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Auteur prolifique, Marcel Fournier en est à son seizième ouvrage publié depuis 2000. Celui-ci présente dans sa majeure partie un répertoire biographique de 909 migrants originaires de la ville de Paris (dans ses limites du XVIIIe siècle) établis par mariage sur le territoire du Québec entre 1617 et 1850. Ce répertoire de 400 pages est moins «  une première étude d’ensemble sur l’immigration parisienne au Canada  » (p. 145), qu’un dictionnaire généalogique limitant l’immigration aux seuls émigrants établis par mariage. Un titre comme Dictionnaire biographique des pionniers canadiens d’origine parisienne précédé d’une brève analyse statistique et d’un guide historique du Paris des Québécois aurait donné un bon aperçu du contenu de l’ouvrage. Celui-ci n’en demeure pas moins très intéressant pour les informations fines et souvent inédites qu’il livre sur les lieux d’origine des ancêtres parisiens et pour la précision de leurs biographies. J’ai appris, par exemple (p. 529), que le père de Françoise Saulnier, seconde épouse de mon premier ancêtre, était imprimeur et qu’il habitait rue Dauphine en 1629. En revanche, on regrettera que ces informations ne soient pas référencées, nous privant ainsi d’apprécier leur fiabilité, de remonter jusqu’à cette source et d’explorer cette piste de recherche.

Outre ces notices biographiques, l’ouvrage compte quatre chapitres offrant un bref historique de la ville de Paris, un relevé des lieux de mémoire franco-canadiens, une présentation des sources ainsi que diverses informations, statistiques et données sociodémographiques. Le chapitre 2 est le plus consistant (environ 70 pages) et d’une grande érudition. Il présente 250 lieux de mémoire franco-canadiens répertoriés dans les arrondissements de Paris, surtout dans les 13 premiers où ils sont concentrés. Selon un plan et une formulation qui restent toujours les mêmes, ces lieux de mémoire sont regroupés dans trois catégories. Sont d’abord présentées les églises de nos ancêtres pour chacune desquelles on mentionne les personnages illustres ainsi que le nombre de pionniers y ayant été baptisés et qu’un index à la fin de l’ouvrage permettra d’identifier. Viennent ensuite « les lieux témoignant de l’histoire canadienne » (p. 27), lesquels font en quelque sorte digression, puisqu’ils ne se rapportent pas directement aux pionniers ni à l’histoire du peuplement du Canada. La pyramide du Louvre, dont l’ingénieur québécois Roger Nicolet a participé à la réalisation, est le premier mentionné. En dernier lieu se trouve une liste des lieux de mémoire odonymiques dont le premier rapporté est la rue de l’Arbre-Sec, « lieu de résidence des parents de François Dusseau dit Sansoucy et de la mère de Marie Grandry » (p. 31). Sont ainsi recensés 175 de ces « odonymes » (d’autres sont au chapitre 4) qui sont en fait des rues de Paris où ont habité certains pionniers ou leurs parents. Ces mentions d’odonymes sont non référencées et pourraient en quelque sorte paraître superflues, puisqu’elles sont répétées de façon plus significative, parce que datées et contextualisées, dans les biographies des pionniers. Elles nous apprennent néanmoins que les parents de Dusseau et la mère Grandry habitaient dans la même rue.

Cet ouvrage disperse volontairement de nombreux éléments formant une riche documentation qu’il aurait été intéressant de structurer de manière à mieux exposer comment l’histoire collective de certains groupes de migrants parisiens et l’histoire fine de leurs rues et de leurs quartiers d’origine ont pu avoir joué un rôle dans l’histoire du peuplement du Canada. Alors que les églises des pionniers et les odonymes sont regroupés par arrondissements et par ordre alphabétique au chapitre 2, que les analyses sur les paroisses, les rues, les lieux de résidence, les périodes migratoires, etc. sont présentées au chapitre 4, que les biographies des pionniers sont classées en ordre alphabétique dans la seconde partie de l’ouvrage et que les lieux où ils se sont établis au Canada sont repérables dans un index alphabétique à la fin de l’ouvrage, n’aurait-il pas été intéressant de regrouper toute cette matière dans un ordre géographique et chronologique plutôt qu’en ordre alphabétique  ? Par exemple, regrouper l’histoire d’une paroisse, montrer sur un plan les rues d’origine des pionniers, présenter textuellement ces rues par ordre de voisinage en y intégrant les biographies des pionniers qui en sont originaires et faire ressortir si les migrants d’origine parisienne voisine se sont établis dans un même voisinage au Canada. Une telle approche microhistorique à l’échelle des paroisses, des rues ou des quartiers aurait pu éventuellement dégager l’existence (ou l’absence) de dynamiques migratoires vers le Canada. À propos de la même Françoise Saulnier, par exemple, il est indiqué (p. 72) qu’elle-même ainsi que quatre autres pionniers sont originaires de la petite rue des Canettes donnant sur la Place Saint-Sulpice. Si les rues avaient été regroupées par ordre géographique plutôt qu’alphabétique, il aurait été possible de discerner si les rues avoisinantes ont elles aussi envoyé des émigrants au Canada et d’entrevoir, par exemple, si les immigrants originaires du 6e arrondissement sont uniquement arrivés au Canada par hasard, ou si on n’y trouverait pas un indice d’un quelconque recrutement des sulpiciens dans leur paroisse pour coloniser Montréal. Les analyses sociodémographiques de l’intéressant chapitre 4 procurent peut-être un autre indice en révélant que Saint-Sulpice est la paroisse parisienne ayant envoyé le plus de pionniers au Canada (p. 121). Dans le même ordre d’idées, on trouve ailleurs que 18 pionniers sont venus de la rue Saint-Honoré dans le premier arrondissement (p. 123), mais il faudra consulter les biographies pour parvenir à les identifier et pour, éventuellement, élaborer une hypothèse pouvant expliquer la chose.

Bref, cet ouvrage apporte une abondance de renseignements intéressants et inédits sur les ancêtres parisiens ayant contribué au peuplement du Canada. Parce qu’ils ne sont pas vraiment référencés, qu’ils sont dispersés et souvent présentés en ordre alphabétique dans les 600 pages de cet ouvrage, ces renseignements nourrissent moins qu’il aurait été possible notre avidité de mieux connaître, non seulement la composition, mais aussi la nature et la structure de la contribution parisienne au peuplement du Canada.