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Ce livre de plus de 450 pages, 17 chapitres répartis en trois sections, vient ajouter au corpus croissant d’écrits qui documentent le pôle masculin des rapports de sexes. Son objectif n’est pas de faire contrepoids au féminisme et à ses avancées, mais plutôt d’ajouter à la compréhension de la dimension masculine de ce rapport social. Cet ouvrage universitaire, rigoureux et bien organisé, est de lecture agréable et est accessible à une audience de tout horizon. La diversité des auteurs, hommes et femmes, universitaires, chercheurs et intervenants, contribue à la richesse des informations et de l’analyse de la masculinité dans le contexte de la société québécoise.

Les trois chapitres de la première section cernent les contours et le contexte de l’évolution de la masculinité au Québec depuis trois décennies, en particulier dans son rapport à la formidable avancée du féminisme et des importantes transformations sociales qui ont accompagné l’affirmation des femmes dans la quête de rapports sociaux égalitaires.

L’important recul de la masculinité orthodoxe, cette manière unidimensionnelle et contraignante d’être homme issu de la société traditionnelle, est clairement exposé, de même que le déploiement d’une multiplicité de formes de masculinité, toujours en évolution, qui l’ont remplacée. Différentes expressions de la masculinité y sont recensées, discutées et évaluées, de manière à faire ressortir la richesse de cette pluralité. Cette section met également en valeur d’importantes contributions théoriques à la compréhension du rapport social à partir de la variable genre et de son intersection avec d’autres variables, pour en dévoiler les impacts sur les personnes qui portent le genre masculin au quotidien.

Il aurait été intéressant que cette section illustre davantage l’idée que la masculinité comme genre ne s’est pas développée abstraitement, ex nihilo, mais bien à partir d’une division sexuelle du travail enracinée dans une société concrète. C’est à partir du donné de la nature que la masculinité s’est déployée dans ses dimensions anthropologiques et historiques et c’est dans le contexte de la société québécoise contemporaine transformée que la masculinité plurielle actuelle s’éloigne de ses antécédents orthodoxes.

Les dix chapitres de la seconde section documentent de manière empirique autant de réalités masculines, qui cachent des défis et sont porteuses de douleurs, de contraintes, voire de frustrations et de misères. On y apprend que la pauvreté des femmes demeure plus grande, même si elle diminue, mais que celles des hommes seuls de 65 ans et plus augmente, accompagnée d’un isolement croissant. En outre, plus l’homme est pauvre, plus il semble se percevoir selon le schème traditionnel de pourvoyeur, sa condition équivalant alors pour lui à l’échec face à la norme. La contribution, les défis et les atouts que peuvent représenter les enseignants masculins, surtout dans certains contextes scolaires spécifiques, sont bien mis en évidence. Un chapitre sur la vie d’agriculteur nous rappelle la dureté de ce métier et le fait que l’isolement et le danger demeurent omniprésents. La dépression masculine et le suicide masculin (deux par jour en 2013) sont en fort lien avec une image idéale de l’homme, tandis que la violence masculine pourrait parfois être rattachée à une mauvaise stratégie de demande d’aide. Le retour à la vie civile par les anciens militaires comporte entre autre le défi de déprogrammer l’intensité de la posture de combattant apprise durant de longues sessions de formation à l’activité guerrière. Il y a tant à réfléchir et à faire sur les rapports de la paralysie à la sexualité dans le contexte d’une société énergique promouvant une masculinité musclée et active. La paternité adolescente signifie souvent l’exclusion du jeune père de la vie de l’enfant et de la jeune mère, exclusion tant par la famille de la mère que par les institutions, alors que les efforts devraient généralement aller dans le sens d’une plus grande implication responsable du jeune homme et de sa famille.

Plusieurs chapitres sont consacrés à différentes formes de violence. L’abus sexuel au masculin est bien réel : entre 7 % et 37 % des garçons ont été agressés dans l’enfance et 8% des agressions sexuelles rapportées en 2012 ont été commises envers des hommes; ils ont été agressés à 46 % par des femmes. L’agresseur impliqué dans ce type de violence reproduit souvent un comportement qu’il a subi dans son enfance. Le tabou entourant la problématique des hommes agressés sexuellement cache l’ampleur de ses répercussions. Il en est de même du tabou de l’homme victime de violence conjugale. Ces deux thèmes sont documentés et développés dans des textes signés par des femmes. Il en ressort que la violence et l’agression demeurent des problèmes majeurs qui doivent trouver solution, mais les approches actuelles ne permettent pas toutes de comprendre la violence qui résulte de l’escalade de conflits au sein du couple. Le texte sur la violence conjugale masculine autochtone, aussi signé par des femmes, met en lumière la grande complexité de ce cas d’étude. À la jonction du genre sous influence coloniale, de la culture parfois en pagaille et de l’oppression systémique, l’identité masculine autochtone n’est pas simple à développer et à assumer, pas plus que ce concept ne semble capable de capturer toute la réalité de l’expérience de l’homme autochtone. Les auteures indiquent que cette violence conjugale et familiale « est davantage l’expression désespérée d’une souffrance partagée par des acteurs, hommes et femmes, dépossédés de (…) la croyance en leur pouvoir, individuel et collectif » (p. 339).

Les trois chapitres de la troisième section sont consacrés à l’intervention. Un chapitre porte sur le soutien aux pères immigrants confrontés à un nouveau rôle masculin dans la société d’accueil et relate un ensemble d’activités d’accompagnement vers l’intégration. Un chapitre est consacré à l’évaluation critique des connaissances sur le rapport des hommes aux émotions et sur leurs stratégies de régulation émotionnelle. Il s’agit d’une contribution qui sera d’une grande utilité aux intervenants auprès des hommes. L’ouvrage conclut en faisant le point sur l’expérience québécoise d’adaptation des services à la population masculine, en soulignant l’importance d’en faire un enjeu institutionnel plutôt qu’une simple responsabilité des intervenants.

Cet ouvrage s’avère être une importante contribution au savoir sur les rapports de sexes. Il en ressort qu’être homme n’est ni étroitement un privilège source d’avantages, ni bêtement un fardeau source de pathologies, il s’agit d’une condition sociale construite à partir de ce qui était, dont l’accomplissement identitaire est tout aussi complexe pour l’individu que pour le collectif. Les réalités masculines qui y sont exposées sont donc à la fin moins oubliées que dévoilées... et le sont de belle manière.