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Dans cet ouvrage paru en 2018 et version remaniée de sa thèse soutenue en 2015 à l’Université de Sherbrooke, en cotutelle avec l’Université Toulouse-Jean Jaurès, Geneviève Piché se propose d’étudier le rôle de la religion catholique, telle que pratiquée par les esclaves de Louisiane, dans la constitution d’une communauté afro-catholique particulière. Pour répondre à cette question, l’auteure analyse les comportements religieux de deux communautés d’esclaves : celle de la paroisse urbaine de La Nouvelle-Orléans et celle de la paroisse rurale de Saint-Jean-Baptiste.

En introduction, l’auteure prend le soin d’expliquer les bornes chronologiques choisies : 1803, car il s’agit de l’année où la Louisiane est achetée par les États-Unis, ce qui l’amène à se retrouver dans un ensemble à majorité protestante. La date de fin de cette étude est 1845, car on observe dans les années 1840 « la fondation de l’église Sainte-Augustine, emblème de la religion des Noirs libres et des esclaves de La Nouvelle-Orléans, et […], la fondation officielle de la communauté des Soeurs de la Sainte-Famille, un ordre religieux propre aux femmes de couleur libres » (p. 19). Elle étudie ainsi le processus qui a mené à cette officialisation.

Les deux premiers chapitres de l’ouvrages présentent successivement les deux paroisses étudiées, leurs spécificités et celles des populations esclaves qui les composent, ce qui permet à l’auteure de poser le cadre spatio-temporel de son étude.

Les deux chapitres suivants analysent, d’une part, la situation de l’Église catholique de Louisiane et les défis auxquels elle fait face à la suite de l’achat de la Louisiane par les États-Unis (chapitre 3) et, d’autre part, les relations entre cette Église catholique et les esclaves (chapitre 4). Il ressort de ces chapitres que l’Église catholique de Louisiane, avec un nombre de prêtres insuffisant pour couvrir tout le territoire et desservir toutes les paroisses, s’est trouvée en difficulté face aux Églises protestantes. Cependant, malgré ces difficultés, les prêtres catholiques de Louisiane ont fait leur possible pour évangéliser la population esclave (p. 153).

Les deux derniers chapitres constituent le coeur de l’ouvrage : le chapitre 5 traite des « esclaves face aux rites catholiques » (p. 169) et le chapitre 6 s’intéresse aux différents types de parentés et de réseaux que la religion permet de créer. Pour mener son étude, l’auteure a fait un examen poussé des registres de baptêmes, mariages et sépultures des paroisses considérées, complétés au besoin par les inventaires après décès des maîtres. Il ressort de ces deux chapitres que les communautés esclaves étudiées sont en majorité créoles et que la religion catholique sert de facteur d’intégration aux nouveaux esclaves, en particulier dans les paroisses rurales ; ils sont moins nombreux à La Nouvelle-Orléans par laquelle ils transitent mais d’où ils sont expédiés dans l’intérieur des terres. Ainsi le catholicisme constitue un des ciments de la communauté esclave créole (p. 174).

L’auteure montre également, dans le sixième et dernier chapitre, que les réseaux de parenté qui se créent grâce au parrainage sont très importants pour les esclaves et leur permettent de reconstituer des familles, lesquelles remplacent dans une certaine mesure les familles qui ont pu être perdues en raison des incertitudes inhérentes à l’esclavage. Ces réseaux peuvent également permettre à l’esclave de se placer sous la protection d’une personne libre de couleur ou d’un Blanc, souvent le maître ou un membre de sa famille (p. 240-243). L’auteure souligne ici que les communautés esclaves et libres de couleur sont alors étroitement imbriquées, une même personne libre de couleur pouvant servir à plusieurs reprises de parrain pour des esclaves (p. 236-239).

L’étude effectuée par Geneviève Piché en s’appuyant sur des sources variées – registres paroissiaux (baptêmes, mariages, sépultures), inventaires après décès des maîtres et correspondances de membres du clergé de Louisiane – permet de mettre en lumière les caractéristiques de la communauté afro-catholique de La Nouvelle-Orléans et de la paroisse rurale de Saint-Jean-Baptiste. Les apports majeurs de cette étude sont que la communauté esclave de La Nouvelle-Orléans est majoritairement créole pour la période étudiée, que la participation à de multiples baptêmes pour les parrains et marraines est un signe de leur engagement sincère dans la religion. Elle s’inscrit ainsi dans l’historiographie du sujet, en citant notamment à plusieurs reprises Virginia Gould, Gwendolyn Midlo Hall, Emily Clark, Sue Peabody sur les populations esclaves de Louisiane et le développement d’une culture afro-créole[1], l’importance des femmes dans la communauté afro-catholique de La Nouvelle-Orléans[2], la signification du baptême pour les esclaves en contexte antillais[3], et elle en précise ou nuance les conclusions, par exemple lorsqu’elle précise que contrairement à ce qu’affirment E. Clark et V. Gould, les parrains et marraines de couleur libres ne sont pas majoritaires pour les enfants esclaves (p. 236).

Or certaines conclusions tirées de l’étude menée par G. Piché nous semblent cependant quelque peu exagérées, comme lorsqu’elle évoque « une certaine liberté quant à leurs pratiques religieuses » (p. 248) en parlant des esclaves ou encore lorsqu’elle affirme qu’ils ont « pleinement consenti à rejoindre les rangs d’une communauté catholique » (p. 248). Dans le contexte de l’esclavage, on peut se demander dans quelle mesure le consentement était librement donné, d’autant plus pour les nouveaux arrivants cherchant à s’intégrer à une nouvelle communauté. Il aurait été intéressant que l’auteure se penche sur les travaux de Vincent Cousseau[4] sur la Martinique, dans lesquels il étudie sur la longue durée les registres de baptême et les noms donnés par les esclaves, pour mettre au jour les stratégies sociales qui les sous-tendent.

Une autre limite de l’ouvrage de G. Piché découle du fait que seule la religion catholique officiellement pratiquée par les esclaves est étudiée, les pratiques moins orthodoxes, de même que les éventuels syncrétismes, échappant ici à l’examen de l’auteure. Il n’en demeure pas moins que Du baptême à la tombe est un ouvrage très intéressant, très bien documenté et solide et constitue un bon point de départ pour des études plus approfondies sur la question.