Corps de l’article

Dans les dernières décennies, plusieurs pays ont révisé leurs législations concernant les mineurs. Les débats stimulés par l’adoption de nouvelles perspectives en matière de justice juvénile ont suscité l’intérêt pour l’histoire des législations et des institutions concernant les mineurs, comme le souligne Jean Trépanier et Xavier Rousseaux codirecteurs de l’ouvrage collectif Youth and justice in the Western states, 1815-1950. From Punishment to Welfare. Si l’historiographie de l’enfance en difficulté est assurément un champ de plus en plus riche, il est vrai que la langue de rédaction de certaines recherches demeure parfois une barrière dans la diffusion du savoir. Suivant ces idées, l’ouvrage de Trépanier et de Rousseaux poursuit deux objectifs. Dans un premier temps, il explore le traitement de la délinquance juvénile dans l’histoire occidentale moderne et, dans un second temps, il offre en version anglaise douze textes qui demeuraient inaccessibles aux anglophones. Notons que ce second objectif ne sera pas sans incidence sur la composition de l’ouvrage qui souffre de l’absence d’analyses s’intéressant aux États-Unis et au Canada anglais.

Ceci dit, les textes proposés offrent des contributions originales concernant la Belgique, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Québec, la Suisse et l’Angleterre (le Québec et la Belgique sont l’objet d’une attention particulière avec chacun trois textes qui leur sont respectivement consacrés). Ainsi, l’aire spatiale couverte par les contributions présentées dans ce livre offre assurément une belle diversité. Cependant, le cadre temporel très rigide de 1815 à 1950 annoncé dans le titre aurait pour sa part pu bénéficier d’un peu plus de souplesse. S’il est vrai que les travaux concernant l’histoire de la prise en charge juridique et institutionnelle de la jeunesse ont principalement investi le XIXe siècle et le début du XXe siècle, les dernières décennies du XXe siècle suscitent de plus en plus l’attention des chercheurs. Ainsi, plusieurs des textes proposés s’aventurent hors du cadre défini du livre pour aborder les dernières décennies du siècle dernier, ce qui reflète l’intérêt plus récent, mais bien présent, pour cette période. Enfin, si la grande majorité des contributeurs de cet ouvrage sont des historiens, certains proviennent d’autres horizons des sciences humaines et sociales, notamment la criminologie, la psychologie et la pédagogie. Cette diversité a l’intérêt d’offrir au lecteur des approches différentes sur le sujet.

L’ouvrage est divisé en quatre parties. La première partie se veut un tour d’horizon des origines et de l’évolution de la justice juvénile dans le monde occidental. Bien que la mise en place de législations et de structures spécifiques à l’enfance dans plusieurs pays occidentaux s’effectue avec une grande synchronie, l’auteur (Jean Trépanier) nous met en garde contre les écueils d’une l’histoire simplement comparative. Il propose plutôt de planter un décor à la fois commun et spécifique à chaque pays. La vocation de ce texte justifie peut-être qu’il soit le seul à composer la première partie.

Les trois parties suivantes sont organisées de manière thématique. La seconde aborde les solutions, juridiques et institutionnelles, mises en oeuvre au Canada (Montréal) et en Angleterre au XIXe et au début du XXe siècles pour prendre en charge les jeunes délinquants et « en danger ». Notons le texte de Janice Harvey qui s’intéresse à la mise en place d’une école d’industrie par la « Montréal Ladies’ Benevolent Society ». Comme l’auteure le remarque, l’étude des écoles d’industrie est particulièrement intéressante notamment en raison de l’ambiguïté qu’elles entretiennent entre la protection, l’assistance et la répression. Mais le texte d’Harvey est également intéressant de par l’intérêt qu’il porte à la prise en charge de mineurs par une institution de confession protestante. En effet, le système de prise en charge confessionnelle du Québec a souvent été étudié à la lumière des institutions catholiques.

La mise en place des premières cours de justice pour mineurs ainsi que leur pratique sont abordées pour les cas de la Suisse, des Pays-Bas, de l’Allemagne et de la Belgique dans la troisième partie de l’ouvrage. Si ces cours de justice sont toutes caractérisées par l’adoption du modèle du « welfare » on constate que ce modèle est, dans les faits, endossé à divers degrés par les différents pays. Le texte d’Ingrid van der Bij et Jeroen J.H. Dekken, pose également la question des différences perceptibles au niveau local dans l’administration de la justice pour mineurs. Ainsi, les auteurs proposent que plusieurs éléments, comme les facteurs social et légal, les institutions disponibles, le juge en lui-même, etc. jouent des rôles importants dans les décisions rendues.

La quatrième partie se consacre à l’expérience des jeunes et de leur famille qui sont traduits devant la justice. Cette partie qui recentre le questionnement sur « l’acteur » offre notamment la contribution très intéressante de Margo De Koster. Cette analyse s’intéresse au parcours des jeunes filles qui ont comparu devant la cour juvénile d’Anvers de 1912-1933. L’auteure utilise l’approche dite « the « criminal career » », qui lui permet de poser comme point de départ de son analyse les conditions dans lesquelles les jeunes filles évoluent avant leur comparution. L’auteure dessine alors un portrait social et familial de ces accusées. L’analyse prend également en considération les différents canaux (origine des plaintes) par lesquels se fait l’entrée des jeunes filles dans le système judiciaire, ainsi que leur l’orientation à la suite d’une dénonciation. Il est intéressant de noter que la dimension du genre est présente dans presque tous les textes de l’ouvrage. Il est vrai que la variable du genre est très structurante dans l’étude de l’histoire de la justice juvénile.

La conclusion qui reprend les principaux thèmes abordés dans l’ouvrage permet de donner une plus grande cohérence à l’ensemble. Elle permet également d’aborder, dans une certaine mesure, les enjeux et les défis relatifs à la construction d’une histoire transnationale de la jeunesse à travers le système judiciaire. Enfin, le lecteur se sentira bien nourri par les contributions de qualité qui constituent cet ouvrage.