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Dans le monde, le nombre de zones franches (ZF) n’a pas cessé de croître. En 1975, on en comptait 79; elles employaient alors quelques 800 000 personnes dans un petit nombre de pays. En 2008, on en a dénombré plus 3 000 à travers 135 pays, employant plus de 68 millions de personnes (FIAS, 2008 : 7, 23; Bost, 2010). L’ensemble des pays (émergents et développés) a favorisé le développement des ZF pour encourager les investissements directs étrangers (IDE), l’emploi, les exportations et les politiques d’expérimentation (Farole et Akinci, 2011). Malgré leurs caractères hétérogènes, les ZF sont devenues de véritables tremplins du développement économique et du commerce international. Elles doivent leur large présence à des initiatives politiques ad hoc et privées, aboutissant à une surprenante variété de zones, certaines plus attractives que d’autres (Farole et Akinci, 2011 : 1, 3).

Les ZF ont donc évolué de façon importante, de manière très hétérogène et complexe. Un nombre croissant de pays ont développé des initiatives. La mondialisation a mis ces zones en concurrence pour attirer les IDE (même celles situées dans un même territoire national). Elles sont aujourd’hui obligées d’innover pour être attractives (Farole et Akinci, 2011 : 6ff).

Revisiter les approches académiques sur domaine ne permet pas d’en tirer des pratiques transférables immédiatement. Cette forme de structure complexe n’a pas suscité d’intérêt si bien qu’elle a innové sans qu’on ne s’en rende compte. Même si plusieurs recettes de succès pour les ZF sont facilement disponibles (FIAS, 2008 : 48ff), elles ont tendance à ne pas tenir compte des avancées dans les domaines des modèles d’affaires (MA), et de la manière dont un MA peut être innovant (MAI). Si un MA résume la combinaison particulière d’éléments impliqués dans la façon dont une ZF crée et capture de la valeur, le MAI fait référence à l’innovation de l’une de ses parties.

Cet article apporte une réponse à la question de recherche suivante : quelles sont les formes prises par les modèles d’affaires innovants dans les zones franches des EAU ? Répondre à cette question implique la poursuite des objectifs de recherche suivants :

  1. identifier les éléments théoriques et conceptuels pertinents à travers une revue critique de la littérature;

  2. développer un cadre conceptuel pour aider à répondre à notre question de recherche;

  3. délimiter les éléments du cadre conceptuel à utiliser pour la cartographie des MA et MAI des ZF des EAU;

  4. cartographier les éléments MA et MAI des zones franches d’EAU;

  5. synthétiser les MA schématisé en un MA composite;

  6. explorer la variation entre les éléments MA et MAI cartographiés (par exemple, la concentration et les impacts du MAI dans des éléments BM particuliers).

Les EAU offrent une opportunité unique pour l’étude des MA et des MAI dans les ZF. Ils ne comportent pas moins de 41 ZF différentes, selon leur spécialisation, leur taille et les étapes de leur cycle de vie. Par ailleurs, toutes ces zones peuvent être étudiées selon leurs proximités géographiques, économiques et institutionnelles. Notons qu’au cours des trois dernières années, le prix « Global Free Zones » du Financial Times a été attribué au Dubai Multi-Commodities Center, ce qui suggère qu’il y a aussi quelque chose d’exemplaire à étudier dans cet environnement.

Le contexte de la recherche et sa pertinence seront développés dans les sections qui suivent. Le reste du papier est structuré comme suit : une revue de la littérature, une présentation de la méthodologie de recherche et une discussion des résultats de notre étude.

Le contexte de la recherche : les zones franches aux EAU

Les EAU ont été créés en 1971, au même moment que Jabel Ali, la première zone franche de la région (Keshavarzian, 2010). Cette relation a perduré jusqu’à nos jours en profitant à chacune des parties. En d’autres termes, depuis leur création, les ZF présentes dans les EAU ont joué des rôles importants. Par exemple, selon Keshavarzian, (2010) : atténuer les conflits de territoires entre les Émirats, conserver localement les bénéfices du développement, et maintenir la paix dans la région du Golfe. Ces bénéfices ne font pas oublier les avantages économiques génériques des ZF. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les ZF se soient multipliées aux EAU, passant d’une seule en 1971, à 6 en 1999 et à 41 au moment de notre étude. Cette dynamique ne devrait pas ralentir dans les années à venir (Gulf News, 2017).

Bien qu’Abu Dhabi soit la capitale des EAU et le siège du Gouvernement fédéral, chaque Émirat possède son propre gouvernement local, ainsi que, pour les trois Émirats les plus importants - Dubai, Abu Dhabi et Sharjah - son port et son aéroport. Les 41 ZF sont détenues et gérées par 12 organisations, et la plupart d’entre elles appartiennent aux Émirats, avec, selon les cas, une participation privée (annexe 1).

La moitié de ces organisations sont la propriété des Émirats (« publiques »). L’autre moitié est privée, soumise à divers degrés de participation de l’État (par exemple, propriété de l’État, fonctionnaires de l’État occupant des postes de responsabilité ou même des conseils d’administration nommés par l’État). Au cours des dernières années, certaines ont été cotées en bourse. Les relations entre les ZF et les propriétaires privés sont complexes. Les deux partenaires ont des statuts et des niveaux d’indépendance variés. Certaines ZF peuvent être de simples actifs ou unités commerciales; d’autres peuvent être des sociétés partenaires ou « indépendantes ». Par ailleurs, le droit légal de conférer une licence à une entreprise qui souhaite s’installer dans une ZF est accordé par le gouvernement d’un Émirat à une ZF, plutôt qu’à un propriétaire privé.

Bien que la plupart des créations et des règles régulant les ZF soit de la compétence de chaque Émirat, il existe néanmoins des règles communes contrôlées par l’État fédéral (comme les visas ou la législation du travail). Par exemple, une nouvelle station de télévision qui souhaite s’installer dans une ZF devra obtenir sa licence commerciale au niveau de l’Émirat, tandis que sa licence de radiodiffusion devra l’être au niveau fédéral. De toute évidence, la ZF d’accueil aidera à l’achat des deux licences. À l’inverse, le système d’emploi parrainé par les Émirats pour les migrants s’applique systématiquement, alors que les ZF et leurs organisations partenaires agissent en tant que sponsors pour l’obtention des visas de travail.

À Dubai, où l’on retrouve la plus forte concentration de ZF au sein des EAU, il existe un conseil des ZF composé des dirigeants de chaque organisation possédant des ZF. Son rôle est d’étudier et de trouver des synergies entre les ZF, le Gouvernement de Dubai et les autres parties prenantes (Dubai Free Zones Council, 2017). Malheureusement, il n’existe pas de registre fédéral public des ZF. Les noms et les statistiques de ces dernières varient dans le temps et selon les publications (l’échantillon est décrit dans l’annexe 1 et dans la partie méthodologie du présent article). Ces variations s’expliquent principalement par la création de nouvelles zones et par les subdivisions internes dans les ZF de grande taille, les ZF changent alors de noms - deux zones se regroupant parfois en une seule.

Bien que la croissance des ZF aux EAU ait été encouragée par le gouvernement de chaque Émirat (Wafi, 2014), les avantages, les incitations (PKF, 2015) et les règles dépassent les limites de chaque Émirat, voire les frontières de l’État fédéral. Chaque ZF tend à offrir des incitations à l’investissement similaires (par exemple, 100 % d’exemption fiscale, de droit de propriété, et des règles de rapatriement du capital et des profits) et cherche à montrer clairement les avantages offerts (site Internet). Inversement, la réglementation internationale régit les subventions accordées aux ZF (FIAS, 2008, 50), combat le commerce international illicite et les contrefaçons, et protège les consommateurs des mauvaises pratiques (ICC, 2013 : 7, 12, 26). Il existe également par ailleurs des avantages internationaux au maintien de la paix, consécutifs à la présence de la cinquième flotte américaine (Keshavarzian, 2010, 276).

Les ZF n’ont pas pour objectif explicite d’accompagner la diversification de l’économie des EAU, en particulier de chercher de nouveaux relais de développement en dehors du pétrole. Toutefois, elles sont dans les faits des zones d’expérimentation de la transition post-pétrole. En effet, les ZF sont gérées avant tout comme des entreprises classiques qui cherchent à accroître leurs profits, en utilisant des outils tels que les « key performance indicators » (KPI) qui sont principalement orientés vers le chiffre d’affaires, les bénéfices ou les taux d’occupation. Bien que les ZF ne soient pas officiellement citées comme des instruments au service du développement dans EAU Vision 2021, il n’en demeure pas moins qu’elles participent à de nombreux objectifs du plan fédéral (diversification de l’économie, facilitation des affaires, partage des connaissances, etc.).

Revue de la littérature

Les modèles d’affaires (MA)

Les définitions des MA abondent, tout comme les différences dans les champs d’application et dans les niveaux d’analyse (Morris et al., 2005; Zot et al., 2011). Un MA peut être implicite ou explicite (Stewart et Zhao, 2000; Teece, 2010). Le modèle explicite peut être conceptuel, narratif et / ou une représentation graphique du projet. Il doit au minimum décrire les éléments importants du projet, ses principales parties prenantes et leurs interrelations. Le tableau 1 présente le modèle conceptuel fondé sur la synthèse des éléments des MA issus de la littérature et adaptés au contexte de ZF.

Il est également important de comprendre que les entreprises peuvent se développer en conjuguant plusieurs MA en même temps (Kim et Min, 2015). Par exemple, après avoir développé des solutions informatiques pour les grands groupes pendant plus de 50 ans, IBM a participé à l’émergence du marché des ordinateurs personnels dans les années quatre-vingt. Pour cela, l’entreprise est passée par des MA différents jusqu’à la vente de sa division « ordinateurs » à Lenovo en 2005 (Markides, 2013). Dans certains cas, il peut être intéressant de développer des stratégies communes entre des entreprises dont les MA sont éloignés. Par exemple, Qantas (compagnie aérienne premium) et sa filiale Jetstar (compagnie low cost) partagent leurs fournisseurs et certaines ressources – le système de réservation, Qantas cash - via Oneworld, l’alliance globale de compagnies aériennes dont Qantas fait partie.

Les MA peuvent varier selon les contextes et sont dépendants de leur mise en oeuvre (Johnson et al., 2008; Morris et al., 2005; McGrath, 2010; Viscio et Pasternack, 1996). Par exemple, un élément de controverse est repris par Osterwalder (2004) sur l’identification des facteurs internes du MA (tableau 1) qui s’opposent aux éléments liés à la mise en oeuvre du modèle (par exemple, l’environnement concurrentiel ou l’organisation de la chaîne de valeur). D’après Osterwalder et al. (2005), bien que le MA exclut formellement la partie mise en oeuvre, il est difficile d’ignorer cette face initiale d’action dans la réflexion sur le modèle. La mise en oeuvre est souvent une partie importante dans les recherches sur le MA. Dans la cadre de notre étude en particulier, il est rare d’avoir accès au MA et à ses composantes de façon directe. C’est pourquoi son analyse passe le plus souvent par les réalisations durant les premiers temps de la mise en oeuvre.

Dans un MA cohérent, les éléments du tableau 1 doivent s’emboîter comme les pièces d’un puzzle. Les éléments du cadre de gouvernance / réglementation peuvent être considérés comme l’ensemble des pièces formant le périmètre du puzzle; c’est-à-dire les éléments qui définissent les « règles du jeu » à l’intérieur desquelles tous les autres éléments doivent s’adapter. Ce dernier peut être conçu comme : a) une création de valeur (à savoir : partenaires clés, activités, ressources et structure de coûts), et b) une capture de la valeur (à savoir : segments de clientèle, relations, canaux et mesure de la performance). Le bloc de proposition de valeur agit comme l’interface entre la proposition de valeur et les éléments de création. Une telle représentation sera utilisée dans la figure 2, résumant les résultats de notre étude concernant les MA des ZF aux EAU.

Après avoir résumé les éléments principaux à retenir dans le cadre d’un MA, il est important d’analyser la littérature abordant le modèle d’affaires innovant (MAI), lequel se définit avant tout dans l’action, c’est-à-dire dans un contexte de mise en oeuvre.

Le modèle d’affaires innovant

Le modèle d’affaires innovant fait référence à l’idée de trouver de nouvelles façons d’organiser la création de valeur (Casadesus-Masanell et Zhu, 2013). Les modèles d’affaires innovants peuvent prendre la forme de MA complètement nouveau à l’origine d’une entreprise (par exemple, Airbnb ou Uber). Plus modestement, il peut s’agir de simples adaptations d’un nombre plus ou moins importants d’éléments du modèle d’affaires, comme le concept de Taco Bell kitchen-less (Santos et al., 2009).

Le MAI peut être appréhendé de façon proactive ou réactive, par exemple en réponse à l’émergence d’une technologie disruptive ou simplement pour contrer l’arrivée de nouveaux concurrents (Osiyevski et Dewald, 2015; Chesbrough, 2010; Christensen, 2006; Markides, 2006). Un MAI peut cependant demander davantage qu’une articulation nouvelle des éléments du modèle ou un changement complet de ce dernier. Au-delà des frontières de l’entreprise, le MA peut participer à la création de nouveaux secteurs et / ou de l’émergence de nouvelles organisations ou infrastructures : on peut penser au nouveau modèle de Gustavus Swift dans l’emballage de la viande et à Malcom McLean dans le conteneur (Teece, 2010). Ces deux exemples ne doivent pas conduire à l’idée que les inventeurs, aussi géniaux soient-ils, découvrent les bons MA dès le départ, lesquels seraient censés modeler l’industrie. Thomas Edison pensait d’abord que le courant continu était la bonne technologie, avant de voir les avantages du courant alternatif (Teece, 2010).

Le MAI peut se focaliser sur une source de valeur qui n’est pas actuellement exploitée (donc capturer une nouvelle valeur). Yang et al. (2017) classent ce type de valeur en quatre catégories : surplus (valeur qui existe mais qui n’est pas considérée comme telle en raison d’une sous-utilisation ou de gaspillage : chaleur, énergie, eau, etc.), absente (valeur nécessaire mais qui n’existe pas comme le recyclage, les ruptures de stocks, le manque de compétences), détruite (valeur avec une production négative comme les dommages sur l’environnement et / ou la société, l’utilisation de ressources non renouvelables, un service médiocre, des problèmes de sécurité), et manquée (valeur qui existe et qui est nécessaire mais non exploitée ou sous-utilisée). Les auteurs concluent que les valeurs non capturées liées à l’environnement et au développement durable sont souvent à la source d’opportunités pour des MA performants (França et al., 2017; Karlsson et al., 2017).

Les MAI peuvent être vus selon différents continuum (par exemple, efficience vs nouveauté, Hu (2014)). Des tentatives de classifications des MAI qui ont été faites en essayant de prendre en compte le contexte. Par exemple, d’après Taran et al. (2015) on peut identifier trois modèles qui se conjuguent avec deux environnements spécifiques. Ces modèles sont : niveau de radicalité (de incrémental à nouveau), cible (de l’entreprise au monde entier) et complexité (nombre d’éléments du modèle à modifier). Les contextes à prendre en compte sont : stratégique (proactive vs réactive) et organisationnel (ouvert vs fermé[1]). Taran et al. (2015) indiquent qu’une telle typologie peut être utile comme outil de décision pour aider les responsables à identifier, estimer et rechercher une cohérence entre les éléments à la source de la performance d’un MAI.

Méthodologie de recherche

Au regard du caractère exploratoire de cette étude et de l’absence de recherche sur les MA des ZF dans les EAU (et dans le reste du monde), une approche qualitative a été retenue. Par ailleurs, la complexité des ZF à travers le monde nous a conduit à retenir une seule localisation géographique. Cependant, précisons que le choix des EAU a été dicté par deux raisons principales : d’une part, le caractère fédéral permet une approche diversifiée des ZF dans les différents États (en taille, niveau de développement, spécialisation, propriété). D’autre part, les ZF des EAU ont été parmi les premières à être développées dans le monde.

Tableau 1

Modèle conceptuel fondé sur la synthèse des éléments des modèles d’affaires issus de la littérature et adaptés au contexte de zone franche

Modèle conceptuel fondé sur la synthèse des éléments des modèles d’affaires issus de la littérature et adaptés au contexte de zone franche
Source : création des auteurs, basée sur les sources citées

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L’échantillon

La liste de toutes les ZF des EAU a été compilée à l’aide du rapport PKF (2015) et de sources secondaires (comme par exemple les sites Internet des ZF concernées). La méthode d’échantillonnage ciblée a été choisie.

La critique habituelle (voir Saunders, Lewis et Thornhill, 2012) est que cette approche d’échantillonnage est biaisée. En particulier, la représentativité de l’échantillon vis-à-vis de l’ensemble de la population ne peut être attestée avec un niveau de confiance particulier. Le biais d’échantillonnage peut faire en sorte que les données (et donc les résultats) diffèrent de celles de la population entière. Le conseil méthodologique lors de l’utilisation d’échantillons ciblés est de décrire comment les participants sélectionnés diffèrent d’un échantillon supposé aléatoire. Dans ce cadre, précisons que l’échantillon comporte au moins une ZF par Émirat et une diversité de spécialisations, de taille et de niveau de développement. Nous avons également maximisé le nombre de ZF où il était probable de trouver de nouveaux MA et MAI (sur la base de sources secondaires).

La procédure d’échantillonnage impliquait de contacter le responsable de l’organisation propriétaire de la ZF par téléphone, d’expliquer les objectifs de notre étude et de demander une entrevue en face-à-face. Quand il acceptait d’être interviewé, une invitation formelle lui était envoyée par courrier électronique, en fournissant les clauses de confidentialité et d’anonymat, ainsi qu’un aperçu de l’étude et du calendrier des questions de l’entrevue.

Les entretiens ont été réalisés auprès de 17 cadres de 10 organisations recouvrant 22 ZF situées dans tous les Émirats. Cet échantillon représente 54 % des ZF des EAU, 83 % des holdings, 85 % des Émirats et l’ensemble des étapes de développement des ZF. En raison de l’anonymat, des accords de confidentialité et des caractéristiques uniques de chaque ZF (qui les rendent facilement identifiables), nous ne pouvons pas décrire plu précisément l’échantillon. À cet effet, nous nous sommes également abstenus de reproduire des citations textuelles en trop grand nombre.

Un seul Émirat n’a pas été intégré dans l’échantillon. La raison est simple : le cadre n’était pas disponible pour être interviewé pendant la période de travail sur le terrain et les ZF ayant des caractéristiques similaires étaient déjà incluses dans les Émirats voisins.

La saturation des données a été utilisée comme règle d’arrêt pour contacter de nouvelles ZF et, compte tenu des couvertures susmentionnées, on peut considérer que l’échantillon contient à la fois une variété et une représentation suffisantes de la population pour les besoins de l’étude.

Collecte des données

Les analyses rétrospectives des données ont été utilisées comme principale méthode d’entrevue (Golden, 1992, 1997; Miller, Cardinal et Glick, 1997) et combinées à des stratégies d’informateurs clés (Rao et Perry, 2003).

Les cadres ont été sélectionnés car elles étaient les personnes les plus susceptibles de connaître les zones franches et leur histoire. Les questions posées ont été formulées en s’inspirant de la littérature existante. Le questionnaire commence par la recherche d’informations sur les profils des personnes interrogées et leurs ZF, avant de s’orienter sur des questions ouvertes concernant les MA et les innovations.

Des documents spécifiques sur ZF, relatifs à leur histoire, leur taille, la structure de propriété, leur gouvernance, la spécialisation, les infrastructures et les services, les incitations et leurs opérations (documents administratifs, brochures, contrats, rapports officiels, articles de journaux et sites Internet) ont été réunis et étudiés. Ils ont permis de collecter des informations générales avant les interviews et de mieux comprendre les activités des ZF, d’acquérir des informations sur l’histoire et les concurrents des ZF et de croiser les données avec celles recueillies dans les entrevues afin de limiter les biais. Ils ont également permis de développer de mieux comprendre les services des ZF, d’acquérir des informations sur l’histoire et les concurrents de la ZF et de trianguler les données collectées à travers les interviews (par exemple surmonter les biais de mémoire).

Les interviews ont été menées en anglais et en arabe, dans un endroit isolé afin de respecter la confidentialité. Comme Guba et Lincoln le recommandent (1994), toutes les entrevues ont été enregistrées numériquement et retranscrites. Les parties en arabe des interviews ont été traduites en anglais. La durée moyenne des entretiens enregistrés est de soixante minutes.

Il n’y a pas eu d’étude pilote distincte car chaque interview a servi de modèle pour la suivante. Le travail de terrain a duré trois mois entre fin août et fin novembre 2016. Compte tenu de l’accent mis sur les entretiens des cadres des ZF, un biais de réponse unique était inévitable dans la plupart des cas. Ce phénomène n’a pas été particulièrement nuisible puisque les sources de données secondaires ont complété l’enquête.

Codage et analyse des données

Nous avons adopté une approche par combinaison systématique Dubois et Gadde, 2002, 2014), relativement courante dans les études en marketing (voir Halineen et Törnroos, 2005; Aaboen et al., 2016). La combinaison systématique est une approche non linéaire impliquant un certain nombre d’itérations entre la théorie et les descriptions des cas. Dans ce cadre, il faut savoir que la section de revue de la littérature a été finalisée après l’achèvement des analyses.

Notre analyse a débuté par un examen textuel des transcriptions et des données secondaires, lesquelles ont été codées et saisies dans Excel et Nvivo 11 pour analyse. Les thèmes et les codes, tirés de la littérature (éléments MA, par exemple), combinés à ceux issus des données par codage ouvert, ont fourni un cadre préliminaire pour l’analyse (les codes, catégories et sous-thèmes sont disponibles auprès des auteurs sur demande).

Dans un premier temps, les données ont permis d’établir le cadre d’analyse que l’on retrouve dans le tableau 1. Ce dernier a été utilisé, dans une seconde étape, comme un modèle pour extraire les informations pertinentes de nos données et pour distinguer les différents MA que recouvrent les ZF. Ceux-ci ont ensuite été analysés comparativement, au cours d’une troisième étape, pour identifier les principales sources de variation des MA de ZF. Dans un quatrième temps, un modèle d’affaires composite des ZF a été développé. Enfin, les éléments relatifs aux innovations au sein de chaque modèle d’affaires ont été identifiés.

Nous avons donc poursuivi à la fois des analyses intra et croisées des ZF, ainsi que des comparaisons avec la littérature d’une manière non linéaire. L’analyse intra ZF nous a permis d’approfondir chaque MA des ZF et d’explorer les combinaisons de composants et la concentration de l’innovation. Une analyse inter-organisationnelle a été menée à des ensembles de ZF (par exemple : spécialisation, étape de développement, taille, Émirat) afin d’identifier les variations des MA, le nombre de modèles d’affaires des ZF distincts et d’identifier les MA avec les plus grandes concentration d’innovations.

FIGURE 1

Méthodologie et analyse des données

Méthodologie et analyse des données

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Résultats et discussion

Les éléments des modèles d’affaires en zone franche

La première constatation à noter est que les 10 parties du tableau 1 suffisent à capturer la variété rencontrée dans les ZF de notre échantillon. En termes plus précis, les MA utilisant moins de 10 parties pour décrire leur structure ne permettent pas de capturer les complexités des MA en ZF.

L’un des MA que nous avons rencontré lors de notre revue de la littérature, qui contenait les parties que nous considérons comme pertinentes pour capturer les complexités des modèles d’affaires des ZF, était le MA « Canvas » (Osterwalder et al., 2010). Cependant, comme on peut le voir dans la troisième colonne du tableau 1, Osterwalder et al. (2010) ont examiné 9 des 10 parties que nous considérons comme pertinentes. La partie « gouvernance / cadre réglementaire » est absente du modèle « Canvas », bien que d’autres études (par exemple, Amit et Zott, 2001; Santos et al., 2009; Viscio et Pasternack, 1996) considèrent l’élément de gouvernance comme élément clé du modèle d’affaires. Nous avons donc décidé de construire notre cadre autour du MA « Canvas » (MAC), en ajoutant l’élément « gouvernance / cadre réglementaire ». Ce dernier est crucial car nous avons trouvé, par exemple - comme nous le verrons plus loin - que c’est l’un des domaines clés des MAI. Le problème que nous devions résoudre était de savoir comment modifier le MA « Canvas » afin d’intégrer cet élément important. Compte tenu de son rôle fondamental dans le contrôle, et comprenant en général les « règles du jeu » pour tous les autres éléments du MA, nous avons estimé que sa représentation graphique devrait contenir tous les autres éléments, comme cela est représenté dans la figure 2.

Compte tenu de la double nature des ZF en tant que sociétés à but lucratif et comme instruments de développement économique, nous avons considéré que les KPI originaux dans la modèle d’affaires « Canvas » et dans la plupart des publications MA / I (principalement sur les modèles de revenus) étaient plutôt étroits. Ainsi, nous avons modifié le MA « Canvas » avec une partie performance et efficacité (mesure) plus large qui peut être considérée comme un ensemble plus large de KPI (comprenant de multiples perspectives - résumées dans le tableau 1 et qui peuvent être sollicitées selon les besoins).

Au cours de nos entrevues, la plupart des cadres ont eu tendance à se concentrer sur les indicateurs de rendement clés liés aux perspectives financières et à celles des clients (comme on peut le voir dans la partie respective du tableau 1). Étant donné l’objectif principal de cette étude sur les modèles d’affaires innovants, une perspective d’innovation est également présentée dans la figure 2.

En termes simples, les structures des MA se concentrant étroitement sur les modèles de revenus sont insuffisantes pour saisir les complexités de la ZF.

Les modèles d’affaires des ZF

La grande majorité des ZF opèrent selon un MA unique, en particulier selon l’un des deux MA distincts : nous les étiquetons « modèle d’affaires générique » et « modèle d’affaires étendu ». Leurs différences proviennent de la partie « proposition de valeur ». En principe, les ZF de n’importe quel Émirat, quelles que soient leur taille, leur spécialisation et leur stade de développement, peut adopter l’un ou l’autre MA. Empiriquement cependant, le modèle d’affaires générique a tendance à être rencontré dans les ZF à un stade de développement mature. Nous l’avons qualifié de générique parce qu’il met l’accent sur la fourniture d’infrastructures matérielles (par exemple, terrains, usines, entrepôts, bureaux) et parce que ces ZF se trouvent généralement à proximité des grands centres de transport. En réalité, le modèle d’affaires étendu n’est rencontré que dans les ZF établies après 2000, illustrées peut-être par l’inauguration du Dubai Internet City, la première ZF spécialisée aux Émirats arabes unis.

Le modèle d’affaires étendu peut être conceptualisé comme fournissant à la fois une infrastructure matérielle et immatérielle, mais en mettant l’accent sur cette dernière. En d’autres termes, le modèle d’affaires étendu est associé à un large recours à des partenariats clés, à l’association de clients clés, à la personnalisation d’une gamme étendue de services spécifiques à valeur ajoutée et à des cadres réglementaires internationaux. Par exemple, des événements de réseautage réguliers avec des organismes d’approvisionnement, des services d’incubation, des services de financement de démarrage, l’accès aux tribunaux pratiquant la « common law ».

Bien que rien n’interdise aux ZF plus anciennes d’adopter le modèle d’affaires étendu, aucun exemple de ce type n’a été observé dans notre échantillon.

La conclusion la plus intéressante en termes de MA en ZF dans les EAU est qu’ils peuvent impliquer ce que nous pouvons qualifier de modèle d’affaires de second ordre. Autrement dit, un propriétaire de ZF possède souvent plus d’une ZF dans un modèle de « holding ». Ce deuxième niveau modèle d’affaires permet la variété au niveau premier de la ZF, dans les formes organisationnelles variées (par exemple la taille, la spécialisation) et les modèles d’affaires. Cela augmente les chances de succès d’au moins une partie de l’organisation fusionnée dans une variété d’états environnementaux (Hannan et Freeman, 1977 : 955). Les particularités de ces modèles d’affaires de ZF de second ordre méritent d’être étudiées plus avant (voir ci-dessous).

Revenant aux modèles d’affaires de ZF de premier ordre, le modèle d’affaires innovant semble avoir été axé sur des parties spécifiques plutôt que sur des modèles d’affaires complets et nouveaux. Pour en discuter, nous devons d’abord développer une vue d’ensemble des MA de ZF.

Un modèle d’affaires composite des zones franches

La figure 2 est un modèle composite construit sur la base des informations de toutes les ZF de notre échantillon. Autrement dit, sur la base de nos données, nous avons cartographié les dix composantes du MA de chaque ZF (comme indiqué dans la figure 2). En prenant comme exemple la partie « segments de clientèle », une personne interrogée a déclaré : « Nous nous concentrons sur les micros et petits entrepreneurs », une autre interviewée représentant un groupe différent de ZF a déclaré : « Des grandes entreprises aux petites entreprises des secteurs A, B et C »; alors qu’un troisième interviewé a déclaré : « Grandes entreprises multinationales ». Même à partir de ce bref ensemble d’extraits d’entretiens, la variété rencontrée à travers les parties de segments de clientèle des ZF des Émirats arabes unis est évidente.

Ainsi, dans un premier temps, l’analyse a permis de réduire la variété en codant les aspects les plus importants dans chaque composante du MA. Puis, dans une seconde étape, les aspects codés de chaque composante ont été étudiés afin d’identifier les aspects propres à une ZF spécifique et les aspects partagés entre plusieurs ZF. Dans une troisième et dernière étape, nous avons synthétisé les résultats de l’analyse des aspects partagés et uniques de chaque composante au sein de composantes composites (schéma 2).

Sur la composante « segments de clientèle », par exemple, nous n’avons pas identifié d’aspects mutuellement exclusifs. C’est-à-dire que tous les aspects des segments de clientèle des ZF décrits dans la figure 2 sont des variations de thèmes similaires, tels que la spécialisation industrielle, la taille de l’entreprise, l’étape du cycle de vie et les caractéristiques de risque. Cependant, sur d’autres composantes, comme celle de la « proposition de valeur », nous avons identifié des aspects qui étaient des manifestations de thèmes mutuellement exclusifs. Pour être précis, deux ensembles de thèmes mutuellement exclusifs ont été identifiés. Le premier est représenté avec une opposition « low cost vs. luxe / high standards » et le second avec le « hub de transport vs. proximité urbaine ». Nous avons identifié les ZF qui étaient exclusivement d’un côté de ces thèmes, ce qui les empêchaient d’offrir des propositions de valeur appartenant à l’autre thème. Par exemple, il n’y avait pas de ZF dans les centres-villes pour les ZF situées dans un centre de transport tel un aéroport ou un port, et aucune ZF n’offrant des installations luxueuses et coûteuses proposait également des options budgétaires sans fioritures (et / ou vice versa).

Les aspects de chaque composante ont été placés au hasard pour préserver l’anonymat et la confidentialité. Ainsi, dans la figure 2, les composantes ne doivent pas être considérées comme représentant une ZF individuelle de notre échantillon. Au lieu de cela, elles doivent être lues comme un menu de choix (dont certaines sont mutuellement exclusives) qui reflètent la gamme d’aspects rencontrés dans les MA des ZF. En tant que telle, la figure peut servir de canevas, de plan ou de liste de contrôles pour développer des MAI. En fait, comme discuté plus en détail dans la section suivante, nous avons utilisé ce MA composite pour identifier la concentration et la distribution des MAI dans les dix composantes.

Le modèle d’affaires innovant dans les zones franches

Nous avons demandé à chaque personne interrogée d’identifier les composantes du MA qui peuvent se retrouver dans leur propre ZF, et celles sur lesquelles leurs concurrents se concentrent.

Les ZF retenues considèrent comme concurrente n’importe quelle entité (que ce soit dans une ZF ou non, localement ou à l’étranger) attirant un investissement dans leur(s) spécialisation(s). Par exemple, les ZF spécialisées dans les services financiers considèrent parmi leurs concurrents les pôles financiers de Francfort, Hong Kong, Londres et Singapour. Les ZF utilisent les trois stratégies génériques pour être compétitives : à savoir, le coût, le leadership de qualité, ainsi que des stratégies de différenciation ciblées (Porter, 1985). Le potentiel de la concurrence intra-EAU et intra-Émirat peut être facilement déduit de l’annexe 1 où l’emplacement et la spécialisation de toutes les ZF aux EAU sont rapportés.

L’étude des réponses a été faite (par exemple les fréquences) et nous avons identifié les éléments considérés comme les plus importants par les responsables (Osterwalder et al., 2005 : 10). Lorsque nous analysons les données croisées, nous observons que la plupart des innovations sont concentrées principalement dans quatre éléments : segments de clientèle, proposition de valeur, activités clés et ressources. Autrement dit, nous ne trouvons aucune concentration significative d’innovations, par exemple dans les modèles de revenus ou dans l’un des cinq autres éléments de modèle d’affaires du tableau 1 et de la figure 2.

FIGURE 2

Le modèle d’affaires composite des zones franches

Le modèle d’affaires composite des zones franches
Source : création des auteurs, basée sur les données primaires et secondaires de zones franches

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Ceci suggère que les éléments perçus comme importants par les cadres dans leurs MA ne correspondent pas nécessairement aux éléments les plus innovants. Si les MA sont cohérents, les MAI peuvent sur un élément être répercutés dans d’autres éléments du même modèle. C’est ce que Taran et al. (2015) appelle « complexité du modèle d’affaires innovant ». Par exemple, nous considérons que l’on se détourne des segments de clientèle traditionnelle (à savoir les grandes entreprises et les multinationales), alors les PME, les start-ups et les entrepreneurs individuels vont constituer une innovation sur le segment de la clientèle. L’innovation dans cette partie est ensuite mise en correspondance par des modifications apportées à la partie proposition de valeur, en offrant par exemple un espace d’incubation, un financement de démarrage, des options pour différer le paiement des frais de ZF. Ceux-ci, à leur tour, doivent être étayés par des ressources clés respectives (par exemple des espaces d’incubation de haute qualité) et des activités clés telles que le système de paiement des frais ZF et l’organisation, la fourniture et le suivi du capital-risque.

Nous identifions également des MAI dans certaines parties de faible complexité. Autrement dit, ils ne se sont pas traduits par des innovations, pas même des changements de qualité ou de quantité significatifs dans le reste des parties du MA des ZF. Par exemple, nous avons une ZF qui, en raison de son emplacement hautement souhaitable et de l’espace disponible limité, est dans une position privilégiée pour pouvoir sélectionner les clients individuels de son segment de clientèle. Des critères sophistiqués pour la sélection des clients existent (c’est-à-dire une innovation dans le segment de clientèle), mais cette partie d’innovation du MA ne s’est pas répercutée sur d’autres éléments du modèle. Bien sûr, la ZF est en mesure de facturer une prime pour ses locaux (c’est-à-dire un modèle de revenus sous la partie de mesure de performance) tout en offrant des espaces de luxe (c’est-à-dire dans la partie proposition de valeur). Cependant, le modèle n’est pas particulièrement innovant car ce phénomène est présent dans d’autres ZF.

L’offre de scolarisation dans une ZF pour les enfants des personnes qui y travaillent est à considérer comme une innovation dans la partie de proposition de valeur. Elle se reflète dans des partenariats clés (par exemple avec un fournisseur d’éducation) et les parties du modèle de revenus ZF. Bien que ces parties diffèrent manifestement de ceux des autres ZF qui n’offrent pas de scolarisation, les différences ne suggèrent pas l’innovation.

On trouve également des MAI dans la partie de proposition de valeur des modèles des ZF appartenant au même propriétaire, qui permettent aux locataires de la ZF de s’y déplacer ou d’y travailler. Encore une fois, cette innovation dans la proposition de valeur est de faible complexité et ne se reflète pas dans les changements majeurs ou les innovations dans le reste du modèle.

Nous avons découvert une innovation majeure dans la partie des ressources qui mérite d’être signalée, soit la création d’un tribunal pratiquant la « common law » anglaise dans une ZF. Ses services sont également disponibles pour les utilisateurs situés en dehors de la ZF. Cette innovation est d’une complexité relativement élevée et fait l’objet d’innovations dans presque toutes les autres parties du modèle d’affaires de la ZF (la seule exception notable étant la structure des coûts).

Dernier point, mais non des moindres, nous n’observons aucun effort concerté visant des valeurs non capturées dans le sens de Yang et al. (2017). Par exemple, en ce qui concerne l’environnement et la durabilité (França et al, 2017; Karlsson et al., 2017) et / ou en relation avec la création d’écosystèmes d’innovation (Ritala et al., 2013). Cela donne à penser que notre échantillon comporte un large éventail de modèles d’affaires innovants réussis dans ces domaines.

Par conséquent, les résultats de cette étude suggèrent qu’il existe une variation limitée à travers les MA des ZF, quelques MA (deux pour être précis), et aucun nouveau modèle depuis 2000. Le modèle étendu doit être loué pour sa radicalité par rapport au générique. Cela étant, les MAI identifiés ont tendance à avoir une complexité plutôt limitée. L’innovation est concentrée sur un petit nombre de parties et il est rare que ses effets débordent sur les innovations dans le reste du modèle. Autrement dit, le reste des parties peut faire écho à des innovations faites ailleurs dans le modèle d’affaires, mais elles ne sont pas innovantes elles-mêmes. La plupart des innovations remarquables sont entreprises dans des contextes ouverts (impliquant de nouveaux partenaires ou de nouvelles relations avec des partenaires existants). Cependant, la portée de ces innovations, et donc la mesure dans laquelle elles sont proactives ou réactives (c’est-à-dire leur contexte stratégique), est moins claire et nécessite des recherches plus approfondies.

Limites de l’étude et futures recherches

Comme mentionné précédemment, d’autres recherches sur la portée du MAI et le contexte stratégique sont nécessaires. Ces recherches doivent s’appuyer sur des données historiques plus détaillées quant au paysage concurrentiel afin de mieux apprécier l’impact des MA et des modèles innovants. Cela nécessite d’étudier la totalité des zones franches dans les Émirats. Une telle étude doit englober les points de vue des utilisateurs de ZF sur une période longue afin de compléter les perceptions des cadres dans les ZF.

Cette étude s’est concentrée sur la survie et la viabilité des ZF. Toutes celles qui ont été retenues dans l’échantillon ont survécu en moyenne 13,55 ans et environ 15 % plus de deux fois plus. La population de l’échantillon montre des niveaux statistiques plus élevés que la moyenne des ZF. La faible variation de leurs formes organisationnelles et leur domination sur le marché des Émirats suggèrent que leurs modèles sont viables.

Cependant, l’étude n’a pas pris en compte l’ensemble des indicateurs de performance (par exemple, les indicateurs de retour sur investissement et de développement durable). Cette dernière est une construction multidimensionnelle influencée par plusieurs facteurs variés. La difficulté de prendre en considération une plus grande diversité d’indicateurs rend l’opérationnalisation de l’étude difficile (Richard et al., 2009), surtout dans un domaine nouveau comme le modèle d’affaires innovant où le problème des mesures de performance appropriées est récurrent.

Dernier point, mais non des moindres, les MA de ZF de second ordre (tels que présentés précédemment) méritent une étude en soi. Une telle étude pourrait être combinée avec d’autres recherches dans les domaines susmentionnés, mais nécessiterait également des informations plus détaillées sur les structures de propriété des ZF, sur l’évolution des ZF particulières et sur leurs formes organisationnelles (changements de taille et de spécialisation, par exemple). Les recherches sur les MA de second ordre devront s’étendre aux ZF dans d’autres économies au-delà des Émirats.

Conclusions et implications

Nous avons entrepris un examen critique et une synthèse des théories en matière de MAI. Nous avons proposé un cadre avec les composantes clés du modèle d’affaires pertinentes pour les ZF. Nous avons également examiné une liste des ZF des Émirats arabes unis et leurs principales caractéristiques. Nous avons interrogé les cadres de plus de la moitié des ZF et nous avons établi que les ZF s’inscrivent dans l’un des deux modèles : génériques et étendus. Le premier met l’accent sur d’infrastructures en « dur », tandis que le second intègre les infrastructures de réseaux, caractérisées pour leur radicalité par rapport au générique MA de ZF.

Aucun nouveau modèle de ZF n’a émergé après 2000. Nous avons également identifié des MA de second ordre qui offrent des possibilités aux propriétaires de ZF de créer des holdings. En outre, les MAI tendent à être d’une complexité limitée. La plupart des modèles innovants sont concentrés au sein de quelques parties de la grille d’analyse inspirée par le modèle Canvas, avec des conséquences limitées pour le reste du modèle d’affaires. Par ailleurs, les modèles les plus innovants sont souvent les plus ouverts (c’est-à-dire qui impliquent de nouveaux partenaires ou de nouvelles relations avec des partenaires existants). Dernier point, mais non des moindres, nous n’avons pas trouvé d’éléments indiquant des efforts concertés sur le MA cherchant à appréhender des valeurs non capturées (par exemple, l’environnement, la durabilité, l’innovation de l’écosystème). Ces résultats ont des conséquences à la fois sur la théorie, la politique et la pratique.

En résumé, cette étude présente quatre principaux points à retenir :

  • Négliger les cadres institutionnels, réglementaires et / ou se concentrer sur un ensemble restreint de KPI est une erreur dans l’étude des MAI, en particulier dans des formes et des contextes organisationnels complexes.

  • La plupart des cadres ont tendance à se concentrer sur un ensemble restreint de KPI (financiers ou clients par exemple). De plus, ce que les cadres perçoivent comme les éléments les plus importants de leur MA ne correspond pas nécessairement aux éléments les plus innovants. De tels oublis managériaux limitent les efforts d’innovation.

  • La plupart des MAI sont focalisés sur quatre parties du MA, à savoir : segments de clientèle, proposition de valeur, activités clés et ressources. Cela suggère beaucoup de possibilités d’innovations supplémentaires dans au moins autant de parties du MA (canaux, relations clients, partenariats clés, performance, et gouvernance).

  • Dernier point, mais non des moindres, il convient de noter que même un changement relativement faible dans un seul élément du MA peut créer des niveaux importants de différenciation au niveau macro, en rendant par exemple une ZF leader mondial. Cela suggère que l’opérationnalisation de MA peut avoir un impact important.

Nous pensons qu’il existe encore des travaux théoriques à réaliser sur les liens entre les modèles d’affaires innovants et les ZF. Celles-ci constituent un exemple unique des marchés industriels internationaux. Notre étude constitue un premier pas pour opérationnaliser le concept de MAI. Évidemment, comme toute première étape, il fait face à des limites (discutées ci-dessus), mais ouvre également des voies fructueuses pour une nouvelle théorisation à la fois des ZF et des MAI. Par exemple, des modèles de second ordre, des changements ou des innovations dans les parties du MA (aspects à théoriser dans la littérature MA / I).

En termes de politique, et surtout si le rôle des ZF en tant qu’instruments de développement économique doit être exploité de manière systématique, plusieurs implications doivent être abordées. Premièrement, les ZF devraient être intégrées explicitement dans les documents et les objectifs politiques. Un observatoire fédéral des ZF peut également s’avérer utile comme point de contact unique pour les décideurs politiques, les propriétaires de ZF et autres utilisateurs (par exemple, les chercheurs, les investisseurs potentiels). De même, il faudrait réaliser des enquêtes, consolider et diffuser les connaissances et / ou les meilleures pratiques des ZF, apporter de la cohérence aux efforts individuels des ZF et diffuser des idées de type MAI.

Enfin, la gestion des ZF présente en pratique des opportunités pour engager de nouvelles recherches. Les gestionnaires de la ZF doivent examiner de plus près leurs modèles et envisager s’ils peuvent en trouver un meilleur; si un MAI peut-être initié en modifiant certaines parties (cf. Canvas); si, au lieu de changer simplement une partie du MA, ils peuvent améliorer d’abord la partie en question et s’il existe des valeurs non captées qu’un modèle approprié pourrait appréhender.