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Mon collègue fait l’éloge de l’originalité du cadre et de la profondeur de mon livre ainsi que de l’étendue de ses sources. Aussi, il reconnaît que tant les universitaires et que les non-universitaires y trouveront une ressource nécessaire pour mener des recherches complémentaires. Cependant, il reproche mon accent mis sur les projets et les plans des ingénieurs royaux et ceux de l’armée et de la cour françaises au détriment des développements vernaculaires. C’est une remarque valable, et je n’ai pas pris cette décision à la légère. Ce livre ne se concentre pas sur l’expérience coloniale française dans son intégralité ; il porte plutôt sur le programme architectural de la France, tel que comptabilisé dans les documents générés par l’État français et par l’Église catholique, notamment les bâtiments qui ont survécu et ceux qui ont été détruits, ainsi que les projets utopiques qui n’ont jamais été construits. C’est un très grand projet qui ne peut être traité dans un seul livre qui compte déjà plus de 600 pages. Bien que l’architecture vernaculaire soit un sujet tout aussi vaste que fascinant, il nécessiterait toutefois un deuxième volume de la même densité que cet ouvrage.

Bien que le critique propose le contraire, je maintiens que les Français étaient plus intransigeants, du moins en termes d’architecture, dans leur insistance sur les formes françaises plutôt qu’indigènes que ne l’étaient les Espagnols ou les Portugais (je ne fais nullement une telle affirmation sur les Britanniques ou les Néerlandais). Il n’y a tout simplement rien dans l’Empire français qui relève de l’hybridation qui s’est produite du XVIe au XIXe siècles en Amérique du Sud hispanique (ou, par exemple, en Inde portugaise).

Cependant, il y a un aspect des commentaires du critique qui est injuste et qui, je suppose, découle d’un parti pris personnel. Mon collègue me transforme en homme de paille, un Canadien anglo-saxon qui dresse un dossier réduit à la politique, afin de dénigrer la culture canadienne-française par l’entremise d’idées préconçues de supériorité britannique. Tout d’abord, je m’empresse de m’identifier comme Canadien français issu d’une famille de 350 ans d’histoire au sein de ce qu’est devenue la province de Québec. De plus, le fait que je consacre une large partie de ce livre à reconstituer minutieusement des monuments canadiens-français devrait satisfaire quiconque du fait que je m’engage à apprécier et à préserver le patrimoine québécois. Enfin, non seulement les trois quarts de ce livre ne traitent pas du tout du Canada, mais aussi je tire oecuméniquement mes « flèches » sur les atrocités coloniales françaises qui ont eu lieu tant en Guyane qu’au Sénégal.

Le critique a raison de souligner que je porte un jugement envers la France : l’empire colonial français était un régime cruel, aux mains entachées de sang, qui eut comme résultats le vol de terres, le déplacement, et la destruction des modes de vie indigènes. Cet empire fut l’un des utilisateurs les plus prolifiques de l’esclavage. Mais, à cet égard, je ne prétends aucunement que les Français étaient pires que les autres puissances européennes : les Néerlandais et les Britanniques étaient sans doute plus brutaux dans leurs politiques, en plus d’être plus activement impliqués dans la traite négrière transatlantique. En tant que Canadiens français, nous sommes tentés par une certaine nostalgie du passé, celui qui précède la Conquête, mais c’est une nostalgie qui néglige le patrimoine de l’esclavage du Canada français (tant pour les Amérindiens que pour les Africains), son déplacement des peuples autochtones et son rôle dans la décimation de leurs populations. Le Canada français peut être fier de beaucoup de choses, mais en cette ère de la vérité et de la réconciliation, où les Pays-Bas et la France reconnaissent plus ouvertement leurs atrocités coloniales, nous devons également reconnaître les épisodes les plus sombres de notre histoire.