette dissociation des sphères économique et parentale semble d’autant plus pertinente symboliquement dans le cas des choix des formes rémunérées ou non rémunérées de placement par les candidats. La forme non rémunérée de placement, relativement courante, est souvent choisie par des parents proches consanguins ou bien encore par certains parents « sociaux », comme Olga, pour qui ce type de placement est une alternative à l’adoption, son choix initial. Il est intéressant de constater que le poids symbolique de la consanguinité prime dans les cas d’obligation d’obtenir l’agrément lors de la formation des parents d’accueil. N’étant pas obligés d’en obtenir un pour prétendre au placement de l’enfant, les parents proches consanguins semblent y avoir un droit naturel, leurs compétences parentales étant davantage présupposées[11].

Aussi, la perception de l’activité du placement comme activité professionnelle varie en fonction des milieux de socialisation des candidats au rôle de parents d’accueil. Ces milieux sont les centres de formation publics et ceux organisés par des OSC. Ainsi, la perception de la parenté d’accueil comme activité professionnelle est majoritairement répandue parmi les parents dont la socialisation s’est passée au sein de l’OSC et dont le réseau de sociabilité y est lié. Par ailleurs, si le placement est reconnu par certaines OSC comme une activité professionnelle, ceci s’exprime spécifiquement au niveau des modalités de la communication avec la famille biologique. Le caractère contractuel et rémunéré de l’activité semble fragiliser les liens familiaux qui émergent au sein des familles d’accueil, en introduisant la possibilité pour ce contrat d’être rompu à tout moment par la contestation des droits à l’enfant par les parents biologiques. Et ce, dans un contexte où, pourtant, tous les acteurs – les parents d’accueil et même les acteurs institutionnels (non-OSC) – tendent à assimiler le placement à l’adoption.

« On a eu des situations super désagréables, vous savez, quand on passait l’enfant aux parents consanguins, mais les parents d’accueil en étaient contre, ils ne comprenaient pas que si ton statut est celui de parents d’accueil, tu signes un contrat avec l’État et cet enfant est considéré comme celui de l’État, peu importe ta volonté… oui, tu crois qu’il est le tien, oui tu l’aimes sans fin… mais ! Il y a une relation contractuelle… » (Marina)

L’instrumentalisation des frontières institutionnelles

Pourquoi, alors, ces parents de facto adoptifs restent-ils néanmoins juridiquement « professionnels » ? Pourquoi n’adoptent-ils pas leurs enfants ? En fait, la nature paradoxale des familles d’accueil en Russie s’explique par la volonté des personnes de mener une vie privée bien protégée de l’intrusion extérieure, tout en s’appropriant symboliquement des enfants de la même manière qu’en adoption, et sans pour autant perdre les garanties sociales assurées par l’État à l’enfant placé (Chernova, 2018). Il s’agit du droit à la pension alimentaire des parents déchus ou limités en droits parentaux, à des pensions, à l’attribution d’un logement à la majorité, à des avantages au concours d’entrée à l’université, etc. Comme l’explique Olga, elle a changé sa décision d’adopter après avoir discuté avec son pasteur :

« J’ai contractualisé le placement non rémunéré, oui, pas l’adoption, quoiqu’initialement j’allais adopter, mais mon prêtre m’a arrêté au temps. Il m’a dit : ‘‘C’est un orphelin, un enfant trouvé… C’est très bien, le nom de famille, mais un appartement à Moscou ne sera pas de trop !’’ Et là, je me suis calmée avec toutes mes idées d’adopter… »

Cette revendication de la pension alimentaire de la part des parents biologiques témoigne de l’instrumentalisation des frontières institutionnelles de l’intimité par la famille d’accueil. L’obligation de communiquer avec la famille biologique afin d’obtenir la pension introduit cet acteur, « extériorisé » par l’État et par les parents d’accueil, dans les relations intimes de ces derniers. Par ce fait, la famille biologique devient instrumentalisée, la famille d’accueil ne la considérant que comme une source complémentaire de revenu. Ainsi, l’extrait d’entretien avec Irina, présenté ci-dessous, montre comment la nécessité de rentrer en contact avec la mère biologique d’enfants placés à un âge plus avancé, qui ont à l’époque 7, 8 et 10 ans, a contribué à la définition et à une démarcation des frontières de l’intimité de la famille d’accueil :

« Nous, en tant que parents d’accueil sont obligés de réclamer une pension alimentaire, et la mère ne les payait pas… Elle était disparue… J’ai décidé de la trouver via les réseaux sociaux (en créant un compte au nom de son enfant). […] D’ailleurs, j’ai jamais caché des enfants que je lui parle, on lui écrivait même ensemble, ce que les enfants me disaient de dire…Bien évidemment, je posais les questions qui m’intéressaient aussi… où elle habite, son adresse etc… elle m’a donné tout ça… puis, j’ai supprimé le compte pour ne plus rentrer en contact avec elle… J’ai déjà obtenu ce que je voulais… mais j’avais fait une bêtise. J’avais posté une photo où on était tous ensemble. Elle a commencé à chercher les personnes me ressemblant et elle m’a trouvée. […] Puis elle a commencé à m’écrire que ce sont ses enfants, etc. Moi, je dis que je comprends tout, mais vous aviez la possibilité de venir les chercher, mais vous l’avez perdue il y a si longtemps… que ça ne vaut pas la peine traumatiser les enfants maintenant… »

À cette dimension opportuniste s’ajoute également la gestion de l’incertitude quant à la durée et à la réussite du placement. Le recours au placement comme étape qui précède l’adoption peut s’expliquer, d’une part, par l’absence de statut défini de l’enfant dont les droits parentaux des parents ne sont pas encore déchus ou limités, et, d’autre part, par le fait de conserver la possibilité de revenir sur sa décision. C’est ce que nous remarquons dans les propos de la directrice de l’ASE rapportés par Irina:

« Initialement, on était déterminé d’adopter, on avait préparé tous les documents pour l’adoption… puis, c’est la directrice de l’ASE qui m’a donné un conseil : “Essayez d’abord le placement, puis vous allez voir comment ça se passera… au cas où, si ça marche pas… Vous pouvez toujours l’adopter !” D’autant plus que l’enfant n’avait pas de statut en ce moment-là… Et je me suis dit, moi, pourquoi devrais-je priver cet enfant du logement étatique ? Des avantages au concours universitaire ? Sans parler de soutien matériel de la part de l’État, même s’il est minuscule… Parce que tous les groupes d’activité sont payants, les tuteurs aussi… »

L’entrée dans la pratique de placement comme moment clé dans la construction des frontières de l’intimité par les familles d’accueil

Le cadre institutionnel de la pratique de placement contribue, comme nous l’avons vu plus haut, à une définition spécifique des frontières de l’intimité dans les familles d’accueil. Ceci se fait par la production du « sens » de cette relation en tant qu’activité « professionnelle », contractuelle et rémunérée, ainsi que par la communication avec des acteurs « extérieurs » faisant partie de « l’environnement » de la famille, comme système fonctionnel. Ces acteurs extérieurs sont à la fois des acteurs institutionnels, qui contrôlent les pratiques de parentalité des familles d’accueil, et la famille biologique, qui est imposée à cette relation comme un troisième acteur par les politiques sociales. À ces frontières institutionnelles se superposent les frontières construites par les attentes des parents d’accueil au moment de l’entrée dans la pratique. Il s’agit, notamment, de l’entrée par la volonté d’adopter, par l’obligation d’accueillir les frères et sœurs de l’enfant choisi et, enfin, par le bénévolat. Bien évidemment, ces différents modes d’entrée se caractérisent par des attentes spécifiques de la part des familles d’accueil et, ainsi, influencent leurs stratégies de délimiter, de renforcer ou de restructurer les frontières de l’intimité.

L’entrée dans la pratique d’accueil par la volonté d’adopter

Il est intéressant de constater que les quatre familles d’accueil interrogées sont entrées dans la pratique d’accueil par la volonté d’adopter et ont changé leur décision principalement pour des raisons opportunistes. En effet, opter pour l’adoption semble une décision logique après de nombreux essais d’avoir un enfant « fait à la maison » (Irina, Marina), biologiquement conçu, ou afin d’accomplir le rôle social de mère en absence de père (Olga, Anna). Mais passer de l’adoption au placement ne signifie pas pour ces familles d’abandonner leur volonté initiale. Tout au contraire, c’est cette logique-là qui va les guider dans leur choix de l’enfant, ainsi que dans la construction de la relation intime et dans les interactions avec les institutions et la famille biologique. Par exemple, Irina dénonce le principe de choix aléatoire de l’enfant et l’oppose au choix bien mesuré, qu’elle a elle-même réalisé. Même si elle reconnaît au début de son récit qu’elle n’était pas censée « choisir » un enfant, que ce sont les travailleurs sociaux qui proposent des profils d’orphelins sociaux, nous voyons par la suite qu’elle a eu quand même une assez grande marge de choix :

« Mais j’attendais pour que mon cœur bondisse, que je comprenne que c’est mon enfant… pas comme certains, qui désignent par un doigt au hasard sur un enfant et le prennent… non, moi je cherchais spécifiquement l’enfant que j’aimerais… qui sera mon vrai enfant, comme si je l’avais mis au monde ! »

Ainsi, elle attend un coup de foudre pour choisir son enfant, elle cherche des ressemblances physiques entre l’enfant et son mari, qui n’a pas, quant à lui, d’enfants biologiques, ce qui lui permet de s’approprier symboliquement l’enfant, même sans le connaître.

« Voilà, on me les a montrés… je leur dis : vous en avez peut-être d’autres enfants quelque part ? Ils m’ont montré une photo d’un enfant… l’enfant ressemblait à mon mari plus ou moins… Je dis ok, on va faire le renvoi pour cet enfant, j’irai le voir… Il avait 6 mois… On m’apporte l’enfant et je comprends que c’est le mien ! »

L’entrée par le bénévolat ou par la formation au sein des OSC

Depuis que les politiques sociales en Russie encouragent la coopération entre les OSC et les institutions gouvernementales, et notamment à partir de 2015, les organisations non gouvernementales ont repris une partie des tâches assignées aux services étatiques de soutien et de contrôle des parents d’accueil. C’est ainsi que des écoles pour les parents d’accueil voient le jour, initiées par des OSC. Grâce à des stages et des échanges avec des professionnels des pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord[12], une formation alternative à celles des centres publics de soutien à la parentalité a été proposée. Lesdites écoles concourent à la définition de la pratique de placement comme un travail, et tendent à mettre en relief la relation contractuelle qui doit unir l’État et les parents d’accueil, ceux-ci ayant leurs responsabilités et leurs devoirs (l’État aussi). Comme explique Marina, la présidente d’une des OSC et mère d’accueil elle-même :

« … Surtout, dans les écoles pour les parents d’accueil [organisées au sein de l’OSC dont Marina fait partie de la direction] on essaie d’expliquer aux parents qu’un enfant placé… que si vous voulez que l’enfant soit 100 pour cent à vous, allez à la cour et l’adopter ! C’est tout. C’est le seul moyen. Parce que si l’enfant a le statut de placé, alors je suis désolée, vous touchez un salaire, c’est ça ? Oui ! Vous rendez des comptes de l’argent que vous recevez, vous avez un programme spécifique… Dans tous les cas, c’est votre TRA-VAIL ! »

Si ces écoles de parents d’accueil sont différentes des écoles étatiques, c’est avant tout parce que leurs « enseignants », à l’exception des psychologues qui sont davantage perçus comme des professionnels du fait de leur domaine de compétence spécifique et étroit, sont dans la plupart des cas eux-mêmes des parents d’accueil, ce qui leur permet de partager des histoires de placement réelles, les leurs. Leur programme de la formation vise en particulier les catégories d’orphelins qui présentent une difficulté pour le placement : les adolescents, les enfants avec un handicap et les fratries. Cette formation, ainsi que le réseau de soutien et d’entraide des parents d’accueil constitué au sein des OSC, contribuent au fait que les parents d’accueil en Russie commencent à accueillir de plus en plus d’adolescents et d’enfants handicapés. Enfin, pour assurer la « socialisation[13] » des adolescents qui demeurent à l’orphelinat, les OSC ont mis en œuvre un projet de tutorat (nastavnitchestvo), qui encourage des bénévoles à devenir des « adultes d’importance » pour ces enfants. Les orphelinats, de cette manière, leur ont délégué les tâches relevant de la socialisation des enfants à la vie en société, ainsi qu’aux rapports avec l’administration (réclamer des aides sociales, le droit au logement). C’est à travers le biais de ce programme de tutorat qu’Olga rencontre son autre « enfant », Dima, qui avec le temps devient pour elle comme « un proche, comme un cousin… cousin germain ». Cette présentation des liens d’affiliation est marquée par une gradation, allant du plus proche (un proche) au plus lointain (un cousin germain) comme si Olga cherchait de cette manière à distinguer la relation qui s’établit alors avec Dima de celle avec son fils, qu’elle a eu en placement quand il était tout petit.

« … Du coup, on s’est mis ensemble, parce que probablement nos caractères se ressemblent… Mais je lui ai dit directement que je ne vais pas le prendre en placement, je serai son tuteur… et alors, on se parlait sur les réseaux sociaux, sur Internet et à un moment il m’était évident qu’il est devenu comme un proche, comme un cousin… cousin germain… Il vient, il connaît tous les membres de notre famille, tous nos amis… il fait partie de notre famille… pas un parent proche, mais la personne avec qui on maintiendra la relation de toute façon. »

Bien évidemment, être parent d’accueil d’un enfant en bas âge diffère du fait d’être celui d’un enfant en âge avancé. Il faut alors composer avec les socialisations antérieures de l’enfant, au sein de la famille biologique, et dans l’institution qui l’a recueilli. Dans le cas des enfants en âge plus avancé, leur famille biologique ne subit ainsi pas de « mort symbolique » (Khlinovskaya-Rockhill, 2010), les enfants se souviennent de leurs parents et maintiennent la communication avec eux. Ainsi, prenant acte de ce fait, quand Marina accueille en placement des enfants adolescents de 14, 16 et 17 ans, elle conçoit dès le début son rôle comme celui d’une tutrice (nastavnik), et non pas comme celui d’une mère. Dans ce cas précis, ce n’est pas seulement le fait que les enfants se souviennent de leurs parents biologiques qui détermine le rapport de Marina avec eux, mais aussi les rapports d’amitié qu’elle avait préalablement établis avec eux lors de son expérience de travail en tant que maîtresse scoute dans une colonie de vacances où ils séjournaient. Le placement introduit alors un défi important pour sa pratique parentale : il lui faut passer des rapports d’amitié noués lors du bénévolat aux rapports de pouvoir propres à la hiérarchie familiale. C’est ce défi qui lui permettra ensuite de re-concevoir son rôle de parent d’accueil.

« Nous, on était des maîtres scouts, ils nous regardaient avec des yeux brillants comme si on était des gourous… Et ça, ça a compliqué leur entrée dans notre famille, parce qu’on devait requalifier les relations d’amitié aux relations de parenté. […] C’était à la fois simple et difficile parce que je comprenais que je ne suis pas leur maman, ils sont grands, ils ont 14, 16 ans… […] Et je l’explique à l’école des parents d’accueil, que si vous prenez un enfant adolescent, vous êtes avant tout son tuteur (nastavnik). Je sais que moi, je suis le monde entier pour eux [pour les petits], ils avaient été abandonnés, ils ne connaissent pas d’autres parents… mais là, c’est plus compliqué. »

La construction, la protection, le renforcement et la restructuration des frontières d’intimité construites par la famille d’accueil

La protection des frontières

Le placement d’enfants, ou plus précisément la pratique d’adoption informelle, se caractérise par un grand investissement émotionnel de la part des parents d’accueil. Dans les histoires étudiées, il s’accompagne de surcroît d’investissements économique et pédagogique. Les parents d’accueil reprennent les discours des psychologues sur l’attachement, ainsi que sur les conséquences de la privation maternelle des enfants qui ont vécu dans le « système ». D’ailleurs, ce dernier est souvent « diabolisé » dans les discours des parents par rapport à la prise en charge familiale. L’orphelinat est alors vu comme un organisme qui néglige l’éducation et la santé des enfants : d’où les diagnostics médicaux d’handicap, ou bien encore d’arriération mentale et pédagogique, que les parents d’accueil arrivent à rendre caducs grâce au traitement et aux cours supplémentaires. En effet, Olga amène son fils, qui n’a pas de handicap mental mais un petit retard, aux cours éducatifs pour les enfants avec le syndrome de Down. Ceci lui permet de rattraper rapidement ce retard. De même, d’autres parents d’accueil ont recours aux services des tuteurs privés pour préparer les enfants à l’école. Enfin, cette attitude méfiante vis-à-vis des institutions se construit également à travers les expériences des parents aussi bien que des histoires racontées par les enfants. Ainsi circulent parmi les parents d’accueil des rumeurs qui dénoncent les acteurs institutionnels qui essaient de retenir les enfants pour prévenir la fermeture des établissements suite à la réforme de la réorganisation[14].

C’est l’évaluation de cet investissement des parents d’accueil comme plus légitime et plus significatif pour l’enfant par rapport à celui de l’institution et de la famille biologique qui permet de tracer une ligne nette entre ce qui est à l’intérieur de la famille comme système fonctionnel (les parents d’accueil et leurs enfants biologiques et placés) et ce qui en est à l’extérieur (les acteurs institutionnels et les parents biologiques). Par conséquent, certains parents d’accueil, notamment ceux qui ont été formés par des écoles publiques des parents d’accueil, ont tendance à s’opposer à l’intervention de soutien et de contrôle des agents de l’ASE dans leur quotidien. Comme le montrent Zhanna Chernova et Mary Kulmala (2018), le contrôle de la part de l’ASE est perçu par ces familles comme une bureaucratisation de l’amour parental. Les parents ne trouvent pas évidents les principes d’évaluation de la « bonne » pratique parentale et de l’affection à partir des rapports auprès des acteurs institutionnels (des chèques sur l’argent dépensé pour l’enfant, les sorties culturelles, etc.). Ainsi, Olga, par exemple, s’y oppose et essaie de minimiser l’interaction avec les agents sociaux, du fait de la coopération étroite entre les services de soutien (centres publics de soutien à la parentalité) et de contrôle (ASE).

« Pour un certain temps j’avais une propiska [l’attestation de résidence permanente] à Petrozavodsk et je ne changeais même pas mon ancienne ASE pour celle de Moscou pour qu’on ne m’embête pas ici… […] Parce que vous savez toutes ces histoires qui circulent où les travailleurs sociaux viennent vérifier le frigo… J’ai rien contre l’ASE mais il y avait des fois quand ils ont posé des questions pas très correctes… à moi et à mon enfant… […] Et s’il se trouve qu’une personne des services de soutien et d’accompagnement, un psychologue, croit qu’il est possible de tout raconter aux services d’ASE [l’organe qui contrôle et évalue l’activité des parents d’accueil]… Bien sûr que la famille ne vous fera pas confiance… »

La démarcation des frontières

L’introduction et l’explication du rôle des parents d’accueil dans l’interaction avec la famille biologique contribuent au développement de premières formes de placement temporaire au sein des OSC. Cependant, cette forme de suppléance incertaine reste peu développée : il n’existe qu’une dizaine de familles qui pratiquent ce type de placement à Moscou, qui prennent des enfants pour une garde temporaire, « na perederzhku[15] ». Le placement temporaire prévoit en pratique que les parents d’accueil remplissent les fonctions jadis assurées par l’institution : faire passer à l’enfant les examens médicaux qui lui sont nécessaires, assurer la continuité de son éducation et même, dans certains cas, lui trouver une famille d’accueil permanente à travers le réseau des parents d’accueil. Mais même si cette pratique commence à se développer, elle ressemble plus à un bénévolat qu’à une activité professionnelle, étant sans encadrement institutionnel ou méthode de travail bien défini. Par ailleurs, si une famille accepte de garder temporairement un enfant, il n’est souvent pas facile de trouver une famille d’accueil définitive pendant le temps de garde prévu (6 mois). En effet, les cas où les enfants restent dans ces familles pour plus d’un an sont mis en exergue par les professionnels des OSC interrogés, pour démontrer que la pratique de placement temporaire n’est pas encore bien instituée.

Ainsi, le cas d’Olga, qui pratique le placement temporaire de manière plutôt informelle, représente une forme de suppléance incertaine et est marqué par une forte démarcation des frontières de l’intimité. En effet, quand les services d’ASE l’ont appelée, en tant que professionnelle d’une OSC, à propos d’un garçon de 14 ans, autiste, qui était resté enfermé chez lui pendant 14 jours, sa mère étant à l’hôpital, Olga l’a pris chez elle pour éviter qu’il parte à l’orphelinat après la mort de cette dernière. Elle s’est rendu compte des effets néfastes qu’aurait la vie à l’orphelinat sur cet enfant, né dans une famille de musiciens avec un grand capital culturel et social (son grand-père était un soliste au théâtre Bolshoï, sa mère et sa grand-mère étaient musiciennes aussi). Elle a investi pour lui dans des cours de musique privés afin de lui permettre de préparer les examens d’entrée à l’école préparatoire du Conservatoire de Moscou. Ce placement a duré 4 mois[16]. Pendant ce temps, l’ASE a cherché une autre famille pour un placement définitif. Malgré l’investissement économique et émotionnel dans la vie de cet enfant, Olga n’a pourtant pas considéré la possibilité de devenir sa mère d’accueil. Elle a délimité dès le début les frontières de l’intimité avec le garçon, en lui expliquant le sens qu’elle donne à leur relation :

« …Et alors, mon fils, il s’est trouvé piégé dans la situation car nous n’avions choisi personne ! Nous n’avions pas eu ce sentiment de prijatie… nous ne ressentions pas de sympathie à son égard… comment dire… l’enfant n’était pas du tout le nôtre ! C’était un grand pissenlit, qui faisait 95 kg, qui jouait du trombone le jour et la nuit parce que sa mère était musicienne… […] … Trois mois après, il nous dit qu’il se sent bien avec nous… moi, je dis, non, non, non, on a déjà bien décidé avec toi que tu ne peux pas vivre avec nous. Nous t’avons gardé pour un certain temps pour que tu ne te trouves pas dans la rue… Nous sommes en train de te chercher une famille, nous faisons des examens médicaux, nous passons des examens… C’est-à-dire que mon but était de le préparer et de le passer à une autre famille… »

Il faut ajouter à cela que, dans cette situation où l’enfant n’était pas choisi, où il n’y avait pas de « coup de foudre », la démarcation des frontières se passe non seulement au niveau symbolique, mais aussi au niveau physique, au niveau du partage de l’espace commun. Nous voyons ainsi des cas où une famille déjà constituée se retire d’une chambre, la laissant tout entière à l’enfant placé temporairement :

« Mais mon fils a beaucoup souffert… Nous avons un appartement à deux pièces et Igor lui a laissé la sienne parce qu’avec son trouble autistique, il lui [à Oleg] sera difficile de vivre avec quelqu’un dans la même chambre et moi, je ne voulais pas vivre avec lui. Alors, on a décidé avec Igor… »

Évidemment, la définition claire et précise par les parents d’accueil de ce placement temporaire, ayant pour objectif le retour de l’enfant dans sa famille biologique, contribue à la démarcation et à la définition de frontières. Le cas d’Anna apporte des éléments de preuve supplémentaires. Elle explique que, malgré le grand nombre de raisons pouvant la motiver à déchoir de ses droits parentaux la mère de l’enfant qu’elle avait trouvé abandonné et négligé dans le son quartier, elle ne l‘a pas fait. Elle lui a permis de vivre chez elle pour un certain temps, mais avec le but de le retourner ensuite à sa famille biologique. Cet objectif principal l’a aidée, comme elle le constate elle-même, à s’empêcher de s’attacher à l’enfant. Elle a continué ses échanges avec la mère du garçon jusqu’à ce qu’elle s’assure que la mère peut s’occuper de lui.

Le renforcement et la restructuration des frontières

La famille biologique, comme le montre Maija Jäppinen (2018), est souvent disqualifiée par les agents des institutions étatiques comme un facteur empêchant l’adaptation des enfants à l’orphelinat ou dans une famille d’accueil. Cette tendance s’explique par le fait que ces agents interviennent dans la plupart des cas au niveau de la prévention tardive, en travaillant avec les catégories de la population déjà sujettes au contrôle social, assuré par le comité des affaires des mineurs (faisant partie du Ministère de l’Intérieur) et par les services de l’ASE. Cette lecture explique les attitudes souvent fatalistes de ces professionnels vis-à-vis du destin des enfants dans ces familles. Ce rejet est moins marqué chez les OSC qui visent à réaliser une prévention précoce. Tout en proposant des programmes de soutien et d’aide ponctuelle aux familles de migrantes, d’anciennes orphelines, aux femmes qui subissent la violence domestique ou qui sont en manque de moyens économiques pour vivre, les OSC gardent à l’esprit la réunification de la famille biologique, en refusant toutefois les candidats dépendants à l’alcool et aux drogues.

Mais, même si la famille biologique reste discréditée par les acteurs institutionnels des établissements gouvernementaux, l’importance pour l’enfant de connaître son histoire et de communiquer avec les parents biologiques dans la mesure de possible est considérée comme indéniable par la plupart des acteurs institutionnels. Ces injonctions, diffusées notamment pendant la formation des familles d’accueil au sein des OSC, produisent une situation de pluriparentalité dans un contexte de domination des liens familiaux noués lors du placement. Comme l’explique Marina :

« Notre but, je suis convaincue, et je le dis très souvent à d’autres parents d’accueil, que nous ne devons dans aucun cas dire du mal sur les parents biologiques… que tous ont le droit à une erreur, que devenir alcoolique, oui, personne n’en est à l’abri… (…) Imaginez-vous, comment l’enfant va se sentir, va développer son ego en grandissant, tout en se rajoutant à cette mère… Il fait partie d’elle… Alors, il est mauvais aussi… »

Les formes de suppléance (soutenance ou substitutive) observées dans les cas étudiés varient en fonction du lieu de leur socialisation au rôle des parents d’accueil (établissement gouvernemental ou OSC), selon leurs attentes initiales (adoption ou bénévolat), selon l’âge de l’enfant placé, de même que selon leur degré d’investissement symbolique et économique dans la vie de ce dernier. Ainsi, les parents qui prennent en charge des enfants en bas âge, et qui ont été formés par des centres publics de soutien à la parentalité, s’inscrivent dans le cadre de la suppléance substitutive. Par le fait de s’opposer aux échanges des enfants avec leur famille biologique, et, surtout à leur retour au sein de celle-ci, ces familles d’accueil renforcent leurs frontières de l’intimité. Tel est le cas d’Anna qui vérifie le statut de l’enfant avant de le prendre en placement, pour que les parents biologiques soient déchus des droits parentaux et ne puissent pas contester le droit à l’enfant. Dans le cas échéant, Anna sera prête à adopter son enfant :

« Qu’ils [la famille biologique] essaient de prendre mes enfants maintenant… il est fort probable qu’ils n’y arrivent pas… c’est-à-dire qu’on comprend clairement que si la situation se présente, nous allons tout simplement adopter les enfants pour bloquer toute possibilité… »

Dans le cas de suppléance soutenante, de manière inverse, pour Marina, qui à l’époque ne faisait pas partie de son OSC, la décision de coopérer avec la famille biologique semble alors dépendre du profil social de celle-ci, ainsi que de la possibilité de garder les liens d’affiliation construits lors du placement. Ainsi, elle a accepté de coopérer avec le père d’Alina qui avait réclamé son droit d’élever sa fille après la sortie de la prison. Elle la lui retourner alors après deux ans et demi de vie commune. La bienveillance du père vis-à-vis de la famille d’accueil a toutefois permis le maintien des rapports entre Marina et la fille. Néanmoins, un an plus tard, la petite fille a à nouveau été placée chez elle, parce que les services d’ASE ne trouvaient pas légitimes les pratiques d’éducation du père. Cette histoire, avec laquelle la carrière de Marina en tant que parent d’accueil débute, semble structurer l’attitude qu’elle adopte depuis à l’égard des échanges des enfants placés avec la famille biologique. C’est également ce canevas d’attitudes qu’elle diffuse depuis à l’école des parents d’accueil. Tout en faisant une distinction entre ses enfants placés et son enfant adoptif, Marina constate qu’elle a trois enfants « à elle » (deux biologiques et un enfant adopté) et sept enfants placés. Elle reconnaît la possibilité de donner la chance de devenir une « vraie mère » à la mère biologique d’un de ses enfants, qu’elle avait abandonné à cause de pathologies de santé, mais à la condition de maintenir des liens et des échanges :

« Évidemment, je ne juge pas sa mère [en parlant d’une de ses filles], qui a donné la naissance tardivement et on lui a dit que l’enfant avait de tels diagnostics, de tels diagnostics, qu’elle n’y arriverait pas… elle a refusé, mais puis un an ou deux plus tard, elle comprendra qu’elle n’a plus de chances de devenir mère, elle cherchera son enfant… et bien sûr, je me rends parfaitement compte qu’il est fort probable qu’on lui donne la chance de devenir une vraie mère… Oui, j’aurai beaucoup de mal à la séparation… mais on va pas se séparer vraiment, parce que je suis convaincue qu’il faut maintenir les liens, aider… »

Enfin, dans l’histoire d’Irina, c’est plutôt l’âge des enfants (7, 8, et 10 ans) qui semble déterminer sa décision de leur faire savoir qu’elle était en correspondance avec leur mère biologique. Cependant, même si elle le leur fait savoir, elle s’est opposée à ce qu’ils la rencontrent physiquement. Elle ne leur interdit pas de communiquer avec elle, mais elle se charge de contrôler et diriger cette communication, en tant que médiatrice, pour qu’elle fonctionne de manière unilatérale : la mère a le droit de leur envoyer des messages, leur souhaiter de bons vœux à l’occasion des fêtes, de donner de ses nouvelles, mais c’est Irina qui reçoit ces messages et les transfère aux enfants et, de manière réciproque, donne des nouvelles des enfants.

Conclusion

Ces quatre histoires familiales, aussi différentes soient-elles, témoignent des spécificités de la construction, de la protection, du renforcement et de la restructuration des frontières de l’intimité lors de la pratique de placement en Russie. Le cas russe est d’autant plus intéressant que la pratique de placement représente dans la plupart des cas la suppléance substitutive, en assimilant cette pratique à l’adoption nationale. Cette perception dépend de l’âge de l’enfant placé, son statut juridique, ainsi que le lieu de socialisation des candidats au rôle des parents d’accueil. Différente de celle de fostering, la pratique de placement commence néanmoins à se professionnaliser avec la mise en place de la relation contractuelle entre les candidats et l’État, ainsi qu’avec la sensibilisation aux responsabilités et aux obligations des parents d’accueil en tant que professionnels par des écoles des parents d’accueil (majoritairement par celles fondées au sein des OSC).

Dans ce contexte d’ambivalence de la pratique de placement, les cas analysés nous démontrent les manières des parents d’instrumentaliser les frontières institutionnelles imposées à la pratique d’accueil en tant que profession : au niveau de la communication avec les institutions de contrôle et de soutien, mais aussi avec la famille biologique. Ces frontières se superposent à celles produites par la famille d’accueil à la base des attentes des candidats au moment de l’entrée dans la pratique du placement : en fonction du lieu de socialisation au rôle des parents d’accueil ainsi que du profil (disponible ou recherché) de l’enfant. Ainsi, ces cas nous fournissent des exemples parfaits pour étudier l’électivité des liens de parenté (Théry, 1988), et nous renseignent de manière fine sur le travail de délimitation des frontières de l’intimité opéré par les familles d’accueil, comme dans le cas du placement temporaire. Enfin, ces cas illustrent également le concept de la famille relationnelle, tel que défini par de Singly (1997), en tant que liens librement consentis et non pas (seulement) définis statutairement : ainsi, dans les cas de figure de placements d’enfants plus âgés, les parents d’accueil n’investissent pas un rôle de père ou de mère, mais plutôt un rôle de tuteur (nastavnik).