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Introduction

Au Cameroun, l’éducation est un domaine prioritaire d’intervention de l’État[1]. De fait, dans la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, il est mentionné en préambule que l’État assure à l’enfant (garçon ou fille) le droit à l’instruction et que l’enseignement primaire est obligatoire[2]. Ceci dit, qu’en est-il plus spécifiquement de l’éducation des filles et de la place des femmes dans la société camerounaise?

Dans l’espace public et politique camerounais, les débats sur le genre portent volontiers sur l’importance d’une politique de promotion des femmes qui soit claire : « les hommes et les femmes doivent être à égalité des chances » (ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (MINPROFF), 2012). Nous en avons pour preuve les propos qu’a tenus le président de la République du Cameroun, Paul Biya, le 2 octobre 1997 à Maroua[3] : « je m’engage à faire de l’égalité entre les droits de l’homme et les droits de la femme, une réalité ». Le 10 février 1998, à l’occasion de la 32e fête de la jeunesse du Cameroun, le président renouvelait son engagement en précisant que le travail des femmes serait reconnu et valorisé partout et qu’elles seraient représentées dans toutes les instances dirigeantes du pays. Ces propos montrent la volonté d’un État engagé pour l’égalité entre les droits des hommes et des femmes.

C’est dans ce contexte que des ministères s’attelleront à mettre en oeuvre ladite politique gouvernementale. Il s’agit du ministère des Affaires sociales, de la Promotion de la femme et de la Famille, à travers de multiples programmes en faveur des femmes, et des ministères de l’Éducation de base, des Enseignements secondaires et de l’Enseignement supérieur, qui promeuvent la scolarisation des jeunes filles. Toutefois, un service de promotion féminine du ministère des Affaires sociales existait déjà en 1974 sous le régime du premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, et des femmes, comme Julienne Keutcha, ont commencé à occuper dès 1960 des postes à l’Assemblée nationale du Cameroun. De même, lorsqu’Ahmadou Ahidjo crée son parti politique le 18 mai 1958, l’Union camerounaise (qui deviendra l’Union nationale camerounaise) crée également alors la branche féminine de ce parti. Toutefois, c’est davantage sous le régime de Paul Biya que les questions sur le genre éclatent ouvertement. Le contexte des années 1990, avec le vent de démocratie et les multiples conférences sur l’amélioration des conditions des femmes, a contraint l’État camerounais à s’intéresser au problème du genre. Plusieurs associations de promotion féminine sont ensuite créées (Bengono, 1995) et davantage de femmes s’impliquent dans les différentes sphères de la politique et de la société camerounaise (MINPROFF, 2012, p. 21-24). Cette mobilisation des femmes témoigne des efforts de l’État camerounais en faveur des droits des femmes. Toutefois, les ministères des Affaires sociales, de la Promotion de la femme et de la Famille n’interviennent pas dans le milieu scolaire en général ni au niveau du primaire plus spécifiquement. Il s’agit d’une responsabilité qui, en rapport avec la promotion du genre dans le domaine scolaire, revient au ministère de l’Éducation de base.

Au Cameroun, malgré la volonté exprimée par les gouvernements, les femmes sont encore marginalisées dans le commandement territorial et l’accès aux positions de pouvoir, qui demeurent majoritairement détenues par les hommes (Mouich, 2007 ; Nkolo Asse, 2015). Du point de vue juridique, l’application du droit moderne écrit et du droit coutumier en matière de droit camerounais de la famille ne garantit pas encore une égalité entre hommes et femmes au sens des féministes (Tjouen, 2012). En outre, ladite marginalisation peut également être saisie au travers du système d’éducation camerounais (Martin, 1972). Cela étant, une présence davantage masculine (liée aux activités professionnelles formelles) que féminine (liée aux activités professionnelles informelles) s’observe au fil du cursus scolaire primaire dans les manuels de mathématiques au Cameroun (Kamdem Kamgno, 2008).

À la suite de Mouich (2007), Nkolo Asse (2015), Tjouen (2012) et Kamdem (2008), le présent article s’intéresse au genre mis en images dans les manuels scolaires. Il propose une analyse du discours qui ressort de l’ensemble des normes, des croyances, des pratiques et des connaissances autour des rapports de genre à partir de l’étude des images issues de manuels scolaires francophones en usage au Cameroun. Plus spécifiquement, le corpus des images analysées est tiré de manuels du cycle primaire.

1. Cadre théorique

L’iconographie genrée dans les manuels scolaires renvoie à la classification sociale imagée du masculin et du féminin. Tout de même, le genre émerge au travers des processus culturels, économiques, politiques et relationnels, et contient un ensemble instable de normes organisées autour des rôles et des symboles attribués à des corps sexués (Suzat, 2009, p. 10). En ce sens, il convient de parler de régime de genre, c’est-à-dire un agencement particulier et unique des rapports de sexe (qui, suivant Oakley (2005), réfère aux différences biologiques entre mâles et femelles) dans un contexte historique, documentaire et relationnel spécifique (Annales, 2012, p. 565-566). Le système de genre peut aussi être entendu en tant qu’organisation des rapports sociaux de sexe autour d’enjeux cruciaux : le contrôle de la reproduction, la division sexuelle du savoir et du travail, l’accès à l’espace politique (Parini, 2006, p. 35). Dans le meilleur des cas, le présent article prend le genre comme une catégorie utile de l’analyse historique (Scott, 1986) au sens où il sert de grille de lecture et de moyen pratique pour percevoir les constructions sociales genrées et imagées dans les manuels scolaires.

2. Méthodologie

Pour nous permettre d’apporter des pistes de réponse à notre question de recherche, à savoir le décryptage de l’information pictographique genrée, nous avons choisi d’analyser des manuels de l’élève pour le primaire en français, en histoire et en éducation à la citoyenneté, car ceux-ci contiennent une pléthore d’images riches en représentations sociales. Un ensemble comptant 40 manuels de français, 12 manuels d’histoire et 11 manuels d’éducation à la citoyenneté ont donc été analysés, pour un total de 63 manuels scolaires (tableau 1).

Tableau 1

Liste des manuels scolaires analysés[4] (Ngassou, 2013)

Liste des manuels scolaires analysés4 (Ngassou, 2013)

Tableau 1 (suite)

Liste des manuels scolaires analysés4 (Ngassou, 2013)

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Le constat suivant ressort de l’ensemble des contenus scripturaux et picturaux des manuels exploités : les manuels d’histoire insistent sur le vécu passé des hommes et les manuels de français et d’éducation à la citoyenneté plongent l’élève dans son environnement social tout en lui apprenant les attitudes et les comportements à adopter en société. De ce constat vient l’idée de catégoriser les différents contenus enseignés en taxonomies thématiques. La thématique sociale renvoie l’élève aux notions sur la société et son fonctionnement. Les thématiques historiques et politiques donnent respectivement à l’enfant-élève un aperçu de l’histoire et des actes du politique. Un ensemble d’images, constituées de dessins et de photographies issues de ces trois thématiques et à l’intérieur desquelles l’on dénombre des sous-thématiques, ont été identifiées (tableau 2).

Tableau 2

Fiche synoptique des différentes catégories et sous-catégories thématiques (Ngassou, 2013)

Fiche synoptique des différentes catégories et sous-catégories thématiques (Ngassou, 2013)

Tableau 2 (suite)

Fiche synoptique des différentes catégories et sous-catégories thématiques (Ngassou, 2013)

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Toutefois, toutes les thématiques et sous-thématiques ne sont pas illustrées par des images comportant des personnages et mettant en exergue le genre. Par exemple, la sous-thématique de l’esclavage est illustrée par un négrier ; difficile donc d’apprécier le genre à ce niveau. Par contre les sous-thématiques de l’exploration, de l’évangélisation et de la colonisation sont illustrées par des personnages. À ce propos, des grilles de collectes d’informations sur les représentations du masculin et du féminin ont été utilisées (Brugeilles et Cromer, 2005, p. 119-121). Ces grilles ont permis de renseigner sur les différents personnages sexués ou neutres et leurs âges, les différents rôles pédagogiques et sociaux, les différents rapports sociaux, les métiers mis en exergue, les espaces ou lieux d’intervention (privé ou public)… Quant aux caractéristiques des personnages représentés dans les manuels scolaires et qui fondent le sexe social, les éléments suivants ont été pris en compte : le sexe, l’âge, les désignations, les actions, les attributs, les relations, le lieu, la posture et, enfin, le métier du personnage (Brugeilles et Cromer, 2005, p. 35-47). Dans les manuels scolaires, un personnage est considéré comme tel à partir du moment où la moitié de son corps est représentée : la tête, la partie supérieure (buste) ou la partie inférieure (jambes) et dès l’apparition des figures humaines, même stylisées comme des ombres chinoises de personnages humains (Brugeilles et Cromer, 2005, p. 29-30). Il s’agit ainsi de tout type de personnage, y compris les personnages individuels et collectifs, les groupes de personnages, les personnages selon la fonction pédagogique et ceux selon leur rôle (Brugeilles et Cromer, 2005, p. 29-35). Dans cette optique et à la suite des tenants de l’école des Annales, la présente recherche considère le genre comme un outil heuristique efficace pour décrire le social et saisir le système de genre mis en valeur dans les manuels scolaires du cycle primaire francophone au Cameroun.

3. Objectifs de la recherche

Il s’agit d’identifier les images portant sur :

  • la parité hommes-femmes;

  • les professions représentées;

  • la représentativité des femmes dans les professions masculines et vice-versa;

  • les lieux représentés (privés et publics);

  • la représentativité des femmes dans les lieux publics et les lieux privés.

4. Résultats de la recherche

Comparativement aux avancées politiques en matière d’égalité hommes-femmes au Cameroun, la dynamique du genre dans les manuels scolaires exploités se présente comme suit (tableau 3).

Tableau 3

Présentation des résultats (Ngassou, 2019)

Présentation des résultats (Ngassou, 2019)

Tableau 3 (suite)

Présentation des résultats (Ngassou, 2019)

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5. Analyse et discussion des résultats

En raison des résultats susmentionnés, le système de genre en exergue dans les manuels scolaires exploités se démarque d’une orientation essentiellement occidentale. Sans toutefois nier la nécessité d’améliorer la condition de la femme camerounaise en lui permettant d’accéder aux différents droits civiques et moraux et aux postes de responsabilité, et d’intervenir dans les questions de développement en lui restituant à la fois son rôle sociopolitique dans l’histoire du Cameroun et son rôle d’actrice à part entière de l’épanouissement de la famille, la question du genre au Cameroun s’enracine fortement dans les moeurs locales d’avant la colonisation. Cela dit, une restitution totale du genre au sens occidental dans les manuels scolaires ne saurait être faite, puisqu’il n’en est pas ainsi dans le vécu quotidien. Les différentes représentations genrées observées dans les manuels scolaires (forte présence masculine dans les lieux publics de pouvoir, aucune représentation des hommes dans les lieux dits féminins comme la cuisine, hommes secondés par des femmes dans la restitution de l’histoire…) sont le reflet des réalités camerounaises vécues (Choppin, 1980). Yves Martin (1972) nous rappelle que les phénomènes éducatifs sont liés aux phénomènes de pouvoir et de contrôle social, et qu’un groupe social transmet à sa jeune génération, sinon ses fondements politiques, du moins son équilibre social et son système de valeurs qui notamment justifient sa nature.

5.1 Mouvements féministes, acteurs du féminin et genre en contexte scolaire au Cameroun

Les actions des organisations internationales et des mouvements féministes ont contribué à soulever la question du genre au Cameroun. Toutefois, malgré le parcours déjà fait par les féministes, la question du féminin demeure peu profonde dans les manuels scolaires au Cameroun. La plupart des efforts consentis se sont le plus attelés au changement du statut et du rôle des femmes dans la société camerounaise. Les volets restitution, évolution et transmission des acquis sur le genre au travers des manuels scolaires restent encore parcellaires. Car bien que des travaux de recherche sur les figures féminines africaines et camerounaises soient déjà disponibles (Coquery-Vidrovitch, 1994; Sah et Dongmo, 2008; Nga Ndongo, 2014), leurs intégrations dans les manuels scolaires dépendent de plus d’un facteur.

5.1.1 Les luttes internationales des femmes : un préambule à la question du genre au Cameroun

Bien avant la colonisation, l’éducation traditionnelle des jeunes filles africaines consistait à les familiariser avec les activités de procréation, comme les aptitudes à élever les enfants, à la production et à la préparation de la nourriture et du travail dans les champs. De leur côté, les jeunes garçons étaient initiés aux techniques et aux expériences réelles de la vie quotidienne (Fonkoua, 2006, p. 6). Par conséquent, « le discours sur le genre est un lieu où des petits groupes sont mis en face des réalités que la mondialisation génère » (Piraux, 2000, p. 38). Parmi ces réalités se trouvent les revendications des féministes de la première vague, avec le droit de vote et le droit aux mêmes conditions de travail et d’éducation pour les femmes que les hommes (Arsenault-Boucher, 2014, p. 215). Le Cameroun n’étant pas en reste, il convient de préciser que certaines organisations non gouvernementales optent davantage pour la participation des femmes au processus de développement. C’est, d’après ces organisations, une condition nécessaire à la réalisation de la stratégie de développement global d’une nation, en ce sens que les femmes, qui font partie intégrante de la société, doivent être des partenaires dans les activités de développement. Cela passe par l’éducation (Fonkoua, 2006, p. 13), d’où les approches « intégration des femmes au développement » et « genre et développement », qui visent l’amélioration des conditions de vie des femmes et leur position dans les rapports de pouvoir par leurs interventions de développement (Beaulieu et Rousseau, 2011, p. 6), ainsi que la prise en compte dans le développement d’un pays de l’Indicateur de Participation des Femmes (IPF), qui mesure les inégalités sociologiques entre les sexes en termes de représentation et de pouvoir décisionnel dans certains domaines clés des sphères économique et politique (Renner, 2000, p. 15). Aussi, la scolarisation conditionne l’accès au savoir et à l’égalité des droits (Renner, 2000, p. 19). Toutefois,

la confusion entre genre construit et sexe biologique donné (et depuis quelque temps, chirurgicalement choisi) à peine dévoilée […] et immiscée dans les discours politiques des pays du tiers-monde a eu pour conséquence l’enlisement des programmes de promotion féminine à une méconnaissance des rapports sociaux et économiques que les rapports culturellement construits entre hommes et femmes.

De Lame, 2000, p. 1

Du point de vue pratique, cette confusion a aussi réduit les rapports de genre à la promotion des femmes dans le champ monétaire (De Lame, 2000, p. 1, 8). De plus, dans les pays de l’Afrique subsaharienne, outre les questions de développement et de promotion des femmes, la question du genre s’est également resserrée entre autres autour de la lutte pour la scolarisation des jeunes filles. De cette conception de l’approche sur le genre, plusieurs institutions internationales se sont investies dans la scolarisation des jeunes filles dans le monde en général, en Afrique de façon particulière et au Cameroun plus précisément.

5.1.2 Émergence du genre en contexte primaire scolaire au Cameroun

Au lendemain des indépendances, l’État camerounais est bien conscient de l’enjeu de la question éducative dans la maturation sociale, politique et économique du jeune État nouvellement indépendant. Toutefois, il est nécessaire de préciser que la scolarisation des filles au Cameroun s’est développée en s’intégrant à la dynamique d’ensemble de l’enseignement et qu’elle ne fait pas l’objet d’une disposition particulière. Elle constitue plutôt une préoccupation des pouvoirs publics (Njiale, 2006, p. 58). Après le fédéralisme des Cameroun francophone et anglophone, la constitution de 1961 n’en a fait aucunement mention de façon particulière[5]. Durant les cinq plans quinquennaux s’étalant des années 1961 aux années 1986, il a plus été question d’adapter l’enseignement primaire aux réalités nationales et aux besoins économiques du pays, d’accroître les structures en formation primaire afin de rapprocher les écoles des zones rurales et de faire de l’école un outil de croissance et de développement (Njiale, 2006, p. 55). Les questions de parité et d’accès à l’éducation primaire pour tous émergent avec la loi de l’orientation sur l’éducation de 1998 et la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, et ce, à la suite de la tenue des États généraux de l’éducation en 1995. En ce sens, le genre, ou du moins l’accès à l’éducation de la jeune fille au même titre que le garçon, commence sensiblement à être pictographié à partir des collections Champions et Les nouveaux champions ; où la fille et le garçon, sur le chemin de l’école et en train de lire, sont illustrés sur les premières de couverture des manuels.

Figure 1

Le genre en images dans les manuels scolaires.

Auteur anonyme, 1997; Auteur anonyme, 2003; Auteur anonyme, 2006

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Néanmoins, un aperçu de la question depuis la collection Mamadou et Bineta, ainsi que d’autres collections en histoire et éducation à la citoyenneté, est nécessaire afin d’apprécier la dynamique des représentations du masculin et du féminin en contexte scolaire primaire au Cameroun.

5.2 Taxonomie thématicogenrée des images

Trois thématiques issues des images ressortent des manuels scolaires choisis. Ce sont entre autres les thématiques historiques et politiques (spécifiquement dans les manuels d’histoire) et les thématiques sociales (dans les manuels de français et d’éducation à la citoyenneté). Dès lors, quelle marge occupe le genre ou la femme sur l’ensemble de ces activités picturalement représentées ?

5.2.1 Traces du genre et histoire enseignée

Dans les manuels d’histoire, les connaissances historiques sont réparties comme suit : avant, pendant et après la colonisation. Les aires évoquées concernent l’Occident, l’Afrique et le Cameroun. D’entrée de jeu, sept civilisations sont représentées. Trois d’entre elles sont illustrées avec des images comportant un personnage féminin (la déesse Vénus) pour la civilisation grecque et des groupes de personnages pour les civilisations industrielle et égyptienne. Dans d’autres manuels d’histoire, des reines d’Égypte sont illustrées.

Figure 2

Les civilisations en images dans les manuels scolaires.

Blechet et Vaast 1957, p. 20, 54; Fomenky et Gwanogbe, 1986, p. 11.[6]

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Ensuite viennent les cours sur les religions que sont l’animisme, le christianisme et l’islam. On dénombre en tout sept représentations de ces religions (une sur l’animisme, trois sur le christianisme et trois sur l’islam). Seules deux images associées au christianisme représentent distinctement des groupes de personnages. Dans la première image figurent Adam et Ève, avec la légende « Dieu créa l’homme »… et la femme dans le jardin d’Éden. La deuxième image représente une famille au premier plan avec, en arrière-plan, un autre groupe de personnages. Des personnages masculins sont représentés dans les images correspondant aux autres religions.

Figure 3

Les religions en images dans les manuels scolaires.

Criaud, 1985, p. 7; Criaud et al., 1992, p. 17

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Quant aux sous-thématiques portant sur l’exploration, l’évangélisation, la colonisation et les monuments historiques, toutes sont représentées par des personnages individuels masculins. C’est ainsi que l’on observe des portraits d’hommes occidentaux (dont les explorateurs Clapperton, Savorgnan de Brazza, Livingston, Mizon, Maistre, Flegel, Nachtigal et Barth), de missionnaires (tels Saker et Vieter), d’Africains (comme Rabah, un des résistants à la colonisation) et de Camerounais (par exemple, le monument de la réunification est illustré par un groupe de personnages constitué d’un père et d’enfants filles et garçons). Les leçons en histoire se poursuivent avec des cours sur la période coloniale. Ces cours sont toujours illustrés au moyen de portraits d’hommes occidentaux (Bismark, Zimmermann, Dominik, Leclerc, De Gaulle et Jamot), africains (Samoy Touré et Kwamé Nkrumah) et camerounais (les rois Bell et Akwa, le sultan Njoya, Rudolf Douala Manga Bell, Martin Paul Samba et Charles Atangana). Pour les périodes avant et après les indépendances, l’on relève les portraits d’hommes camerounais suivants : Ahmadou Ahidjo, John Ngu Foncha, Paul Biya, André-Marie Mbida, Salomon Tandemg Muna, Ruben Um Nyobé, Charles Assalé et Emmanuel Endeley. On n’y relève aucun portrait d’une femme occidentale, africaine ou camerounaise étant intervenue au cours de cette période de l’histoire, à l’exception de l’image représentant le roi Bell, qui est accompagné de ses épouses sur les vingt et un portraits couvrant lesdites périodes.

Figure 4

Les rois Bell et Akwa, avec leurs épouses.

Fomenky et Gwanogbe, 1986, p. 56

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Quelques événements historiques font également l’objet de représentations picturales. Sont ainsi recensées les illustrations sur l’indépendance du Cameroun francophone, de la réunification des Cameroun francophone et anglophone et de l’unification des deux Cameroun. Les trois images illustrant ces sous-thématiques sont constituées de collectifs de personnages, et deux d’entre elles présentent clairement des hommes et des femmes. Il s’agit des images sur l’indépendance du Cameroun oriental et de l’unification des Cameroun francophone et anglophone.

Figure 5

Les événements historiques.

Criaud et al., 1992, p. 21; Auteur anonyme, 1980, p. 92

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Cette rubrique se referme par les représentations des pouvoirs traditionnel et moderne et les autorités compétentes qui les exercent. Huit illustrations (de dessins et de photographies de personnages collectifs) présentent les pouvoirs traditionnels au rang desquels se trouvent les chefs traditionnels de l’Ouest-Cameroun et les lamidats du Nord-Cameroun. Les autres illustrations, une photographie d’un groupe de personnages (constitué d’hommes) porte sur les méfaits de la dictature, puis quatre dessins qui portent sur les bienfaits de la démocratie présentent deux salles de classe constituées d’enfants filles et garçons dans un lieu public et une vue d’ensemble des élections.

Figure 6

Les représentations des pouvoirs traditionnel et moderne.

Fomenky et Gwanogbe, 1986, hors-texte et p. 58; Auteur anonyme, 2009, p. 83

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5.2.2 Représentations du genre et du vécu quotidien

Les contenus picturaux des manuels de français donnent un aperçu des modes de vie occidental, africain et camerounais en insistant sur les rôles des hommes et des femmes en société, les habitudes alimentaires et vestimentaires, les métiers, les milieux de vie privés et publics, ainsi que les valeurs sociales. On relève aussi que l’ensemble des leçons, et plus précisément les images, familiarisent l’enfant-élève avec la salle de classe, les récréations, les milieux scolaire et familial, les moyens de transport, ainsi que les différents lieux de vacances. Deux césures distinctes peuvent être faites en fonction des manuels qui ont été utilisés en général par les pays francophones au lendemain des indépendances et ceux ayant été utilisés uniquement au Cameroun.

De Mamadou à Bineta à IPAM

Ces manuels ont été utilisés par l’ensemble des pays de l’Afrique-Occidentale française et l’Afrique-Équatoriale française, dont faisait partie le Cameroun. La jeune fille est illustrée moins fréquemment que le jeune garçon sur le chemin de l’école ou en salle de classe. Par exemple, dans la collection Mamadou et Bineta, bien que le titre du manuel mentionne les noms d’un garçon et d’une fille, l’image de Bineta n’intervient que dans Mamadou et Bineta lisent et écrivent couramment (le manuel des niveaux 3 et 5 du cycle primaire), alors qu’on voit l’image de Mamadou dès le manuel Mamadou et Bineta apprennent à lire (le manuel des niveaux 1 et 2). Dans le texte qui accompagne l’image de gauche ci-dessous, aucune fille n’est mentionnée. Dans la 45e leçon, intitulée « Le départ pour l’école », le texte parle de Mamadou et Bineta, mais la leçon est illustrée par un collectif de personnages filles et garçons. Le texte de la deuxième leçon du précédent manuel présente les notions de civilités entre monsieur Diallo (le maître), Mamadou, Saliou, Séni (trois autres personnages masculins) et Aminata (un personnage féminin). Aucune illustration n’accompagne le texte. Dans l’image du milieu, qui illustre la 12e leçon et qui est intitulée « la cour de l’école », on peut remarquer des enfants filles et garçons dans le collectif de personnages d’enfants.

Figure 7

Les représentations des filles et garçons à l’école.

Davesne, 1951, p. 5, 18; Davesne, s. d., p. 8

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Tout au long du manuel Mamadou et Bineta apprennent à lire, on observe des interventions des personnages masculins et féminins en fonction du titre de la leçon. Les leçons 36, 44, 48, 49 et 69, respectivement titrées « la parure », « la bonne ménagère », « le marigot », « le puits » et « le couscous », sont illustrées par des personnages féminins (Bineta, des femmes et des filles). Toutefois, Mamadou reste le personnage pédagogique le plus représenté en images par rapport à Bineta.

Les activités représentées par des personnages masculins sont la pêche, le champ, la forge, le commerce, l’enseignement, la vaccination, la menuiserie, la couture, le métier de cordonnier ; celles représentées par des personnages féminins sont le ménage, le repas, la poterie, aller chercher de l’eau au marigot ou au puits, préparer les enfants pour l’école ; et celles représentées par des collectifs de personnages masculins et féminins sont les fêtes, le marché, la poste, le métier de tisserand.

Les milieux représentés sont, entre autres, l’entrée de la concession ou de la case, la gare ferroviaire, le marché, la poste, les places de fête (personnages masculins et féminins) et la cuisine (personnages féminins uniquement).

De Lectures et expressions vivantes au Cameroun à Les nouveaux champions

La spécification de chaque manuel aux réalités de chaque pays, et notamment à partir des manuels Lectures et expressions vivantes au Cameroun, a apporté quelques changements. On relève ainsi des femmes dans les travaux champêtres, des infirmières, des couturières, des vendeuses, des coiffeuses, des musiciennes, des athlètes et des femmes d’affaires (Nana Benz) illustrées dans le manuel Champions en français. CM2 (1997). Toutefois, le texte d’une leçon sur les métiers dans le manuel susmentionné évoque de nouveaux métiers, tels que ceux d’avocat, de notaire, de médecin, de caissier, de secrétaire et de chauffeur (p. 31), et n’est accompagné d’aucune image.

Figure 8

Des infirmières et des femmes dans les travaux des champs.

Auteur anonyme, 1980, p. 112; Ekotto Ebolo, 1986, p. 112, 114

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Quant aux lieux et autres activités représentés dans ces manuels, il n’y a pas de changement. L’entretien de la maison et la préparation des repas demeurent des occupations féminines.

Figure 9

L’école.

Sil, 1995, p. 11, 12

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Figure 10

Des activités au quotidien.

Auteur anonyme, 1995, p. 27, 87; Auteur anonyme, 1997, p. 36

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5.3 Éduquer au genre via les manuels scolaires

Outre les rapports de genre précédemment mentionnés, l’éducation sur la question du genre est devenue un des aspects des programmes scolaires au fil des années. Ainsi, dans le manuel Champions. Éducation à la citoyenneté, au VIH et au SIDA, on relève une leçon qui adopte l’approche féministe en indexant spécifiquement les droits des femmes au même titre que les droits des hommes. Le titre et le sous-titre coiffant la leçon sont respectivement : « Les femmes ont-elles les mêmes droits que les hommes? » et « Comment les femmes sont-elles privées de leurs droits? » L’illustration qui accompagne le texte présente le dur labeur des femmes en société, le mariage précoce des jeunes filles et leur accès à l’éducation.

Figure 11

Les droits des femmes.

Auteur anonyme, 2009, p. 118

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Conclusion : une invisibilité de la femme africaine et camerounaise

Tous les efforts des institutions internationales et autres associations féminines n’ont pas réussi à remettre en cause les identités féminines africaines ni offert un tremplin vers une égalité de genre telle que l’entend le discours féministe (Piraux, 2000, p. 39). Au contraire, ces institutions ménagent des espaces collectifs et socialement reconnus, au sein desquels les femmes expriment leur individualité. Un contraste reste à mentionner : en Afrique, les femmes adoptent en général un profil bas dans la prise de décisions politiques, font toujours preuve de dynamisme et demeurent décidées à prendre en charge l’avenir de leurs familles (Piraux, 2000, p. 55). Bien que conscientes des discriminations qui les touchent, elles ne se réunissent pas dans le but de combattre pour une inégalité de genre et ne s’affichent de ce fait ni en victimes et encore moins en rebelles (Piraux, 2000, p. 55, 56). L’invisibilité du travail productif des femmes s’inscrit à cet effet dans la vision occidentale du monde à la fois ethnocentrique et androcentrique (Boutinot, 2000, p 62). Parler des femmes dans les manuels scolaires suppose d’abord une acceptation et un consensus à ce propos dans la société. Toutefois, l’image qu’en ont les Africains, comme tous les hommes, est d’autant plus déformante qu’elle a été de longue date pervertie par d’autres regards, et surtout le regard occidental (Coquery-Vidrovitch, 1994, p. 7).