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1. Introduction

Les systèmes de traitement et de distribution assurent une qualité d’eau destinée à la consommation humaine. Cependant, et selon la littérature, une variété de microorganismes pourrait survivre et croître dans ces systèmes. Une détérioration de la qualité de l'eau pendant son transport a été largement observée (MARCIANO-CABRAL et al., 2010; WU et al., 2014; LIU et al., 2016; LIU et al., 2017). Des bactéries ont tendance à s’accrocher sur les parois internes des canalisations pour former des biofilms (DOUTERELO et al., 2014a, 2014b). Les biofilms sont des complexes fonctionnels de communautés microbiennes entourées par une matrice gélatineuse de substances polymériques extracellulaires (SPE) que les microorganismes produisent eux-mêmes. Les SPE sont responsables de l'intégrité de la structure tridimensionnelle des biofilms et de leur protection contre les conditions environnementales défavorables (LIU et al., 2016). La formation de biofilms pourrait également favoriser la dégradation des parois des tuyaux, ce qui contribue à rendre l’eau impropre à la consommation (NAWROCKI et al., 2010). La formation et la croissance des biofilms sur les parois tubulaires pourraient être affectées par de nombreux facteurs, tels que le type de matériau (ALLION et al., 2011), la source d'eau (ZENG et al., 2013), la disponibilité des nutriments (PARK et HU, 2010), le type et la concentration en désinfectant (XUE et SEO, 2013) et les forces de cisaillement (DOUTERELO et al., 2013). Les problèmes engendrés par la colonisation microbienne dans les canalisations d’eau potable ont fait l’objet de nombreuses études (MARCIANO-CABRAL et al., 2010; WU et al., 2014). Selon la littérature, les matériaux communément utilisés, du fait de leur composition, leur âge et l’état de leur surface, sont potentiellement générateurs d’un développement bactérien (BUSE et al., 2012; NAWROCKI et al., 2010). En effet, ils peuvent favoriser la colonisation en offrant aux microorganismes un environnement favorable à leur développement. Les propriétés physicochimiques et la présence de crevasses assurent une biodisponibilité des nutriments et protègent les microorganismes des forces de cisaillement (LÉ, 2008).

Depuis les dernières décennies, les conduites d’adduction des eaux potables à base de fonte et plomb (interdits depuis 1995) (SQUINAZI, 2013), ainsi que le cuivre, présentent certaines limites comme la sensibilité à la corrosion. Ces trois matériaux sont progressivement remplacés par le PVC (polychlorure de vinyle) et le PEHD (polyéthylène haute densité). D’après la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA, 2013), ces deux matériaux sont caractérisés par leur résistance à la corrosion, leur flexibilité, leur coût réduit et leur faible poids ce qui facilite leur installation.

Les échantillons de biofilm provenant de systèmes de distribution en fonctionnement sont difficiles à obtenir. Les conditions expérimentales pourraient ne pas correctement représenter les caractéristiques des communautés bactériennes de ces systèmes en fonctionnement sur de longues périodes (DOUTERELO et al., 2013). Bien que de nombreuses conditions, telles que le diamètre du tuyau et le régime quotidien, ne soient pas communes à tous les systèmes d’exploitation, le matériau est toujours considéré comme un facteur clé affectant la colonisation bactérienne.

Nous allons, à travers cette étude, déterminer l’influence de la source de forage, de la nature et l’âge des matériaux utilisés sur le développement des biofilms dans les canalisations de distribution des eaux potables de la région d’Ouargla (sud-est de l’Algérie). Les résultats de cette investigation pourront être utilisés pour améliorer notre compréhension du phénomène de la colonisation bactérienne dans les systèmes de distribution d’eau potable dans les pays où la température moyenne est relativement élevée.

2. Matériel et méthodes

2.1 Description des sites de forages

La cuvette d’Ouargla, Algérie (Figure 1) renferme d'importantes réserves d’eau. Celles-ci sont issues de deux grands systèmes aquifères connus au Sahara algérien : le Complexe terminal (CT) qui regroupe les nappes miopliocène et sénonienne et le Continental intercalaire (CI) représenté par la nappe albienne. Ces nappes se différencient par plusieurs paramètres tels que la profondeur, la température, la salinité et la dureté de leurs eaux.

Figure 1

Carte géographique de l'Algérie et site de l’étude : région de Ouargla dans le Sud-Est algérien (HAMDI-AÏSSA, 2001)

Geographic map of Algeria and study site: Ouargla region in southeastern Algeria (HAMDI-AÏSSA, 2001)

Carte géographique de l'Algérie et site de l’étude : région de Ouargla dans le Sud-Est algérien (HAMDI-AÏSSA, 2001)

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Un forage de chaque nappe a été choisi pour servir à cette étude : un forage de la nappe sénonienne situé à Sidi Khouiled (forage de Sidi Khouiled I), un forage de la nappe miopliocène situé à Bor-Elhaicha (forage de Bor-Elhaicha) et un forage de la nappe albienne situé à El Hadeb (forage de El Hadeb I). Ces forages sont les plus exploités de la région. Leurs caractéristiques sont regroupées dans le tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques des forages échantillonnés : analyses effectuées en 2017 par l’Algérienne des eaux (ADE) d'Ouargla (Ministère des Ressources en eau)

Characteristics of the sampled boreholes: analysis performed in 2017 by the Algerian Water Authority, Ouargla (Ministry of Water Resources)

Caractéristiques des forages échantillonnés : analyses effectuées en 2017 par l’Algérienne des eaux (ADE) d'Ouargla (Ministère des Ressources en eau)

a À consommer après refroidissement

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2.2 Analyse des caractéristiques de l’eau

L’eau en circulation a été caractérisée d’un point de vue physicochimique par le service ADE (Algérienne des eaux, Ministère des Ressources en eau). L’aspect microbiologique a été étudié au laboratoire de recherche sur la phoeniciculture de l'Université Kasdi Merbah Ouargla. Les germes recherchés et les milieux de culture utilisés sont illustrés dans le tableau 2.

Tableau 2

Germes recherchés et milieux de culture utilisés pour la bactériologie des eaux (RODIER, 2009)

Germs of interest and culture media used for water bacteriology (RODIER, 2009)

Germes recherchés et milieux de culture utilisés pour la bactériologie des eaux (RODIER, 2009)

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2.3 Dispositif expérimental d’étude des biofilms in situ

Afin d’étudier la formation des biofilms dans les conduites des eaux potables, nous avons conçu un dispositif expérimental illustré dans la figure 2. Il permet de raccorder à la tête de chaque forage sélectionné trois types de conduites : cuivre (C), polychlorure de vinyle (PVC) et polyéthylène haute densité (PEHD). Le système ainsi réalisé se caractérise par un écoulement continu dans un circuit fermé (Figure 2). Dans ces trois conduites, des coupes ont été réalisées stérilement (à l’aide d’un bec Bunsen) après 6 et 12 mois, entreposées dans des boîtes stériles et conservées à 4 °C.

Figure 2

Dispositif expérimental d’étude des biofilms en conditions naturelles. Système installé par notre équipe dans les différents sites de forages alimentant la région d'Ouargla (Algérie) : exemple du forage Bor-Elhaicha (nappe miopliocène)

Experimental design for the study of biofilms under natural conditions. System installed by our team at the various drilling sites for water supply in the Ouargla region (Algeria): example of the Bor-Elhaicha borehole (Miopliocene aquifer)

Dispositif expérimental d’étude des biofilms en conditions naturelles. Système installé par notre équipe dans les différents sites de forages alimentant la région d'Ouargla (Algérie) : exemple du forage Bor-Elhaicha (nappe miopliocène)

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Afin d’étudier des échantillons âgés de plus de 20 ans, des prélèvements ont été effectués directement sur trois types de conduites (cuivre, PVC et PEHD) à la fin de chaque chaine de distribution qui alimente les habitations en eau potable.

2.4 Prélèvement mécanique des biofilms

La technique de prélèvement mécanique des biofilms formés par grattage a été adoptée pour la réalisation de cette étude. La surface interne des dispositifs de canalisation a été grattée stérilement à l’aide d’une spatule dans le sens de la longueur. Par la suite, les échantillons ont été déposés dans des flacons contenant de l’eau puis vortexés vigoureusement pendant 15 sec (WALKER et al., 1993; ROGERS et al., 1994; MAULE et al., 1999; BARRANGUET et al., 2003).

Dix échantillons ont été obtenus et répartis en trois lots en fonction des différentes nappes dont les codes sont mentionnés dans le tableau 3.

Tableau 3

Échantillons de biofilms étudiés en fonction de la nappe, de l’âge et des matériaux des conduites

Biofilm samples studied according to aquifer, pipe age and materials

Échantillons de biofilms étudiés en fonction de la nappe, de l’âge et des matériaux des conduites

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2.5 Isolement et identification des espèces bactériennes des biofilms formés

Afin d’optimiser l’isolement des bactéries cultivables, un milieu non sélectif, le TSA (Agar trypto-caséine soja, Sparks, MD21152USA/le Pont-de-Claix, France) a été utilisé. Il permet le développement des bactéries non exigeantes. 100 µL de l’échantillon d’eau récupéré après grattage ont été utilisés pour ensemencer en surface les géloses incubées ensuite à 30 °C. Après 48 h, les colonies bactériennes ont été isolées en fonction de leurs caractéristiques morphologiques. Afin de caractériser la paroi bactérienne des souches à identifier, une coloration de Gram a été effectuée. Les isolats ont été codifiés et conservés à -80 °C dans le milieu TS contenant 20 % glycérol.

2.6 Identification des souches bactériennes cultivables par la technologie MALDI-TOF (spectrométrie de masse à désorption-ionisation laser assistée par matrice avec analyseur de temps de vol)

Toutes les analyses ont été réalisées en utilisant la méthode de transfert direct (Manuel d'utilisation du MALDI Biotyper 3.1, Bruker Daltonics). Brièvement, un applicateur stérile en bois de 15 cm à usage unique a été utilisé pour récupérer une colonie bactérienne et la déposer sur une cible MSP 96 points (Bruker Daltonics). Le séchage des spots a été réalisé à température ambiante. Par la suite, les échantillons ont été recouverts de 1,0 μL de matrice (solution saturée d'α-cyano-d'acide 4-hydroxycinnamique dans 50 % d'acétonitrile, 47,5 % d'eau et 2,5 % d'acide trifluoroacétique) (Sigma-AldrichCanada, Oakville, ON, Canada) et séchés à température ambiante. Les bactéries Staphylococcus aureus ATCC 29213 et Escherichia coli ATCC 25922 ont été utilisées comme des souches de référence.

Après l’acquisition du spectre de masse d’un échantillon, le logiciel Biotyper le compare aux spectres de référence de la base de données et affiche les identifications correspondantes (CAMERON et al., 2016).

2.7 Identification des souches bactériennes par séquençage de l’ADNr 16S

Les souches bactériennes, non identifiées par le MALDI-TOF, ont été analysées par séquençage de l’ADNr 16S. Ces analyses ont été réalisées par le service de diagnostic de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

2.8 Étude in vitro de la capacité à former des biofilms des souches cultivables identifiées

Afin d’étudier la capacité des souches bactériennes à former des biofilms (simple ou mixte), le système expérimental de microplaque en polystyrène de 96 puits a été adapté de GOETZ et al. (2017). Il s’agit d’une technique rapide et efficace permettant le criblage d’un grand nombre de souches bactériennes. Brièvement, les colonies de la gélose TS ont été mises en suspension dans du TS à 0,5 Mc Farland et 100 µL des suspensions bactériennes ont été distribués dans des puits (Corning Costar No 3595, États-Unis). Après incubation à 30 °C pendant 24 h, la microplaque a été lavée trois fois. Les biofilms bactériens ont été colorés avec 150 μL de solution de cristal violet à 0,1 % pendant 20 min et rincés avec de l'eau ultra-pure jusqu'à ce que le liquide de lavage soit clair. Le colorant a ensuite été élué avec de l'éthanol à 96 % (200 μL par puits) et la quantification a été réalisée en mesurant l’absorbance à une longueur d’onde de 595 nm.

2.9 Observation et quantification des biofilms par microscopie confocale à balayage laser

Les biofilms ont été préparés comme décrit ci-dessus et colorés avec le marqueur fluorescent Film TracerTM FM 1-43® (Molecular Probes, Eugene, OR, États-Unis) tel que recommandé par le fabricant. Les biofilms marqués ont été visualisés par microscopie confocale à balayage laser (FV1000 IX81, Olympus, Markham, ON, Canada). Les images ont été acquises en utilisant le logiciel Fluoview (Olympus). Les structures 3D, ainsi que les quantifications des biofilms (biovolume et épaisseurs) ont été réalisées grâce au logiciel Image pro (Media Cybernetics, Silver Spring, MD, États-Unis).

3. Résultats et discussion

3.1 Caractéristiques des eaux potables dans la région d’Ouargla

D’après les données fournies par l’Algérienne des eaux (ADE) d’Ouargla (Tableau 2), les nappes des eaux de consommation distribuées dans cette région présentent une forte minéralisation et une dureté élevée. Les valeurs les plus importantes de profondeur, débit et de température sont attribuées à la nappe albienne, alors que la nappe miopliocène se distingue des deux autres par son faible débit et sa profondeur. Cependant, l’analyse bactériologique de ces eaux a révélé l’absence de germes pathogènes.

3.2 Diversité des bactéries cultivables dans les biofilms étudiés

Les résultats de l’identification bactérienne grâce au MALDI-TOF et au séquençage ADNr 16S démontrent la présence d’une grande variété microbienne (Tableau 4). Une majorité de bactéries Gram+ a été observée (28 sur les 33 souches isolées). Parmi les bactéries isolées, Bacillus cereus et Enterococcus durans, sont présentes dans la majorité des biofilms échantillonnés. Nos résultats démontrent l’absence de bactéries sur tous les échantillons âgés de six mois et issus des trois différentes nappes. Aucune bactérie cultivable, isolée à partir des matériaux en cuivre et issus des deux nappes miopliocène et albienne, n’a pu être retrouvée. Seule Streptococcus oralis a été identifiée sur l’échantillon de biofilm issu de la nappe sénonienne âgé de 20 ans.

Tableau 4

Identification des souches isolées à partir des biofilms à l’aide de la technologie MALDI-TOF et du séquençage de l’ADNr 16S

Identification of strains isolated from biofilms using MALDI-TOF technology and 16S rDNA sequencing

Identification des souches isolées à partir des biofilms à l’aide de la technologie MALDI-TOF et du séquençage de l’ADNr 16S

a Souche identifiée l’aide de l’ADNr 16S

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À partir de la source miopliocène, les échantillons en PVC et en PEHD âgés de 12 mois sont les seuls à avoir révélé la présence d’un développement bactérien. Les matériaux âgés de plus de 20 ans en PVC et PEHD, issus des trois nappes, sont ceux qui présentent le plus de diversité bactérienne. Des agents pathogènes tels que Listeria monocytogenes et Escherichia coli ont même été retrouvés dans ces échantillons.

3.3 Caractérisation des biofilms microbiens

3.3.1 Biofilms simples

Dans le but d’identifier les bactéries capables de former des biofilms, toute la collection bactérienne, composée de 33 souches, a été criblée grâce à une méthode colorimétrique rapide en microplaque 96 puits. Les résultats illustrés dans la figure 3 démontrent que dans ces conditions expérimentales, toutes les souches isolées sont capables de former des biofilms simples (densité optique 0,5 considérée comme une référence de potentiel à former un biofilm). Ce criblage a révélé que cette capacité était très variable selon la nappe, la souche, son origine ainsi que l’âge du biofilm.

Figure 3

Criblage de la capacité des bactéries isolées à former des biofilms simples en conditions statiques. Bactéries isolées de la nappe : a) sénonienne, b) miopliocène et c) albienne

Screening of the capacity of isolated bacteria form simple biofilms under static conditions. Bacteria isolated from: a) Senonian aquifer, b) Miopliocene aquifer, and c) Albian aquifer

Criblage de la capacité des bactéries isolées à former des biofilms simples en conditions statiques. Bactéries isolées de la nappe : a) sénonienne, b) miopliocène et c) albienne

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En effet, pour la nappe sénonienne sept souches ont montré une capacité à former un biofilm. La capacité des deux souches Enterococcus durans et Planococcus sp., issues de l’échantillon SPV20A est supérieure à celle de ces mêmes souches issues de l’échantillon SPE20A.

Quant à la nappe miopliocène, 14 souches sont capables de développer un biofilm. La plus grande capacité est attribuée aux souches Bacillus cereus et Planococcus sp., isolées de l’échantillon MPV20A. Notons que la souche Bacillus cereus isolée du PVC a démontré une meilleure capacité à former un biofilm que celle isolée de PEHD et cela quel que soit l’âge. Par ailleurs, la souche Enterococcus durans isolée de l’échantillon MPE20A est celle qui a démontré, dans ces conditions, une meilleure capacité à développer un biofilm comparé à cette même espèce issue des autres échantillons.

Enfin pour la nappe albienne, parmi les dix souches détectées, Pseudomonas koreensis issue de l’échantillon APE20A est celle qui forme le meilleur biofilm.

3.3.2 Biofilms mixtes

Afin de mimer les conditions originelles retrouvées dans les conduites de circulation d’eau, nous avons cultivé en biofilms mixtes les bactéries isolées d’un même microenvironnement. Les résultats de la quantification au cristal violet sont illustrés dans la figure 4. En 24 h d’incubation, des biofilms épais ont pu être observés avec des quantifications de densité optique entre 0,5 et 2.

Figure 4

Criblage de la capacité des bactéries isolées à former des biofilms mixtes en conditions statiques. Bactéries isolées de la nappe : a) sénonienne, b) miopliocène et c) albienne

Screening of the capacity of isolated bacteria form mixed biofilms under static conditions. Bacteria isolated from: a) Senonian aquifer, b) Miopliocene aquifer, and c) Albian aquifer

Criblage de la capacité des bactéries isolées à former des biofilms mixtes en conditions statiques. Bactéries isolées de la nappe : a) sénonienne, b) miopliocène et c) albienne

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Dans nos conditions expérimentales, toutes les bactéries issues des échantillons de PEHD ont montré une meilleure capacité à former des biofilms, notamment l’échantillon de la nappe albienne APE20A. Pour les bactéries isolées des échantillons de PVC, nous avons noté que les échantillons âgés plus de 20 ans (SPV20A, MPV20A et APV20A) ont formé efficacement des biofilms. Cependant, pour l’échantillon MPV12, aucun biofilm n’a été formé.

La méthode de criblage colorimétrique ne fournit aucune information structurelle sur les biofilms étudiés. Pour obtenir ces informations, ces derniers ont été étudiés par microscopie confocale et quantifiés grâce au logiciel Image Pro.

Selon les résultats illustrés dans la figure 5, toutes les souches isolées ont formé des biofilms in vitro. Toutefois, cette capacité (c.-à-d. épaisseur et biovolume) varie en fonction des souches qui le constituent et qui proviennent de sources différentes (nappes et matériaux).

Figure 5

Représentations 3D et quantifications des biofilms mixtes des isolats bactériens

3D representations and quantifications of mixed biofilms of bacterial isolates

Représentations 3D et quantifications des biofilms mixtes des isolats bactériens

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Les souches isolées des échantillons de PEHD (APE20A, MPE20A, MPE12M et SPE20A) ont formé des biofilms très épais. Les plus grandes valeurs de l’épaisseur (33,87 µm) et de biovolume (1 480,35 µm3∙µm-2) sont enregistrées pour l’échantillon APE20A constitué de cinq souches : Enterococcus durans, Bacillus cereus, Psychrobacillus psychrodurans, Zhiengliuella alba et Pseudomonas koreensis.

Pour les deux nappes, miopliocène et albienne, les souches isolées des biofilms des échantillons du PVC âgés de 20 ans, ont formé des biofilms épais (29,37 et 26,67 µm). Les biofilms de la nappe miopliocène, âgés de 12 mois (MPV12M) et de la nappe sénonienne âgés plus de 20 ans (SPV20A), sont d’une épaisseur moyenne (9,21 et 12,12 µm).

Bien que l’eau en circulation dans la région d’Ouargla présente des propriétés physicochimiques dépassant les normes, elle est tout de même considérée comme propre à la consommation, car ses caractéristiques microbiologiques sont conformes aux normes algériennes. Notre étude s’est focalisée principalement sur l’étude de la colonisation bactérienne des parois internes des conduites de distribution d’eau potable. Ces dernières peuvent être composées de cuivre, de PVC ou de PEHD et sont reliées à différentes nappes (albienne, sénonienne et miopliocène). Les communautés bactériennes des biofilms dans les canalisations d’eaux potables sont très peu étudiées. Il y a eu de nombreux rapports précédents sur les biofilms et les diversités bactériennes dans les modèles pilotes (LEE et al., 2005; TENG et al., 2008; KRISHNA et al., 2013; GOMEZ-ALVAREZ et al., 2014; WANG et al., 2014). Environ 95 % des bactéries dans le système d'eau potable sont situées sur les surfaces alors que seulement 5 % se trouvent dans l’eau en circulation (FLEMMING et al., 2002).

Les observations effectuées sur les différents biofilms nous ont indiqué qu’à court terme (observations à six mois) les conduites en cuivre, en PVC et en PEHD reliées aux trois nappes n’ont pas montré la présence de bactéries cultivables. La présence de biofilms bactériens a été détectée dans les conduites en fonctionnement depuis 12 mois et plus (moyen et long terme) et cela malgré les différences de température, de débit d’écoulement, de source de forage et de traitement de désinfection. La nappe miopliocène présente un débit d’écoulement faible et une température de 25 °C, cela peut expliquer la formation du biofilm sur les échantillons de 12 mois et pas sur les autres. En effet, la température de l’eau, sa composition physicochimique et le régime hydraulique du système et ses variations (temps de séjour de l’eau, absence de variation du débit) sont susceptibles de favoriser la formation des biofilms et de modifier la composition de son microbiome (LÉ 2008; PAN et al., 2017). LEHTOLA et al. (2004) ont étudié l’influence de la vitesse d’écoulement sur les biofilms. Les auteurs montrent que l’accélération de la vitesse d’écoulement augmente la croissance des biofilms aussi bien dans les tubes en cuivre qu’en matériau plastique. Cela entraîne une augmentation du nombre de bactéries du fait du détachement des sédiments des canalisations. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que la stagnation ou les faibles vitesses d’écoulement favorisent la corrosion et les dépôts de biofilms (TRICARD et BUFFAUT, 1995). Toutefois, pour un biofilm formé, un écoulement turbulent est également bénéfique en favorisant le transport des éléments nutritifs et des microorganismes (CHARACKLIS, 1984). Ceci permet le renouvellement du milieu et l’amélioration de la stabilité du biofilm (CARPENTIER et CERF, 1993). Donc, il faut plus de temps pour qu’un biofilm se forme, mais une fois sur place, ce mode de vie va protéger les bactéries de ces conditions stressantes.

Parmi les trois matériaux étudiés, le cuivre ne semble pas favoriser la formation de biofilms. En effet, et d’après nos résultats, une seule bactérie (Streptococcus oralis) a été retrouvée sur SC20A. Ces résultats sont en accord avec l’étude de LÉ (2008) qui a démontré dans un système expérimental à petite échelle, l’existence d’une corrélation entre l’utilisation du matériau en cuivre et le ralentissement de la cinétique de formation des biofilms. La réduction de la production de produits extracellulaires de la matrice est la principale cause induisant cette inhibition. En effet, le cuivre induit directement ou indirectement des changements structuraux et physiologiques dans la communauté bactérienne des biofilms (BARRANGUET et al., 2003; MASSIEUX et al., 2004; BOIVIN et al., 2005). L’effet antibactérien, et de façon plus générale, l’effet biocide du cuivre est connu et exploité depuis plusieurs décennies. Il est attribué aux ions cuivriques Cu(II) formés par oxydation du cuivre métallique (SPEAR et PIERCE, 1980). Cependant, ce matériau présente certains inconvénients comme une mauvaise résistance aux traitements chlorés et une sensibilité à l’érosion qui génère des surfaces propices à l’entartage. Selon SQUINAZI (2013), l'adsorption des bactéries à la surface s'effectue le plus souvent sur les dépôts minéraux et organiques ou à la surface de tubercules de corrosion. LEHTOLA et al. (2004) et LÉ (2008) ont étudié la formation des biofilms sur la surface interne des canalisations en cuivre et en PEHD dans différentes parties du réseau de distribution pilote. Les résultats montrent que la formation de biofilm sur le cuivre requiert plus de temps que sur du plastique. Le polyéthylène PEHD est considéré comme un matériau chimiquement et biologiquement inerte. De nombreuses études montrent que l’oxydation du PEHD à forte température génère des composés carbonylés favorisant ainsi sa colonisation par des microorganismes (ALBERTSSON et al., 1995; CHIELLINI et al., 2007). L’utilisation de ces polymères comme source de carbone par les microorganismes est facilitée par la formation d’un biofilm (HADAD et al., 2005). Initialement, la nature hydrophobe du PEHD ne permet pas la fixation des microorganismes à sa surface. Après un vieillissement oxydatif, le caractère hydrophile de la surface du PEHD augmente favorisant ainsi la formation de biofilm (PONS et al., 2012). Nos résultats sont en accord avec les données de cette étude. En effet, un plus grand nombre de bactéries cultivables a été retrouvé sur les matériaux PEHD âgés de 20 ans reliant les trois nappes. Aucune bactérie n’a été retrouvée sur le SPE12M et APE12M. Le troisième matériau étudié est le PVC. Dans cette étude, une grande diversité bactérienne a été retrouvée sur ce matériau âgé de 12 mois et plus pour la nappe miopliocène et principalement à 20 ans et plus pour les nappes albienne et sénonienne. Selon CHOWDHURY (2012) et LIN et al. (2013), les tuyauteries ayant des surfaces rugueuses comme le PVC ont tendance à favoriser la formation de biofilm. Il présente une meilleure résistance chimique, notamment au chlore (EL OMARI, 2018).

Les systèmes de distribution d'eau potable sont des environnements extrêmes avec des conditions oligotrophes où les désinfectants résiduels sont couramment entretenus. Malgré cela, les microorganismes sont capables de survivre et s’attacher aux surfaces internes des tuyaux formant des biofilms qui peuvent altérer la qualité de l’eau. Cependant, l’effet de la désinfection sur la communauté microbienne de l’eau potable reste mal compris (SIMOES et al., 2007; MI et al., 2015). Dans cette étude, nous avons identifié un nombre total de 33 souches bactériennes cultivables, majoritairement à Gram positif. Contrairement à nos résultats, FRANK (2001) a montré que dans les biofilms présents sur les canalisations d’eau potable, les bactéries à Gram négatif semblent prédominer. Des études ont montré que les propriétés de surface des cellules microbiennes varient en fonction des conditions environnementales dans lesquelles elles se trouvent (VAN OSS et al., 1986; BELLON-FONTAINE et al., 1990; BOS et al., 1999; GALLARDO-MORENO et al., 2002; HAMADI et al., 2004; BAYOUDH et al., 2006). L'origine de ces microorganismes est souvent inconnue. Elles peuvent à la fois être d’origine interne (microorganismes qui ont pu échapper au traitement de désinfection) ou d’origine externe (par retour d’eau lors de travaux et intervention sur le réseau, à travers des fissurations dues au vieillissement des conduites, à travers des orifices mal protégés) (BOUTALEB, 2007). Afin d’étudier les biofilms en conditions expérimentales, nous avons criblé en microplaque la capacité des bactéries isolées à former des biofilms simples et mixtes. Les résultats démontrent que toutes les bactéries isolées, indépendamment de leurs origines, sont capables de former des biofilms simples. En effet, dans les systèmes de distribution d'eau potable, les biofilms sont le mode de vie prédominant de la croissance microbienne, en leur conférant de nombreux avantages : coopération dans certains systèmes cataboliques, acquisition d’avantages évolutifs, synergies entre microorganismes, expressions phénotypiques de facteurs de résistance lors de situations de stress (COSTERTON, 1999, COSTERTON et al., 1999; TOMLIN et al., 2005; CLUTTERBUCK et al., 2007; JOUENNE, 2008; GOLLER et ROMEO, 2008; PAN et al., 2009; LIU et al., 2016). Afin d’étudier le biofilm mixte des bactéries cultivables isolées du même environnement, nous avons visualisé et quantifié in vitro ces structures. Nos expérimentations ont démontré qu’en l’espace de 48 h, un biofilm est formé. Ceci démontre l’existence d’une interaction bactérienne. La communication entre les différentes espèces de microorganismes est favorisée par des systèmes complexes comme le quorum sensing (QS). Ces modes de communication contrôlent, en partie, la formation des biofilms (BJARNSHOLT et al., 2005; FAZLI et al., 2014). En effet, il a été démontré que les systèmes QS régulent et synchronisent des activités telles que la production d’exopolysaccharides et les matériaux cellulaires (ADN, lipides, protéines) qui façonnent la structure matrice extracellulaire et contrôlent ses propriétés physicochimiques (PARSEK et GREENBERG, 2005; DICKSCHAT, 2010; WEI et MA, 2013).

Bien que les rapports actuels indiquent l’absence de microbes dans l’eau potable en circulation, la présence de biofilms bactériens sur les parois internes, représente, sur le long terme, un risque de contamination entraînant un risque potentiel pour la santé humaine (LIU et al., 2016; ABBERTON et al., 2016). Plusieurs études ont montré que, comparés aux organismes planctoniques, les agents pathogènes opportunistes fécaux en biofilm peuvent survivre plus longtemps et avoir une plus grande résistance au chlore. Les microorganismes restent encapsulés dans ce biofilm. Ainsi, aux concentrations habituelles de 0,1 à 0,4 mg∙L-1, près de 80 % des bactéries restent actives (BUSWELL et al., 1998; PERCIVAl et WALKER, 1999; LUNEAU, 2014).

Bacillus cereus et Enterococcus durans sont les pathogènes les plus fréquemment retrouvés dans notre collection bactérienne. La présence d’Escherichia coli et Enterococcus durans est un indicateur de contamination fécale (CABELLI et al., 1982; JUHNA et al., 2007). NIEUWENHUIJSEN et al. (2000) ont démontré l’inefficacité des traitements chlorés classiques contre Bacillus cereus. Cette résistance peut s’expliquer par leur capacité à former des spores (MISTY-MARTIN et al., 2017; HUSSAIN et al., 2018). Les résultats de notre étude indiquent aussi la présence de Listeria monocytogenes qui est un agent pathogène d'origine alimentaire qui provoque la listériose (FARBER et PETERKIN, 1991; GANDHI et CHIKINDAS, 2007). VARMA et LYER (1993) ont démontré que cet agent pathogène peut survivre plusieurs jours dans l’eau.

4. Conclusion

Ce travail a permis de mettre en évidence la présence de biofilms bactériens dans les conduites de distribution d’eau potable et donc de l’inefficacité sur le long terme des méthodes de désinfection. Ce constat concerne principalement les conduites en PVC et en PEHD et cela pour les trois nappes étudiées. Les tuyaux en cuivre semblent défavoriser la colonisation bactérienne, mais, celui-ci associé aux traitements chlorés, pose un problème d’usure rapide engendrant des coûts de maintenance élevés. Il est donc intéressant d’étudier de nouvelles stratégies d’assainissement de l’eau plus efficaces et moins agressives.

Ce travail est basé sur les échantillons de biofilms de réseaux de distribution d’eaux potables collectés entre 2017 et 2018 dans la ville d’Ouargla, représentant le Sahara septentrional de l’Algérie. Les résultats de cette première étude ont révélé qu’à priori, les matériaux étudiés sont quasiment tous potentiellement porteurs d’un développement bactérien, lequel est plus ou moins développé selon la nature et l'âge des conduites, le débit et la qualité d’eau. Le cuivre se caractérise par une formation de biofilm et une diversité bactérienne la plus faible. Pour cela, nous pourrons suggérer d’opter pour les installations de conduites à base de cuivre, tout en établissant un programme régulier de renouvellement, car ces conduites se fragilisent ou se dégradent au cours du temps.