Corps de l’article

Pour avoir une vie satisfaisante et être bien dans le domicile de leur choix, les aînés ont des besoins variés et sont confrontés à plusieurs défis. Dans la recension systématique d’études qualitatives de Holm et Severinsson (2013), visant à comprendre la perception des aînés de la santé, de la maladie et des soins communautaires dont ils ont besoin, il ressort que ces personnes croient qu’elles doivent se réconcilier avec leur vie telle qu’elle est devenue et se reconstruire une identité et une valeur en dépit de la diminution de leurs capacités fonctionnelles. De ces résultats, pour soutenir les aînés et augmenter leur bien-être, Holm et Severinsson (2003) encouragent les professionnels de la santé à les considérer comme les experts de leur propre vie, à avoir un dialogue constructif avec eux concernant leur santé, à lutter contre leur isolement et à faire la promotion d’une attitude positive face au vieillissement et ce, auprès des individus, des familles et des communautés.

Par ailleurs, le vieillissement est pluriel (Bourbonnais et Ducharme, 2010) et chaque individu, famille et communauté a des besoins spécifiques et des forces singulières (Gottlieb, 2014). Selon Persily et Hildebrandt (2008), ainsi que Ninacs (2008), c’est par l’empowerment des individus et des communautés que l’on peut augmenter leurs connaissances et leurs capacités décisionnelles. Pour Charpentier et Soulières (2007), une telle démarche est une mobilisation du pouvoir d’agir personnel, interpersonnel, social et politique. La description de cette démarche et comment elle est comprise et appliquée dans un contexte de soins à domicile des aînés est alors nécessaire.

Selon Deverchère (2017), le développement du pouvoir d’agir (DPA) peut être envisagé selon deux perspectives. Il est vu soit comme un moyen de contrôle social des individus ou comme un moyen d’émancipation de ceux-ci. En tant que moyen de contrôle social, il vise l’accroissement des capacités, la responsabilisation et la motivation des individus ayant des difficultés à se prendre en main, à être autonomes (Deverchère, 2017). En regard du soutien à domicile des aînés, le DPA est souvent utilisé de cette façon lorsque les professionnels de la santé, en tant qu’experts, décident d’une intervention et font ce qu’ils croient être le mieux pour ceux-ci. Il existe un grand nombre d’interventions expérimentées dans le cadre d’études réalisées auprès d’aînés vivant dans la communauté ayant comme objectif la santé, l’autonomie ou le bien-être. Par exemple, dans certaines études les chercheurs se servent de l’exercice physique pour améliorer le bien-être psychologique et l’autonomie des aînés et réduire leur fragilité et le risque de chute (de Labra, Guimaraes-Pinheiro, Maseda, Lorenzo et Millán-Calenti, 2015; Hill, Hunter, Batchelor, Cavalheri et Burton 2015; Windle, Hughes, Linck, Russell et Woods, 2010). Dans d’autres études, des interventions éducatives, physiques ou artistiques, utilisant la technologie ou non, réalisées en groupe ou individuellement, sont utilisées pour améliorer la santé sociale, mentale et physique des aînés selon des objectifs qu’ils n’ont pas eux-mêmes déterminés (Cohen-Mansfield et Perach, 2015; Dickens, Richards, Greaves et Campbell, 2011).

Or, quand le pouvoir d’agir est envisagé comme un moyen d’émancipation des individus, c’est sur les ressources de ceux-ci que l’on s’appuie pour les aider à développer leur potentiel, à participer à la vie sociale et à profiter de l’enrichissement collectif. Le professionnel voulant aider les individus à s’émanciper devient alors un facilitateur (Deverchère, 2017). En fait, le DPA se réalise lorsque le professionnel aide les individus ou les groupes à identifier ce qui est important pour eux, les obstacles existants et les ressources qu’ils possèdent; à construire les conditions de soutien et les alliances nécessaires pour atteindre les objectifs qu’ils se sont donnés; et à évaluer l’expérience de changement en mettant des mots sur ce qu’ils ont compris de celle-ci afin d’en prendre conscience (Jouffray et Etienne, 2017; Le Bossé, 2012; Persily et Hildebrandt, 2008). Dans un tel processus, l’intervenant occupe la fonction d’agent de changement en contribuant à la réalisation d’un projet qui compte pour les individus et les groupes, en recréant un mouvement lorsqu’il y a un blocage et en élargissant le monde des possibles (Vallérie et Le Bossé, 2006).

Afin d’établir l’étendue des connaissances concernant le DPA dans un contexte de soutien à domicile des aînés, une recension des écrits est apparue utile. Plus précisément, un examen de la portée des connaissances (scoping review) (Arksey et O’Malley, 2005; Levac, Colquhoun et O’Brien, 2010) a été réalisé. Le but de cet examen est de faire ressortir les résultats des études s’intéressant au DPA des aînés vivant à domicile, en regard des étapes de réalisation de cette démarche, afin de comprendre comment elle est conçue et appliquée. La méthode d’examen de la portée des connaissances utilisée, ainsi que les résultats de la démarche et la discussion de ceux-ci sont présentés dans cet article.

Méthode

Pour réaliser l’examen de la portée des connaissances, les études pertinentes ont été retracées au cours des mois de juin et juillet 2017. La recherche documentaire a été effectuée dans les bases de données suivantes : CINHAL, Cochrane Library, MEDLINE, ProQuest, PubMed Central Canada, Scopus et SocIndex. Le Tableau 1 présente les mots clés et la démarche de recherche utilisés pour explorer ces bases de données. Les types de documents retenus sont les rapports de recherche, les études expérimentales, les revues systématiques ou méta-analyses et les études qualitatives. Une recherche dans les listes de références des documents retenus a également été effectuée.

Tableau 1

Mots clés utilisés dans la démarche de recherche

Mots clés utilisés dans la démarche de recherche

-> Voir la liste des tableaux

Dans l’ensemble des études retracées, celles qui ont été retenues répondaient à quatre critères de sélection. Elles étaient des études primaires faisant référence, dans le titre, dans les mots-clés ou dans le résumé, au soutien à domicile des personnes âgées et à l’empowerment ou au pouvoir d’agir des personnes qui les soutiennent, parues entre 1996[1] et 2017, écrites en anglais ou en français et de bonne qualité. Les critères de rigueur de l’outil d’évaluation des méthodes mixtes Mixed Methods Appraisal Tool (MMAT) (Pace et coll., 2012) ont été utilisés pour évaluer la qualité de ces études (voir Tableau 2). Pour ce qui est des revues systématiques, méta-analyses ou métasynthèses, la démarche de recherche et la méthode d’évaluation de la qualité des études incluses dans l’échantillon devaient être décrites clairement.

Tableau 2

Critères d’évaluation de la qualité des articles

Critères d’évaluation de la qualité des articles
[Traduction libre MMAT] (Pace et al., 2012)

-> Voir la liste des tableaux

La recherche documentaire a été réalisée par deux personnes soutenues par la chercheure principale et une bibliothécaire. Elles ont mis en commun leurs résultats et ont échangé sur la sélection des articles à exclure et à inclure. Les documents retenus ont été lus en détail et une fiche de lecture a été remplie pour chacun d’eux afin de synthétiser la démarche de recherche et la qualité de celle-ci, ainsi que les résultats permettant de répondre au but de l’examen de la portée des connaissances. Par la suite, les fiches de lecture ont fait l’objet d’une analyse de contenu afin d’atteindre le but de cet examen. Finalement, les résultats de l’analyse ont été synthétisés et une consultation des membres de l’équipe de recherche a été réalisée.

Résultats

Au cours du processus initial de recherche documentaire (voir Tableau 1), 628 documents ont été trouvés. Après une lecture des titres, des résumés et du contenu de certains de ces documents, neuf études répondant aux critères de sélection ont été retenues (voir Figure 1). Aucune revue systématique, méta-analyse ou métasynthèse n’a été répertoriée. Les documents retenus sont des études réalisées entre 2003 et 2015. Deux proviennent du Canada, deux des États-Unis, deux de Finlande, deux de Suède et une du Japon. La taille des échantillons et les méthodes de collecte et d’analyse des données utilisées sont très variées. En fait, cinq de ces études utilisent un devis de recherche qualitatif, trois sont expérimentales et une est un sondage (voir Tableau 3). Les résultats de l’analyse thématique du contenu de ces études (fiches de lecture) sont maintenant présentés.

Figure 1

Processus de sélection des articles

Processus de sélection des articles

-> Voir la liste des figures

Tableau 3

Études retenues

Études retenues

Tableau 3 (suite)

Études retenues

Tableau 3 (suite)

Études retenues

-> Voir la liste des tableaux

Ce qui est important pour les aînés

Dans les études retenues, les chercheurs font référence, quelques fois dans leur recension des écrits (background) ou dans leurs résultats, aux besoins des aînés exprimés par ceux-ci, ou ce qui est important pour eux. Il ressort, entre autres, de l’étude de Behm, Dahlin-Ivanoff et Ziden (2013), visant à décrire l’expérience vécue de personnes très âgées lors d’une visite préventive à domicile, que les participants apprécient se sentir en sécurité avec les intervenants se présentant à leur lieu de résidence, ne pas se sentir invisibles, être pris au sérieux et participer aux décisions qui les concernent. Pour ce qui est de la participation aux décisions, les personnes interviewées dans l’étude de Depatie et Bigbee (2015), visant à identifier les facteurs facilitants et les barrières à l’utilisation de technologies mobiles avec les personnes âgées en milieu rural, soulignent vouloir choisir quand et où partager leurs informations de santé. Enfin, Johansson, Josephsson et Lilja (2009), lorsqu’ils ont exploré comment les aînés effectuent les modifications relatives à l’aménagement de leur domicile, ont compris l’importance de tenir compte des préférences, des besoins et des efforts de ces personnes.

Obstacles auxquels les aînés sont confrontés

Les obstacles auxquels sont confrontés les aînés vivant dans la communauté sont peu abordés dans les études retenues. En fait, les multiples pertes et deuils à l’origine du sentiment de solitude ou associés à un diagnostic récent de démence sont les principaux obstacles décrits (Nomura et coll., 2009; Pitkälä, Routasalo, Kautiainen et Tilvis, 2009; Savikko, Routasalo, Tilvis et Pitkälä, 2010). Dans les deuils qui ressortent de l’étude de Nomura et coll. (2009) réalisée auprès de personnes ayant un début de démence, les changements dans les relations familiales, tels la perte d’intimité avec le conjoint, le besoin de supervision dans les activités quotidiennes et la limitation des activités sont identifiés. Aussi, dans l’étude de Sixsmith et Boneham (2003), on apprend que les hommes âgés participeraient moins à la vie communautaire qu’ils perçoivent comme un monde de femmes et demandant des habiletés de communication particulières. Leur vie sociale se limiterait aux amis proches et à la famille.

Ressources permettant de contourner les obstacles

Les études retenues permettent d’identifier des ressources utilisées par les aînés pour faire face aux obstacles auxquels ils sont confrontés, dont la capacité d’apprendre et de changer (Nomura et coll., 2009), la recherche de différentes possibilités d’action et la créativité (Johansson et coll., 2009), la contribution à la vie d’un groupe ou d’une communauté (Savikko et coll., 2010; Sixsmith et Boneham, 2003) et l’utilisation de nouvelles technologies (Depatie et Bigbee, 2015). En fait, plusieurs aînés sont en santé, vivent dans leur maison, sont autonomes (Behm et coll. 2013) et peuvent être créatifs et faire des efforts pour retrouver ou préserver des opportunités d’action malgré les difficultés, l’incertitude et la perte de spontanéité (Johansson et coll., 2009). Par exemple, après un événement stressant (décès du conjoint, divorce, retraite forcée), des hommes âgés auraient élargi leur participation communautaire et accepté de participer à un groupe formel (Sixsmith et Boneham, 2003). Dans l’étude de Depatie et Bigdee (2015), on apprend que 43% des personnes âgées (n = 30) seraient modérément ou extrêmement à l’aise de surveiller de façon électronique leurs indicateurs de santé et à partager les données avec un professionnel de la santé. Il est aussi intéressant de constater, dans les résultats de l’étude de Nomura et coll. (2009), qu’une personne présentant un début de démence maintient sa capacité d’apprendre.

Stratégies et moyens d’évaluation utilisés

Les stratégies utilisées pour soutenir le DPA des aînés qui ressortent des études répertoriées sont la réadaptation cognitive (Nomura et coll., 2009) et psychosociale (Pitkälä et coll., 2009 ; Savikko et coll., 2010), les visites préventives à domicile (Behm et coll., 2013) et la promotion de la santé (Markle-Reid et coll., 2006). Les participants dans ces études sont généralement des aînés vivant dans la communauté et recevant du soutien à domicile (ou étant éligible à un tel service) et, plus spécifiquement, vivant un sentiment de solitude ou atteints d’un début de démence.

Dans l’étude japonaise de Nomura et coll. (2009), la réadaptation cognitive étudiée était un programme d’activités de groupe pour des aînés souffrant d’une démence à un stade précoce et ayant un déficit cognitif modéré (n = 37), ainsi que l’éducation et le conseil pour les proches aidants de ces personnes (n = 31). Le but du programme, qui a duré cinq ans, était le DPA des personnes atteintes et de leurs proches aidants. Il comprenait une activité par mois et se déroulait en trois cycles. Lors du premier cycle (18 mois), le DPA individuel des personnes atteintes était recherché à l’aide de stratégies de compensation des déficits et de l’ajustement de ces stratégies. Pendant le second cycle (24 mois), c’est le DPA de groupe pour améliorer les relations familiales et la camaraderie entre les personnes atteintes qui était ciblé. Enfin, le troisième cycle (18 mois) servait à augmenter le DPA de la communauté dans le cadre de la participation à diverses activités locales. Les moyens d’évaluation de l’intervention étaient : une grille d’observation des attitudes et des comportements des personnes atteintes, du contenu de leurs conversations et de l’atmosphère dans le groupe lors de l’activité; des notes de terrain résumant chaque activité; les commentaires écrits des proches aidants concernant la personne atteinte et les changements observés; et une entrevue téléphonique mensuelle avec les proches aidants. De l’évaluation, il ressort qu’en restaurant des habiletés procédurales perdues des personnes atteintes de démence précoce et en donnant des rétroactions positives à celles-ci, leur confiance personnelle et leur pouvoir d’agir ont augmenté. De plus, l’éducation et les conseils, sous forme de coaching, ont aidé les proches aidants à faire face aux symptômes de la démence.

La réadaptation psychosociale étudiée par Pitkälä et coll. (2009) visait la diminution du sentiment de solitude vécu par les aînés. Les participants (n = 235) étaient inclus dans l’échantillon d’une étude expérimentale finlandaise. Ils étaient répartis, de façon aléatoire, dans un groupe intervention et un groupe contrôle. L’intervention, élaborée par Savikko en 2008, comportait trois activités de groupe, soit un groupe d’activités artistiques, un groupe d’exercice et un groupe d’écriture thérapeutique. Les participants étaient répartis dans les groupes selon leurs intérêts et leurs préférences. L’intervention comprenait une rencontre hebdomadaire sur une période de trois mois. Il y avait de sept à huit participants dans chaque groupe, ainsi que deux professionnels s’assurant de la sécurité et de la participation égale de tous. Les rencontres duraient entre cinq et six heures. Le transport en minibus, les collations et le dîner étaient offerts. Le programme des rencontres était prédéterminé et visait à ce que les participants fassent des activités intéressantes ensemble et partagent leur expérience, reçoivent du soutien de la part de leurs pairs et en donnent, dépassent leurs propres limites et diminuent leur sentiment de solitude. Les participants pouvaient modifier le programme prévu à leur guise. Les résultats mettent en évidence que les participants du groupe intervention ont, deux ans après l’intervention, une santé subjective et un taux de survie plus élevés que ceux du groupe contrôle. Les coûts des services de santé étaient aussi plus bas pour le groupe intervention (Pitkälä et coll., 2009). De plus, l’intervention a fait l’objet d’une évaluation qualitative à l’aide de journaux de bord des professionnels animant les groupes, des observations des chercheurs et des questionnaires post-intervention remplis par les participants du groupe intervention (n = 117) (Savikko et coll., 2010). Les résultats de l’analyse de contenu soulignent que le fait de faire des activités et de partager des expériences avec leurs pairs a provoqué des discussions animées, a créé un sentiment d’appartenance et a mené au DPA des participants et à une meilleure estime personnelle. L’intervention a aussi activé socialement les participants et leur sentiment de solitude a diminué.

Lors des visites préventives à domicile et d’activités de promotion de la santé pour les aînés expérimentées par Behm et coll. (2013) et Markle-Reid et coll. (2006), les chercheurs ont utilisé le DPA auprès des participants pour maintenir ou améliorer leur autonomie et leur santé. Dans l’étude de Behm et coll. (2013), des personnes très âgées (> 80 ans) ont bénéficié d’une visite préventive à domicile au cours de laquelle des professionnels de la santé (ergothérapeute, physiothérapeute, infirmière ou travailleur social) ont pris entre 1h30 et 2h00 pour donner des informations verbales et écrites sur les ressources existantes dans la communauté (ex. : activités de groupe, soutien de bénévoles ou professionnels), faire une évaluation du risque de chute, suggérer des adaptations pour le domicile et proposer un programme d’exercices physiques de base. Les résultats de l’étude qualitative réalisée auprès des participants (n = 17) indiquent que pour plus de la majorité l’intervention leur a donné de la visibilité et leur a offert une preuve de leur dignité humaine (8/17), leur a apporté un sentiment de sécurité (16/17) et les a incités à agir (13/17). De leur côté, Markle-Reid et coll. (2006) ont réalisé une étude expérimentale randomisée contrôlée (n = 288) au cours de laquelle les participants dans le groupe intervention bénéficiaient d’un ajout aux soins infirmiers habituels à domicile, soit une évaluation de leur santé combinée à des visites régulières ou des contacts téléphoniques, de l’éducation à la santé concernant la gestion de leur problème de santé, de la coordination des services communautaires, des stratégies de DPA visant à augmenter leur indépendance et la conception avec le participant d’un plan de santé avec des objectifs à court et moyen termes. L’intervention a été évaluée à l’aide de plusieurs questionnaires standardisés. Les résultats indiquent que l’intervention a permis d’améliorer la santé mentale et le fonctionnement physique des participants et d’augmenter leur perception d’un soutien social et ce, sans coût additionnel pour le réseau de la santé. Toutefois, elle n’a pas permis d’améliorer de façon significative les capacités d’adaptation des participants (coping).

Discussion

Ce qui est important pour les aînés, dans les études retenues, est principalement relié au fait que ces personnes veulent participer à la prise de décision les concernant et faire des choix en fonction de leurs préférences. Ce constat est cohérent avec le fait qu’une personne développera son pouvoir d’agir lorsqu’elle poursuit un but ayant de l’importance pour elle (Le Bossé, 2012). Si on considère le processus de vieillissement normal (Dalby, 2006; Hasworth et Cannon, 2015; Lipsky et King, 2015; Wernher et Lipsky, 2015) et les propos de Holm et Severinsson (2013) en particulier, les personnes vieillissantes savent généralement que devant les changements physiques, psychologiques, sociaux et spirituels qu’elles vivent, elles ont à faire un travail de réconciliation avec leur vie et de reconstruction de leur identité. Ce travail est individuel et varie d’une personne à l’autre en fonction de ses ressources et de son environnement. L’intervenant, dans un rôle d’agent de changement tel que décrit par Vallérie et Le Bossé (2006), contribue à cette réconciliation et à cette reconstruction, non pas en décidant pour la personne, mais en l’aidant à identifier ce qui est important pour elle, en soutenant sa réflexion à l’aide de questions et d’information, en explorant avec elle différentes possibilités et en contribuant à la mise en oeuvre d’une solution qui lui convient.

Les multiples pertes et deuils à l’origine du sentiment de solitude ou associés à un diagnostic récent de démence ressortent de certaines études expérimentales retenues comme des obstacles que doivent affronter les aînés et qui orientent les interventions qui leur sont proposées. Par exemple, Nomura et coll. (2009) tiennent compte de la perte cognitive et Savikko et coll. (2010) des pertes et des deuils contribuant à l’isolement social. Toutefois, étant donné la pluralité du vieillissement et ses multiples implications et conséquences, il semble que les obstacles vécus par les aînés sont plus nombreux et variés. On peut, par exemple, penser à la perte d’identité qui accompagne souvent la retraite, le retrait du permis de conduire qui complique les transports ou la peur devant la fin de vie qui approche.

Plusieurs ressources utilisées par les personnes pour faire face aux obstacles associés au vieillissement ont été identifiées dans les études retenues (ex. : capacité d’apprendre et de s’adapter, créativité). Ces résultats encouragent à poursuivre l’exploration des ressources des aînés et surtout à les utiliser dans les interventions pour aider les aînés à en prendre conscience et à s’en servir dans leur vie quotidienne. Ceci permet de faire face à la stigmatisation, voire à l’âgisme. En fait, la stigmatisation prend différentes formes. Elle peut, entre autres, être sociale et provenir de l’entourage de l’aîné (proches, professionnels de la santé) ou internalisée lorsque l’aîné se stigmatise lui-même en se disant, par exemple, trop vieux et sans pouvoir (Livingston et Boyd, 2010). Or, en considérant les ressources des aînés, les chercheurs et les intervenants contribuent à créer un environnement respectueux et stimulant et augmentent l’efficacité de leurs interventions auprès de cette clientèle, comme on peut le constater dans les études de Nomura et coll. (2009) et de Savikko et coll. (2010).

Les résultats des quelques stratégies répertoriées suggèrent que seule l’intervention de Pitkälä et coll. (2009), dans laquelle les participants pouvaient choisir l’activité qui leur convenait et avaient un certain contrôle sur le déroulement de celle-ci, se rapproche du DPA associé à l’émancipation des individus tel que défini par Deverchère (2017). Des résultats de cette étude, on retient que les activités en groupe, sur une période de temps prolongée (trois mois), encourageraient les participants à se mettre en action et à développer leur pouvoir d’agir. En fait, dans de telles activités, les participants ont possiblement plus de temps et de moyens pour construire les conditions de soutien et les alliances nécessaires à l’atteinte des objectifs qu’ils visent et ce, en tenant compte de leurs ressources et des obstacles auxquels ils doivent faire face. Ceci est illustré par Savikko et coll. (2009) lorsqu’ils décrivent comment l’intervention expérimentée par Pitkälä et coll. (2009) favorisait les interactions entre les participants : « Dans chaque groupe, les participants sont encouragés par les autres participants et par les professionnels à explorer la nouveauté, à aller au-delà des limites qu’ils s’imposent et à se voir différemment » [traduction libre] (p. 22).

En ce qui concerne l’évaluation des résultats, dans deux études qualitatives les chercheurs ont questionné les participants afin que ceux-ci s’expriment sur ce qu’ils retiennent de l’expérience (Behm et coll., 2013) ou identifient les facteurs qui ont influencé les résultats de l’intervention (Savikko et coll., 2010). Cette façon d’évaluer une intervention se rapproche de celle suggérée par Jouffray et Etienne (2017) qui permet aux participants de prendre conscience des changements découlant de cette intervention.

Enfin, on constate que la majorité des interventions retracées dans les écrits ne visent pas spécifiquement le DPA, mais la santé physique, psychologique, cognitive et sociale, ainsi que l’amélioration des habitudes de vie et du soutien social (Behm et coll., 2013; Markle-Reid et coll., 2006; Savikko et coll., 2010). De plus, quoique dans certaines interventions le processus prévoit un ajustement aux besoins des participants, les chercheurs ne se questionnent pas sur l’importance que l’intervention a pour ces personnes et ne tiennent pas compte des obstacles auxquels elles sont confrontées. En fait, les chercheurs qui ont mené ces études ont peu décrit le DPA qui les inspirait, ce qui aurait permis de développer une intervention cohérente avec les composantes de ce processus. Par exemple, dans l’étude de Nomura et coll. (2009), les chercheurs soulignent que l’empowerment serait la restauration du pouvoir individuel, alors que dans l’étude de Markle-Reid et coll. (2006) ils indiquent qu’il serait réalisé à l’aide de stratégies encourageant des attitudes positives et l’utilisation de connaissances et d’habiletés favorisant la santé.

Ainsi, devant les résultats de l’examen de la portée des connaissances en regard des interventions retracées, il s’avère nécessaire de faire des études supplémentaires ciblant spécifiquement le DPA en s’inspirant de façon plus précise du processus permettant d’atteindre ce but. Des interventions pourraient être développées et évaluées en partenariat avec les participants, en tenant compte de ce qui est important pour eux, des obstacles qu’ils affrontent et de leurs ressources. Devant ces constats, des recherches non traditionnelles, telles des recherches-actions ou collaboratives, voire s’inspirant de théories critiques, seraient utiles.

Conclusion

Le présent examen de la portée des connaissances a permis de mettre en évidence que très peu de chercheurs s’intéressent au DPA des personnes âgées en regard du soutien à domicile. On remarque que, de façon générale, dans les études retenues, le pouvoir d’agir n’est pas le but et que, quand c’est le cas, ce concept n’est pas bien défini et les interventions ainsi que les moyens d’évaluation ne sont pas cohérents avec une démarche visant le développement de ce pouvoir. Toutefois, il apparaît que se préoccuper des besoins des personnes âgées et des obstacles auxquels elles sont confrontées, ainsi que de leurs ressources, présente des bénéfices. Devant ces constats, des études supplémentaires s’inspirant précisément du DPA sont nécessaires pour améliorer l’efficacité des interventions et ce, en collaboration avec la population ciblée.