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Tu décris là, dit-il, une image étrange et de bien étranges prisonniers. Ils sont semblables à nous, dis-je. Pour commencer, crois-tu en effet que de tels hommes auraient pu voir quoi que ce soit d’autre, d’eux-mêmes et les uns des autres, si ce ne sont les ombres qui se projettent, sous l’effet du feu, sur la paroi de la grotte en face d’eux ?

Platon[1]

La doctrine se plaît à rappeler qu’il importe de commencer par les mots avant d’entreprendre toute analyse. Ainsi, à l’instar du sociologue qui définit les choses dont il traite, afin que l’on sache et qu’il sache bien de quoi il est question, nous faisons le choix de respecter cette coutume, car il nous paraît pertinent d’en comprendre l’essence afin d’éviter toute équivoque. La finalité de notre article est de mettre en exergue l’influence des médias sur la formation de la confiance du public quant à la probité de l’administration de la justice pénale.

Dans son sens le plus général, la confiance, adaptée du latin confidentia, est le fait de croire ou d’espérer fermement en quelque chose[2]. La Rochefoucauld, parlant de la confiance, estimait que celle-ci plaisait toujours à celui qui la recevait, « c’est un tribut que nous payons à son mérite ; c’est un dépôt que l’on commet à sa foi ; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dépendance où nous nous assujettissons volontairement[3] ». L’acception juridique définit la confiance comme une croyance en la bonne foi, la loyauté, la sincérité et la fidélité d’autrui ou en ses capacités, ses compétences ou ses qualités professionnelles[4]. Dans les limites de notre sujet, la confiance est celle que ressent le public, à savoir le peuple pris dans son ensemble[5] et non réduit à l’individu, soit « l’unité la plus petite et la plus concrète de la vie, en deçà de laquelle il n’y a plus rien[6] ». D’un point de vue sociologique, la notion de public peut se considérer de manière dichotomique. Selon la première acception, comprise relativement à son objet, cette notion s’appuiera principalement sur une recherche de type quantitatif, où « le public est analysé comme un ensemble d’individus, dont l’unité provient des effets communs engendrés par la réception d’un produit culturel[7] ». La seconde acception, qui nous intéressera ici tout particulièrement, considère le public au regard des comportements qu’il engendre. Dans cette perspective, « l’analyse des publics est menée par rapport aux actes réalisés lors d’une réception secondaire : la perspective est interactionniste[8] ». Sous cet angle, notre étude sera moins quantitative que qualitative, car il conviendra par exemple d’analyser des échanges de points de vue après un évènement médiatique tel un procès judiciaire. Dans notre étude, nous retiendrons la notion de public comme celle qui renvoie à l’ensemble indéfini des personnes qui peuvent être touchées par un moyen de diffusion, notamment — mais pas exclusivement — les lecteurs, les auditeurs, les spectateurs ou les téléspectateurs[9].

L’acceptation de « public » comme réceptacle d’une information diffusée fait intervenir un acteur fondamental dans la promotion de la confiance envers l’administration de la justice pénale : les médias, dont la finalité peut se résumer en la transmission d’informations à destination des citoyens[10]. Clarifions seulement avant de poursuivre notre développement que le terme « médias » désigne les moyens de communication de masse (mass media)[11]. Cette acception englobe les médias traditionnels de masse, à savoir la presse quotidienne, la radio, la télévision ou encore le cinéma pour ne citer qu’eux, sans évincer les nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme Internet, les réseaux sociaux regroupant une communauté d’individus liés par des centres d’intérêt communs ou encore l’intelligence artificielle[12]. Les moyens de communication, par voie écrite ou électronique, permettent le transfert à grande vélocité d’une myriade d’informations aussi diverses que variées sur de multiples sujets, par exemple l’art, le cinéma, la politique ou l’économie pour clôturer cette liste non exhaustive. Devant une réalité aussi kaléidoscopique que celle de l’information, il convient d’en circonscrire les contours afin de rester fidèle à notre sujet d’étude. Dans notre cas d’espèce, il sera principalement question des données émanant de la justice pénale et de son administration. Depuis plus d’une vingtaine d’années, la judiciarisation de la société a conduit les médias à s’emparer de ce phénomène, faisant alors oeuvre de support ou plus exactement de médiateur entre les citoyens, profanes et méfiants quant au fonctionnement de l’organisation judiciaire, et l’administration de la justice, laquelle se compose d’une multitude de professionnels exerçant chacun leur rôle.

Les développements ci-dessous nous conduiront à mettre en évidence le substrat sur lequel repose la confiance du public en l’administration de la justice pénale. Certaines pratiques judiciaires, telles qu’elles sont retranscrites par les médias, édulcorent la confiance des citoyens envers l’institution judiciaire et son administration. À cet égard, mentionnons le droit à la présomption d’innocence[13] mis à mal par l’effet de surmédiatisation de certaines affaires criminelles et pénales, de l’inaptitude de l’administration à respecter le principe de célérité des procédures, sans oublier la constitution des jurys ne reflétant pas la composition multiculturelle ou l’instrumentalisation et la politisation des affaires judiciaires : voilà autant de pathologies qui soulèvent l’indignation publique et sèment méfiance et suspicion dans l’esprit des citoyens. Nécessaire à l’accroissement du potentiel d’action du système judiciaire, la confiance ne s’obtiendra qu’au prix d’une accessibilité à l’information et d’une compréhension du fonctionnement de l’administration de la justice pénale.

La perspective de renforcer la confiance du public est rendue possible par le recours à un principe plus général : la publicité des débats. Communément, on désigne ainsi le caractère de la séance d’une assemblée à laquelle le public peut assister ou dont les débats sont retransmis ou publiés[14]. Pour souligner le caractère fondamental du principe de publicité, Jeremy Bentham déclarait déjà au xixe siècle que « publicity is the very soul of justice. It is the keenest spur to exertion, and the surest of all guards against improbity[15] ». On peut remonter encore plus loin dans le temps, du côté de l’Hexagone, où le principe de la publicité des débats a été reconnu par les lois des 16 et 24 août 1789. Il jouit également d’un rayonnement régional avec sa reconnaissance depuis 1950 par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable[16] ». L’ensemble de la jurisprudence européenne martèle le droit à une audience publique, car il en va de l’intérêt du justiciable. Un tel droit permet notamment de protéger les citoyens d’une justice secrète qui échapperait au contrôle du public[17]. Outre la protection du citoyen, le principe de publicité est l’un des moyens permettant de préserver la confiance du public dans les cours et tribunaux par la transparence qu’il permet[18]. À l’échelle internationale, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 consacre également ce principe à l’article 10[19]. La publicité des débats est donc de principe lorsqu’elle promeut l’intérêt général[20], à moins que celle-ci ne porte atteinte à la moralité, à l’ordre public, à la sécurité nationale ou aux intérêts de la justice ou encore lorsque l’intérêt des mineurs ou la protection de la vie privée[21] des parties l’exige[22].

Entendu dans son aspect stricto sensu, le principe de publicité concerne exclusivement l’accès de la salle d’audience au public. Comme le précise la haute juridiction française, « [l]a publicité des débats judiciaires, telle qu’elle a été réglée par les lois constitutionnelles, consiste, non dans leur reproduction par la voie de la presse, circonstance accessoire et non essentielle de la publicité, mais dans le libre accès du prétoire ouvert à tous les citoyens, dans la faculté pour chacun d’assister aux audiences, et dans le prononcé des jugements à haute voix[23] ».

Lato sensu, la même notion n’est plus restreinte au seul accès du public au prétoire, mais fait également référence à la captation et à la retransmission du procès judiciaire au moyen de communications écrites, électroniques ou audiovisuelles. Il en va ainsi des journaux, de la radio, de la télévision ou, plus récemment, d’Internet et des réseaux sociaux qui, bien qu’ils permettent la propagation instantanée d’informations, n’en favorisent pas plus la compréhension.

Retenons que, de la même manière que le principe de la légalité criminelle impose au législateur l’édiction de normes claires et intelligibles permettant à tout citoyen de connaître, à l’avance, les conduites prohibées et donnant lieu à sanction en cas de non-respect, la publicisation des débats judiciaires a « valeur d’exemplarité et dissuade certains de se livrer à des comportements criminels ou délictueux[24] ».

En France, au début du xxe siècle, la prolifération des appareils de captation de l’image a altéré l’harmonie qui régnait dans les palais de justice, le tumulte médiatique a pris le pas sur la sérénité des débats et la défense des accusés. Placé devant l’ébranlement de l’administration de la justice et déterminé à mettre un terme à la « justice spectacle », le législateur décide d’adopter, le 6 décembre 1954, une loi complétant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en vue d’interdire la photographie, la radiodiffusion et la télévision des débats judiciaires[25]. Une défiance à l’égard des médias s’instaure alors durant cette période au sein de la sphère politique. La liberté de captation visuelle et sonore des débats qui était de principe avant 1954 devient désormais l’exception, et les pratiques journalistiques y sont strictement encadrées. Or, les interdictions que renferme la loi du 1954 se heurtent peu à peu au développement croissant des moyens de communication audiovisuels. L’inflexibilité de la loi de 1954 a subi une première édulcoration par deux lois au début des années 80 (2 février 1981[26] et 11 juillet 1985[27]) qui ont permis, notamment, au président de la cour d’assises d’ordonner que les débats fassent l’objet d’un enregistrement sonore[28] ou lorsque ce dernier a pour finalité la constitution d’archives historiques.

En février 2005, la Commission sur l’enregistrement et la diffusion des débats judiciaires propose un rapport afin d’assouplir à nouveau la rigidité de la loi de 1954 qui règne encore aujourd’hui[29]. Le rapport a pour objet d’articuler la présence des médias dans le prétoire et le respect de la bonne administration de la justice. D’une part, la captation des débats et leur diffusion ne doivent en aucun cas altérer la protection des justiciables ainsi que celle d’autres personnes, par exemple des témoins, des jurés et des membres de l’administration de la justice[30]. D’autre part, « [l]a présence des médias audiovisuels dans les prétoires ne doit en aucun cas affecter la nécessaire sérénité des débats[31] ».

En 1869, Faustin Hélie affirmait avec grande justesse dans son traité de l’instruction criminelle que « [l]a publicité de l’audience est donc une forme essentielle de la procédure, la plus essentielle peut-être, car elle éclaire tous les actes du juge, elle les défère, à mesure qu’ils s’accomplissent, à l’examen et au contrôle du public, elle contient tous les excès en permettant de juger tous les jugements, elle rassure les justiciables, elle rehausse enfin les fonctions de la justice en y attachant plus de considération et d’éclat[32] ». Il ressort clairement de cette déclaration que le principe de publicité des débats judiciaires fait office de « chien de garde de la démocratie ». Il permet d’offrir aux citoyens une certaine transparence et une intelligibilité quant au fonctionnement de la justice pénale. Au fil du temps, le développement des moyens de communication et l’avènement des nouvelles technologies ont permis aux médias de s’accaparer le champ[33] judiciaire, partie de l’espace social relativement autonome, afin de le retranscrire aux citoyens avec plus ou moins de justesse, comme nous le verrons ci-dessous. Ces acteurs intermédiaires, qui sont autonomes par rapport au pouvoir judiciaire et mus « par une représentation de la justice qui dépasse l’institution[34] », interagissent et participent pleinement à la vie démocratique par le truchement d’une communication de masse qui apparaît aux yeux des individus comme une source légitime d’information[35]. Nous reviendrons sur la propagation de l’emprise médiatique sur l’ensemble des champs, en particulier celui qui nous intéresse tout spécialement, soit le champ judiciaire.

L’instance médiatique et la connexité étroite qu’elle entretient avec le public accusent deux intérêts, l’un de nature juridique, l’autre d’essence plus sociologique. En ce qui concerne l’intérêt juridique, le rôle déterminant des médias dans leur position d’intermédiaires se rattache à deux impératifs d’essence démocratique : l’un de transparence en ce que rien ne doit être dissimulé au public, l’autre de contrôle exercé indirectement par les citoyens après réception de l’information véhiculée par les médias.

Au cours des années 70 se développe, parallèlement à l’avènement de nouveaux moyens de communication toujours plus performants, une communication de masse. Ce phénomène permet alors aux médias d’exercer une influence tant sur les citoyens que sur les juges et leurs décisions. L’effet de massification[36], dont la finalité prétend à la restauration de la confiance des citoyens envers l’administration de la justice pénale, procède avant tout d’une homogénéisation de la pensée des interlocuteurs et menace d’altérer la réflexion critique de ces derniers[37]. Nous nous interrogerons ci-dessous sur l’influence des médias et leur participation à la promotion de la confiance du public envers l’instance judiciaire et son administration.

Le pouvoir médiatique, distinct du pouvoir judiciaire tant dans ses intérêts et ses valeurs que dans ses interprétations[38], prend part de manière manifeste à la promotion de la confiance du public en l’administration de la justice pénale (partie 1) ; néanmoins, cette influence d’apparence positive et bienveillante éclipse une part de réalité (partie 2).

1 L’influence manifeste des médias dans la confiance du public

Afin de promouvoir la confiance du public dans l’administration de la justice pénale, les médias, en tant qu’acteurs intermédiaires entre les citoyens et l’administration de la justice assurent un double rôle, l’un garantissant la transparence de l’information (1.1), l’autre participant d’un objectif pédagogique et culturel (1.2).

1.1 La publicité comme corolaire de la transparence du système judiciaire

La Charte canadienne des droits et libertés et d’autres textes fondamentaux, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, consacrent le principe de la publicité des débats qui permet à toute personne que sa cause soit entendue publiquement[39], par un tribunal indépendant et impartial[40]. Ces préceptes favorisent la confiance du public envers les cours et tribunaux en ce qu’ils permettent de protéger le justiciable d’une « justice secrète échappant au contrôle du public[41] ». La jurisprudence canadienne rappelle à cet égard que « [l]a publicité est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux ». Ainsi, la publicité « fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de la justice et de sa compréhension de l’administration de la justice[42] ».

Entendu strictement, le principe de publicité reflète le caractère de ce qui est public, par exemple la publicité des audiences. Le caractère public des débats judiciaires permet donc à quiconque le souhaite d’entrer dans le prétoire afin d’assister aux séances. Cette première acception est complétée par une seconde, dont la portée plus large permet la prise en considération du rôle des médias dans la retransmission correcte de l’information judiciaire. La diffusion médiatique de l’information hors du prétoire est rendue possible par un principe démocratique plus général, celui de liberté d’expression.

Soulignons que la liberté d’expression, pierre angulaire de toute société libre, « protège autant celui qui s’exprime que celui qui l’écoute[43] ». En d’autres termes, la liberté d’expression englobe la liberté de recueillir l’information durant l’audience ou dans les aires publiques des palais de justice et de véhiculer cette dernière à destination des citoyens. La transmission de l’information par les médias aux citoyens est un facteur substantiel contribuant à entretenir la « confiance du public dans la probité du système judiciaire[44] », notamment lorsque les citoyens sont libres, après réception et analyse de l’information, « [de] former et d’émettre des opinions éclairées sur les tribunaux[45] ». Par une diffusion médiatique de l’information, « rien de ce qui se fait n’est caché aux yeux du public[46] », tout un chacun pouvant alors se tenir informé du fonctionnement du système judiciaire[47].

Comme nous l’avons démontré à travers les deux acceptions du principe de publicité, la réception de l’information par les allocutaires peut se réaliser par deux moyens, l’un par l’accès direct au prétoire, à l’image de ce qui se faisait dans l’Antiquité à Athènes où le dèmos[48] se déplaçait en masse afin d’assister aux procès, faisant ainsi écho au principe de publicité entendu de manière stricto sensu. L’autre moyen, plus contemporain, rendu possible grâce aux nouvelles techniques de communication, se réalise exceptionnellement, lorsqu’il en va de l’intérêt du public et eu égard aux implications du procès, à distance par la retransmission des procès par les médias[49]. La difficulté liée à la présence physique des citoyens dans le prétoire, afin d’accéder à la connaissance des décisions judiciaires, réside dans l’indisponibilité de ces derniers. Une telle réalité, que l’on peut qualifier aujourd’hui de chimérique, correspond à un temps révolu où la population disposait du temps nécessaire à l’acquisition des connaissances. Jadis, « que ce soit en Grèce (à l’agora) ou à Rome (au forum), c’est la civilisation de la vigne et de l’olivier, ou, en Afrique, sous l’arbre à palabres, civilisation du palmier ou du baobab et du mil ou du sorgho[50] ». La jurisprudence canadienne reconnaît elle-même la difficulté qu’éprouvent la plupart des citoyens d’assister à un procès : « Ni les personnes qui travaillent ni les pères ou mères qui restent à la maison avec de jeunes enfants ne trouveraient [de nos jours] le temps d’assister à l’audience d’un tribunal[51]. »

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, de même qu’Internet et les réseaux sociaux, qui irriguent « directement et simultanément[52] » la population dispensent celle-ci du fardeau de se rendre physiquement au prétoire lorsqu’elle désire être informée de l’actualité judiciaire. Les individus « peuvent suivre de chez eux un évènement public comme s’il s’agissait d’un film de fiction[53] ». La communication de masse (presse écrite et audiovisuelle, cinéma, radiodiffusion, télévision, Internet, etc.) frappe alors les citoyens voués corps et âme à cette source d’information[54].

Orchestrée en grande partie par les instances médiatiques, la diffusion de l’information correspond à une sorte de « monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population[55] ». Délaissant la plume et le papier du scribe qui s’efforçait de retranscrire les débats judiciaires, reflet d’une période désuète, « l’image animée permettra de donner enfin vie aux procès par une restitution fidèle[56] ». Dès lors, la captation audiovisuelle « enregistre non seulement les paroles prononcées mais le ton de la voix, les nuances de l’emphase verbale ainsi que les gestes et les expressions du visage. Elle fournit le succédané le plus proche de la présence physique d’un observateur intéressé[57] ». Le rapporteur Philippe Marchand rappelait avec ferveur en 1985, lors du débat parlementaire de l’Assemblée nationale relatif à l’enregistrement des audiences des juridictions, l’importance de l’audiovisuel dans la restitution des débats judiciaires, moyen qui, par sa force et sa précision, permet de reproduire fidèlement la réalité. Il déclarait en autre que le son et l’image « qui sont les témoins les plus expressifs et, parfois, les plus fidèles sont absents des prétoires, alors que ce sont eux qui saisissent le mieux ce qui peut être l’essentiel d’un procès : un regard, celui de la victime vers l’auteur de son préjudice ou celui d’un témoin, un geste ou tout simplement la tonalité d’une parole en disent souvent plus que la lecture d’un long témoignage, voire d’une plaidoirie ou d’un réquisitoire[58] ». Cet appel à la présence des caméras au sein du prétoire n’est que l’affirmation du droit légitime que possède tout citoyen de contempler et de comprendre les grands procès judiciaires.

Au-delà du droit à être informé quant au fonctionnement de l’institution judiciaire qu’offre la diffusion des débats, corollaire d’une transparence de l’information, cette dernière permet également aux citoyens d’exercer un contrôle indirect sur l’administration de la justice pénale. L’effet d’une procédure publique, ouverte à tous, permet au peuple de « contrôler les acteurs du déroulement du procès[59] ». Le contrôle exercé par les individus s’avère d’autant plus important dans le système de l’administration de la justice pénale au sein duquel on peut redouter un risque d’arbitraire et d’erreur judiciaire. Hélie précisait à cet égard que le principe de la publicité des débats permet de soumettre les actes du juge à l’examen du public et rassure les justiciables. La juge Deschamps, dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), déclarait que « [l]’accès du public aux tribunaux assure également l’intégrité des procédures judiciaires en ce que la transparence qu’il génère garantit que justice est rendue non pas de manière arbitraire, mais bien conformément à la primauté du droit[60] ».

Pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme élève la publicité des débats judiciaires en principe fondamental garantissant la poursuite des objectifs démocratiques d’une société libre. Dépassant même la protection qu’offre le principe fondamental de la publicité qui permet la lutte contre une justice secrète, elle procède également d’une reconnaissance d’un véritable droit de regard des citoyens sur l’exercice de l’administration de la justice. Les médias, en soumettant les actes du juge aux citoyens, tempèrent les excès éventuels du système judiciaire et participent au renforcement de la confiance du public.

Pourtant, cet objectif démocratique connaît des limites lorsqu’il faut protéger l’intégrité de certaines personnes, notamment des mineurs ou des incapables majeurs, ou lorsque des conditions liées à la gravité de l’acte l’exigent[61]. L’accession à la vérité judiciaire à travers le prisme médiatique doit se réaliser sans altération. Devront ainsi être garantis la protection des droits de la défense, des témoins, des magistrats, des jurés et de la famille de même que, plus largement, le respect de la sérénité de la justice et le bon déroulement des débats[62]. Pour sa part, le Code de procédure pénale français rappelle que la publicité des débats judiciaires est de principe, à moins que cette dernière ne soit dangereuse pour l’ordre ou les moeurs[63]. Dans cette dernière hypothèse, le tribunal a le pouvoir de déclarer la publicité préjudiciable à l’ordre et aux moeurs et d’évincer du prétoire tout individu, y compris les médias[64]. En apparence, une telle dérogation au principe de la publicité, tout comme le huis clos, peut paraître attentatoire à la transparence des débats judiciaires : néanmoins, une telle restriction n’est qu’exception, et demeure nécessaire à la préservation de la sérénité des débats.

La retransmission et la publication des débats judiciaires opérées par les médias, au-delà du fait de participer à l’atteinte d’un objectif démocratique renforçant la confiance du public par une transparence de l’information, favorisent également la compréhension du fonctionnement de l’administration de la justice pénale.

1.2 Un objectif pédagogique renforçant la compréhension de l’administration de la justice pénale

La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vancouver Sun (Re) de 2004, rappelait l’intérêt du principe fondamental de la publicité des débats judiciaires. Dépassant le maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux, la publicité fait « partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice[65] ». Or, « [f]or most people, the criminal justice system remains shrouded in mystery[66] ». On observe souvent que le degré de confiance du public est fonction de la complexité d’un système et nécessite d’autant plus de compréhension de ce dernier. À mesure qu’un système croît en complexité, son caractère d’évidence s’obscurcit, sa familiarité s’estompe, « puisque l’expérience quotidienne ne peut le faire voir ou le rappeler que d’une manière parcellaire[67] ». Le sociologue Niklas Luhmann mettait en exergue la connexité existante entre confiance et familiarité[68]. Ainsi, par la diffusion et la vulgarisation de mécanismes ésotériques, les médias opèrent une simplification du système, en réduisent la complexité et le rendent inoffensif.

Nous avons souligné en amont que les citoyens qui ne peuvent assister physiquement aux procès ne sauraient prétendre aux bénéfices accordés par le principe de publicité entendu strictement. La jurisprudence rappelle à cet égard que, en tant qu’auditeurs ou lecteurs, les citoyens peuvent se réclamer du droit à l’information[69]. Seule une transmission de cette dernière permettra une « analyse des décisions judiciaires et la critique constructive des procédures judiciaires[70] ». Du déroulé des procédures judiciaires jusqu’au jugement définitif, en passant par la retransmission des débats, les médias dans leur rôle de principal vecteur d’information font la lumière sur les rouages de l’administration de la justice, luttant alors contre l’obscurantisme judiciaire[71].

En ce sens, l’information judiciaire véhiculée par les médias représente une condition sine qua non de la promotion de la confiance du public dans l’administration de la justice pénale. Par une transmission ininterrompue écrite, visuelle ou électronique, les médias enrichissent sans conteste la culture juridique des citoyens. La profusion quotidienne d’informations judiciaires accoutume le public à des champs ésotériques, à l’image du juridique, et en absorbe la complexité qui demeure une source majeure de défiance et de scepticisme lorsque celle-ci n’est pas maîtrisée. Dénué de toute expérience préalable, un profane jugera inconcevable d’accorder sans retenue sa confiance. Cette dernière nécessite un fondement d’assurance « possible qu’au sein d’un monde familier[72] ». La place des médias est alors substantielle en tant que fondement de la confiance, notamment lorsque ceux-ci, s’adressant au grand public sur des aspects complexes, en facilitent la compréhension.

L’exemple des États-Unis s’avère frappant à cet égard, la télédiffusion intégrale des audiences couplée aux chaînes d’information en continu[73] permettant aux individus d’observer le procès judiciaire dans son entièreté[74], facteur de familiarisation avec le fonctionnement de la justice. Daniel Dayan et Elihu Katz illustrent ce phénomène de « familiarisation » et d’apprentissage préalable à travers une analyse de la mission historique du premier alunissage humain. Ainsi, avant même que les astronautes Neil Armstrong et Buzz Aldrin posent un pied sur la Lune, « [g]râce à des techniques de simulation, les spectateurs du monde entier ont été, jour après jour, initiés au fonctionnement des fusées porteuses, à la division du travail entre les astronautes et leurs collègues au sol, aux particularités de l’atmosphère sur la Lune, aux techniques de mise en orbite et d’alunissage[75] ». Malgré la complexité des techniques propres à l’alunissage de la capsule Eagle, le public était préparé par le travail d’assimilation opéré en amont par les médias. L’analogie se présente identiquement lorsque des évènements de nature judiciaire surviennent. Les médias, par une retransmission des affaires criminelles, évènements qui comprennent un nombre abondant de strates et qui demeurent abscons pour un profane, permettent l’acquisition des connaissances nécessaires à une meilleure maîtrise du déroulement du procès judiciaire.

La célébrissime affaire O.J. Simpson qui a défrayé la chronique aux États-Unis représente une parfaite illustration du rôle pédagogique joué par les médias lors de tels évènements. Qualifiée de « Trial of the Century[76] », le procès a enflammé les passions de millions de téléspectateurs et ce, dans le monde entier[77]. Dans le même sens, l’affaire criminelle Claus Von Bülow réunissant plus de 200 journalistes en a permis une retranscription scrupuleuse. Conglomérant des millions de téléspectateurs chaque jour, le procès d’O.J. Simpson a eu pour effet d’instruire, temporairement, les citoyens quant au déroulement d’un procès judiciaire[78]. Une diffusion des différentes phases du procès criminel, allant de l’enquête policière jusqu’au jugement, sont autant d’éléments familiarisant les individus avec le fonctionnement du système judiciaire criminel. De telles informations ont suscité l’attention du public qui semblait fortement « s’associer aux actions de la police[79] » dans des affaires soulevant controverse, scepticisme et interrogation[80]. Une telle participation des citoyens au coeur des évènements s’explique par la position prédominante occupée par les médias en tant qu’institution médiane entre le peuple et l’instance judiciaire.

La juge Deschamps souligne également l’indispensabilité de la présence des journalistes dans le prétoire afin de recueillir puis de transmettre l’information à la population, sans quoi la compréhension du système de justice « dépendrait de l’infime minorité du public qui assiste aux audiences, ce qui éroderait forcément le débat démocratique, l’épanouissement personnel et la recherche de la vérité[81] ».

Ces propos illustrent sensiblement l’opposition décrite par Platon parlant des philosophes qui possèdent le temps nécessaire de s’adonner à l’étude des causes naturelles et de la morale afin d’atteindre la vérité, déambulant « au milieu du tumulte de l’agora démocratique[82] », là où avaient pour habitude de se réunir dans l’urgence les citoyens. Or, « dans l’urgence, on ne peut pas penser[83] », précisait le sociologue Pierre Bourdieu. Penser des questions aussi complexes que celles qui sont relatives au fonctionnement du système de la justice pénale et de sa procédure nécessite réflexion. Une négation de cette réalité, à savoir d’une causalité entre la compréhension d’un système ésotérique et le temps, correspondrait à une vision « aristocratique […] du privilégié qui a du temps, et qui ne s’interroge pas trop sur son privilège[84] ». L’intervention des médias et de la presse se révèle fondamentale pour préserver le statut démocratique d’une société.

Au-delà du fait de diffuser et de commenter les activités des cours et tribunaux, facteur de transparence et de familiarisation, les médias poursuivent un objectif en vue de la compréhension du fonctionnement du système judiciaire par un processus de familiarisation[85]. Comme c’est le cas pour les grandes fêtes, la diffusion médiatique de certains procès criminels permet d’unifier « de vastes aires géographiques en y suscitant une temporalité commune. Ces récits transforment l’expérience télévisuelle, la nimbent d’une sorte d’aura[86] ». Les médias fournissent au public la possibilité « d’explorer l’évènement de l’intérieur[87] » et rendent les citoyens « plus avertis et instruits de la chose judiciaire[88] ».

Parfois qualifiés de quatrième pouvoir en raison de leur « capacité d’accueillir des informations, relatives à une infraction donnée, qui avait échappé à la justice et à la police[89] », les médias participent, par la captation et la transmission de l’information, à la promotion du débat public[90]. La jurisprudence précise que la couverture journalistique de l’administration de la justice favorise « la participation à la prise de décisions d’intérêt social et politique[91] ». La diffusion des informations relatives au système de l’administration de la justice pénale fournit à la population une assise lui permettant de prendre part aux débats publics qui façonnent toute société contemporaine[92]. Les médias deviennent alors un relais indispensable entre un système complexe et le public.

De surcroît, l’objectif pédagogique poursuivi par les médias offre à tout citoyen un éclairage « sur les risques encourus en cas de comportement déviant et sur les procédures à suivre en cas de litige[93] », ce qui permet ainsi de mieux comprendre les enjeux auxquels doit faire face le système de l’administration de la justice pénale. Tout comme le principe fondamental de la légalité criminelle impose au législateur l’édiction d’une norme claire et intelligible permettant d’avertir raisonnablement les citoyens d’une conduite prohibée par la loi, la diffusion des débats judiciaires en matière criminelle et pénale poursuit à l’autre extrême un objectif dissuasif similaire en portant à la connaissance de la population le quantum des peines infligées[94].

En somme, l’objectif pédagogique atteint par l’instance médiatique participe à renforcer la confiance du public dans l’administration de la justice. Les objectifs cardinaux de transparence et de pédagogie permettent d’ouvrir au public des champs auparavant inaccessibles et favorisent le bon fonctionnement de la vie démocratique. Cependant, l’emprise croissante des médias sur des champs autonomes est susceptible d’altérer et de dénaturer l’authenticité de la réalité judiciaire. Afin de capter l’attention des auditeurs et des lecteurs, les médias procèdent à une sélection stratégique des informations suscitant l’appétence des citoyens. Il en va de même de certains procès impliquant célébrité, meurtre, scandale, controverse, violence, tragédie[95] ou tout autre élément propre à transgresser les normes sociales habituelles.

2 Une inflexion de la réalité juridique

Pour préserver la bonne administration de la justice ainsi que la sauvegarde des droits et libertés individuels des justiciables, la procédure en matière de justice pénale impose certaines limites ne permettant qu’une représentation tronquée de l’administration de la justice pénale (2.1). En outre, par-delà les restrictions strictement procédurales, l’appropriation du champ judiciaire par le pouvoir médiatique altère la réalité juridique (2.2).

2.1 Une représentation partielle

En vue de mettre en relief la représentation relative de la réalité juridique lorsqu’elle est retransmise par le prisme médiatique, une approche comparée s’impose. À titre d’exemple, la procédure pénale dans le système juridique français est empreinte d’une distinction cardinale entre deux modèles : l’un que l’on qualifie d’accusatoire ; l’autre, d’inquisitoire. Alors que le premier est caractéristique d’une procédure publique, orale et contradictoire, le second en est le reflet inversé, dépeint d’un caractère écrit, secret et non contradictoire. Le rapport Linden de 2005, relatif à l’enregistrement et à la diffusion des débats judiciaires, soulignait qu’il était nécessaire d’avoir conscience que « la diffusion des débats judiciaires s’accommode mieux de la procédure accusatoire que de la procédure inquisitoire[96] ».

A contrario, le système américain, qui accorde une place prépondérante aux médias dans les prétoires, est caractéristique d’un modèle de type accusatoire. Cette pratique procédurale est souvent assimilée à l’image de « justice-spectacle », qui sert à divertir les citoyens par une transparence outrancière. La défiance à l’égard d’une telle pratique était déjà présente à la veille de l’adoption de la loi française du 6 décembre 1954 concernant la présence d’appareils de captation de l’image au cours des débats. Certains rapporteurs soulignaient l’inconvénient lié à l’enregistrement des débats et à leur retransmission, notamment au regard du maintien de la sérénité de la justice et de la protection du droit de la défense. Ainsi pouvait-on craindre des prises de vues que celles-ci ne viennent troubler l’ordre des salles d’audience et surtout ne transforment le procès en « un spectacle nuisible » à la dignité des débats et de la justice[97].

Dans une telle configuration, « on filme les victimes et leur famille, les mis en examen, les accusés, les juges, les avocats, etc. La télévision remplace l’agora et le forum[98] ». L’affaire O.J. Simpson en est une parfaite illustration. Il y a certes les acteurs constituant habituellement le procès judiciaire, soit la victime, l’accusé, les avocats respectifs ou encore le juge, mais s’y ajoutent les individus composant l’audience médiatique et observant le procès de l’extérieur par l’entremise des médias, qui constituent alors une forme dérivée de jurés.

Le professeur Konstantinos D. Kerameus expliquait que, jadis observable dans l’Antiquité à Athènes, « la principale caractéristique de l’organisation judiciaire de l’ancienne République athénienne était sa nature populaire. Rendre justice était un devoir de l’État à remplir avec la participation du plus grand nombre possible de citoyens[99] ». Ce trait caractéristique d’une justice populaire pratiqué à la E–liaia[100] (η,λια´ια) perdure à l’ère contemporaine des médias, de l’audiovisuel et d’Internet. Pour les raisons énoncées plus haut, l’intrusion médiatique dans le prétoire et la retransmission audiovisuelle des procès aux États-Unis, qui accordent une place prépondérante à la liberté de capter, de publier et de diffuser les informations[101], corollaire de la liberté d’expression, s’apparentent au modèle accusatoire. À cet égard, la jurisprudence américaine dans l’arrêt Craig v. Harney de 1947 rappelle qu’« un procès est un évènement public. Ce qui est discuté dans un prétoire relève du domaine public[102] ». Malgré l’aspect particulièrement populaire de la procédure judiciaire aux États-Unis, certains auteurs pointent du doigt le caractère partiel des télédiffusions, spécialement lorsque ces dernières se concentrent exclusivement sur la phase de jugement, ce qui occulte alors toutes les autres étapes du processus judiciaire[103].

Outre-Atlantique, en France et dans d’autres pays de l’Union européenne, la retransmission audiovisuelle des débats judiciaires ne jouit pas d’une aussi grande latitude. Pour rappel, la procédure de type inquisitoire se caractérise par sa forme secrète, écrite et non contradictoire et se trouve essentiellement durant la phase de l’instruction. Le choix du secret durant cette phase s’explique notamment par le souci de préserver le respect de la sérénité dans l’instruction du dossier qui représente l’un des aspects les plus sensibles de la procédure. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme confirme que la phase d’instruction, qui impose un secret temporaire, poursuit un but légitime[104].

Néanmoins, le secret de l’instruction que tente de préserver l’institution judiciaire est anéanti lorsque les médias, véritable cheval de Troie, versent dans l’hétéronomie en accaparant le champ judiciaire. Cette situation tend à favoriser « une communication partielle et lacunaire des informations réunies au cours de l’instruction[105] ». Le procès procédant de la « scénarisation journalistique[106] » souffre alors d’irrationalités et d’ellipses, autant de pathologies qui renforcent la perception illusoire du système de la justice[107].

Comme le soulignent certains auteurs, les écrits et autres retransmissions ne sont pas toujours « le reflet de la réalité pour ceux qui en prennent connaissance[108] » et peuvent alors conduire à un phénomène de tropisme[109] en procédant d’une distorsion de la réalité juridique. Existe ainsi une distinction fondamentale entre le « vrai », présent lorsqu’on se rend dans le prétoire, et le « vraisemblant », éclat clinquant d’une réalité travestie pour saisir le sensationnel. Comme le déclarait le rapporteur Robert Badinter, « le coeur de la vie juridique ne se trouve pas dans les dossiers eux-mêmes, dans les écrits[110] » ou dans une retransmission télévisée en quête du sensationnel. Loin du tumulte médiatique, le vrai réside précisément « à l’audience, dans ses péripéties, au cours des débats et de leurs incidents, [c’est] dans les interventions des participants que se joue l’essentiel[111] ». Le même rapporteur faisait part d’une forte réticence et d’une hostilité quant à la retransmission des débats judiciaires qui ne pourrait être, selon lui, que « très partiel[le][112] » et qu’une telle retransmission risquerait même d’être « très partiale[113] ».

Retenons simplement que la publicisation des affaires judiciaires tend à travestir la réalité, car elle « transcrit sans nuance une vérité exprimée souvent avec des hésitations, des doutes dans l’intonation, dans des silences, dans des soupirs, dans des exclamations et bien d’autres choses qui font la vigueur et la richesse du débat oral[114] ». En ce sens, une configuration de type inquisitoire ne permet qu’une représentation partielle de la réalité juridique. Ces considérations ont mené la France à l’adoption d’un compromis, où elle a fait le choix d’un système mixte. La procédure pénale française se caractérise par une phase inquisitoire au moment de la mise en mouvement de l’action publique, alors que la phase du jugement revêtira les traits d’un modèle accusatoire[115].

En droit canadien, certaines dispositions de procédure sont également de nature à restreindre la diffusion de l’information, et n’en permettent qu’une représentation partielle. À titre d’exemple, l’article 187 (1) du Code criminel prévoit que les documents relatifs à une demande faite en application à la partie VI sont confidentiels et placés sous scellé par le juge à qui la demande a été faite. Cet article précise que le paquet est conservé par le tribunal « en un lieu auquel le public n’a pas accès ou en tout autre lieu que le juge peut autoriser[116] ». La dérogation au principe de publicité des débats nécessite une « pondération » entre les intérêts en conflit, notamment l’accès aux dossiers de procédure, et la nécessité et la protection du secret d’une enquête. De manière analogue, le législateur a édicté des lois permettant aux juges de rendre des ordonnances de non-publication interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement pouvant nuire à la bonne administration de la justice. À cet égard, l’article 486.4 (1) du Code criminel interdit la publication de renseignements qui permettraient d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin dans les procédures relatives à des infractions d’ordre sexuel[117].

Voici ce que rappelle le Conseil constitutionnel français : « l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice[118] ». Afin de limiter tout débordement et de tempérer les excès, le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il estime primordial de limiter la publication. Soulignons seulement que, si de telles restrictions semblent porter atteinte à certains principes, comme celui de publicité des débats judiciaires ou de la liberté d’expression, elles ne doivent cependant pas conduire à des dénonciations fallacieuses. D’une part, même lorsque le juge décide de rendre une ordonnance de non-publication, les journalistes restent libres de communiquer les renseignements relatifs au fait de l’infraction dont l’accusé est inculpé[119], de les commenter et d’en informer le public[120]. D’autre part, les interdictions de publication et autres restrictions ne devraient que renforcer la confiance du public dans l’administration de la justice pénale en ce qu’elles permettent d’assurer le respect des libertés individuelles de certaines victimes qui ont besoin d’une protection particulière. Ainsi, le droit appartenant à la victime d’une infraction sexuelle d’exiger le huis clos afin de préserver sa vie privée a été déclaré conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme[121].

En plus des exceptions procédurales pour assurer la sauvegarde de la moralité, de l’ordre public et de la sécurité nationale, d’autres facteurs viennent écorcher davantage la représentation de l’administration de la justice pénale.

2.2 Une représentation partiale

Remarquons d’emblée, pour dissiper toute mésinterprétation au regard de l’analyse sociologique lorsque celle-ci met en exergue des mécanismes cachés, que « le travail d’énonciation n’est pas un travail de dénonciation personnel[122] ». Il est avant tout question d’analyser et de comprendre le fonctionnement social des médias lorsque ces derniers tentent de retransmettre une information judiciaire au public.

Afin d’illustrer la représentation partiale de l’information judiciaire retransmise par les médias, nous emprunterons modestement l’exemple de l’allégorie de la caverne de Platon représentant la condition humaine. Dans son dialogue avec Glaucon, le philosophe distingue dichotomiquement la vraisemblance de la réalité. La première est assimilée au monde sensible, représentée par la prison souterraine ; la seconde, symbolisant vérité et raison, est qualifiée d’intelligible. Platon ouvre son dialogue dépeignant des hommes confinés dans une habitation souterraine, jambes et cous liés, incapables de tourner la tête, destinés à contempler des ombres projetés en face d’eux sous l’effet d’un feu[123]. L’analogie est aisée lorsqu’on transpose l’illustration de l’allégorie à notre époque contemporaine. La population, peu familiarisée avec le système de l’administration de la justice pénale, correspond aux hommes enchaînés dans la grotte illustrée par Platon. La projection des ombres des hommes arpentant un chemin s’apparente à la doxa dominante véhiculée par les médias et les réseaux sociaux. De manière identique aux faits sociaux, objectifs, extrinsèques et coercitifs lorsqu’on tente de s’y opposer[124], les médias exercent une contrainte sur les individus par l’imposition d’une idéologie dominante qui façonne leur perception du réel. Or, si le portrait du système judiciaire esquissé par les médias se révèle infidèle à la réalité, les citoyens pourraient s’en trouver touchés dans la représentation qu’ils s’en font[125]. Par là même, plus que la remise en cause de la légitimité de l’administration de la justice pénale[126], c’est la déliquescence de la confiance du public qui guette la justice[127].

Quant à la lumière située à l’entrée de la caverne représentant le vrai, celle-ci demeure accessible aux citoyens lorsque ces derniers se rendent physiquement au prétoire. Sur le plan philosophique, on assiste à une division entre ceux qui peuvent accéder aux idées et ceux qui ont pour seule réalité la projection des ombres devant eux : ainsi sont-ils voués à demeurer dans l’opinion. Le même constat ressort sur le plan sociologique : apparaît un fractionnement en matière d’information « entre ceux qui peuvent lire les quotidiens dits sérieux, […] [les] journaux internationaux, [écouter les] radios de langues étrangères, et, de l’autre côté, ceux qui ont pour tout bagage politique l’information fournie par la télévision, c’est-à-dire à peu près rien[128] ». Le champ judiciaire qui galvanise les citoyens par l’intérêt qu’il suscite est altéré par une distorsion médiatique qui ne permet pas la perception du fonctionnement de la justice rendue pourtant au nom du peuple. Dépourvus de tout libre arbitre, « nous sommes alors dupes d’une illusion qui nous fait croire que nous avons élaboré nous-mêmes ce qui s’est imposé à nous du dehors[129] ». Semblable au rameau d’arbre effeuillé par l’hiver que l’on retire des mines de sel de Salzbourg[130], alors couvert d’une cristallisation d’un éclat clinquant, reflet d’une illusion et d’une mystification, l’information médiatique erronée qui assaille le citoyen se fixe en lui. L’ascension à la réalité ne se produira qu’au prix d’une émancipation des prénotions spontanées et de l’idéologie dominante qui sert uniquement à voiler la réalité[131].

L’homogénéisation de la pensée provoquant un phénomène de massification est symptomatique du caractère hétérogène du champ journalistique. L’immixtion du quatrième pouvoir a pour effet de corrompre « l’univers des sciences les plus pures[132] » et de confondre le procès judiciaire avec le procès médiatique[133]. Bourdieu dresse la liste de certains champs jouissant d’une autonomie congénitale. Il en va ainsi de l’art, de la littérature, des sciences dures ou des sciences sociales, à l’exemple du champ juridique, domaines ésotériques requérant la maîtrise d’un langage complexe et nécessaire en vue de sa compréhension. Or, l’autonomie des champs est constamment menacée par l’allodoxia[134] médiatique, véritable « cheval de Troie à travers lequel l’hétéronomie s’introduit dans le champ » et manipule les profanes, victimes des apparences vraisemblables du système de justice criminel[135].

Quand bien même la Cour européenne des droits de l’homme reconnaîtrait à la presse la liberté d’user d’exagération et de provocation dans le domaine judiciaire[136], le danger réside dans l’inflexion de la réalité juridique et la recherche du sensationnel au sein du journalisme de masse, et ce, au détriment de la réalité juridique et de sa mission éducative[137]. Plusieurs déploreront alors l’insuffisance relative à l’enseignement de préceptes fondamentaux qui gouvernent le droit criminel et sa procédure. C’est ce qui se passe dans le cas de la transmission lacunaire par les médias des principes phares, à l’image de la distinction entre un verdict de culpabilité rendu hors de tout doute raisonnable, condition sine qua non pour déclarer une personne coupable, et la notion de preuve par prépondérance des probabilités. À titre d’exemple, cette confusion a été entretenue tout au long du procès d’O.J. Simpson alors que la notion de preuve « hors de tout doute raisonnable » a été employée à profusion tant par la défense que par la poursuite[138].

L’appétit du sensationnel[139] qui porte les médias à l’exploitation du crime, du sang[140] et d’autres calamités explique en partie la décision prise dans l’affaire O.J. Simpson de bannir les caméras du prétoire, car le tribunal souhaitait rompre avec l’image de « justice spectacle[141] » affligeant le procès pénal[142]. Le rapporteur Philippe Marchand, partisan de l’enregistrement des audiences des juridictions, soulignait le « risque dans le choix des images, le risque du sensationnel ». Ainsi, poursuivait-il, « imaginons une caméra, savamment maniée, braquée sur les pièces à conviction et immédiatement après sur le visage, sur le regard des jurés. Ceux d’entre nous qui ont plaidé la défense devant les cours d’assises ont tous connu ce moment difficile où les jurés découvrent pour la première fois la photographie de la victime. Incontestablement, si des conditions strictes n’étaient pas posées, la caméra pourrait rechercher systématiquement le sensationnel[143] ». Certaines décisions de la haute juridiction dénoncent « l’excès de transparence » lorsque celle-ci est élevée en vertu hégémonique[144]. L’ingérence s’impose lorsque le droit fondamental de capter et de communiquer les informations contrevient aux valeurs constitutionnelles comme la présomption d’innocence ou les droits de la défense.

Soulignons, tout de même, l’indispensabilité des médias en ce qu’ils permettent de promouvoir la transparence de l’information, attribut essentiel d’une société libre et démocratique. Cependant, il convient de tempérer toute exaltation trop hâtive à l’égard du champ journalistique qui chasse trop souvent le sensationnel, « pathologie de la communication[145] », au détriment d’une retransmission fidèle de la réalité attendue par les citoyens.

Conclusion

Les médias et l’institution judiciaire, dans leur relation respective qu’ils entretiennent avec le public, soit véhiculer une information d’intérêt général pour l’un et faire appliquer la loi pour l’autre, participent tous deux au bon fonctionnement de la démocratie, attribut nécessaire à la fertilisation de la confiance. Rappelons que la place occupée par les médias, interposés entre les citoyens et l’administration de la justice, promet au moins l’atteinte de deux objectifs substantiels. Premièrement, la diffusion de l’information à destination de la population garantit une transparence du système judiciaire, protégeant de ce fait les justiciables d’une justice occulte échappant à tout contrôle. Un consensus existe sur la nécessité d’assurer la publicité, par tout moyen, des débats judiciaires, indispensable au maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice pénale. Deuxièmement, par leur travail de diffusion et de vulgarisation de l’activité judiciaire, les médias certifient également l’atteinte d’un objectif pédagogique, ce qui renforce la compréhension du fonctionnement du système judiciaire. De surcroît, la diffusion de l’information en matière criminelle et pénale éclaire les citoyens sur les risques encourus en cas de transgression des règles de droit : il y a alors création d’un effet dissuasif auprès des personnes tentées de commettre une infraction.

Néanmoins, l’ampleur du caractère souvent sensationnel des informations véhiculées par les médias à l’occasion de procès criminels infléchit la réalité judiciaire et provoque des conséquences parfois irréversibles sur la confiance de public envers l’administration de la justice pénale.